Grand remplacement, créolisation, assimilation… La question démographique et migratoire n’a cessé de faire la Une des médias et d’attiser de virulents débats au cours de la présidentielle. Face à ceux qui fantasment l’idée d’un remplacement d’une population française judéo-chrétienne « originaire » par une population immigrée qui serait de civilisation ou de religion différente, d’autres décrivent un long processus de métissage interculturel, lié à la mise en contact de cultures plurielles. Les travaux de l’historien Fernand Braudel apportent une perspective scientifique sur ces questions, mettant en lumière l’histoire démographique longue du territoire français.
Braudel est un représentant de l’École des Annales, courant théorique français du 20ème siècle fondé par Lucien Febvre et Marc Bloch, reposant sur une approche interdisciplinaire de l’histoire, qui tente d’en proposer une lecture globale et holiste, donnant la priorité au temps long. Pour comprendre le travail réalisé par Braudel dans son ouvrage L’Identité de la France, une analyse du premier tome, intitulé « Les hommes et les choses » et publié en 1985, permet de rappeler la démarche entreprise voilà près d’un siècle par cette généalogie d’historiens qui s’est fait connaître sous le nom d’École des Annales.
L’École des Annales et la sortie de l’histoire événementielle
L’École des Annales a contribué à renouveler la science historique en s’appuyant sur une démarche holiste visant à construire une histoire globale, sur le temps long, à la fois temporelle et spatiale. L’ambition est de saisir les mouvements historiques longs, en décrivant les dynamiques et les cycles, parfois multiséculaires, observables sur de longues périodes, en passant en premier lieu par l’écriture d’une histoire dite économique. Rien de mieux pour résumer la doctrine de cette école que les mots introduisant l’œuvre majeure de Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme :
« L’histoire dite économique, en train seulement de se construire, se heurte à des préjugés : elle n’est pas l’histoire noble. (…). Noble ou non noble, ou moins noble qu’une autre, l’histoire économique n’en pose pas moins tous les problèmes inhérents à notre métier (celui d‘historien) : elle est l’histoire entière des hommes, regardée d’un certain point de vue. Elle est à la fois l’histoire de ceux que l’on considère comme les grands acteurs, un Jacques Cœur, un John Law ; l’histoire des grands événements, l’histoire de la conjoncture et des crises, et enfin l’histoire massive et structurale évoluant lentement au fil de la longue durée. »
Par-delà l’écriture habituelle – jusque-là limitée à une historiographie s’appuyant sur les hauts faits militaires ou politiques d’une époque, sur les rois ou les reines – Braudel propose d’étudier l’histoire du peuple français à travers l’indicateur démographique ; seul indicateur pertinent sur le long terme, celui de la vitalité du territoire français, de son économie et de son bien-être, car « il n’y a d’histoire que d’hommes ». Il s’évertue à analyser les cycles longs de croissance et de décroissance de la population française depuis près de 2 millions d’années et de discerner des cycles et des régularités dans l’évolution démographique française.
Avant de tenter de comprendre les apports d’un tel travail aux débats sur la démographie et l’immigration actuels, suivons méticuleusement l’évolution, pas toujours linéaire, de l’histoire démographique du territoire qui s’appellera à partir du XIIIème siècle France et tentons de retracer les étapes clefs des enquêtes historiques de Braudel. Les chiffres qu’il avance à l’époque méritent parfois des corrections, du fait des apports récents de la recherche.
Des premiers habitants aux Celtes en passant par la révolution néolithique
Tout commence il y a près de 1,8 million d’années avec les premiers soupçons de la présence d’Homo Erectus sur le territoire français, présence reconnaissable grâce à des quartz taillés de main d’homme (ndlr : des travaux plus récents estiment cette date plutôt vers 1,1 million d’années). De cette période jusqu’aux environs de -500 av. JC, ce territoire, qui deviendra plus tard la France, sera continuellement peuplé. Tout au long de cette gigantesque période (1000 fois notre ère moderne que nous qualifions d’historique, c’est-à-dire écrite pas des témoins oculaires) les variations climatiques ont donné lieu à de nombreuses migrations Nord-Sud ; le territoire a en effet connu plusieurs âges glaciaires ainsi qu’un optimum climatique de près de 4000 ans à partir de -9000. Les premiers restes d’hominidés sont datés de -570 000 et appartiennent à l’Homme de Tautavel auquel succède ensuite Neandertal (les fameux hommes de Cro-Magnon) à partir de -350 000. Homo sapiens arrivera uniquement à partir de -43 000 avant JC, éradiquant en cinq millénaires les hominidés présents auparavant, même si certaines formes de métissage ont pu être observées dans notre ADN. Plusieurs périodes se succèdent ensuite jusqu’à la révolution néolithique et les premières communautés paysannes aux VIème et Vème millénaires avant notre ère. La révolution néolithique (le développement de l’agriculture, de l’artisanat et de la sécularisation des hommes) arrive en France par la Méditerranée et le Midi. Elle fait suite à l’installation de colonisateurs originaires de la vallée danubienne. Braudel souligne l’absence d’unité dans ce processus de « néolithisation » avec deux cultures qui se distinguent par leur technique de décoration des céramiques : le « rubané » et le « cardial ».
