Crise du logement étudiant : une politique à rebâtir

Logement étudiant -- Le Vent Se Lève
© ACM architecture

Lors de la dernière rentrée universitaire, le campus de Rennes 2 a vu ses infrastructures changer de visage. Les jardins se sont garnis de tentes et les parkings de camping-cars : cette année encore, ils étaient plusieurs centaines d’étudiants à ne pas avoir trouvé de logement au moment de la rentrée universitaire. Ces derniers se voient confrontés à une grave crise qui dure depuis au moins 30 ans et qui se caractérise par la hausse de la précarité étudiante et une pénurie de logements dans les principales villes universitaires. Cette problématique, qui demeure insoluble encore aujourd’hui, résulte de l’absence de vision à long terme des pouvoirs publics, faisant subir le poids d’une gestion bancale sur une partie de la population déjà précaire.

Depuis les années 1980, des réformes qui accentuent les difficultés

Pour mieux exposer le problème auquel les étudiants sont confrontés, il est important d’identifier les différents acteurs qui interviennent dans la politique de logement étudiant ainsi que leurs rôles respectifs. Avec la mise en place des lois Defferre de 1982-1983, puis surtout avec le développement du Plan Logement Habitat (PLH), l’Etat a progressivement consenti à une délégation de pouvoirs. Elle concerne surtout les Etablissements Public de Coopération Intercommunale (EPCI), auxquels la loi Chevènement de 1999 a délégué un certain nombre de compétences dans la lutte contre la ségrégation sociale et l’aide aux populations prioritaires. Elle a été complétée, un an plus tard, par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) qui oblige les communes à intégrer 20 % de logements sociaux dans tout programme de construction de résidences principales.

La répartition des rôles est la suivante : l’Etat tient le budget et veille à l’aménagement des territoires ; les départements et EPCI sont chargés d’intégrer la dimension sociale dans les nouveaux projets de construction tandis que les communes se conforment aux règlementations pour leurs plans d’urbanisme. Les difficultés de mise en œuvre apparaissent avec la multiplication des acteurs. En effet, les budgets sont partagés entre Etat, régions, EPCI, départements et communes, ce qui dilue la responsabilité et rend la gestion du projet plus complexe. De plus, chaque problème rencontré peut nécessiter un accord de toutes les parties et entrainer un prolongement des négociations en cas de désaccord.

A cela s’ajoute la diminution de l’offre de logement, principalement celle du Crous notamment due au non-respect des prévisions réalisées sur l’évolution du parc locatif étudiant. Le parc public locatif du Crous regroupe environ 12% des étudiants, ce qui est nettement plus faible dans les pays scandinaves – en moyenne entre 20% et 30% – et dans les pays d’Europe de l’Est – 20% ¹. De plus, il existe une forte disparité du taux de couverture en fonction des villes (c’est-à-dire du nombre de places disponibles par rapport au nombre d’étudiants qui y étudient).

Ainsi Paris, Lyon et Lille sont très mal couverts – respectivement 3%, 6,2%, 5% – contrairement à Marseille, Aix et Montpellier – 10,5% – pour une moyenne nationale située à 8,8% ². Enfin, la concurrence provoquée par les plateformes comme Airbnb risque de se faire ressentir, notamment dans la capitale, à l’occasion des Jeux Olympiques et d’être à nouveau la source d’une d’inquiétude, en particulier pour les néobacheliers.

Le dernier point qui finit d’achever les étudiants est beaucoup plus évident car il a été ressenti par toute la population cette année : l’inflation. Se répercutant déjà sur l’alimentation des étudiants, cette dernière a également touché le logement avec la hausse du prix de l’électricité -cf. article LVSL sur le marché électrique-. De plus, le taux d’effort net moyen (c’est-à-dire, le rapport entre la dépense pour le logement et le revenu tenant en compte des aides au logement) entre 1963 et 2013 est passé de 6,3%… à 26% ³. De manière très nette, le loyer est (re)devenu une rente qui contribue à un transfert d’argent depuis les personnes dont la consommation marginale est forte (c’est-à-dire des individus qui consomment la quasi-totalité de leurs revenus comme les étudiants) vers des personnes ayant une consommation marginale plus réduite : les propriétaires.

