Emmanuel Macron : tout ça pour ça ?

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Emmanuel Macron, lors d’une réunion internationale © Service de presse du Président de la Fédération de Russie

Si Emmanuel Macron préfère pour l’instant se présenter en président des Français plutôt qu’en candidat à sa réélection, ses intentions ne sont guère mystérieuses. Et ses soutiens s’activent déjà. Les Jeunes avec Macron ont ainsi sorti une affiche validée en haut lieu, reprenant les codes de la plateforme Netflix. Elle indique : « Macron, président des jeunes. Vivement qu’on signe pour 5 saisons de plus. » Cette fin de quinquennat marquée par la pandémie nous invite à regarder dans le rétroviseur. Quel est le bilan des « 5 saisons » passées depuis les promesses de 2017 ?

L’interminable recomposition du paysage politique

La dernière élection présidentielle fut marquée par l’effondrement symbolique des deux partis ayant gouverné la France durant les décennies précédentes. À la suite d’une primaire désastreuse, Benoît Hamon était à la peine, quand son rival François Fillon, présenté initialement comme présidentiable, explosait en vol du fait de révélations compromettantes. Dans la foulée, le processus même des primaires ouvertes était balayé, certains commentateurs allant jusqu’à prédire un peu vite la mort de ces partis – voire de la forme partisane elle-même.

Porté par une campagne médiatico-politique menée au pas de charge, Emmanuel Macron pouvait dès lors se présenter en candidat du progrès, seul recours face au nationalisme régressif incarné par Marine Le Pen. Le bipartisme semblait renaître autour d’un nouveau clivage : progressistes contre populistes, européens contre souverainistes, libéraux contre réactionnaires. Et les ralliements nombreux des ex-socialistes comme des ex-républicains semblaient valider cette stratégie. Le troisième pôle représenté par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise perdait rapidement sa dynamique initiale, ne parvenant pas à incarner en 2017 la « première force d’opposition » au gouvernement. Le social-libéralisme d’Emmanuel Macron semblait bénéficier d’un boulevard pour se développer.

La suite est connue. Le mouvement des Gilets Jaunes puis les contestations suivantes de la politique gouvernementale ont dévoilé le vrai visage des nouveaux gestionnaires de la « Start-up nation ». Perdant ses soutiens au centre-gauche, Emmanuel Macron a compensé ces désertions en opérant un virage conservateur marqué. Sans pour autant en finir avec « l’ancien monde » : les élections municipales notamment ont rappelé l’ancrage des socialistes comme des républicains, et leur capacité de résilience garantie par leurs réseaux d’élus.

Écologie, progrès, et ouverture sur le monde

Des grands thèmes de campagne d’Emmanuel Macron, que reste-t-il aujourd’hui ? Côté face, d’innombrables renoncements par rapport aux promesses « progressistes » des origines. De la moralisation de la vie publique illustrée par les poursuites judiciaires visant des ministres à la démocratie environnementale, avec le reniement des résultats de la Convention Citoyenne pour le Climat, en passant par les références douteuses aux concepts maurassiens. Côté pile, le président du « en même temps » a par contre forcé le trait. En Marche est devenu le parti de l’ordre, au prix d’une brutale répression des oppositions populaires culminant avec les critiques formulées par les institutions internationales. Les réformes sapant les droits des travailleurs, la santé ou les retraites se sont enchainées à un rythme rarement observé, sans concertation démocratique possible. La logique néolibérale des Marcheurs était connue. Leurs références culturelles conservatrices, voire réactionnaires, sont plus surprenantes.

Quant à la politique internationale, le quinquennat devait être l’occasion d’un renforcement des liens européens et transatlantiques, menant la France à occuper une position de phare des libertés. Il n’en a rien été. Le suivisme aveugle vis-à-vis des intérêts américains a conduit à des humiliations – en Afghanistan, en Méditerranée, ou plus récemment vis-à-vis de l’Australie. L’Union européenne a été durablement affaiblie par le Brexit, et semble plus que jamais embourbée dans un dogme économique vicié, hypothéquant sa capacité à déployer des politiques sociales minimales.

La crise protéiforme ouverte par la pandémie met aujourd’hui en lumière l’incapacité des gouvernants à s’extraire d’un paradigme périmé. Seule demeure une fuite en avant, s’accélérant sur tous les plans. L’environnement a particulièrement pâti des renoncements successifs et des effets d’annonce creux. Mais la société française elle-même souffre aujourd’hui de maux largement imputables aux gouvernants. Affaiblissement des garanties démocratiques, imposition d’un modèle de surveillance global renforcé par les exigences sanitaires, hégémonie des discours réactionnaires dans le champ médiatique, baisse du niveau de vie, hausse du sentiment d’insécurité et de la précarité… Les voyants sont au rouge et l’explosion de l’abstention témoigne d’un profond rejet pour l’offre politique actuelle.

Les Français vont-ils alors signer pour « 5 saisons de plus », ne serait-ce que par défaut, comme choix du moindre mal ? Si il n’est pas question de prédire le résultat de la future élection, il est probable que celle-ci contribue à renforcer les tendances à l’œuvre. Et sans « spoiler » les prochaines saisons, il semblerait que l’ambiance mortifère régnant aujourd’hui ne soit pas uniquement le fait du virus.