À partir de cette période, on observe une forte poussée démographique au cours de laquelle se succèdent la culture chasséenne et les trois âges du cuivre, du bronze et du fer. D’importants métissages culturels s’observent encore sur cette période avec des échanges commerciaux et culturels où la France joue pleinement son rôle d’intermédiaire entre la Méditerranée et l’Europe du Nord. Une des coupures culturelles les plus importantes est celle de l’arrivée sur le territoire français de nouvelles populations venues d’Outre-Rhin qui apportent avec elles une technique funéraire particulière : celle des champs d’urnes, qui viendra recouvrir les ¾ de la France. L’Âge du fer court ensuite de -700 jusqu’à la conquête romaine (guerre des Gaules de -58 à -50 av. JC). Celui-ci commence avec l’apparition de la culture Halstatt, des cavaliers venus de l’Est qui vont se superposer aux populations préexistantes (culture à l’origine de la fameuse tombe de Vix). Deux siècles plus tard arrivent enfin ceux que nous appelons aujourd’hui les Celtes, la civilisation dite « Tène », qui nous fait entrer une « protohistoire », d’après le terme employé par Braudel. Les Celtes arrivent à imposer leur langue sur tout le territoire français mais ne créent « ni les campagnes céréalières ni l’artisanat » qui existaient déjà.
D’importants métissages culturels s’observent encore sur cette période avec des échanges commerciaux et culturels où la France joue pleinement son rôle d’intermédiaire entre la Méditerranée et l’Europe du Nord.
La France, entonnoir migratoire multimillénaire
(…) on peut qualifier la préhistoire française par les termes d’accumulation et de mélange des populations, engendrant un métissage important où l’ensemble des types phénotypiques des Français modernes sont déjà apparents.
Au cours de ces temps longs, qu’en est-il alors de la population, du nombre des hommes habitant cette zone entre Rhin, Alpes et Pyrénées ? Braudel reprend l’image de Martonne qui représente l’Europe comme un entonnoir se rétrécissant en allant vers l’Atlantique. Les populations y sont prises comme dans une nasse, obligées de se mélanger au cours de processus multiséculaires voire multimillénaires. Braudel ajoute qu’on peut qualifier la préhistoire française par les termes d’accumulation et de mélange des populations, engendrant un métissage important où l’ensemble des types phénotypiques des Français modernes sont déjà apparents. Le passage à l’agriculture aurait permis dès -2000 de dépasser la barre des 5 millions d’habitants. À la veille de la conquête romaine, ce chiffre monte déjà probablement à près de 7 millions d’habitants. Avant même la romanisation, les invasions dites barbares ou encore la Grande Peste du 14ème siècle, la population de la France dispose déjà d’une base solide. Braudel avance une première remarque générale :
« Pour l’essentiel, les jeux biologiques sont déjà construits à la fin du Néolithique, que les mélanges ethniques sont en place et y demeureront. Les invasions qui suivront, et notamment celle des Celtes (…) se perdront peu à peu dans la masse des populations déjà installées, soumises, rejetées parfois hors de leurs terres, mais qui ressurgiront, s’étaleront, prospéreront à nouveau. Le nombre conserve sans doute. (…). Ce qui compte c’est la masse, la majorité en place. Tout s’y perd à la longue. »
Au cours des temps historiques (ceux dont il reste des traces écrites), l’analyse de la démographie permet d’identifier de manière précise des cycles et des dynamiques longues de prospérité ou de décadence de l’économie française. La conquête romaine au premier siècle avant JC fait débuter une ère de croissance rapide de la population française qui correspond aussi à l’apogée de l’Empire romain que Braudel situe vers Marc-Aurèle et Commode (IIème siècle de notre ère). La population aurait quasiment doublé, passant aux alentours de 12 à 14 millions d’habitants, avec près d’un million d’habitants urbains dès cette époque. Cette nouvelle poussée se lie à une grande densification du réseau routier, des échanges importants, en particulier via la Méditerranée. Ainsi Braudel montre que nos ancêtres les Gaulois sont en réalité le fruit d’un long processus de métissage de peuples divers, avec une grande diversité génétique et culturelle, héritée des nombreuses migrations et vagues de peuplement.