Plus âgés et généralement plus fortunés, les propriétaires allouent une part plus restreinte de leurs revenus à la consommation. Cette faiblesse relative de la consommation alimente l’épargne qui se trouve ou bien thésaurisé ou bien investie. Les investissements, quant à eux, se concentrent principalement dans l’immobilier, alimentant ainsi la courbe ascendante des prix du bâti et donc des loyers futurs dont une part sera payé par… les étudiants. Ainsi les étudiants subissent une double peine car ils sont obligés de participer à un système qui entravent leurs perspectives d’études et qui, en s’autoalimentant, les fragilisent financièrement.

Des enjeux spécifiques à la politique de logement étudiants

La problématique du logement est complexe à saisir tant les difficultés s’avèrent nombreuses. Pourtant, il demeure possible de discerner 3 enjeux qui pourraient être décrits selon leur nature ou leurs objectifs en ces termes : spécificité, justice sociale et emploi.

En premier lieu, la spécificité. La politique du logement étudiant se situe au carrefour de plusieurs champs d’action : logement, jeunesse, éducation. Dès lors, elle passe sous les radars de chacun ou est englobée par l’un d’entre eux – généralement le logement –, lui faisant perdre la spécificité de ce public. Par exemple, les étudiants disposent pour la plupart de revenus modestes mais sont également soumis à une forte mobilité, ce qui doit être pris en compte. Cette absence de distinction se fait ressentir dans le cas des APL. En augmentant uniquement le seuil de solvabilité des bénéficiaires, les APL constituent finalement une aide versée par l’Etat aux propriétaires des logements. Une solution envisageable, dans ce cas précis, serait de conditionner ces aides à des loyers modérés. Cela ne résoudrait évidemment pas tous les problèmes mais permettrait de mettre fin à la surenchère des prix sans pour autant sanctionner indistinctement l’ensemble des propriétaires.

La notion de justice sociale apparaît plus simple à cerner. En augmentant, même de façon indirecte, le prix des logements étudiants, on abandonne l’idée d’égalité dans l’accès à l’éducation. Quand on prend en compte que les formations considérées comme plus prestigieuses se concentrent dans quelques grandes villes, on comprend que l’accès à ces dernières est aussi fortement conditionné par le logement. De plus, l’importance des études dans l’accès aux emplois dans notre pays est plus importante que chez nos voisins et renforce l’idée que la pénurie de logement contribue à l’inégalité des chances.

En termes d’accès à l’emploi, la logique qui prévaut toujours à travers les aides proposées est la suivante : c’est en aidant les jeunes à trouver un emploi qu’ils accèderont plus facilement à un logement. L’idée n’est pas mauvaise, mais les logiques mériteraient d’être inversées. Comme le précise la Fondation Jean -Jaurès, « la logique de la politique du logement étudiant doit être de permettre l’autonomie et l’émancipation de ces derniers. C’est en favorisant l’accès à un logement abordable à tous les étudiants-es, que l’on facilitera leur insertion dans le monde du travail ». On pourrait d’ailleurs prolonger cette idée, en soulignant le besoin d’accompagnement qui devrait se poursuivre pour les anciens étudiants, et ce afin d’éviter tout décrochage. En mettant en place des mesures préventives contre le chômage des jeunes, on ne lutte pas seulement plus efficacement contre ce dernier mais également contre les stéréotypes qu’il fait porter à l’ensemble de ceux qui y seraient confrontés à leur entrée dans la « vie active ».

Perspectives de réformes

Ainsi, le problème du logement étudiant se heurte à un double écueil : la fin de l’Etat stratège et des politiques du logement qui n’intègrent pas les spécificités du public étudiant. L’idée n’est plus de proposer des petits ajustements. Augmenter ou non les APL, retarder la date d’expiration des passoires thermiques, tout cela ne résoudra pas de manière durable les problèmes qui sont décrits ici. Arriver avec une nouvelle vision, présentant une dimension de long terme et intégrant les nouveaux enjeux de notre époque, voilà une démarche plus efficace qui devrait être celle du gouvernement.

