On ne l’attendait pas vraiment celui-là. Lové au coin du feu à l’abri de l’hiver qui s’avance, on se demandait par quel bout commencer les chroniques rapologiques de Le Vent se Lève. Une énième critique de PNL ? Le dernier album de Kaaris, Seth Gueko, Gradur ?
Et puis il est arrivé, comme une flamme au milieu du froid. Sans promotion, Nekfeu a annoncé en plein concert à Bercy jeudi soir la sortie de son deuxième album solo, Cyborg. Qu’on se le dise, on savait le fennec en forme depuis la sortie de Feu à l’été 2015. Un album remarqué avec ses potes du S-Crew et plusieurs featurings de qualité plus tard – dont celui avec Dosseh mérite le détour – le voilà de retour dans les bacs pour notre plus grand plaisir.
Faire du neuf avec l’ancien
Posons tout de suite les bases : Cyborg est bon. Dans la droite lignée du précédent, cet album fait la part belle à la nouvelle direction artistique de Nekfeu : un habile mélange des genres, entre pop et hip-hop, le tout appuyé par une des plus fines plumes de 2016 subtilement posée sur un flow travaillé.
Mais le rappeur parisien n’est pas seul, une fois de plus il ouvre grand ses pistes à une armée de kickeurs. Ainsi la désormais traditionnelle collaboration avec Alpha Wann sur Vinyle fonctionne bien et Sneazzy et S.Pri Noir font honneur à leur rang sur Saturne. Même la présence de Clara Luciani nous rappelle l’importance qu’ont pris les mélodies chantées dans la musique de Nekfeu.
Cependant, on ne peut s’empêcher de constater une nette évolution dans le rap de Nekfeu. C’est sûr, Cyborg n’est pas Feu et c’est tant mieux. Car malgré la qualité de ce premier album, on ne saurait que féliciter un artiste qui évolue. Surtout quand il change au sein d’un projet cohérent. Les productions minimalistes et les textes sombres et mélancoliques de ce dernier album ne sortent pas de nulle part. Ils sont le résultat d’un processus long, entraperçu sur Feu et confirmé par Destins Liés, album sorti il y a six mois avec le S-Crew.
Du cyborg à l’humain
Car Nekfeu se pose des questions, on le sent. Loin d’un titre égotrip, le cyborg concentre ici la critique sociale de Ken Samaras. C’est un cri contre une société de l’hyper connexion, de l’image, du superficiel. Devenir un cyborg, mi-Homme mi-robot, voilà la peur de l’artiste. Celui qui a rappé sur la place de la République pendant le mouvement Nuit Debout en mai dernier nous livre des textes libertaires. Entre hommage aux manifestants et célébration de l’individu libéré de l’aliénation, Cyborg est un appel à la révolte.
Ceux qui le suivent depuis La source ou les Rap Contenders le savent : c’est un rimeur rompu aux freestyles qui nous livre ici un album très abouti. Cependant, ne considérer le leader de 1995 qu’à la lumière de son flow serait réducteur. Nekfeu a acquis au fil du temps un style d’écriture particulier. Les aphorismes et consonances sont légions. Mais leur présence met brillamment en valeur ses engagements. Parisien dans l’âme, Nekfeu décrit sa ville avec un réalisme qui oscille entre mélancolie et colère. Comme souvent dans le rap, l’artiste prête sa voix à ceux “qu’ont des putains de valeurs mais les défendent mal“. Même si on bouge la tête, on n’oublie pas l’humanité.
L’humanité, elle est au cœur de Besoin de sens ou du magnifique Humanoïde en ouverture. Programmé et Réalité augmentée, enfoncent le clou de la critique de la déshumanisation à l’œuvre dans les sociétés post-industrielles. C’est par un album promu par ses seuls fans que le rappeur nous alerte sur les liens qui (dés)unissent.
En attendant la rébellion, Nekfeu nous livre une ode à l’humain.
Cette époque est amère pour le prolétariat
Dites aux financiers qu’l’argent d’la banque est à nous
Je me sers volontiers, je ne vais pas comater devant la télé
Crédits photo : ©Georges Biard
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