Tentatives de destitution, procédures judiciaires, bannissement des réseaux sociaux, attentat : le milliardaire a survécu à toutes les attaques visant à briser sa carrière politique. Indéniablement atypique, Donald Trump, qui aime à se présenter comme antisystème, serait le premier président des États-Unis à obtenir deux mandats non consécutifs en cas de victoire. Le récit de sa candidature, marquée par un esprit de revanche faisant écho au sentiment des Américains « laissés pour compte », doit être pris au sérieux et examiné de près.
Second volet de notre série de portraits en vue de l’élection présidentielle américaine, après un premier article consacré à Kamala Harris.
La balle est passée à quelques millimètres de son cerveau, lui transperçant l’oreille droite et provocante un saignement abondant. Alors qu’il était évacué par les services secrets, il a été pris d’un réflexe incroyable : brandir le poing en direction de ses supporters. Le message est clair : Trump se battra jusqu’au bout. Une resucée de son « mugshot », cette photo prise par la police de l’État de Géorgie lors de sa mise en examen, où il avait posé avec une attitude de défi qui brisait déjà les codes de l’exercice. Et de son coup de menton de septembre 2020, où il s’était affiché au balcon de la Maison-Blanche, ôtant son masque FFP2 et respirant avec peine, pour prouver qu’il avait guéri du Covid.
Pour un homme de 78 ans carburant aux sodas et cheeseburgers, Trump fait preuve d’une indéniable vitalité. Contre les médias, les démocrates, les « élites côtières », « l’État profond », les intellectuels wokes, les chantres du libre-échange et du no border, il incarnerait un symbole de résistance auquel s’identifieraient de nombreux Américains inquiets de leur déclassement, ou simplement remontés contre la classe dirigeante.
La cible à abattre pour les élites américaines ?
Depuis son élection face à Hillary Clinton, Donald Trump a bien dû faire face à de multiples tentatives de déstabilisation – et non des moindres. La théorie complotiste du « Russiagate », orchestré par les équipes de campagne de Hillary Clinton et les responsables des agences du renseignement, lui avait valu d’être la cible d’une enquête fédérale l’accusant de haute trahison. Elle avait été suivie par une tentative manquée de destitution, déclenchée par la fuite opportune d’un verbatim de sa conversation téléphonique avec Volodymyr Zelensky.
Les élections de 2020, où de nombreux États – gouvernés par les républicains comme les démocrates – avaient généralisé des procédures de vote anticipé, avaient généré une grande confusion lors du dépouillement. Au point de faire douter de nombreux électeurs de la validité du scrutin, que Trump n’avait pas hésité à contester jusqu’au bout. Y compris en encourageant ses partisans à marcher sur le Capitole, où devait se dérouler la certification des résultats. Son implication dans ces violences, qui ont débouché sur quatre décès et de nombreux blessés, aurait dû signer la fin de sa carrière politique.
Donald Trump a pourtant survécu à la seconde tentative de destitution convoquée suite à cette émeute. Comme il a survécu aux primaires de son Parti, ainsi qu’aux multiples procès intentés par des procureurs pas toujours neutres.
Accusé d’avoir illégalement conservé des documents « top secret », il a été inculpé au titre de l’Espionnage Act. Pour des faits similaires, Joe Biden n’a pas été inquiété par la justice – le procureur justifiant d’en rester là, car « Biden se serait présenté face au jury comme un vieil homme sympathique à la mémoire défaillante, comme il l’a fait au cours de sa déposition ». Ce qui explique peut-être pourquoi la juge fédérale tirée au sort pour conduire le procès de Trump, la magistrate Aileen Cannon nommée à ce poste par ce dernier en 2020, fait traîner ce procès indéfiniment…
Les milieux financiers ont abreuvé sa campagne, au point de dépasser les sommes récoltées par Biden. Un groupe au coeur de la Silicon Valley, milieu historiquement affilié au Parti démocrate, a rallié Donald Trump suite à sa tentative d’assassinat.
