Démission de Hulot : la faillite de l’écologie néolibérale

“Sur un enjeu aussi important que l’environnement, je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m’accommoder des petits pas, alors que la situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle.” En ce matin du 28 août 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, présente sa démission en direct sur France Inter. Si l’on peut trouver cette décision courageuse, elle semble surtout cohérente avec une conclusion qui fait de moins en moins débat : il y a une incompatibilité organique entre libéralisme économique et politique environnementale ambitieuse. Les multiples échecs de M. Hulot au cours des 15 mois de son mandat retentissent comme autant de leçons dont il faut tirer le bilan une fois pour toutes.


« Est-ce que nous avons commencé à réduire l’usage des pesticides ? La réponse est non (…) Je ne veux plus me mentir. Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là ».  « On s’évertue à entretenir voire réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. »

 Ce matin sur France Inter, Hulot s’est livré à un réquisitoire contre le capitalisme, à ses yeux responsable de son incapacité à conduire les grandes réformes écologiques dont la société a besoin.

Globalement, le bilan de Nicolas Hulot est mauvais, comme l’a analysé au fur et à mesure le Hulotscope du journal écologiste Reporterre[1]. Revenons néanmoins sur les grands échecs de son mandat, et tâchons de comprendre en quoi ils sont des illustrations de chacune des limites que le capitalisme à la française impose à une transition écologique nationale.

Les volontés de Hulot ont cristallisé l’opposition des secteurs les plus influents de l’économie française.

 

Nucléaire, énergie, gaz à effet de serre… un ministre qui ne tient pas ses objectifs.

Avant d’entrer au gouvernement, Nicolas Hulot était ferme sur le sujet du nucléaire. “Il faut sortir du nucléaire. Fukushima a achevé de me convaincre”[2] affirmait-il en avril 2011. Arrivé au ministère, il était partisan de l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50% en 2025, comme prévu dans la loi de transition énergétique.

En novembre 2017, à la sortie du Conseil des ministres, Nicolas Hulot annonce une première concession : « il sera difficile de tenir l’engagement de ramener la part du nucléaire à 50% d’ici 2025 et le gouvernement préfère tabler sur 2030, “au plus tard” 2035[3].

Il assiste ensuite impuissant au démantèlement des grands projets de développement des énergies renouvelables, comme la fermeture par l’État de l’usine d’hydrolienne de Naval Energies à Cherbourg, 45 jours après son ouverture[4]. Le lobby du nucléaire est directement mis en cause dans cette décision, alors que l’EPR de Flamanville, juste à côté, annonçait quelques jours avant un an supplémentaire de travaux et une rallonge de 400 millions d’euros.

En France, le lobby du nucléaire est non seulement extrêmement puissant, mais il empêche l’essor d’énergie renouvelable concurrente, comme le prouve le retard français en matière de solaire[5]. Il faut dès lors rappeler que l’énergie dépend du ministère de la transition écologique, tout comme le transport.

Son recul sur la part du nucléaire dans le mix énergétique ne fut pas le seul. En août, lors de la révision de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), des reculs majeurs ont été annoncés :

  • L’ objectif de la loi sur la transition énergétique d’avoir la totalité des logements très bien isolés en 2050 (niveau BBC) est abandonné, avec un rythme moyen de 500 000 rénovations performantes annuelles d’ici à 2050 au lieu des 700 000 nécessaires.
  • L’ objectif de la loi sur la transition énergétique de 32 % d’énergies renouvelables en 2030 est revu en catimini à la baisse à 31 %, alors même que la France a poussé et obtenu un objectif contraignant de 32 % au niveau européen en juin dernier.
  • L’ objectif d’avoir des véhicules neufs consommant en moyenne 3l/100km en 2030 est porté à 4l/100km.

Ces reculs amènent à un dépassement des budgets carbone prévus jusqu’à 2023 au moins, c’est-à-dire à autant de gaz à effet de serre de plus dans l’atmosphère, qui contribueront à nous éloigner des objectifs de l’accord de Paris.

