Entretien avec Ugo Bernalicis : un député insoumis contre l’état d’urgence

Le 18 juin dernier, Ugo Bernalicis, 27 ans, a été élu à l’Assemblée Nationale avec 64,15 % des voix. Le député France Insoumise de la 2ème circonscription du Nord mène en ce moment la fronde contre l’inscription des mesures d’état d’urgence dans le droit commun. Avant d’être élu, Ugo Bernalicis était attaché d’administration au Ministère de l’Intérieur. C’est ce qui l’a amené à travailler sur le livret sécurité, complément du programme de la France Insoumise. Membre du Parti de Gauche depuis sa création fin 2008, il a été militant UNEF. Toujours syndiqué, il a aussi fait un passage express par le Mouvement des Jeunes Socialistes, “pas très fructueux parce que j’en suis parti pour aller fonder le Parti de Gauche” , explique-t-il. “Que dire de plus ? Que je regarde la dernière saison de Game of Thrones et que j’ai joué à Assassin Screed Unity même si c’est pas trop dans la ligne politique”. Avec lui, nous avons parlé du rôle du groupe parlementaire de la France Insoumise, de son expérience à l’Assemblée Nationale, et dans un deuxième temps de l’état d’urgence et du projet de loi anti-terroriste que cherche à faire adopter le gouvernement. 

LVSL – La France Insoumise (FI) a adopté une stratégie dite du “dedans/dehors” : un pied à l’assemblée, un autre dans la rue. Comment articuler la stratégie visant la construction d’une hégémonie culturelle dans ce champ politique en recomposition ? Quel doit être le rôle du groupe parlementaire de la FI ?

Ugo Bernalicis –  Le rôle du groupe et le rôle d’un parlementaire étaient définis dans la charte de la FI, ce n’est pas une nouveauté, pas plus que la stratégie un pied dedans et un pied dehors. Notre programme politique, dans tous les cas, demande l’implication populaire sur tout un tas de sujets parce qu‘il y a des rapports de force dans la société et que des votes à l’assemblée ne résolvent pas l’équation de ces rapports de force. Ce n’est pas parce que 308 députés En Marche votent comme un seul homme que la réforme est majoritairement acceptée et voulue par les Français. Sous la Vème République, l’Assemblée Nationale n’est pas forcément très représentative du peuple français, du fait de l’abstention et du système électoral.

La stratégie un pied dedans/un pied dehors était une double stratégie, qu’on gagne ou qu’on perde. Quand on est minoritaires, le travail parlementaire n’est pas inutile, mais factuellement l’impact de nos amendements est proche du néant. Le travail que nous faisons, nous le faisons pour la suite. Demain, quand nous arriverons au pouvoir, nous pourrons continuer ce travail législatif, nous aurons des propositions de lois prêtes pour la législature suivante. Nous disposerons d’un groupe politique homogène, qui aura réussi à travailler et à faire face aux aspects concrets du travail demandé à l’Assemblée Nationale. Nous pouvons déjà dire que nous avons des textes qui sont opérationnels. Par le travail d’amendements, on comprend que ce qu’on a proposé dans les livrets thématiques nécessite parfois une loi organique plutôt qu’une loi ordinaire, ou alors une révision constitutionnelle…

“Demain, quand nous arriverons au pouvoir, nous pourrons continuer ce travail législatif, nous aurons des propositions de lois prêtes pour la législature suivante.”

Le pied en dehors est possible parce qu’on est en 2017, qu’il y a YouTube, qu’il y a Facebook, que les séances sont filmées et qu’on peut les retransmettre. Il y a dix ans, les séances étaient déjà filmées à l’Assemblée Nationale, mais personne ne regardait, rien ne permettait d’extraire les vidéos… Aujourd’hui cela fonctionne grâce à l’axe de la campagne : s’il n’y avait pas eu la campagne présidentielle avec la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, nous n’aurions pas cet impact. La preuve, c’est que les autres le font aussi, Les Républicains font des vidéos mais elles n’ont que 50 vues et tout le monde s’en fout, contrairement aux nôtres.

