Grands enjeux énergétiques français : l’intégration des énergies renouvelables

Malgré l’arrêt brutal de notre économie entraînant la réduction drastique de nos consommations énergétiques, impossible d’échapper au débat sur le nucléaire français. Bernard Accoyer, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg ont récemment fait irruption dans le débat public en signant un appel à la construction de nouveaux réacteurs alors même que les pouvoirs publics sont encore embourbés dans le cas de l’EPR de Flamanville en construction depuis 2007, et dont le coût ne cesse de grimper. Dans le même temps, le Réseau de Transport d’Électricité (RTE) et l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) publiaient leur étude sur la faisabilité d’un mix électrique français à forte part de renouvelables. Tentons donc dans cet article de cerner brièvement quelques grands enjeux liés à l’énergie en France, en particulier celui de l’intégration massive des énergies renouvelables (EnR) dans le réseau et les conditions permettant d’assurer la stabilité de celui-ci.

Le changement climatique est désormais une réalité. Il nous faut donc atteindre la neutralité carbone. La France s’y est engagée pour 2050 à travers la Stratégie Nationale Bas-Carbone [1], qui fixe la dynamique de transition et le rythme de décarbonation de l’économie. Rappelons-le, les principales sources d’émissions sont le transport (29%), le résidentiel/tertiaire (17%), l’agriculture (17%), l’industrie (11%) et la production d’énergie (10%) (voir Figure 1).

Ministère de la Transition Écologique, Rapport sur l'état de l'environnement, 2016
Ministère de la Transition Écologique, Rapport sur l’état de l’environnement, 2016

Les émissions dans ces secteurs sont principalement dues à la consommation d’énergies fossiles. En France, environ 65% de l’énergie consommée est d’origine fossile (pétrole, gaz, charbon) et donc fortement émettrice de gaz à effet de serre (voir Figure 2). L’enjeu de la Stratégie Nationale Bas-Carbone est donc de réduire cette dépendance aux énergies fossiles. Deux leviers doivent être principalement activés : d’une part la sobriété et l’efficacité en réduisant les consommations via les rénovations thermiques, la limitation du poids des véhicules, l’utilisation de technologies moins intensives en énergie, etc. D’autre part, il va falloir électrifier une partie conséquente de nos consommations afin que l’électricité se substitue aux carburants fossiles. Alors que la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie est d’environ 25%, elle pourrait passer à une part bien plus importante dans les années à venir pour atteindre jusqu’à 55% de l’énergie consommée en 2050 [2]. L’électrification comprend par exemple l’arrivée massive des véhicules électriques ou encore le remplacement des chauffages au fioul puis au gaz.

Part des différentes filières dans la consommation finale d’énergie. L’électricité (EnR + hors EnR) représente environ 25%), ADEME, septembre 2020
Part des différentes filières dans la consommation finale d’énergie. L’électricité (EnR + hors EnR) représente environ 25%), ADEME, septembre 2020

La production d’énergie électrique propre et décarbonée est donc un des enjeux-clés de la transition écologique. Rappelons qu’à l’heure actuelle, la France produit une des électricités les moins intensives en émissions de l’Union Européenne (le fameux « mix électrique »), et cela en grande partie grâce à son parc nucléaire qui produit une électricité pilotable [3]. Dans ce cas, si nous sommes déjà climato-compatibles, pourquoi vouloir changer et passer au 100% énergies renouvelables (EnR), comme le proposent plusieurs instituts et plusieurs stratégies de transition ? Deux raisons principales peuvent expliquer la nécessité de planifier l’évolution de la composition du système électrique français des années à venir.

D’une part, nous l’avons déjà souligné, l’électrification des usages va mécaniquement faire augmenter les besoins de production électrique (sous l’hypothèse que la demande supplémentaire dépassera les économies dues à la sobriété). D’autre part, une part importante du parc nucléaire français arrive en fin de vie et la gestion d’une partie des déchets nucléaires pose des difficultés. Plusieurs centrales entament entre 2019 et 2023 leur quatrième visite décennale [4]. Initialement, les centrales nucléaires sont conçues pour fonctionner 40 ans et fermer ensuite. La réalisation d’importants travaux (le fameux grand carénage dont le coût, estimé récemment à 49,4 Mds€ par EDF [4bis], est régulièrement mis en avant par les détracteurs du nucléaire) peut permettre de prolonger la durée de vie de certaines centrales au-delà de la date fatidique, ce qui a notamment été fait massivement aux États-Unis. Toutefois, que ce soit maintenant, dans 10 ans ou dans 20 ans, une part importante des réacteurs français devra un jour fermer et ne pourra plus fournir ses électrons au réseau électrique.

