Que s’est-il passé au G20 ? L’attention des journalistes a été accaparée par le comportement facétieux d’Emmanuel Macron. Par “l’alchimie” qui s’est dégagée de la rencontre Trump-Poutine. Ou encore par cette mystérieuse devise: “formons un monde connecté”. Les enjeux sociaux, économiques et écologiques de cette conférence ont été assez peu abordés. Pourtant, ils ne sont pas difficiles à cerner. Dans cette conférence du G20 comme dans les précédentes, c’est le consensus néolibéral qui a prévalu. Ces deux journées se sont achevées sur des déclarations d’amour au libre-échange et au libre marché. Au risque de contredire les autres objectifs que s’était fixée cette conférence : aide au développement, lutte contre la pauvreté, lutte contre le réchauffement climatique…
Cette rencontre s’est déroulée dans un contexte très tendu. 20.000 manifestants ont défilé dans la ville de Hambourg pour demander des comptes aux chefs d’Etat. La liste de leurs griefs était longue. Les gouvernements seraient responsables de la domination de la finance, de la toute-puissance des multinationales, du pillage des ressources de la planète… À les entendre, le G20 apparaît comme l’incarnation de cet ordre social et économique qui prévaut aujourd’hui.
Leurs reproches à l’égard de l’institution sont-ils justifiés ?
Hégémonie néolibérale et pro-occidentale
Cette institution a été créée en 1998 en réponse à la crise financière mondiale de l’époque. Elle rassemble dix-neuf pays (plus l’Union Européenne), industrialisés et émergents. Le déséquilibre est criant en faveur des Occidentaux. Le continent africain n’est représenté que par un seul gouvernement (l’Afrique du Sud) ; le Moyen-Orient n’est représenté que par un seul gouvernement, qui est loin de faire consensus dans la région (l’Arabie Saoudite). L’Europe de l’Est n’est tout simplement pas représentée : aucun gouvernement situé entre l’Est de l’Allemagne et l’Ouest de la Russie ne siège au G20. Les dirigeants américain et russe ont discuté de l’Ukraine et de la guerre par procuration qui s’y joue, sans représentant ukrainien ; ils ont discuté de la guerre civile syrienne, sans représentant syrien.
Le bloc ouest-européen et nord-américain quant à lui, qui représente moins de 10% de la population mondiale, est représenté par 6 pays au G20 (Etats-Unis, Canada, Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie), plus l’Union Européenne. L’hégémonie du bloc euro-américain ne s’arrête pas là, puisque parmi les autres pays du G20 on en trouve un certain nombre qui possèdent des bases américaines sur leur territoire (Arabie Saoudite, Corée du Sud, Japon), ou qui s’intègrent globalement dans la logique géopolitique occidentale.
Le même constat peut être dressé à propos des solutions socio-économiques proposées par le G20. Le consensus néolibéral domine sans partage, même parmi les gouvernements qui y sont traditionnellement hostiles. L’Argentine et le Brésil y sont désormais favorables depuis l’élection de Mauricio Macri en Argentine et du putsch institutionnel de Michel Temer au Brésil. L’Inde de Narendra Modi est également acquise aux recettes néolibérales.
La Russie de Vladimir Poutine, dont les intérêts géostratégiques sont profondément distincts de ceux des Occidentaux, ne conteste pas leur vision du monde sur le plan socio-économique, si ce n’est de manière conjoncturelle et circonstancielle.
Plusieurs institutions internationales sont représentées au G20 ; entre autres, le FMI et l’OIT (Organisation Internationale du Travail). On devine sans peine laquelle des deux a le plus d’influence dans les débats qui ont lieu au G20…
Néolibéralisme et libre-échange comme remèdes
La crise sociale et économique globale affecte certains pays du G20 en particulier, où la pauvreté et le chômage ont considérablement progressé. C’est le cas de l’Italie, où le chômage des jeunes atteint désormais 40% ; c’est le cas du Mexique, où le taux de pauvreté s’élève désormais à 46%… Face à ces enjeux, les remèdes économiques proposés n’ont rien de bien original ; ils ne varient guère depuis les années 70. Ce G20 s’inscrit en parfaite continuité avec la politique économique qui prévaut depuis des décennies. Le texte final du G20 préconise d’obéir aux commandements habituels du néolibéralisme : dérégulations (pudiquement évoquées sous l’appellation “réformes structurelles”), diminution des dépenses publiques et libéralisation du commerce. Le protectionnisme, selon la déclaration finale, doit être “combattu”.
Cette profession de foi est placée sous le patronage de la Banque Mondiale, du FMI et de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), la sainte trinité qui a encouragé la mise en place de toutes les politiques néolibérales depuis les années 90. La déclaration finale du G20 fait appel à ces institutions pour la mise en place d’un “environnement favorable aux investissements”… Ces déclarations vont dans le sens des accords de libre-échange qui ont récemment été signés par les Etats-membres du G20, que ce soit le CETA, entre Canada et l’Union Européenne, ou le JEFTA, entre le Japon et l’Union Européenne.