Pour l’instant, on parle essentiellement aux nôtres, aux insoumis qui ont fait la campagne, mais les algorithmes permettent de déborder cette audience à partir d’un seuil élevé de vues. Cela enclenche l’impact dans le réel et aide à la mobilisation. Quand je vais dans ma circonscription les gens me disent : “Ah j’ai vu votre intervention, c’est cool tout ça, c’est bien ce que vous faites, continuez, lâchez rien”. Voilà la stratégie du pied dedans et du pied dehors. Tous les amendements, toutes les interventions réalisées à l’Assemblée Nationale, ce n’est pas pour rien. Cela ne sert à rien dans le travail législatif parce que nos amendements sont retoqués, mais c’est utile dans la bataille politique.

LVSL – Vous ne vous adressez donc pas aux députés En Marche qui vous font face, mais pratiquez plutôt une stratégie de rupture ?

On s’adresse tout de même aux députés En Marche, notre objectif c’est de les faire imploser là où ça achoppe. Ce sont des gens qui n’ont pas de structuration politique pour la plupart et qui n’ont pas forcément de convictions solidement ancrées. Leurs convictions se résument au dénominateur commun de l’hégémonie culturelle actuelle. Durant tout le débat sur les ordonnances, les interventions des gens d’En Marche ont été une logorrhée de mots-valise, de mots qui ne veulent rien dire, utilisables pour renverser la dialectique. Notre avis, c’est que cela finira par imploser, cela ne peut pas tenir. Sur la question de la loi de moralisation de la vie publique, le groupe La République En Marche n’est pas si homogène que cela. Autant sur l’état d’urgence il n’y a pas trop de débat – on proroge ou on ne proroge pas – autant sur des textes comme celui-là on s’aperçoit que cela commence à se fracturer. Donc nous nous adressons à eux, et on s’adresse aussi à l’extérieur. Le discours de Jean-Luc Mélenchon pour clôturer le débat sur la loi sur les ordonnances les a surpris parce qu’il s’adressait aux gens : “Les gens, le 12 septembre il va falloir se mobiliser…”. Il y avait une sorte de flottement, de malaise chez eux, ils semblaient se demander “mais à qui il parle ?”. Je ne suis pas sûr qu’ils se rendent bien compte que nos interventions s’adressent autant à eux qu’à l’extérieur de l’hémicycle. 

LVSL – Le capital politique acquis sur les réseaux sociaux pendant la campagne trouve donc son prolongement à l’Assemblée Nationale ? On a vu que les vidéos de vos interventions étaient beaucoup relayées, visionnées des dizaines voire des centaines de milliers de fois…

C’est exactement ça. Une action hors-sol sans le travail de fond pour rationaliser la pratique n’a aucune chance d’aboutir. Il y a quelques vidéos d’En Marche qui ont tourné parce qu’elles ont été reprises par leurs comptes officiels, mais dès qu’on sort de la verticalité chez En Marche, il n’y a plus personne. Alors qu’au contraire, nous avons été très horizontaux dans notre mode d’organisation.

La consigne à la France Insoumise pendant la présidentielle était celle-ci : tous ceux qui veulent faire une vidéo, un détournement, un visuel, vous le faites, parfois cela sera retransmis par le canal officiel, mais sinon ce sont les insoumis qui relaient eux-mêmes par leurs propres moyens de communication. Quand je fais une vidéo, les insoumis la relaient et j’ai mes propres moyens de diffusion. Il n’est pas nécessaire que Jean-Luc Mélenchon relaie ma vidéo pour que des gens la regardent. Quand Adrien [Quatennens] fait son discours à la tribune sur les ordonnances et qu’il obtient 400 000 vues, cela a un impact colossal, alors que ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui s’exprime.

LVSL – Vous tenez une chaîne YouTube, dont la principale émission s’intitule “Le Topo d’Ugo”, quel rôle lui accordez-vous ?

Au départ, j’avais eu l’idée bien avant la campagne des législatives. Cela faisait longtemps que je voulais faire des vidéos. C’est un outil qui nous permet d’aborder des thématiques qu’on n’aborde pas habituellement dans les tracts et d’atteindre des publics qu’on ne touche pas d’ordinaire. 