Face à ces deux contraintes, deux grands scénarios sont envisageables : 

– Un renouvellement massif du parc nucléaire, accompagné de l’ouverture de plusieurs nouveaux réacteurs de la dernière génération EPR. Cela signifierait donc une part importante de nucléaire dans le mix énergétique (50% par exemple).

– Une transition qui tend vers un système électrique 100% énergies renouvelables et de récupération.

La première option fera probablement l’objet d’un article plus détaillé sur sa faisabilité, ses enjeux techniques et son coût. L’option choisie actuellement par le politique est celle d’une intégration progressive des EnR dans le mix-électrique. Les gouvernements successifs n’ont pas encore choisi définitivement la stratégie à adopter concernant cette intégration, entre reconstruction partielle du parc nucléaire (EDF étudie la possibilité de construire un EPR à Penly, en Bretagne) ou bien fermeture progressive de toutes les centrales en amorçant une transition vers les énergies renouvelables plus soutenue. Actuellement, l’option choisie est donc celle d’une répartition des risques avec une diminution de la part du nucléaire visant 50% à l’horizon 2035 [5]. Notons toutefois un certain retard pris au niveau national vis-à-vis des objectifs de développement de capacités renouvelables [5bis]. Dans la suite de cet article, nous allons tenter d’éclairer les enjeux de l’intégration massive des énergies renouvelables. 

Les enjeux de l’intégration massive des énergies renouvelables dans le mix électrique français

Tout d’abord, il convient de rappeler quelles sont les contraintes qui pèsent sur le réseau électrique. Le système doit respecter la contrainte d’équilibre c’est-à-dire qu’à tout instant la production doit égaler la consommation. Cela signifie que la production doit être capable de répondre aux pics de consommation (les pics journaliers pendant les heures de forte consommation et les pics annuels pendant les grands froids d’hiver) et de diminuer pour les périodes de faible demande. Par ailleurs, l’équilibre se fait maintenant à l’échelle européenne avec 400 interconnexions entre pays de l’Union Européenne [6]. Pour assurer la stabilité du réseau européen, il faut que la fréquence du réseau (la vitesse à laquelle tournent les alternateurs) soit toujours proche de 50 Hz (contrainte en fréquence). Pour cela, une partie de la puissance des moyens de production est gardée en réserve pour ajuster à chaque instant la fréquence du réseau [7].

Afin d’assurer l’équilibre, on peut stocker l’énergie quand elle est en surplus pour pouvoir la réutiliser plus tard. On peut également lisser la consommation via différents mécanismes (tarifs heures creuses) ou bien limiter certaines dépenses énergétiques lorsque la production dépasse la demande.

Regardons maintenant en quoi l’intégration massive d’énergies renouvelables peut soulever certaines difficultés pour assurer l’équilibre offre/demande sur le marché de l’électricité. 

Le renforcement du réseau

Le passage à un mix électrique donnant une place importante aux énergies renouvelables pose tout d’abord des questions de renforcement du réseau. En effet, actuellement, la majorité de notre production électrique est concentrée autour de quelques gros sites de production (barrages et centrales thermiques nucléaires, gaz et charbon) puis distribuée aux consommateurs, ménages et industries. La production est donc centralisée et la consommation éparpillée. Le développement des EnR va créer une multitude de lieux de production, comme des panneaux solaires sur les toits des bâtiments, des éoliennes onshore et offshore. La production et la consommation seront donc éparpillées. Les besoins en renforcement du réseau de transport et de distribution vont donc fortement augmenter.