Pour avoir tenté par tous les moyens de contester le résultat des élections de 2020, Trump fut également la cible d’enquêtes du Procureur général du comté de Fulton (Géorgie) et du Procureur spécial nommé par le Département de la Justice (DoJ). À chaque fois, les jurés tirés au sort parmi les citoyens américains se sont prononcés en faveur d’une inculpation. Mais aucun procès n’aura lieu avant les élections. En déclarant qu’un président ne pouvait être inculpé pour des actes commis dans le cadre de sa fonction, la Cour suprême lui a conféré plusieurs mois de répit dans le dossier fédéral. Dans le même temps, la révélation d’une relation sentimentale entre la procureur d’Atlanta Fani Willis et l’avocat chargé du dossier a repoussé la tenue du procès en Géorgie…
Lorsque la chance – ou des juges nommés par ses soins – ne sont pas de son côté, il arrive pourtant que Trump soit bel et bien condamné. Au civil, la justice new-yorkaise l’a décrété coupable de viol envers l’autrice Jean Caroll et l’a condamné à 50 millions de dollars de dommages et intérêts pour diffamation. Toujours au civil, l’État de New York a condamné la Trump Organization à quelque 355 millions de dollars d’amendes pour malversations financières. Enfin, au pénal, un juré de New York a condamné Trump dans l’affaire Stormy Daniels, estimant que l’ancien président s’était rendu coupable de fraude comptable, violant ainsi les règles de financement de campagnes électorales. En attente de la prononciation de la peine, Trump a indiqué qu’il ferait appel. Tous ces procès, affaires et perquisitions spectaculaires n’ont pas entaché sa cote de popularité, supérieure aux niveaux enregistrés lors des campagnes de 2016 et 2020.
Rien ne semble pouvoir atteindre le milliardaire, pas même les balles de AR-15. Si le profil du tireur ne permet pas d’établir un mobile politique, la tentative d’assassinat pointe du doigt la responsabilité des services secrets. La plus obscure institution associée à « l’État profond » a spectaculairement échoué à protéger l’ancien président. Ce qui alimente les soupçons de ses partisans quant à la collusion des agences de renseignement, qui avaient déjà donné corps à la théorie complotiste du RussiaGate ayant empoisonné son premier mandat…
Autant d’éléments qui alimentent le récit d’un candidat « antisystème », attaqué par tout ce que le pays compte d’organes de pouvoir.
La tentative d’assassinat, prétexte au ralliement de nombreux milliardaires
Un spécialiste de la photographie de presse évoquait sur les antennes de FranceInfo la dimension historique du cliché montrant Trump le poing levé. Pour lui, Ronald Reagan avait « subi » sa tentative d’assassinat, alors que le milliardaire aurait dominé l’évènement. L’expert a cependant oublié de mentionner que Reagan avait été touché à bout portant par une balle lui perforant les poumons. Et que d’autres clichés, dévoilant un Donald Trump au regard perdu et inquiet, n’ont pas fait le tour du monde.
Pour une victime de la presse, le milliardaire s’en sort plutôt bien. Aucun journaliste ne semble avoir enquêté sur la nature de sa blessure (la balle a-t-elle réellement transpercé son oreille, ou bien s’agit-il d’une éraflure ?). Le récit imposé par Trump a été repris par l’ensemble des grands médias. De même, le piratage informatique supposé de ses équipes de campagne n’a donné lieu à aucune fuite ni aucune enquête. Pour l’instant, la totalité du récit repose sur les dires du milliardaire et les affirmations du site Politico, propriété d’un autre milliardaire conservateur, qui refuse de publier la moindre information…
De manière plus générale, Donald Trump bénéficie d’une complaisance étonnante de la part des médias généralistes, qui couvrent, comme celle de n’importe quel candidat, la campagne d’un ancien président putschiste. Il n’y a en effet pas d’autre manière de qualifier sa tentative minutieusement documentée de subvertir le résultat des élections, alors que la Cour suprême avait suivi soixante autres décisions de justice invalidant les allégations des équipes de Trump, et que son propre garde des Sceaux avait lui-même publiquement attesté la validité du scrutin. En règle générale, lorsqu’on échoue à prendre le pouvoir par la force, l’histoire ne confère pas de seconde chance. Si Trump constitue une exception, n’est-ce pas que, loin de la posture « antisystème » qu’il affectionne, il est au contraire toléré par des pans entiers du « système » ?
La sphère médiatique conservatrice, qui compte la première chaîne d’informations du pays (Fox News), le premier groupe de télévision (Sinclair), le premier site d’opinion partagé sur les réseaux sociaux (Daily Wire), deux des trois journaux les plus vendus du pays (Wall Street Journal et New York Post) et des dizaines de podcasteurs et youtubeurs engrangeant chaque année des dizaines de millions de dollars de recettes, appuient la candidature de Trump sans équivoque – là où un titre comme le New York Times ne s’est pas privé de critiquer vertement Joe Biden.
