Corbyn face à son parti et à l’Union européenne

Jeremy Corbyn à un meeting suite au Brexit © Capture d’écran d’une vidéo du site officiel du Labour Party

“Rebuilding Britain. For the Many, not the Few” : tel est le slogan mis en avant par le Labour de Jeremy Corbyn depuis quelques mois. Objectif : convaincre les Britanniques que son parti est capable de remettre sur pied un pays que quarante ans de néolibéralisme ont laissé en ruine. L’intégrité de Jeremy Corbyn et la popularité de son programme lui permettent pour l’instant de rester le leader de l’opposition. Mais les fractures avec sa base militante pro-européenne et les parlementaires blairistes contraignent la liberté de ce “socialiste” eurosceptique. Pour réindustrialiser le pays et redistribuer les richesses, il ne devra pourtant accepter aucun compromis sur la sortie de l’Union européenne et avec les héritiers de Tony Blair.


Finance partout, industrie nulle part

L’impasse actuelle s’explique en effet par le choix d’un nouveau modèle économique du Royaume-Uni depuis la crise des années 1970. Les mines, l’industrie, et les travailleurs syndiqués furent balayés par la concurrence internationale et européenne introduite par le libre-échange, tandis qu’un nouveau monde émergea : celui de la City et la finance. Plutôt que de combattre la hausse du chômage, Margaret Thatcher et ses successeurs firent le choix de s’attaquer à la forte inflation en combattant sans vergogne les syndicats gourmands de répartition des richesses et en relevant les taux d’intérêt. Le haut rendement des placements au Royaume-Uni attira les capitaux du monde entier autant qu’il rendit le crédit aux entreprises coûteux. La dérégulation et les privatisations de services publics rentables firent le reste : il suffisait pour les investisseurs de s’accaparer d’anciens fleurons en difficulté, de faire de grandes coupes dans la main-d’oeuvre et de revendre l’entreprise lorsque sa valeur est gonflée par la perspective de meilleure productivité. Les “sauveurs” autoproclamés de l’industrie des années 1980, arrivant avec leurs millions et leur soi-disant expertise de management, furent en réalité ses fossoyeurs : ils n’investirent nullement dans l’appareil productif, dépècerent les sociétés en morceaux plus ou moins rentables, forcerènt des sauts de productivité en exploitant davantage les employés et recherchèrent avant tout à revendre la compagnie avec une grosse plus-value. En France, Bernard Tapie est devenu l’incarnation de ces “années fric” où ces patrons d’un nouveau genre étalaient leur richesse avec faste au lieu de résoudre les vrais problèmes des entreprises qu’ils possédaient.

“Le marché immobilier est devenu un gigantesque casino, où la spéculation a multiplié le coût du logement par 10 entre 1980 et 2017 !”

Le poids du secteur manufacturier s’est effondré de 32% en 1970 à à peine plus de 10% aujourd’hui. Des régions entières ont été dévastées, au Nord de l’Angleterre et au pays de Galles notamment. Les importations de produits manufacturés creusent inexorablement le déficit commercial du Royaume-Uni, aujourd’hui établi à 135 milliards de livres, avec le reste du monde et en particulier avec l’espace économique européen. Brexit ou non, l’industrie britannique souffre de toute façon des maux apportés par le choix de la financiarisation. Les investissements représentent aujourd’hui environ 17% du PIB, cinq points de moins que la moyenne de l’OCDE, et sont excessivement concentrés dans le Sud-Est du pays. Parmi ces 17%, la recherche et développement ne touche que 1,6%, contre 2% pour la zone euro et la Chine, presque 3% aux USA et même 4,2% en Corée du Sud. La productivité horaire est bien plus faible que celle des pays européens, qui sont aussi les premiers partenaires commerciaux de Londres.