Comme le rappelle la Fondation Jean-Jaurès, la politique de logement étudiant doit être une politique d’insertion et d’émancipation des étudiants. A ce titre, le programme de construction de 35 000 logements d’ici 2027 apparaît dérisoire puisqu’un rapport du Sénat de 2021 ⁴ mentionne un manque de 250 000 logements étudiants, dont le nombre s’élèverait à 600 000 s’il fallait loger tous les boursiers. Ainsi, il s’agirait plutôt d’axer la construction d’un programme en deux volets.

La première piste à suivre serait la construction de logements sociaux intégrant les enjeux climatiques. En s’appuyant sur un plan de rénovation urbaine qui devrait être mis en œuvre dès maintenant, on pourrait limiter les « halos de chaleur » que constituent nos villes, repenser leur disposition, assurer une meilleure isolation, lutter contre la ségrégation spatiale. Voilà quelques-uns des enjeux principaux qui devraient être intégrés à cette politique de construction de nouveaux logements. De la constitution d’un cadre restrictif, s’appuyant sur les contraintes climatiques et sociales, dépendra la viabilité du projet.

Le deuxième volet s’inscrit dans la volonté d’autonomisation des étudiants et dans un contexte d’allongement des études. L’idée serait de verser un salaire inconditionnel aux étudiants ⁵ pour restaurer une logique d’égalité entre étudiants et leur permettre de se concentrer pleinement à leurs études, tout en alimentant le financement des cotisations pour tous dès 18 ans. Un autre point positif d’une telle réforme serait la résorption des problèmes d’appariments à l’emploi. En effet, en France, il existe en moyenne 350 000 emplois non pourvus chaque année. Cette situation résulte de problème variés tels l’inadéquation du profil avec les qualifications requises ou la distance géographique, qui explique pourquoi un demandeur d’emploi compétent résidant à Lille ne va pas postuler pour une offre à Perpignan.

Selon la théorie du job search, développé par George Stigler, les sans-emploi, ne disposant que d’une information imparfaite de l’ensemble des postes proposés, opéreraient un arbitrage. En effet la recherche d’informations représente, dans son hypothèse, un coût. Pour Stigler, tant que le coût d’opportunité (c’est-à-dire la différence entre le revenu effectivement perçu comparé au revenu potentiel liée à une autre offre d’emploi) est inférieur à la probabilité de trouver un emploi mieux rémunéré, l’individu continuera ses recherches. Par conséquent, les allocations augmentent bien la période de prospection, permettant de trouver un emploi qui correspond mieux à l’individu et qu’il est susceptible de garder plus longtemps, plutôt que de le pousser à accepter la première offre d’emploi qui lui sera proposée et qu’il perdra au bout de quelques mois.

Les économistes Michael J. Piore et Peter B. Doeringer ont proposé une étude du comportement d’un individu qui accepterait des offres d’emplois qui ne le satisfont pas, alternant de ce fait entre des phases de chômage et d’emploi précaire. Ces derniers analysent ce dualisme du marché du travail entre les emplois précaires et non précaires en pointant du doigt un phénomène d’inertie auxquels les individus ne pourraient échapper. Ainsi, les personnes cumulant les emplois précaires subiraient une discrimination à l’embauche. Ils seraient définis comme « ne pouvant qu’occuper ce type de poste » et seraient disqualifiés dans l’attribution de postes plus stables.

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Émanciper les étudiants, voilà quelle serait la meilleure manière d’agir pour une politique de logement efficace. Dans le cas contraire, ces derniers devront se résoudre à trouver des solutions plus précaires – comme ce fut le cas à Rennes –, à stopper leurs études ou à se tourner plus facilement vers les établissements du sud de la France. Cette dernière hypothèse paraît moins farfelue eu égard à la hausse de prix de l’électricité. Tant qu’à être tenu loin des logements et à se reporter sur des solutions de fortune, il se pourrait bien que la misère apparaisse, maigre réconfort, moins pénible au soleil.

Notes :

¹ OVE, 2021 + Eurostudent, Social and Economic Conditions of Student Life in Europe 2016-2018

² Fondation Jean Jaurès, bien se loger pour les étudiants une clé de leur émancipation 2023

³ Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017

⁴ Sénat.fr “Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour L’État et les collectivités“ 2021

⁵ UNCLLAJ “Crise Logement Jeunes 22 propositions” 2021