Les démocrates étaient si peu inquiets de l’hypothétique victoire de Trump qu’ils se sont accrochés à la candidature d’un homme visiblement très affaibli jusqu’au début du mois de juillet. Et CNN semblait tellement peu violemment hostile au milliardaire qu’elle lui avait organisé une émission sur mesure dès 2023… Depuis le 6 janvier 2021, le pouvoir judiciaire avait tranché, par la voix de la juge Cannon et de la Cour suprême, à quatre reprises en faveur du milliardaire. Certes, sur des lignes partisanes – mais cela semble bien démontrer à quel point Trump est intégré à l’establishment traditionnel.
Surtout, les milieux patronaux et financiers ont abreuvé sa campagne de millions de dollars de dons, au point de dépasser les sommes récoltées par les équipes Biden. La tentative d’assassinat contre Donald Trump a ainsi servi d’élément déclencheur pour de nombreuses personnalités, qui lui ont alors publiquement apporté leur soutien. C’est en particulier le cas d’un groupe de financiers au coeur de la Silicon Valley, milieu historiquement affilié au Parti démocrate.
Notons en particulier Doug Leone, président du fonds d’investissement en capital-risque Sequoia Capital, Marc Andresen et Ben Horowitz, du fonds d’investissement Andressen Horowitz et Joe Lonsdale, cofondateur de Palantir… Aux principaux financiers de la tech s’ajoutent les entrepreneurs devenus milliardaires. Si Marc Zuckerberg a chanté les louanges de Trump sans se rallier à lui, Elon Musk a officialisé son soutien et promis de verser 45 millions de dollars par mois à sa campagne. Depuis, il a organisé son retour sur Twitter (X) en grande pompe, au point de produire une conversation en forme de meeting de campagne avec l’ancien président.
Une forme de corruption que Donald Trump ne cherche pas à cacher, qui affirme aux lobbies pétroliers qu’il concrétisera leurs souhaits contre un financement de campagne à hauteur d’un milliard de dollars
Les principaux investisseurs et leader du secteur des cryptomonnaies appuient également le candidat républicain (citons les frères Winkelvoss), tout comme David Sachs, milliardaire et podcasteur, ancien cofondateur de Paypal. Ou Chamath Palihapitiya, ancien cadre dirigeant de Facebook devenu business angel. Ils rejoignent ainsi ses soutiens historiques : les multimilliardaires Peter Thiel, le directeur de Blackstone David Schwartzman, le pétrolier Harold Hann et la famille Adelson, etc.
Big Oil, Wall Street et… BigTech ?
Harold Hann ne se contente pas de contribuer financièrement. Il organise de multiples levées de fonds auprès des dirigeants et cadres supérieurs des principales entreprises liés aux hydrocarbures. Et se fait leur relai auprès de Trump. Lors d’une rencontre dans son fief de Mar-a-lago, Trump avait ouvertement promis à l’industrie pétrolière de mettre en place leur agenda contre un financement de un milliard de dollars en faveur de sa campagne.
L’ancien président peut également compter sur le pivot inédit des grandes fortunes et principaux leaders de Wall Street. Bien au-delà des donateurs historiques du Parti républicain. Le multimilliardaire Bill Ackman, gérant d’un fonds spéculatif influent à Wall Street, avait déclaré suite à l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021 que « Trump [devait] s’excuser auprès des Américains et démissionner ». Le 14 juillet dernier, il officialisait son soutien à l’ancien putschiste via Twitter. Jamie Dimon, très influent PDG de JP Morgan, première banque du pays, a publiquement salué le bilan de Trump lors d’une conférence au forum économique de Davos. Il s’agit d’un tournant majeur : Dimon représente la faction pro-démocrate de Wall Street. Ses commentaires ont été interprétés comme un signal envoyé à Wall Street pour soutenir le républicain, alors que son propre lobby a repris les dons financiers en sa faveur.
L’ancien président peut ainsi se vanter d’être soutenu par l’homme le plus riche du monde (et accessoirement propriétaire de X, premier réseau social en termes de contenu politique), l’industrie pétrolière et certains réseaux de Wall Street et de la Silicon Valley. Mais l’engouement du « système » pour sa candidature va bien au-delà de ces secteurs et individus.
La Heritage Foundation, premier think tank conservateur du pays, financé par les syndicats patronaux et les grands groupes industriels et pharmaceutiques, a collaboré avec les équipes de Donald Trump pour concevoir son programme. Enfin, Trump peut compter sur le soutien de plusieurs puissances étrangères, notamment Israël et l’Arabie Saoudite. La première ne pèse pas grand-chose, si l’on met de côté son pouvoir de nuisance.