Dans son manifeste de 2017, le Labour promet 250 milliards d’investissements sur 10 ans par une Banque Nationale d’Investissement, un montant supérieur aux 100 milliards sur 5 ans défendus par Jean-Luc Mélenchon en 2017, mais absolument nécessaire au regard de la situation. La Royal Bank of Scotland, partiellement nationalisée depuis la crise de 2008, serait quant à elle décomposée en plus petites entités pour soutenir PME et coopératives, tandis que banques de dépôt et banques de crédit seraient séparées. Si ces mesures relèvent du bon sens, elles semblent pourtant insuffisamment ambitieuses : les paradis fiscaux de l’outre-mer Britannique ne sont nullement inquiétés et la nationalisation du secteur bancaire, pourtant renfloué à grands frais après la crise, n’est pas envisagée. Dans un article de fond, le professeur Robin Blackburn propose d’aller plus loin, en créant par exemple un fonds souverain qui regrouperait les titres de propriété de l’État dans le secteur privé pour investir sur le long-terme dans des projets bénéfiques à la société plutôt que d’en avoir une gestion passive. L’exemple le plus connu est celui du fonds norvégien, qui a accumulé plus de 1000 milliards de dollars grâce aux dividendes de l’exploitation pétrolière. Cette idée avait été proposée au début de l’extraction du pétrole de la Mer du Nord, dans les années 1970, par le ministre de l’énergie de l’époque et figure de la gauche radicale britannique Tony Benn. Une récente étude estime à 700 milliards de dollars la valeur d’un tel fonds aujourd’hui, mais Margaret Thatcher préféra utiliser cet argent pour réduire les impôts et financer les licenciements dans le secteur public.

Deux tours, deux mondes. A Grenfell, les précaires ont été abandonnés aux incendies tandis que The Tower, plus haut immeuble d’habitation est détenu par des étrangers fortunés qui y habitent très peu. ©Nathalie Oxford et Jim Linwood

Cependant, on est encore bien loin d’un dirigisme économique. Pour l’heure, les investissements sont surtout le fait du privé, et visent la spéculation de court-terme plutôt que le soutien à des secteurs vraiment productifs. Le marché immobilier est devenu un gigantesque casino, où la spéculation a multiplié le coût du logement par 10 entre 1980 et 2017 ! Alors que les conservateurs se contentent de se plaindre d’un nombre de nouveaux logements insuffisants, les chiffres attestent d’une autre réalité : celle de la spéculation. En 2014, le pays comptait 28 millions d’habitations pour 27,7 millions de ménages, tandis qu’à Londres, où le logement abordable a pratiquement disparu, le nombre d’habitations a cru plus vite que celui des ménages entre 2001 et 2015. Conséquences : Le nombre de personnes à la rue explose – +160% en huit ans -, tandis que l’endettement des ménages, principalement dû aux emprunts immobiliers, demeure à plus de 125% du revenu disponible.

Alors que les luxueux penthouses construits dans les nouveaux gratte-ciels londoniens sont rarement habités, le logement est devenu hors de prix pour beaucoup, ce qui entrave la mobilité des individus et le bon développement de l’économie. Les 79 morts et 74 blessés de l’incendie de la tour Grenfell en 2017 ont suscité une immense vague de colère dans tout le pays. Le choix de panneaux inflammables de polyéthylène pour réaliser une maigre économie de 6000£ et les menaces de poursuites contre deux habitantes de la tour qui militaient pour une meilleure sécurité incendie ont démontré à quel point le bilan catastrophique de l’austérité laisse les conservateurs de marbre. Contre ce problème de disparition du logement abordable de qualité décente, les travaillistes proposent de construire un million de logements supplémentaires, mais surtout d’encadrer les hausses de loyer, de durcir les conditions minimales d’habitabilité des logements et de réintroduire des aides au logement pour les jeunes de 18 à 21 ans. Une taxe basée sur la valeur du sol serait également considérée.  Néanmoins, il n’est pas certain que ces mesures suffisent au vu de la situation tragique. Une limite sur les achats de logement par de riches étrangers, à l’image des mesures prises en Nouvelle-Zélande et à Vancouver, au Canada, mériterait d’être discutée sérieusement.

Privatisations : plus cher pour moins bien !