La gestion du réseau au jour le jour risque donc d’être plus difficile et de devoir faire appel à des outils informatiques bien plus performants que ceux qui existaient jusqu’ici, afin d’éviter les risques de congestion. En Allemagne par exemple, 80% des congestions sont dues à l’intégration des EnR. Par ailleurs, il se peut que la production ne se fasse pas là où les besoins de consommation sont importants. L’exemple de l’Allemagne est là encore assez marquant. La production d’éoliennes se fait ainsi au Nord de l’Allemagne, en Mer du Nord et en Mer Baltique, tandis que la consommation énergétique industrielle se fait plutôt dans le sud du pays (Bade-Wurtemberg, Bavière) [8].

Toutefois, de nombreuses études prospectives de gestion de ce réseau ont été menées et montrent qu’un réseau répondant aux exigences de distribution et de consommation est a priori réalisable. L’opérateur de transport RTE, entreprise publique monopolistique de fait assurant le transport de l’électricité en France, a ainsi développé son Schéma de développement décennal du réseau électrique qui répondrait à l’ensemble des enjeux pesant sur le réseau [9].

La gestion de l’intermittence

Le caractère intermittent de certaines énergies renouvelables est souvent mis en avant comme argument contre leur déploiement massif. En effet, que ce soit le photovoltaïque ou l’éolien, la puissance fournie à chaque instant va dépendre de la météo (temps couvert, vent). Par exemple les éoliennes sont à l’arrêt quand le vent ne souffle pas mais aussi quand il souffle trop fort (tempêtes) pour des raisons de sécurité.

La puissance des éoliennes est proportionnelle au cube de la vitesse du vent. Ainsi, de faibles variations de vent ont un impact important sur la puissance fournie, chose pouvant potentiellement affecter la stabilité du réseau si la part modale des éoliennes devait devenir très importante dans notre mix électrique. Par exemple, la production renouvelable allemande, principalement composée de PV et d’éolien peut être très variable, fournissant parfois jusqu’à 80% de l’électricité allemande et parfois seulement 15% [10]. Actuellement, lorsque la production renouvelable est basse, certains pays allument des centrales thermiques (charbon ou gaz) ou bien achètent de l’énergie à leurs voisins.

En France, si les capacités nucléaires sont déjà utilisées au maximum, ce qui arrive de plus en plus souvent en raison de pics de consommation, on allume certaines des 4 dernières centrales à charbon sur notre territoire. Ces dernières sont toutefois amenées à être fermées avant 2022 (engagement présidentiel). Cependant, dans un réseau 100% renouvelable, il ne sera plus possible de démarrer des centrales thermiques pilotables, ce qui explique la volonté pour certains de garder des réacteurs nucléaires pilotables dans le mix électrique. Dans un réseau où la part d’énergies renouvelables augmente et où la part de moyens de production pilotables (centrales thermiques par exemple) diminue, comment gérer l’intermittence ? 

Adapter la production ?

Tout d’abord, l’idéal serait que les moyens de production renouvelables ne soient pas intermittents au même instant. Pour donner une image simple, quand le vent s’arrête au large de la Bretagne, le soleil se mettrait à briller ailleurs en France, compensant donc l’intermittence. L’association de plusieurs moyens de production dans différents lieux permettrait alors d’assurer l’équilibre du réseau et de compenser les baisses de production de tel ou tel site. C’est l’hypothèse du foisonnement qui permettrait de contrebalancer l’intermittence des énergies renouvelables prises individuellement. Toutefois, cette hypothèse est souvent remise en question et n’est pas systématiquement observée dans les faits. 

Pour surmonter les limites du foisonnement, la principale réponse technique est celle du stockage. Actuellement, l’énergie est très peu stockée car son coût est assez élevé. Rappelons tout de même que certaines énergies renouvelables sont elles aussi rendues pilotables grâce à des systèmes de stockages à bas coût.

Un premier moyen de stocker de l’énergie est de développer des STEP (Stations de Transfert d’Energie par Pompage), système consistant à faire remonter de l’eau par pompage dans des bassins d’accumulation lors des pics de production pour la relâcher lorsqu’on a besoin d’énergie [11].