Depuis que je suis élu député, cela me sert de fil pour tenir au courant de mes activités à l’Assemblée, une sorte de compte-rendu régulier de mon activité parlementaire. Ma chaîne sera amenée à évoluer, je réfléchis au développement de nouveaux outils, j’aimerais sortir du face caméra, adopter une démarche visant à mettre en avant des initiatives, des gens qui sont sur des mobilisations, des luttes, plutôt sur le mode de l’interview. Tout en restant sur un format 4-5 minutes, qui diffère de celui que peut adopter Jean-Luc avec sa revue de la semaine, ou dans son émission “Pas vu à la télé” , qui prend la forme d’un entretien d’une heure. C’est un format qui ne touche pas le même public que les vidéos de 5 minutes. 

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[ETAT D’URGENCE] L’état d’urgence en vigueur en France depuis le 14 Novembre 2015 est le plus long de l’histoire de la Ve République, davantage que durant la guerre d’Algérie. De nombreuses voix, notamment de juristes, universitaires et chercheurs, d’associations, d’ONG, d’autorités administratives indépendantes, ainsi que le défenseur des droits Jacques Toubon, se sont élevées contre cet état de fait. La situation paraît perverse, les politiques semblent comprendre son inefficacité dans la durée, mais peu osent le critiquer et assumer une sortie de l’état d’urgence. Emmanuel Macron a quant à lui annoncé sa fin prochaine mais compte le remplacer par un projet de loi anti-terroriste qui fait entrer les dispositifs d’état d’urgence dans le droit commun. Ugo Bernalicis a été chargé par son groupe de dénoncer la prorogation de l’état d’urgence.

LVSL – Que pensez-vous de l’idée d’inscrire dans le droit commun les mesures qui caractérisent l’état d’urgence ? Selon le gouvernement, elles devraient paradoxalement permettre de sortir de l’état d’urgence. Cette rhétorique vous parait-elle crédible ? 

C’est un sophisme, c’est un magnifique sophisme. Je m’en suis d’ailleurs amusé dès la loi prorogeant l’état d’urgence dans l’hémicycle. J’ai présenté la motion de rejet préalable, ce qui m’a permis de faire un discours qui avait à voir avec l’état d’urgence et la loi contre laquelle on va voter. J’ai fini mon discours en citant Emmanuel Macron au congrès de Versailles. A Versailles, Emmanuel Macron s’est livré à un magnifique argumentaire nous expliquant que l’état d’urgence permanent ne servait à rien, qu’il remettait en cause les libertés individuelles, et donc qu’il faudrait en sortir. Et surtout, il y a tout ce qu’il faut dans le code de procédure pénale, à partir du moment où on a les magistrats et les services qu’il faut, on peut – il le dit – “anéantir nos adversaires”, ni plus ni moins. C’est un sophisme, comme en a fait Emmanuel Macron durant toute la campagne : je suis d’accord avec la gauche, je suis d’accord avec la droite… 

“Nous n’avons pas assez de juges anti-terroristes, et nous avons misé sur le renseignement technologique sans accorder davantage de moyens au renseignement de terrain.”

Il existe sans doute un lobby de hauts fonctionnaires au sein du ministère de l’intérieur, qui a poussé pour qu’on inscrive l’état d’urgence dans le droit commun. Ils ont dû dire à Emmanuel Macron : comme vous avez promis de sortir de l’état d’urgence, on va le faire, factuellement. Mais il nous faut tout de même les moyens juridiques pour avoir des procédures rapides parce que nous n’avons pas les moyens humains pour assurer des procédures normales. C’est là le fond de l’affaire. Si vous ne faites pas la transcription de l’état d’urgence dans le droit commun, demain on ne sera pas en mesure de faire face à la menace. Parce que nous n’avons pas assez de juges anti-terroristes, parce que nous avons misé sur le renseignement technologique sans accorder davantage de moyens au renseignement de terrain. Ils ne font pas l’effort de mettre des moyens sur la table, mais débloquent des moyens juridiques pour court-circuiter la procédure judiciaire. On peut les croire de bonne foi, croire qu’ils ne feront pas comme le quinquennat précédent, qui a utilisé les dispositifs de l’état d’urgence contre les manifestants. Peut-être qu’ils ne le feront pas. Le problème, c’est que la loi le permettra quand même.