Un train au dépôt de maintenance de Grove Park. ©Stephen Craven

Au-delà d’investissements massifs pour relancer la production industrielle et rendre le logement plus abordable, c’est l’Etat britannique lui-même qu’il faut rebâtir. 9 ans d’austérité très dure, qui n’ont pas permis de ramener le déficit à 0 dès 2015 comme promis par David Cameron, ont causé de profonds dégâts dans le système social. Les privatisations en cascade des conservateurs de Margaret Thatcher, puis la multiplication des partenariats public-privés par les néo-travaillistes de Tony Blair pour donner l’illusion d’investissements massifs dans les services publics ont dérobé l’État au bénéfice de quelques grandes sociétés privées. Les Private Finance Initiatives sur-utilisés par le New Labour permettent à l’État de maintenir les services publics sans en payer le prix réel à court terme, mais la rente détenue par le privé lui permet ensuite de se gaver aux frais du contribuable pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, le résultat est visible : la rapacité des investisseurs a systématiquement dégradé la qualité des services publics tout en augmentant leur coût. Le secteur ferroviaire est devenu le symbole de cette faillite à grande échelle, découverte en France à l’occasion du débat autour de la SNCF le printemps dernier. Alors que la ponctualité des trains britanniques est au plus bas depuis 12 ans, les tarifs des billets ont encore grimpé de 3,1% en moyenne, tandis qu’une partie du réseau a été temporairement renationalisé après que les compagnies Virgin et Stagecoach aient accumulé les pertes. Suite à l’austérité budgétaire, l’entreprise Carillion, un des plus gros sous-traitants de lÉtat, a quant à elle fait banqueroute. Son “modèle économique”? Racheter des sociétés bénéficiant de contrats avec l’État britannique et dissimuler les dettes via des entourloupes comptables.

L’exaspération des Britanniques contre la privatisation est donc au plus haut : 75% d’entre eux souhaitent renationaliser entièrement le secteur ferroviaire, et ce chiffre atteint 83% pour la gestion de l’eau, dont la fin des dividendes versés aux actionnaires et la baisse de taux d’intérêt pourrait faire économiser 2,3 milliards de livres par an. Grâce aux faibles taux d’intérêt en vigueur pour le moment, John McDonnell – chancelier fantôme, c’est-à-dire ministre de l’économie et des finances et numéro 2 de l’opposition – promet de revenir à une propriété entièrement publique de ces secteurs, ainsi que ceux de l’énergie et de la poste. Dans ce dernier domaine, réinstaurer un prix forfaitaire du timbre pour le secteur financier pourrait rapporter entre 1 et 2 milliards de livres par an en plus de rendre plus coûteuse la spéculation à tout va. Les idées pour financer le rachat des concessions et faire des économies sur la rente parasitaire des actionnaires et des banques ne manquent donc pas. Par ailleurs, Corbyn et McDonnell insistent régulièrement sur la gestion plus démocratique qu’il souhaitent faire des entreprises publiques, contrairement à la gestion technocratique d’après-guerre.

Toutefois, l’arrivée prochaine d’une nouvelle crise financière et la durée de certaines concessions risquent de compliquer sérieusement les plans des travaillistes. En termes d’éducation, la fin des frais de scolarité dans le supérieur, qui sont extrêmement élevés, fait consensus. Mais le parti ne va guère plus loin et ne prévoit pas de s’attaquer aux charter schools. Quant au NHS, le service de santé britannique au bord de l’explosion, Corbyn promet des investissements importants, des hausses de salaires et des mesures positives pour les usagers, mais la logique de New Public Management – l’obsession de mesurer la performance via des indicateurs imparfaits – n’est pas remise en cause.

Brexit : l’arme à double tranchant

Un graffiti de Banksy sur le Brexit à Douvres. ©Duncan Hull

Inévitablement, s’attaquer à ces problèmes structurels bien connus du capitalisme britannique à l’ère néolibérale pose la question de la compatibilité avec les traités européens, alors que le Brexit entre dans sa phase finale. Depuis le début de la campagne du référendum, l’establishment médiatique a largement soutenu le maintien dans l’UE, et promis un “Armageddon” en cas de sortie de l’Union sans accord. Après la défaite historique de l’accord proposé par Theresa May au Parlement de Westminster, un Hard Brexit est de plus en plus envisagé. Étendre la période de transition pour rouvrir des négociations ne servirait à rien : l’UE domine les tractations et toute participation des Britanniques à l’espace de libre-échange européen sans pouvoir à Bruxelles et Strasbourg serait ridicule. Quant aux soi-disants “protections sociales” minimales garanties par l’accord proposé par May, l’Union ne les a concédées que par peur de voir Corbyn devenir Premier ministre.

