Il y a cent ans (22 novembre 1916) mourait l’incontournable écrivain américain Jack London. à la fois self-made-man, icône du rêve américain et socialiste-communiste, Jack London n’aura eu de cesse de critiquer la société américaine — et plus largement occidentale — de la fin du XIXème siècle. Aussi bien dans Martin Eden, personnage éponyme semi-autobiographique, que dans Croc Blanc et l’Appel de la forêt, Jack London dépeint un pays où le mythe américain détruit sa propre société par l’individualisme et la concurrence, et où une bourgeoisie domine les autres classes par sa richesse et sa culture apparente
« Je vous dirais que la lune est un fromage vert, que vous applaudiriez, ou du moins que vous n’oseriez pas me contredire, parce que je suis riche. Et je suis le même qu’alors, quand vous me rouliez dans la boue, sous vos pieds. » ; « il avait commis l’erreur insigne de confondre éducation et intelligence », (Martin Eden)
Si Jack London ne méprisait pas bêtement la bourgeoisie comme un certain socialisme dogmatique a pu, à travers l’Histoire, se surprendre à le faire, Jack London méprisait la petitesse et l’oisiveté. Il était de ces hommes capables de pulvériser des montagnes par sa seule conviction. Martin Eden est le personnage nietzschéen par excellence, personnifiant au mieux — peut-être même mieux que Zarathoustra? — le mythe du surhomme.
S’il était désespérément en quête de reconnaissance, jamais London n’a recherché le prestige. Son entrée dans la Pléiade trahit sa volonté première de partager ce qu’il vivait et ce en quoi il croyait, de le partager avec les enfants et les « petites gens, petits riens, là d’où je viens », comme il les décrivait. Il n’aurait pas accepté d’entrer dans cette collection élitiste, inaccessible financièrement à beaucoup de lecteurs, et intellectuellement discriminante avec ses commentaires soit minimes et abscons, soit profus et trop techniques.
« Ainsi, je suis retourné à la classe ouvrière dans laquelle je suis né et à laquelle j’appartiens. Je n’ai plus envie de monter. L’imposant édifice de la société qui se dresse au-dessus de ma tête ne recèle plus aucun délice à mes yeux. » (Ce que la vie signifie pour moi, Jack London)
Né en 1876 en Californie, il devient très vite ouvrier car à cette époque les usines embauchent plus vite que les ranchs. Du contact avec les ouvriers puis les vagabonds il est devenu socialiste, et l’est resté toute sa vie. Il finit par se faire enrôler sur un bateau comme marin et se retrouve à Londres en 1902 où il côtoie quotidiennement des clochards (cf. Le peuple d’en bas, Jack London) ce qui renforce ses convictions. Après sa ruée vers l’or au Klondike en 1897, il devient le reporter et écrivain le mieux payé de son temps, il est envoyé en Corée, au Mexique, pour couvrir des évènements. Il embarque sur le Snark en 1907, navire ultra-moderne sur lequel il écrit son chef d’œuvre, Martin Eden.
Sa fin de vie est plutôt austère: atteint de calculs rénaux et d’urémie, il boit trop malgré la mise en garde de ses médecins, avant de mourir en 1916, à l’âge de quarante ans, mettant un terme à son apogée littéraire. Lui qui aurait « préfér[é] être braise que cendre » s’éteint plutôt comme une bougie asphyxiée, impuissante.
Bien que j’affectionne personnellement ces livres et que je les achète occasionnellement, voir Jack London figurer aux côtés d’écrivains si classiques et pompeux que Flaubert, Gœthe ou encore Dostoïevsky, rabaisse la fougue de son écriture, cette “panthéonisation“ de la révolte affaiblit sa puissance et aristocratise Jack London. L’intérêt commercial de voir sortir ses œuvres complètes pour le centenaire de sa mort ne justifie pas l’entrée de Jack London dans la Pléïade. Il y a des écrivains, tels que le Marquis de Sade, Albert Camus ou encore Arthur Rimbaud, qui ne méritent pas la considération de cette bien-pensance, mais seulement la paix : et Jack London fait partie de ceux-là, de ces Vagabonds des étoiles (livre éponyme) qu’ils sillonnent loin de nous.
Pour aller plus loin, le cycle de conférences de France Culture avec “La compagnie des auteurs” en quatre podcasts acessibles et passionnants.
Crédits photo : http://www.archive.org/details/littlepilgrimage00harkuoft , auteur : ©L C Page and Company Boston 1903. Elle est dans le domaine public aux Etats-Unis.