Les enjeux sociaux sont évoqués, à l’aide de tournures euphémistiques ou de manière indirecte. Le terme de “pauvreté”, de manière assez significative, n’apparaît qu’une seule fois dans un rapport de quinze pages. Le terme de “faim” n’apparaît lui aussi qu’une seule fois, alors même que ce fléau est l’un des premiers facteurs de mortalité dans le monde…
Les solutions que le G20 propose aux problèmes sociaux sont elles aussi inspirées de la doxa néolibérale ; ainsi, le texte final fait appel aux bons conseils du FMI pour favoriser les investissements en direction de l’Afrique… On ne peut s’empêcher de sourire en lisant que le G20 s’engage à “encourager” les multinationales à respecter le Droit International du Travail. Il est vrai que les multinationales n’ont besoin de rien d’autre qu’un simple et amical “encouragement” pour payer décemment leurs employés…
Comment interpréter la politique économique de Donald Trump ?
Les analystes français n’ont pas manqué de mettre l’accent sur la divergence entre les déclarations protectionnistes de Trump et les positions libre-échangistes des dirigeants européens. En réalité, l’attitude protectionniste des Etats-Unis n’est pas une nouveauté. Sous Barack Obama, l’économie américaine était déjà l’une des plus protectionnistes du monde occidental. Le gouvernement américain mène traditionnellement une politique protectionniste vis-à-vis de son marché intérieur et libre-échangiste lorsqu’il s’agit des autres pays. Cette stratégie s’accorde très bien avec les intérêts des grandes entreprises multinationales qui siègent aux Etats-Unis : pour conserver une situation de monopole sur le marché intérieur et ne pas subir la concurrence venue du monde entier, rien de tel qu’un renforcement des barrières douanières… à condition qu’elle ne s’accompagne pas d’une riposte du monde entier. Les déclarations de Donald Trump s’inscrivent dans la continuité des méthodes de ses prédécesseurs.
Le président américain a fini par signer le texte final, qui promeut le libre-échange à condition qu’il autorise des mesures protectionnistes de circonstance. Ainsi, la déclaration finale, qui “condamne le protectionnisme”, a été acceptée par le président américain.
Climat : au-delà du retrait de Trump…
Dans sa déclaration finale, le G20 se targue d’avoir proposé des solutions “concrètes et collectives”. “Collectives”, elles ne le sont pas puisque Donald Trump se retire de l’accord de la Cop 21, comme l’a par ailleurs avalisé le G20. “Concrètes”, elles le sont encore moins, puisque hormis un attachement aux clauses de la Cop21 (qui, rappelons-le, ne sont absolument pas contraignantes), on ne trouve aucun engagement de la part des Etats signataires. En revanche, un blanc-seing est accordé à Donald Trump pour l’extraction des gaz de schiste aux Etats-Unis ; la déclaration finale de la Cop 21 avalise même le fait que Etats-Unis vont aider d’autres pays à “avoir accès et utiliser les ressources fossiles”. Blanc-seing à Trump, donc. Il faut dire que donner des leçons à Donald Trump serait pour le moins malvenu de la part d’un certain nombre d’Etats-membres du G20… Emmanuel Macron, qui s’était indigné du retrait de Donald Trump des accords de Paris ne prévoit rien de moins, en France… que d’ouvrir des mines ; on garde aussi à l’esprit sa récente capitulation au sujet des perturbateurs endocriniens : son gouvernement a avalisé la semaine dernière la politique de la Commission Européenne, extrêmement peu contraignante vis-à-vis de ces derniers.
Justin Trudeau, présenté comme le héraut de la cause écologiste, est sur le point d’avaliser la construction d’un méga-pipeline qu’avait rejeté le gouvernement de Colombie-Britannique à cause de ses conséquences néfastes sur l’environnement. Le blanc-seing accordé à Trump n’a donc rien que de très logique. Au crédit des Etats-membres du G20, il faut reconnaître qu’il est de toutes manières plutôt difficile de concilier néolibéralisme et environnementalisme…
Beaucoup de bruit pour rien ? C’est la conclusion qu’on est tenté de tirer de cette dernière réunion du G20. Hormis les professions de foi libérales, les poignées de main symboliques et les accords de principe sur la préservation des ressources naturelles, rien de décisif n’aura été acté. Ce sommet est en revanche l’occasion de prendre la mesure de la toute-puissance de l’hégémonie néolibérale dans le monde ; et du degré de libéralisme que les gouvernements du G20 se préparent à injecter dans l’économie et dans la société…
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