Les embouteillages de semi-remorques aux postes frontières, la pénurie de certains aliments et la destruction d’emplois dans les secteurs dépendants de l’ouverture internationale est certes réelle, mais elle s’explique principalement par la gestion déplorable des Tories qui ont nié jusqu’au bout l’hypothèse d’un retour aux règles commerciales de l’OMC et enchaînent désormais les bourdes monumentales. Au lieu d’avoir préparé sérieusement cette situation depuis 2 ans et demi, les conservateurs ont préféré dépenser 100.000 livres d’argent public en publicités Facebook pour promouvoir leur accord deal mort-né et signent dans la précipitation un contrat avec une entreprise maritime qui ne possède aucun ferry et n’a jamais exploité de liaisons à travers la Manche.

“Sortir de l’UE est une condition indispensable pour limiter la libre circulation des capitaux, renationaliser certains secteurs économiques et investir dans les secteurs industriels et régions en difficulté.

Sauf que la droite espère ne peut avoir à payer le prix de cet amateurisme : Défendre une sortie sans accord fait oublier leur vrai bilan et les place en position de défenseurs du résultat d’un référendum qui a très fortement mobilisé –  72% de participation contre 66% en 2015 et 69% en 2017 – contre une caste défendant becs et ongles le Remain. D’autant que l’extrême-droite la plus rance enregistrera un succès fulgurant dans le cas contraire, comme l’espère le leader du UKIP Nigel Farage et le très dangereux Tommy Robinson, qui cherche à devenir un martyr grâce à sa peine de prison. Faute d’ambition intellectuelle, le projet vendu par les Tories est celui d’un “Singapour sous stéroïdes”, c’est-à-dire de faire du pays un paradis de la finance sans aucune régulation, ce que la sortie de l’UE permet d’envisager. La catastrophe sociale serait alors totale: ce même modèle poursuivi par l’Islande et ses 300.000 habitants a fini en cataclysme en 2009, alors que dire des conséquences pour un pays de 66 millions de personnes dont le salaire réel est en baisse continue depuis la dernière crise?

L’impossibilité d’un nouvel accord et la monopolisation de la défense du résultat par la droite extrême devrait encourager le Labour à proposer un plan sérieux de “Lexit”, c’est-à-dire de sortie de l’UE sur un programme de gauche. Durant les années 1970, une partie de la gauche britannique demandait d’ailleurs le retrait du marché commun, qui eut même sa place sur le programme travailliste de 1983, trop facilement caricaturé de “plus longue lettre de suicide” outre-Manche. Sauf que l’équation électorale actuelle du Labour, que Corbyn tente de maintenir de façon précaire, rend la chose impossible sans risquer de scission. Pourtant, sortir de l’UE est une condition indispensable pour limiter la libre circulation des capitaux – la fuite de capitaux est aux capitalistes ce qu’est la grève aux travailleurs – renationaliser certains secteurs économiques et investir dans les secteurs industriels et régions en difficulté. Même si la transition s’avère chaotique, le Brexit est donc une nécessité pour mettre en place n’importe quel programme un peu ambitieux de relance keynésienne, sans parler de politiques plus radicales. S’apitoyer sur les emplois mis en danger sans évoquer le bilan du néolibéralisme, seul système possible dans l’Union européenne, relève alors de l’hypocrisie. À défendre un nouveau référendum ou un accord avec l’UE pour se maintenir dans le marché unique, le Labour trahirait les classes populaires en demande de souveraineté et rendrait impossible l’application de son programme. Cela serait un cataclysme politique comparable à celui de Syriza qui achèverait l’espoir porté par la gauche radicale sur tout le continent.

Et en pratique?

Jeremy Corbyn avec John McDonnell, son numéro 2 en charge des questions économiques. ©Rwenland

Corbyn dispose de deux solides atouts : son charisme personnel et sa figure d’homme intègre, infatigable soutien de nombreuses causes depuis plusieurs décennies. Ce type de personnalité tranche avec la politique professionnalisée et opportuniste rejetée dans tous les pays occidentaux. Les campagnes médiatiques contre lui s’avèrent d’ailleurs de plus en plus contre-productives tant elles deviennent risibles telles les accusations d’antisémitisme pour son soutien à un État palestinien ou les accusations d’espionnage pour la Tchécoslovaquie communiste sans la moindre preuve. À court terme, le vétéran de la gauche radicale est indéboulonnable de son rôle de leader de l’opposition. La vraie question est : peut-il aller plus loin?