Ainsi Braudel montre que nos ancêtres les Gaulois sont en réalité le fruit d’un long processus de métissage de peuples divers, avec une grande diversité génétique et culturelle, héritée des nombreuses migrations et vagues de peuplement.
Une longue récession démographique entre 150 et 950
À partir de là, la Gaule romaine entre dans une longue période de récession démographique qui durera jusqu’à l’aube de l’an mille : invasion franque et alamane en 253, invasions de 275, grande invasion dite de Radagaise en 406. Avant même les invasions barbares officielles du Vème siècle, la Gaule entre en déclin : détérioration de la vie économique, repli des villes sur elles-mêmes qui édifient des remparts, crise de l’autorité de l’État. Commence une longue période que Braudel qualifie de « jacquerie » : les terres sont abandonnées ou laissées en friche, un monde de « sauvages » vivant dans les forêts et marécages voit le jour. Les grandes exploitations romaines, les latifundia, absorbent les petites exploitations et les petits propriétaires deviennent des esclaves. Le régime esclavagiste des latifundia s’étend, avec une population qui compte peut-être jusqu’à 1/3 d’esclaves. Pourtant, ce système nécessite un État fort pour maintenir les hommes au travail, faire des expéditions militaires pour trouver de nouveaux esclaves et empêcher les fuites. La détérioration du pouvoir romain s’accompagne alors d’un délitement de ce système esclavagiste et des révoltes paysannes – les bagaudes – voient le jour. Le ralentissement des guerres de conquête entraîne une crise extrêmement longue de ce système.
Les invasions barbares succèdent à cette décroissance démographique entamée en 150 et qui se termine en 950. La population diminuera entre un quart et un tiers au cours des invasions barbares. Aristocratie gallo-romaine et franque se mélangent. Cette baisse sur le long terme s’explique par une grande série de facteurs : fermeture de la Méditerranée avec le déclin de l’Empire romain et sa prise de contrôle par les arabes à partir du VIIème siècle, déclin du système agricole reposant sur l’esclavagisme, instabilité militaire permanente (invasions vikings normandes, pillages hongrois jusqu’au cœur du Xème siècle, guerre avec les Maures). La Bretagne est totalement recolonisée par des peuples venus d’Angleterre aux VIème et VIIème siècles.
On observe, de plus, une certaine forme de continuité dans le mouvement qui anime l’économie française à cette période. Le commerce méditerranéen est loin de disparaître totalement, le système agraire hérité de la Gaule romaine se perpétue à travers l’époque mérovingienne et carolingienne. L’époque mérovingienne (Vème-VIIème siècles) représente en réalité une lente synthèse des sociétés gallo-romaines et franques, un processus d’intégration et d’assimilation au long cours. Suit ensuite la période carolingienne, que l’on peut situer de la bataille de Tertry en 687 au sacre fusion d’Hugues Capet trois siècles plus tard. Elle commence probablement par un petit regain de la population, une continuité des échanges économiques mais, de 840 à 950, elle est à nouveau en déclin. La France devient une économie en marge des circuits commerciaux, l’or n’y circule quasiment plus. Ces longs siècles sont aussi ceux du développement du servage, qui ne sera totalement achevé qu’à l’aube de l’an mil. L’emprise des dynasties successives sur la vie des gens est en fait particulièrement restreinte. L’autorité effective des rois qui se succèdent ne s’étend pas à plus de quelques jours de leurs lieux de résidence (voir par exemple les travaux de Norbert Elias [2]).
Les quatre siècles suivants voient une progression forte et régulière de la population française. Braudel évoque la naissance d’une nouvelle modernité, avec un dépassement définitif de l’héritage romain pour aller vers une modernité urbaine, capitaliste et royale.