En continuant d’humilier l’administration Joe Biden à Gaza (non-respect des lignes rouges, refus d’accepter l’accord pour un cessez-le-feu, assassinat ciblé de citoyens américains, etc.), le gouvernement de Netanyahou enferme le camp démocrate dans une équation insoluble : s’opposer à Israël lui vaudrait de vives critiques de la droite et lui a déjà fait perdre des soutiens financiers à Wall Street ; d’un autre coté, continuer de soutenir l’État hébreu et ce qu’un nombre croissant d’organisations internationales qualifie de génocide indigne la base démocrate dans des États aussi déterminants que le Michigan ou le Winsconsin.
L’Arabie Saoudite peut, de son côté, manipuler le cours du pétrole comme elle l’avait fait en 2020, pour éviter que des prix trop bas à la pompe avantagent le Parti actuellement au pouvoir (Harris/Biden). Or, l’Arabie Saoudite s’est assuré la fidélité de Donald Trump en versant des sommes importantes via différents tournois de golf et en embauchant son gendre, Jared Kushner, pour gérer un fonds d’investissement d’une valeur supérieure à 4 milliards de dollars.
Une forme de corruption que Donald Trump ne cherche pas vraiment à cacher. Bien au contraire. Ainsi, il affirme aux lobbies pétroliers qu’il concrétisera tous leurs souhaits contre un financement de campagne à hauteur d’un milliard de dollars, tandis qu’il proclame en meeting qu’il va devoir « rendre le vie plus facile » à Elon Musk et « les autres personnes intelligentes comme lui » après l’avoir remercié pour son soutien.
Kamala Harris est-elle même soutenue par de nombreuses grandes fortunes, comme tout candidat démocrate avant elle. Mais le fait qu’une partie du « système » soit derrière elle ne signifie nullement que son adversaire soit « antisystème » ou anti-élites.
Projet 2025 : servir les intérêts des plus riches
L’écoute des discours de Donald Trump révèle le peu de temps qu’il consacre aux problèmes des Américains ordinaires. Il préfère attaquer ses adversaires, entamer des laïus sur des détails de campagne (la couverture flatteuse de Kamala Harris en une du Times, l’ampleur des foules à ses meetings de campagne, etc.) ou multiplier les promesses assez vagues. Une posture qui tranche avec sa campagne de 2016.
Huit ans plus tôt, Trump avait pris des positions claires sur divers sujets clivants, souvent en opposition avec son propre parti. Contre la guerre en Irak, contre le libre-échange, contre l’assurance maladie Obamacare (qu’il allait remplacer par something great), pour le « mur » à la frontière mexicaine. Mais Trump a désormais un bilan. Sa seule grande loi votée au Congrès a été une baisse d’impôt d’ampleur historique pour les plus riches, et une diminution similaire du taux d’imposition sur les sociétés. Il n’a rien fait pour résoudre la crise des opiacés qui ravage le Midwest ni poursuivi les firmes responsables de ce drame sanitaire. Il a par contre mené une guerre implacable aux travailleurs américains. Il avait également tenté d’abroger la réforme de la santé Obamacare sans rien proposer en remplacement, alors qu’une telle suppression avait mis fin à l’interdiction faite aux assurances de refuser des patients sur la base de leurs antécédents médicaux.
Au cours du mandat de Joe Biden, il s’est prononcé contre les syndicats ouvriers en grève et à même fait capoter un projet de loi anti-immigration soutenu et largement construit par son propre parti, de crainte que ce succès avantage Joe Biden. Lors de sa conversation avec Elon Musk sur X, il a passé de longues minutes à discuter avec passion de son aptitude à licencier ses employés sans état d’âme.
Derrière ces envolées rhétoriques et ces provocations, quel est son programme ? En 2016, les lignes directrices étaient assez claires. En 2020, Trump n’a fait campagne que contre son adversaire, sans rien proposer de concret (le parti républicain n’avait présenté aucun programme). En 2024, Trump s’appuie sur une plateforme au nom tout droit sorti d’un mauvais James Bond : « Project 2025 ».
Ce document de 930 pages, produit par la Heritage Foundation sous l’égide de différents proches de Donald Trump, dont son vice-présidence J. D. Vance, détaille un ensemble de mesures à mettre en oeuvre une fois à la Maison-Blanche. Un nombre important d’entre elles sont conçues pour pouvoir être imposées sans l’aval du Congrès, par décret.
Les mesures destinées à supprimer tous les efforts visant à lutter contre le réchauffement climatique avaient fait beaucoup de bruit à l’époque. Mais il s’agit également de réaffirmer l’autorité de l’exécutif (ce qui inquiète des constitutionnalistes soucieux de la séparation des pouvoirs) afin de laisser les mains libres au président pour instrumentaliser la Justice et permettre le licenciement de hauts fonctionnaires jugés insuffisamment fidèles au président.