Concernant le secteur de l’énergie, Nicolas Hulot peut aussi compter dans ses déboires l’affaire de la raffinerie de Total à La Mède (Bouches-du-Rhône), ayant pour fonction de transformer de l’huile de palme en biocarburant. Alors que le chantier devait être stoppé, en pleine polémique autour de l’huile de palme, la centrale va finalement ouvrir ses portes, grâce à un arrêté préfectoral (donc sur décision de l’État). Il se trouve que l’Indonésie a conditionné l’achat d’avions à Boeing et à Airbus à l’autorisation pour ses entreprises de construire des sites de fabrication de kérosène à partir d’huile de palme aux États-Unis et en France[6]. Là encore, que peut Nicolas Hulot face à tant d’intérêts économiques, conditionnant également l’emploi dans certaines localités ? Tant pis pour les forêts indonésiennes et le climat.

Glyphosate, CETA, chasse… le poids des lobbies

L’épisode du glyphosate est caricatural. Déçu au niveau européen par le renouvellement pour cinq ans de l’autorisation du glyphosate en novembre 2017, le ministre s’est donc raccroché à l’échelon national. Un amendement porté par un député LREM soutenu par Nicolas Hulot proposait son interdiction au 1er mai 2021. Il a été rejeté fin mai 2018, après un avis défavorable du gouvernement[7].

A cette occasion, l’ex-ministre déclarait dans une interview au Parisien que les lobbies de l’agroalimentaire “ont pignon sur rue” et tiennent “parfois même la plume des amendements”[8]

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) est entré en vigueur de façon provisoire et dans sa quasi-totalité le 21 septembre 2017. Cet événement représente à merveille le clivage entre tendances de fond du capitalisme globalisant et écologie libérale.

L’accord baisse les droits de douane pour doper les échanges commerciaux, et a pour objectif d’aboutir à une convergence de certaines normes, ce qui a pour effet d’accélérer le « grand déménagement du monde » au prix d’émissions de gaz à effet de serre très importantes. Rappelons que le transport maritime achemine plus de 90% des marchandises dans le monde et transporte plusieurs millions de personnes chaque année. Ce dernier représente aujourd’hui 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et potentiellement jusqu’à 17 % en 2050[9], et chaque grand porte-conteneur génère autant de pollution aux particules fines qu’un million de voitures[10] (en plus de propager des espèces invasives dans leurs ballasts, dont le coût des dégâts est estimé à plusieurs milliards € par an en UE).

Ministre, Nicolas Hulot avait d’ailleurs déclaré : “J’étais très inquiet, et je le suis toujours, sur des traités comme le CETA. Ce sont des traités qui nous exposent au lieu de nous protéger”[11]. Mais que peut-il face au rêve libéral d’un monde régi par la concurrence libre et non faussée ?

Concernant la chasse, dont les syndicats sont traditionnellement les pires ennemis des organisations écologistes, Nicolas Hulot déclare sur France Inter le jour de sa démission :  “J’ai découvert la présence d’un lobbyiste qui n’était pas invité à cette réunion. C’est symptomatique de la présence des lobbies dans les cercles du pouvoir.”.

Ces derniers venaient en effet d’acquérir du gouvernement une division du prix du permis national de chasse par deux, ainsi que la mise en place d’une gestion adaptative des espèces et d’une police rurale. C’est d’ailleurs cette rencontre qui aurait fini de convaincre le ministre démissionnaire. La chasse est un marqueur social auquel les libéraux sont symboliquement attachés, et les représentants des chasseurs sont également des têtes de réseaux importantes pour le vote rural.

 

Le mythe libéral de l’homme providentiel se heurte à la réalité du libéralisme

 

« Quant à Macron, il n’a pas compris que c’est bien un modèle ultralibéral qui est à l’origine de la crise écologique», déclarait Hulot dans le JDD[12] lors de la campagne présidentielle.

En ce début de quinquennat, nous avons vu la mise en place d’une stratégie écologique basée sur la bonne volonté des acteurs de l’économie privée. Elle s’illustre notamment au sein du « One planète summit », pendant privé des COP onusiennes.

Emmanuel Macron se place ainsi dans  le mythe de l’homme providentiel, qui peut à lui seul influencer le cours des investissements mondiaux via des « signaux forts ». En réalité, le marché est de moins en moins influencé par les signaux et messages issus du monde politique pour des raisons structurelles. D’une part, l’autonomisation grandissante du monde des grandes entreprises par rapport aux États éloigne les marchés du politique. De l’autre, les flux financiers n’ont plus beaucoup de prise sur le réel, notamment à cause du trading haute fréquence. Ce dernier représente désormais plus de 50% des échanges de capitaux dans le monde. Or les ordinateurs n’ont pas d’oreilles et ne lisent pas les journaux, ils se basent seulement sur les derniers résultats économiques pour produire des anticipations. Il n’est donc guère étonnant que l’inertie financière empêche purement et simplement des investissements à la hauteur des nécessités environnementales dans le privé.