Les quatre siècles suivants voient une progression forte et régulière de la population française. Braudel évoque la naissance d’une nouvelle modernité, avec un dépassement définitif de l’héritage romain pour aller vers une modernité urbaine, capitaliste et royale. Les raisons de ce regain sont multiples : fin des invasions étrangères, ouverture de nouveaux marchés, commerce de longue distance, fixation des dernières populations nomades (Normands en 911). Il y a installation du servage pour remplacer l’esclavage. Ce sera le nouveau vecteur de progrès technique et d’organisation. De nouvelles terres sont mises en valeur, des marais sont asséchés et les forêts sont défrichées (voir figure ci-dessous). Ce phénomène que Braudel qualifie de « colonisation intérieure » part en premier lieu des campagnes et des paysans qui les habitent plus que des seigneuries ou des domaines ecclésiastiques. Parallèlement, les villes se développent dans un essor urbain majeur, rythmé par l’obtention de libertés des villes et l’écriture de chartes. Cette époque est aussi celle d’une certaine révolution industrielle avec la construction de 20 000 puis de 40 000 moulins à eaux, apportant l’équivalent de 600 000 hommes en matière de force de travail. Les foires de Champagne reliant la Hollande à l’Italie du Nord contribuent au florissement de l’économie française. La France et l’Europe quittent leur position marginale pré-millénaire et s’affirment comme pôle dominant. Les croisades marquent fortement cette période de croissance nouvelle de l’Occident.
Arrive alors le dernier grand recul économique et démographique de long terme, qui dure approximativement de 1350 à 1450. Sur cette période, la population passe d’une vingtaine de millions d’habitants à une petite dizaine. Cette chute brutale se répartit de manière inégale à travers le territoire et apporte plusieurs explications au grippage de la machine économique et démographique. Les terres encore disponibles sont trop pauvres pour nourrir de nouveaux habitants, le fisc royal pèse lourdement sur les chaumières. Surtout, cette période voit l’arrivée meurtrière de la Peste Noire qui décimera, en plusieurs vagues successives (début en 1348-1349), entre le tiers et la moitié de la population. La France perd son rôle de pôle d’équilibre et les foires de Champagne disparaissent progressivement. La Guerre de Cent Ans ravage pendant plus d’un siècle le pays, générant instabilité, pillages et destructions. Au sortir de cette période, c’est bien le Nord de l’Italie qui l’emporte avec le développement du capitalisme marchand à Florence, Gènes et surtout Venise.
À partir de 1450, la progression démographique est constante et d’une extrême régularité.
À partir de 1450, la progression démographique est constante et d’une extrême régularité. On entre dans un cycle long et ascendant qui ne connaît d’un point de vue démographique, en dépit de tous les événements historiques marquants, aucun accroc. Depuis cette époque, la France n’a plus jamais connu de régression catastrophique comparable à celle traversée entre 1350 et 1450. Pour justifier cette thèse qui met de côté de manière abrupte les innombrables événements depuis 1450, Braudel cite Pierre Chaunu :
« Pour l’historien, l’indicateur démographique constitue la jauge, la ligne de vie, la ligne de flottaison… Il n’y a d’histoire que d’hommes. ». (Braudel, Les hommes et les choses)
L’histoire démographique de ces six derniers siècles peut tout de même se diviser en quatre périodes, avec un premier essor qui court jusqu’en 1600, une croissance freinée, contenue jusqu’en 1750, la transition démographique entre 1750 et 1850 et enfin, la dynamique de croissance exponentielle moderne. Cette question demeure l’une des questions non-résolues les plus fameuses des études démographiques. Braudel propose quelques pistes d’explication. Il détaille notamment l’évolution très précoce des pratiques contraceptives, probablement liée à une déchristianisation précoce dans certaines régions. Deux pistes d’explications sont possibles. Il reprend l’explication culturelle d’Alfred Sauvy, pour qui la restriction des naissances en France est la conséquence d’une libération des hommes habitant la France des contraintes, de l’enseignement et du joug de l’Église, sorte de choc en retour de la Réforme. L’autre explication est démographique. Braudel avance l’hypothèse que la France est déjà, en 1750, un pays surpeuplé avec une densité de 50 habitants/km2, tandis que l’agriculture est encore très peu développée.