LVSL – On se rend compte que l’austérité est également dangereuse  pour les libertés individuelles, que les libéraux prétendent pourtant défendre…

Gérald Darmanin [Ministre de l’Action et des Comptes publics, ndlr] cherche 4 milliards. Il dit qu’il prend 526 millions d’euros sur le ministère de l’intérieur et 160 millions sur le ministère de la justice, au moment même où on explique qu’il faut plus de moyens, notamment pour lutter contre le terrorisme ! Ces coupes budgétaires porteraient essentiellement sur les dépenses de fonctionnement, parce qu’ils ne peuvent pas dire qu’ils vont réduire le nombre de fonctionnaires, sinon ils se feraient étrangler. Cela signifie malgré tout qu’on ne va pas en recruter, même pas des contractuels. Concrètement on aura des fonctionnaires qui n’auront pas les moyens de fonctionner. C’est une stupidité ! Surtout dans le cas du ministère de l’intérieur et des missions de sécurité. Moi qui travaillais dans ce domaine il y a un mois encore, je payais dans mon service les factures de police et de gendarmerie : chaque année, on utilise le dégel pour boucler les dernières factures, on n’a même pas assez de moyens pour payer les factures de l’année courante. Et quand je parle des factures, je veux parler du carburant, de l’électricité, de l’eau, du gaz, qui sont les principales dépenses, qu’on peut difficilement réduire. Ce qui va se passer, c’est qu’on n’arrivera pas à finir l’année, qu’on ne parviendra pas à payer toutes les factures. C’est bien beau de faire des textes pour donner de nouveaux droits aux préfets, aux policiers, etc. mais s’ils n’ont pas les moyens matériels pour les mettre en pratique sur le terrain, cela ne sert à rien, c’est un coup d’épée dans l’eau.

LVSL – Que pensez-vous de l’idée du gouvernement de renommer les perquisitions en “visites” et les assignations à résidence en “mesures de surveillance individuelles” ?

Je garde ces éléments sous le coude pour me moquer d’eux à la rentrée. Que les communicants en viennent à passer un coup de rabot jusque sur les textes antiterroristes est assez hallucinant. Mais cela caractérise bien le malaise dans lequel ils se trouvent. Ils se sentent obligés de changer le terme de “perquisition administrative” en “visite” pour que l’idée ait l’air plus sympa… Je n’ai jamais vu de perquisition administrative qui se voulait sympa, ce n’est pas le but d’ailleurs… Cela prouve qu’ils n’assument pas leurs actes politiques. C’est la même chose pour la loi sur les ordonnances. Notre rôle consiste aussi à remettre les bons mots sur les bonnes choses afin que les gens prennent conscience de ce qui est en jeu. 

LVSL – La procédure d’adoption du texte est une procédure accélérée. Comment percevez-vous la prise en compte ou la non-prise en compte des enjeux démocratiques et du débat parlementaire ? La méthode d’En Marche sur ce projet de loi est-elle semblable à celle qui guide l’adoption de la loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances pour le code du travail ?

C’est la même chose. Ils veulent aller vite pour deux raisons. D’une part pour une raison qui peut être louable politiquement : aller vite pour obtenir des résultats et montrer que l’action politique sert à quelque-chose. Je ne dis pas qu’on aurait gouverné par ordonnances si on avait été élus, mais il y a un certain nombre d’actes politiques qu’on aurait posés très rapidement parce qu’ils sont du niveau du décret d’application, par exemple pour augmenter le SMIC. C’est un décret, ça va vite, c’est efficace. On aurait enclenché plein de choses.

