Les créanciers viennent de suspendre l’allègement de la dette qu’ils avaient accordé au gouvernement grec. L’Eurogroupe estime qu’Alexis Tsipras a violé l’accord que son gouvernement a passé avec les créanciers en annonçant la mise en place de timides mesures sociales.
Le premier ministre grec Alexis Tsipras a promis il y a une semaine de mettre en place des mesures sociales destinées à soulager les plus pauvres : le versement de quelques centaines d’euros aux 1,6 millions de retraités pauvres gravement touchés par les mesures d’austérité et le report de la hausse de la TVA dans les îles de l’Est du pays les plus frappées par la crise migratoire (les réfugiés et les populations locales paieront cette taxe comme tout le monde). Des mesures qui n’affecteraient pas la situation financière de la Grèce, puisqu’elles seraient subventionnées par un excédent budgétaire de 674 millions d’euros. L’excédent primaire grec, c’est-à-dire l’excédent budgétaire avant que ne soient déduits du budget les coûts engendrés par le remboursement de la dette, est en effet l’un des plus élevés de la zone euro. C’en est trop pour les créanciers, qui ont décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque décidée par l’Eurogroupe le 5 décembre ; un porte-parole de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, met en cause les mesures “unilatérales” d’Alexis Tsipras, qui “ne sont pas en ligne avec nos accords”, a-t-il précisé. Le premier ministre grec avait pourtant appliqué toutes les mesures réclamées par l’Eurogroupe et la “Troïka” (c’est-à-dire la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI, qui représentent les créanciers de l’Etat grec).
Tsipras avait accepté les mesures des créanciers
Depuis juin 2015, le gouvernement grec a voté les centaines de mesures d’austérité préconisées par la « Troïka » : la TVA et les cotisations des travailleurs ont été fortement augmentées, l’expulsion des locataires endettés a été généralisée, et le gouvernement grec s’est engagé à privatiser l’équivalent de 50 milliards d’euros de biens publics. Pour atteindre cet objectif, il a purement et simplement dû se résoudre à privatiser une partie de son territoire ; Alexis Tsipras a ainsi mis en vente 597 îles grecques, des centaines de plages et de sites archéologiques.
Les mesures sociales annoncées par Alexis Tsipras ne contredisent pas les engagements pris avec les créanciers : rien dans ces accords n’interdit au premier ministre grec de redistribuer les excédents budgétaires comme il l’entend. Pourtant, l’Eurogroupe a décidé de punir Alexis Tsipras en le menaçant de suspendre l’allègement de la dette prévu le 5 novembre.
Un allègement très relatif
L’accord signé en juin 2015 avec les créanciers prévoit une annulation de 30% de la dette grecque. Cette annulation a sans cesse été retardée par les créanciers, alors qu’Alexis Tsipras a pratiquement mis en place toutes les mesures d’austérité incluses dans l’accord. Bon nombre d’observateurs jugent que cet allègement serait insuffisant ; la dette grecque s’élève actuellement à 175% de son PIB ; même si elle était allégée de 30%, la dette grecque serait toujours supérieure au PIB du pays.
Depuis 2008, la crise de la dette entraîne la Grèce dans une spirale sans fin. Pour rembourser sa dette, la Grèce doit emprunter sur les marchés financiers avec taux d’intérêt ; pour rembourser ces nouveaux prêts, le gouvernement emprunte sur de nouveaux marchés financiers, toujours avec taux d’intérêt, et ce à l’infini. Résultat : la dette grecque, qui représentait l’équivalent de 110% du PIB en 2008, représente désormais 175% du PIB.
Les créanciers acceptent de prêter de l’argent à la Grèce uniquement si celle-ci met en place des mesures d’austérité, ce qu’ont accepté tous les gouvernements grecs depuis 2008. Ces plans d’austérité ont eu des conséquences sociales dramatiques.
La Grèce : l’un des pays les plus touchés par la crise
La situation du peuple grec frôle la crise humanitaire. 35% des Grecs vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, et 15% en-dessous du seuil d’extrême-pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus inférieurs à 182€ par mois. La mortalité infantile a augmenté de 43% depuis 2008, tandis que le taux de suicide a triplé. Le taux de chômage a doublé, et ce sont actuellement 47% des jeunes qui sont à la recherche d’emplois en Grèce.
La sortie de l’euro ou l’esclavage à perpétuité ?
Alexis Tsipras avait été élu en février 2016 en promettant de “changer l’Europe” pour mettre en place une “Europe sociale”. Pendant six mois, son gouvernement a tenté de concilier la lutte contre les politiques d’austérité préconisées par l’Union Européenne et le maintien dans la zone euro. Il avait finalement cédé à la “Troïka” (Commission européenne + Banque Centrale Européenne + FMI) et appliqué le plan d’austérité qu’elle réclamait. Depuis, la dette a encore augmenté et la situation sociale de la Grèce s’est dégradée. La seule manière pour la Grèce de rompre avec la spirale infernale de la dette résiderait dans la possibilité d’annuler une partie de sa dette et de contrôler son système bancaire ; mais depuis le Traité de Maastricht, interdiction est faite aux Etats membres de l’Union Européenne de contrôler leur banque centrale et d’avoir une quelconque souveraineté monétaire…
Puisque les timides mesures sociales prônées par Tsipras ne contredisaient pas les engagements pris avec la “Troïka”, pourquoi l’Eurogroupe a-t-il décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque ? Certains y verront un aveuglement idéologique de la part des créanciers; d’autres une volonté politique de montrer qu’aucune alternative à l’austérité n’est possible. Quoi qu’il en soit, cette décision de l’Eurogroupe pose une fois de plus la question de la compatibilité entre le maintien dans la zone euro et la résistance à l’austérité. Elle montre que le gouvernement grec est pieds et poings liés devant ses créanciers, puisqu’il ne parvient pas à voter la moindre loi sans leur accord. Puisque ce sont l’Eurogroupe et la Banque Centrale Européenne qui décident s’ils doivent débloquer des fonds pour la Grèce, ils sont en mesure de lui imposer toutes les mesures d’austérité qu’ils souhaitent. Une alternative à l’austérité peut-elle se concevoir sans rupture avec l’Union Européenne et la monnaie unique ? La résistance à l’esclavage par la dette est-elle pensable sans rupture avec la Banque Centrale Européenne qui en est l’instrument ?
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