Au-delà du roman national cher à l’extrême-droite, une histoire démographique et migratoire qui ne tolère pas les simplifications
Que retenir de cette enquête multimillénaire proposée par Braudel ? Quels enseignements pour éclairer notre XXIème siècle ? Tout d’abord un enseignement méthodologique, celui d’une manière d’appréhender et d’étudier notre passé et notre présent. Prônée par l’École des Annales, elle « rejetait sur les marges l’événementiel, répugnait au récit, s’attachait au contraire à poser, à résoudre des problèmes et, négligeant les trépidations de surface, entendait observer dans la longue et la moyenne durée, l’évolution de l’économie, de la société, de la civilisation ». Une philosophie qui entre en résonance avec la nécessité de notre époque de prendre du recul, à contre-courant des réactions à chaud, des analyses instantanées, du commentaire à visée polémique.
Autre enseignement, celui consistant à prendre du recul face aux velléités de construction d’un roman national unique ancré dans les dynasties royales, les grands hommes et les grandes batailles. L’histoire de France est avant tout celle des grandes masses qui y vivent depuis la nuit des temps. Une histoire qui progresse au ralenti, dans un processus multiséculaire, et dépend en grande partie des évolutions techniques et agricoles. Par-delà ces événements présentés comme des chocs (Conquête de César, invasions barbares, Clovis, Charlemagne, Louis XIV, Révolution, Napoléon), l’histoire longue de la France présente de nombreuses continuités – démographique, économiques, culturelle, humaines – et similarités entre les époques.
Autre élément intéressant, que Braudel ne fait qu’effleurer : celui du lien entre énergie et population. Plus d’hommes et de femmes signifie plus d’énergie nécessaire pour toute une série de travaux (labours, grain, ateliers). Les augmentations de la population sont intimement liées à celle de l’utilisation de l’énergie. Pour cela, il suffit d’observer la taille des forêts françaises qui diminue à chaque augmentation de la population (cf. graphique). Or, la forêt a pendant des millénaires été la source d’énergie ultra-majoritaire des sociétés prémodernes. De même, que ce soit avec l’augmentation massive des moulins du Xème au XIIIème siècle ou de celle de l’énergie fossile à partir du XIXème, ce lien est toujours visible.
Enfin, le travail de Braudel offre quelques éclairages nouveaux sur la question de l’immigration en France. L’histoire migratoire du territoire français est une histoire nuancée, où la nécessaire prudence exclut les simplifications et les lieux communs. La population française est le fruit d’un très long métissage depuis l’arrivée de Sapiens il y a 43 000 ans et tout au long de la Préhistoire et de la révolution néolithique. Braudel souligne une certaine stabilisation à la fin du Néolithique vers -1800 avec une population qui préfigure déjà la population française moderne. De nombreux peuples se sont fondus sur ce territoire, se sont acclimatés, intégrés et métissés. Parfois, ils furent la cause de grands bouleversement culturels, économiques ou militaires, parfois ils cohabitèrent et se fondirent au long terme dans la population préexistante. Ainsi en est-il des Celtes, des Romains, des Francs, des Burgondes, des Visigoths, des Normands et ce jusqu’aux vagues d’immigrations récentes (Italiens, Polonais, Portugais, Maghrébins). Pour Braudel, la population déjà présente a toujours fini par intégrer les populations nouvellement arrivées, se mêlant à eux, adoptant parfois de nouvelles techniques funéraires, digérant les dieux nouveaux et utilisant certaines pratiques organisationnelles nouvelles.
Face à cette histoire, les théories du grand remplacement ne font pas long feu. L’INSEE estime que le chiffre annuel de l’immigration fluctue entre 150 000 et 200 00 nouveaux entrants par an (soit entre 0,2 et 0,3% de la population), originaires principalement d’Afrique (41%), d’Europe (31%) et d’Asie (14,4%) [3]. Nous sommes bien loin des chocs démographiques du passé. Ainsi, les arguments et les représentations véhiculés dans l’espace politico-médiatique ne sauraient être évalués et validés en faisant fi des travaux scientifiques rigoureux sur l’histoire du peuplement et des évolutions démographiques dans le pays.
Bibliographie :
[1] Airvaux et al. 2012, « La conquête de l’ouest il y a un million d’années en Europe (Premières présences humaines en France entre 1,2 et 0,5 million d’années) »
[2] Norbert Elias, La dynamique de l’Occident
[3] INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212