“A court terme, le vétéran de la gauche radicale est indéboulonnable de son rôle de leader de l’opposition. La vraie question est : peut-il aller plus loin?”

D’abord, malgré les tentatives répétées de profiter des divisions internes à la majorité conservateurs-unionistes d’Irlande du Nord, le gouvernement tient et les élections anticipées demandées par Corbyn peuvent être oubliées. Même si celles-ci avaient lieu, la monopolisation du débat politique par le Brexit fragilise encore plus le Labour que les Tories. Pour gagner, Corbyn devrait à la fois maintenir la cohésion de son bloc électoral, bénéficier d’un vote stratégique de la part d’électeurs de petits partis comme en 2017 et profiter d’une faible performance du bloc conservateur, la vraie raison des victoires de Tony Blair. Problème : la peur de le voir au 10 Downing Street suffit à limiter l’éparpillement des voix entre Remainers et Brexiters de droite. Et s’il fallait passer par une alliance avec le Scottish National Party pour exercer le pouvoir, ce qui demeure officiellement exclu pour l’instant, l’alliance risque d’être instable : Les nationalistes écossais conservent pour but premier l’indépendance par un nouveau référendum, n’oublient pas que les écossais ont choisi de rester dans l’UE en 2016, et sont parfois qualifiés de “Tories en kilt” au regard de leurs positions économiques.

Sans nouvelle élection, Corbyn va donc continuer à encaisser les conséquences de sa stratégie floue sur le Brexit. Reconstruire un large bloc de gauche – composé d’électeurs de la classe laborieuse et de jeunes urbains progressistes – dans un système bipartisan s’est avéré très efficace à court terme pour Jeremy Corbyn, mais l’empêche désormais de défendre la sortie de l’UE qu’il appelle de ses voeux depuis des décennies. De même, s’il a renouvelé l’appareil du parti et cimenté son contrôle, Corbyn doit plus que jamais composer avec le Parliamentary Labour Party, bastion de l’aile droite depuis longtemps. Or, la “souveraineté parlementaire” chère aux Britanniques – c’est-à-dire la liberté de vote d’un élu – empêche de compter sur la discipline partisane de vote à la française. Le récent départ de 8 députés, sans cohérence idéologique et sans charisme, pour s’opposer à la gestion du parti par Corbyn rappelle la fragilité du contrôle de ce dernier sur les parlementaires.

L’obligation du passage par des primaires internes pour les élus sortants avant chaque élection ayant été bloquée à Liverpool en septembre dernier, Corbyn a les mains liées. Parmi les parlementaires travaillistes, on peut schématiquement compter une quarantaine de lieutenants de l’aile gauche, une soixantaine de blairistes déterminés et un gros bloc central d’environ 160 députés dont la loyauté est sensible aux vents du moment. Pour maintenir la cohésion du parti à tout prix, il faut avaler des couleuvres. Par exemple, la sortie de l’OTAN et la fin de l’armement nucléaire – combat de longue date de l’aile gauche travailliste mis en avant par Tony Benn dans sa stratégie économique alternative pour éviter de faire appel au FMI durant la crise de 1976 – sont des lignes rouges pour le centre-gauche pro-américain qui demeure en charge de la politique étrangère du Labour.

Si l’exercice du pouvoir est remis à plus tard, la sécurité relative de la position de Jeremy Corbyn permet d’aller au-delà d’une simple mise sous contrôle du parti. En l’absence d’élections majeures, l’heure doit être à l’émergence de nouvelles figures et à une plus grande radicalité intellectuelle et programmatique. La reprise par McDonnell d’une vieille idée de socialisation progressive des entreprises, développée par le plan Meidner en Suède des années 1970, laisse entrevoir un sursaut d’audace. Malgré sa place sur le banc de touche dans le dossier du Brexit et limité par la droite de son parti, Corbyn continue de traverser le pays pour défendre un autre système économique. Limité au keynésianisme pour l’instant, cette alternative ne doit pas être enterrée si vite, entre autres parce que même il y a 5 ans, peu auraient osé en rêver.