Ils ont des députés qui sont novices, et l’exécutif ne souhaite pas qu’ils prennent conscience qu’il y a un enjeu. Il vaut mieux qu’ils restent dans le flou et dans les mots-valise, dans le gloubiboulga ambiant, de sorte qu’ils n’aient pas le temps de déceler le vrai du faux et qu’ils ne commencent pas à se dire “Ah, peut-être que je vote n’importe quoi, peut-être que ce n’est pas cela l’intérêt général”. C’est pour cela qu’on adopte cette stratégie qui consiste à toujours essayer de les convaincre. Je suis très étonné de voir les résultats qu’a pu avoir mon intervention de 30 minutes sur la motion de rejet, où plusieurs députés d’En Marche sont venus me voir, discuter, me féliciter en me disant que mes propos étaient pertinents, mes arguments intéressants… Ce qui ne les a pas empêché de voter tous comme un seul homme par la suite, mais ce type de situation augure de bonnes choses pour l’étape suivante. Surtout qu’il y a parmi eux beaucoup d’avocats, d’anciens magistrats, de juristes qui, je pense, s’ils n’avaient pas été élus En Marche, se seraient opposés comme toute leur corporation à l’introduction de l’état d’urgence dans le droit commun. Aujourd’hui, ils sont dans une autre posture, mais mon rôle consistera à leur rappeler tout cela, à leur dire que c’est sérieux, qu’on est à l’Assemblée Nationale et qu’on vote des lois qui s’appliquent à l’ensemble du pays.

La question n’est pas de savoir si le groupe En Marche restera ou non uni jusqu’à la fin. Non, on est sûrs qu’il ne le sera pas. Il s’agit de savoir quand le groupe commencera à se fissurer, et nous sommes là pour provoquer cela le plus rapidement possible. 

LVSL – Concernant le projet de loi anti-terroriste, pensez-vous que l’on rentre, avec cette volonté de normaliser l’exceptionnel, dans une logique de justice prédictive qui veut tendre au risque zéro et privilégier une intervention en amont plutôt que la répression pénale ?

On va s’avancer tout doucement vers du minority report. Ils veulent basculer du pénal à l’administratif d’abord et avant tout pour des raisons cyniques, c’est-à-dire budgétaires, économiques. Ils considèrent que la justice pénale coûte cher, parce qu’il y a des procédures, les droits de la défense, et que tout cela prend du temps… Voilà leur ambition court-termiste actuelle. Je ne suis même pas sûr qu’ils soient mus par une volonté philosophique de remettre en cause la philosophie pénale ; je pense même qu’ils sont globalement d’accord avec. Ce sont des pragmatiques cyniques. Ils ne sont pas si pragmatiques que cela d’ailleurs : leur projet est porteur de dérives, et en plus de cela, il ne fonctionne pas.

“L’une des raisons qui permet d’expliquer le départ des jeunes en Syrie et ailleurs, c’est le fait qu’il n’y ait plus d’objectif collectif qui donne envie d’être patriote, d’être républicain, le fait que ce soit le chacun pour soi, le marché, le démerdez-vous, qu’on ne réenchante plus la politique et le monde.”

LVSL – D’autant que le lien entre l’administratif et le pouvoir politique est plus évident que le lien entre pouvoir politique et autorité judiciaire. Ce qui ouvre la voie à l’arbitraire…

On voit toutes les dérives qui existent sur tout ce qui concerne le droit d’asile, le droit des étrangers, qui relèvent de l’administratif. Ces positions politiciennes ne garantissent pas la sûreté. Pire, on dérive vers des positions arbitraires, s’agissant de l’état d’urgence c’est l’arbitraire qui est en cause ! On peut bien dire qu’il y aura peu de dérives, d’accord, mais il y aura des dérives quand même. C’était la question que j’ai posée à Eric Ciotti sur les portes fracassées : premièrement est-ce qu’on est prêts à payer le prix de l’arbitraire pour empêcher les terroristes d’agir ? Et deuxièmement n’a-t-on vraiment aucune alternative, sommes-nous vraiment obligés d’en passer par là pour lutter contre le terrorisme ? Je réponds non aux deux questions.

LVSL – Justement, que propose la France Insoumise comme solutions alternatives en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme ?

Toutes nos réponses sont regroupées dans un très beau livret Sécurité : retour à la raison, que j’ai offert au Ministre de l’intérieur, j’espère qu’il le lira, peut-être qu’il lui donnera des idées étant donné qu’il en manque visiblement et qu’il se laisse porter par l’inertie des hauts fonctionnaires qui l’entourent.

