Fronde des futurs avocats contre l’augmentation des frais d’inscription : vers un système à l’américaine ?

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© Raphaël Chekroun

Se dirige-t-on vers un système à l’américaine où l’enseignement supérieur et l’accès à certains métiers est conditionné à la fortune de chacun ? Reportage avec ceux qui mènent la fronde contre l’augmentation des frais d’inscription à l’école d’avocat.

Voilà qu’on décide de faire une sélection par l’argent

L’information est d’abord passée inaperçue. Vendredi 3 Février, 2017, l’Assemblée Générale du Conseil National des Barreaux (l’organe qui représente les avocats) adresse au Ministre de la Justice des propositions pour redresser financièrement les CRFPA (les Centre Régionaux de Formation à la Profession d’Avocat).

Parmi ces propositions, il y a l’augmentation de la contribution d’Etat (10%1 seulement du financement actuel des CRFPA) mais également l’augmentation des frais d’inscription (30% du financement, le reste est financé par la profession d’avocat).

Quand Mahjoub Maireche entend parler de cette proposition de réforme, en suivant plusieurs publications sur Facebook, il est choqué. Cela fait longtemps que l’on veut restreindre l’accès à la profession d’avocat et plutôt que par le mérite, le travail et l’effort, voilà qu’on décide de faire une sélection par l’argent. Il fait part de sa révolte dans un premier post sur Facebook, et puis, suite à la réception de plusieurs messages de soutiens, il décide d’en faire une pétition.

“Il faut de la justice sociale.”

 

petitionCette pétition condamnant une “mesure discriminante”, est partagée dans quelques groupes d’entraide au concours du barreau, et a eu un succès immédiat : 4 000 signatures en quelques jours (alors qu’aucun média généraliste n’a évoqué la question.)

Contacté par LVSL, Mahjoub Maireche trouve cette décision “violente” et “inégalitaire.” C’est autant le citoyen que le juriste qui se révolte en lui : “Il faut de la justice sociale. On est beaucoup à être étudiants précaires, on n’a pas tous les moyens de payer 2250 euros, qui s’ajoutent à l’inscription à l’IEJ – Institut d’Etude Judiciaire, inscription obligatoire pour passer le concours d’entrée au CRFPA – , l’inscription en Master, et sans oublier que des étudiants de milieux modestes sacrifient leurs économies pour payer des prépas privées… “

Depuis, beaucoup de messages d’étudiants choqués lui ont été envoyés, manifestant leur incompréhension à l’égard de cette éventuelle réforme, proposée sans consulter les premiers concernés, sans aucune forme de concertation.

Venant lui-même d’un milieu défavorisé, il n’a pas hésité à donner une tonalité sociale à la pétition, refusant de tenir un discours aseptisé. Cette crainte d’une uniformisation du profil social comme réponse aux évolutions du monde de l’avocature est partagée. La précarisation des gens en robe est un phénomène qui ne date pas d’hier, le nombre d’avocat ayant grandement augmenté ces dernières années, cette mise en compétition objective aboutit à une insécurité croissante et une détérioration des conditions de travail et du niveau de vie des avocats. Ne faudrait t-il pas plutôt investir dans la Justice plutôt que de réagir aux évolutions d’une profession en voulant la faire revenir au début du XXe siècle, quand elle était réservée aux seuls aristocrates, aux fils de notaires et de députés ?

Système à l’américaine vs luttes des classes 2.0

chiffres avocatSi le métier d’avocat dispose toujours d’un prestige symbolique, cela n’empêche pas un nombre croissant de juristes d’abandonner leur passion pour se tourner vers des métiers plus sécurisés, comme juriste d’entreprise, parfois vers un métier complètement différent.

Cette évolution fait écho à celle de l’augmentation générale du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur et la recherche. Pour donner une idée, il y a autant d’étudiants en droit aujourd’hui (209 000 en licence et master2) qu’il y avait d’étudiants en France dans les années 30 !

Ce savoir technique, juridique et politique, cette richesse intellectuelle devrait être une chance pour la République et l’ensemble du corps social mais il semble que la réaction choisie soit celle de la conservation d’un monopole, plutôt que la démocratisation des savoirs. Cette réaction est à mettre en parallèle avec la situation actuelle des Universités : baisse des moyens, austérité partout, amphithéâtres bondés, TD supprimés, thésards précaires, etc. C’est donc bien une question d’intérêt général qui se joue ici.

Quand on demande à Mahjoub s’il a conscience de faire un peu de “la lutte de classe 2.0″ il répond naturellement : ” Tout à fait ! Il y a un aspect lutte des classes. Bon, c’est limité, c’est pas la Révolution. Mais il n’y a que les étudiants vraiment aisés qui ne semblent pas comprendre la revendication, ils disent vouloir un enseignement de qualité… Mais je paierai déjà des charges quand je serai avocat, et puis on ne veut pas d’un système à l’américaine où l’on est endettés pour 20 ans. De toute façon, je pense que personne ne veut ça en France.

Rappelons que Barack Obama, qui était étudiant en droit a fini de payer son prêt étudiant alors qu’il était déjà… Président des Etats-Unis d’Amérique.

Le projet de ceux qui mènent la fronde est de continuer à mobiliser des médias et d’envoyer la pétition au Conseil National des Barreaux ainsi qu’au Ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, quand elle aura atteint un nombre significatif de signataires.

Vous pouvez signer la pétition de Mahjoub Maireche et soutenir cette cause en cliquant ici.

1http://cnb.avocat.fr/Financement-des-CRFPA-propositions-de-mesures-de-redressement_a2914.html

2http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2016/04/3/NI_16.11_-_Etudiants_universites_2015-2016_689043.pdf

Crédits : © Raphaël Chekroun