De leur côté, les pouvoirs publics sont également structurellement prisonniers, puisque les traités européens ont fini de cimenter les gouvernants dans des politiques de rigueur incompatibles avec une grande relance écologique.

Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) établit que les déficits nationaux ne doivent pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB) et que la dette publique nationale doit être inférieure à 60 % du PIB. Ces dispositions, bien que non appliquées de manière stricte, limitent grandement les marges de manœuvre financières des États membres et leur capacité à financer la transition écologique. Pour donner une idée de l’ampleur du financement considéré,  le coût de la transition énergétique mondiale est estimé à 44.000 milliards de dollars[13]. L’endettement est une étape initiale nécessaire, bien que le retour sur investissements soit intéressant dans le secteur des énergies renouvelables, puisque ces dernières exonèrent des importations pétrolières, stimulent l’emploi local et font baisser la facture de la sécurité sociale liée à la pollution.

Ne pas appliquer les dispositions du TSCG est donc primordial pour être en capacité de financer la transition énergétique. Il convient aussi de ne pas respecter les règles de la Commission encadrant les aides d’État. Ces règles limitent les possibilités qu’ont les États d’aider financièrement certains secteurs économiques. Dans le cas présent, elles limitent l’appui que peut apporter la puissance publique au développement des énergies renouvelables[14].

Nicolas Hulot, qui a avoué avoir voté Jean-Luc Mélenchon en 2012[15], démontre à son insu ce qu’un gouvernement libéral peut faire au maximum pour la planète. Le pouvoir politique s’est auto-marginalisé depuis la révolution néolibérale des années 1980, sabotant par là les armes qui lui auraient permis d’affronter le changement climatique.

Dès lors, l’action publique et l’action écologique ne peuvent être que marginales, même avec la meilleure volonté du monde. La naïveté politique de M. Hulot ne fut pas une perte de temps, car sa démission permet de poser la question du rôle de l’État, à un moment où le gouvernement Macron est affaibli.

 

Crédits Photo : FNH

 

[1] https://reporterre.net/Nicolas-Hulot-vu-par-le-HulotScope-un-tres-leger-mieux

[2] http://www.lepoint.fr/politique/nicolas-hulot-il-faut-sortir-du-nucleaire-fukushima-a-acheve-de-me-convaincre-25-04-2011-1323016_20.php

[3] https://www.lemonde.fr/energies/article/2017/11/07/nicolas-hulot-reporte-l-objectif-de-baisse-du-nucleaire-de-50-d-ici-a-2025_5211451_1653054.html

[4] https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/naval-energies-arrete-l-hydrolien-et-ferme-l-usine-de-cherbourg-1532631966

[5] https://www.bastamag.net/Energie-solaire-mais-pourquoi-EDF-et-l-Etat-laissent-ils-tomber-une-invention

[6] https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKCN1L610N-OFRBS

[7] http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/0902/AN/1570.asp

[8] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/nucleaire-biodiversite-alimentation-apres-le-depart-de-nicolas-hulot-les-inquietudes-d-associations-ecologistes_2914667.html

[9] http://www.imo.org/fr/MediaCentre/PressBriefings/Pages/17-GIA-GloMeep-launch.aspx

[10] https://www.fne.asso.fr/dossiers/linsoutenable-pollution-de-lair-du-transport-maritime-navire-bateaux-croisi%C3%A8res

[11] http://www.europe1.fr/politique/nicolas-hulot-je-suis-toujours-inquiet-sur-des-traites-comme-le-ceta-3442838

[12] https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-edouard-philippe/le-maire-darmanin-hulot-avant-d-entrer-au-gouvernement-ils-ont-dezingue-macron_2195380.html

[13] https://www.huffingtonpost.fr/2014/05/12/transition-energetique-cout-mondial-estime-44000-milliards-dollars_n_5308921.html

[14] http://lvsl.fr/lunion-europeenne-faux-semblant-climatique-permanent

[15] https://www.huffingtonpost.fr/2012/06/20/nicolas-hulot-a-vote-pour-jean-luc-melenchon_n_1611172.html