Ce qui est au cœur de notre programme en matière de lutte anti-terorriste, c’est l’Humain d’abord. On a repris le slogan de la campagne de 2012, qui prend ici tout son sens, parce qu’en matière de renseignement, c’est aujourd’hui le tout technologique qui prévaut. Or les écoutes sur les lignes téléphoniques et sur les réseaux ont leurs limites : à la fin, il faut toujours quelqu’un pour les analyser, premièrement. Deuxièmement, c’est souvent utile a posteriori, après l’acte terroriste, mais pas a priori. Ce qui est utile a priori, c’est le renseignement humain de terrain qui permet de capter les “signaux faibles”, précisément car les terroristes sont un peu malins et savent parfaitement qu’il ne faut pas envoyer de SMS ou poster un message sur Facebook pour annoncer qu’ils vont commettre un attentat… Cela peut faire sourire, mais on se demande parfois si ce n’est pas ce que croit le gouvernement, au regard de ce qu’on vote et de la direction qu’on prend. Cela me rappelle l’affaire de Saint Etienne du Rouvray où le terroriste, pour préparer son attentat, a chatté avec ses complices sur Telegram, une application cryptée, de telle sorte que les services de renseignement n’ont pas intercepté les messages. C’est normal, c’est le principe d’une messagerie cryptée. Si on avait eu du renseignement de terrain, peut-être aurait-on pu éviter l’attentat.

Mais ce qu’il faut dire aussi, c’est qu’on ne pourra pas éviter tous les attentats, ce n’est pas possible. C’est ce que j’ai dit à mes collègues députés : vous ne pouvez pas dire qu’avec l’état d’urgence il n’y aura aucun attentat, tout comme vous ne pouvez pas défendre que sans l’état d’urgence il y aura des attentats partout. Ce n’est pas vrai.

On propose par ailleurs la création d’une réelle police de proximité, qui permettrait d’avoir un maillage fin et d’apporter une réponse de premier niveau : à la fois en termes de renseignement pour capter ces signaux faibles et les transmettre aux services concernés, et de réponse policière opérationnelle en cas d’agression et d’attaque.

Il faut le dire, l’objectif politique de Daech consiste à remettre en cause notre démocratie, notre République, notre état de droit. L’une des raisons qui permet d’expliquer le départ des jeunes en Syrie et ailleurs, c’est le fait qu’il n’y ait plus d’objectif collectif qui donne envie d’être patriote, d’être républicain, le fait que ce soit le chacun pour soi, le marché, le démerdez-vous, qu’on ne réenchante plus la politique et le monde. C’est ce qui explique certains de ces comportements, il n’y a pas que des barjots. Il faut en avoir conscience et, surtout, bien voir que la religion en elle-même n’a souvent pas grand chose à voir dans cette histoire. La religion, c’est un faire-valoir pour terroriste en herbe. Pour moi cela n’a aucun rapport. 

LVSL – Réenchanter la politique et le monde ?

C’est ce qu’on a essayé de faire avec le programme L’Avenir en Commun, nous donner un objectif politique qui nous dépasse. On va lutter contre le réchauffement climatique, mettre l’humanisme au plus haut point, éradiquer la misère… Des points qui représentent un défi humain et technique. La règle verte par exemple, c’est un défi technique. Tout cela permet de réenchanter le politique, de se dire qu’on fait sens tous ensemble. Alors que le marché et la compétition créent de l’anomie, à telle point que les gens finissent par se suicider ! Le suicide c’est un pendant de ce système, on a l’impression de ne servir à rien dans la société, ce qui crée de la détresse et des situations instables. Cela peut provoquer des burn-out, de l’anxiété… quand on voit qu’on a le plus fort taux de consommation de psychotropes en Europe, légaux et illégaux, cela me paraît essentiel. C’est aussi ce qui nous amène à proposer un service civique obligatoire, dans le but de créer du commun.

Entretien réalisé par Baptiste Peyrat et Antoine Cargoet pour LVSL.

Crédits photo : LVSL

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