Il est aussi question de nombreuses dérégulations environnementales et commerciales pour aider les grands groupes de diverses industries, de la suppression de minimas sociaux et programme d’aides aux plus défavorisés, des coupes budgétaires dans la sécurité sociale, de l’élimination de contraintes pesant sur les assurances maladie privées, d’un projet anti-migratoire visant à construire des camps d’internements et à déporter 15 millions de sans-papiers et immigrants en cours de régularisation. Sans oublier les obsessions de la droite conservatrice, dont JD Vance est très proche : suppression du ministère de l’Éducation publique (une mesure explosive et très impopulaire, qui a pourtant été défendue par Trump lors de sa conversation avec Elon Musk), remise en cause de la contraception, interdiction des pilules d’avortement, « interdiction des contenus pornographiques » et « emprisonnement » de ceux qui en produisent…
La politique étrangère de Trump est en harmonie parfaite avec l’establishment diplomatique et le complexe militaro-industriel – très éloignée des positions d’un candidat « antisystème »
En comparaison, Kamala Harris bénéficie du soutien des principaux syndicats ouvriers du pays, dont celui de l’automobile UAW. Ses premières mesures annoncées cherchent à renforcer le pouvoir d’achat et résoudre la crise du logement : interdiction et lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, en particulier dans l’alimentaire, pour réduire les prix, contrôle et plafonnement des prix des médicaments, allocations familiales et subvention pour aider la construction et l’achat d’un premier logement. Des mesures parcellaires, mais diamétralement opposées au programme de Trump, et avec une volonté affichée d’aider les familles américaines issues des classes ouvrières, populaires et moyennes.
Isolationnisme de façade, impérialisme sans fard
En décembre 2019, Donald Trump a pratiquement déclenché un conflit régional au Moyen-Orient en ordonnant l’assassinat par drone du chef des Gardiens de la révolution iranienne, le populaire général Qasem Solemani. L’Iran a répliqué par une attaque symbolique contre une base irakienne. C’est le journaliste vedette de Fox News Tucker Carlson qui aurait découragé Trump de répliquer. Suite à ces évènements, le Parlement irakien a voté le retrait des troupes américaines stationnées en Irak. Non seulement Trump a refusé, mais il a menacé l’Irak « de sanctions financières comme ils n’en ont jamais vu qui feraient passer les sanctions contre l’Iran pour du vent ».
Sur tous les dossiers géopolitiques, Trump a pris des positions interventionnistes et impérialistes, en net contraste avec ses fanfaronnades isolationnistes. Sanctions contre le Venezuela et soutien à la tentative de putsch de Juan Guaido. Proposition d’invasion ou de conflit direct avec le Venezuela. Soutien tacite à l’Arabie Saoudite dans son embargo contre le Qatar (Trump avait proposé une aide militaire… avant de réaliser que les États-Unis possèdent des bases à Doha). Ventes d’armes lourdes offensives à l’Ukraine, en rupture avec la ligne rouge établie par Obama pour ne pas provoquer la Russie. Multiples interventions pour faire échouer la mise en service du gazoduc Nord Stream 2. Violation du traité nucléaire avec l’Iran. Retrait unilatéral des États-Unis de deux traités anti-prolifération nucléaire avec la Russie. Rupture de l’accord d’apaisement des relations avec Cuba, suivie d’un redoublement des sanctions économiques. Refus de rapatrier les soldats américains déployés en Syrie pour « garder le pétrole ». Refus de retirer les troupes américaines d’Afghanistan. Engagement militaire au Yémen, en Syrie. Sans parler de la multiplication sans précédent du recours aux frappes de drones, auxquelles l’administration Biden a pratiquement mis fin.
Si Trump n’a pas engagé les États-Unis dans de nouvelles guerres, il n’en a terminé aucune, a préparé le terrain pour les suivantes – et a frôlé une catastrophe d’ampleur au Moyen-Orient. Quant à la Chine, sa politique de confrontation et de guerre commerciale, héritée d’Obama, mais exacerbée sous sa présidence, fait désormais consensus à Washington.
Une politique étrangère en harmonie parfaite avec l’establishment diplomatique et le complexe militaro-industriel – très éloignée des positions d’un candidat « antisystème ». Mais pouvait-on de toutes manières prendre au sérieux ce qualificatif, pour désigner le président qui avait dérégulé Wall Street et recruté ses ministres et conseillers économiques auprès de Goldman Sachs ?