L’énergie hydraulique devient alors pilotable dans la mesure où il suffit simplement d’ouvrir et de fermer les vannes. Toutefois, les perspectives de développement des STEP sont limitées en raison du haut niveau d’utilisation actuelle des possibilités offertes par le réseau hydraulique français. 

Les modélisations de systèmes 100% renouvelables misent par ailleurs sur un rôle-clé des biogaz et des processus de méthanisation, consistant à faire fermenter des déchets naturels puis à les brûler. Cela revient à avoir une centrale biogaz pilotable. On peut aussi émettre des hypothèses sur le développement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie qui pourrait être stocké. L’hydrogène utilisée comme moyen de stockage est toutefois encore en cours de développement et le coût de production d’hydrogène par des processus verts est encore peu compétitif à l’heure actuelle. 

Il existe donc de nombreux moyens de stocker l’énergie, et d’autres encore que nous n’avons pas développés ici (stockage thermique, stockage sur batteries, etc). Toutefois, à l’heure actuelle, les technologies de stockage ne semblent pas encore être assez mûres pour répondre aux besoins de flexibilité du réseau. 

Tarir la demande excessive ?

L’enjeu principal serait alors de lisser les pics pour adapter au maximum la consommation à la production (aussi appelé effacement de la consommation ou lissage de la courbe de charge). Comme nous l’avons déjà évoqué, il existe par exemple des tarifs heures creuses incitant notamment les consommateurs d’énergie (notamment les industriels) à déplacer leurs pics de consommation sur les horaires de moindre consommation nationale.

Toutefois, ce mécanisme sera loin d’être suffisant en cas d’électrification massive des consommations. En particulier, le développement de la voiture électrique pourrait mener à une situation où tout le monde charge sa voiture le soir, en rentrant du travail. Certaines technologies comme le Vehicle To Grid (V2G) proposent justement de se servir des batteries de voitures comme d’un stock d’électricité dans lequel puiser en cas de pic de consommation. La recharge devenant bidirectionnelle, lorsque le véhicule est branché, la batterie se recharge normalement, sauf en cas de production électrique inférieure à la demande. Dans ce cas, le réseau puisera sur la batterie du véhicule pour pallier le manque d’approvisionnement.

L’amélioration du pilotage nécessite d’augmenter fortement la connaissance sur les profils de consommation d’électricité générant un nombre considérable de données. L’idéal (technique) serait ensuite de piloter à distance certaines consommations. Pour ne prendre que l’exemple simple des vehicle to grid, telle voiture serait alors rechargée entre 9h et minuit, telle autre entre minuit et 3 heures et ainsi de suite. La fin de vie des batteries des véhicules peut également être utilisée pour le stockage d’électricité. En effet, lorsque la batterie a perdu de son efficacité, elle devient inutilisable pour un usage de mobilité (autonomie devenue trop faible notamment). Elle peut cependant être reconditionnée et servir de stockage d’électricité pour un bâtiment par exemple. 

D’autres mesures de pilotage de la consommation d’électricité permettent également de tarir les pics. En effet, nos appareils électriques en veille captent la production de 2 à 3 réacteurs nucléaires, il suffirait donc de débrancher quelques-uns de nos appareils pour faire face aux pics de consommation. Cela semble trop simple, mais c’est à peu près ce en quoi consiste la technique de l’effacement diffus.

En installant des boitiers connectés dans les espaces consommateurs d’électricité (logements, magasins, lieux publics, etc), il serait possible en cas de pic de consommation, de cesser d’alimenter certains appareils de manière précise et pour une courte durée, de façon à ce que ce soit imperceptible.

Par exemple, si le chauffage d’un appartement cesse de fonctionner quelques minutes, cela n’est pas suffisant pour impacter la température ambiante ressentie dans le logement. Bien que la diffusion de boitiers connectés dans les logements puisse être entravée par crainte de voir les données personnelles collectées, elle pourrait être systématisée dans la plupart des commerces. Rappelons également que le cycle d’intermittence des panneaux photovoltaïques (qui ne produisent pas d’électricité la nuit) est le même que le cycle d’intermittence des besoins d’électricité de la plupart des magasins (qui n’ont pas besoin d’être éclairés la nuit). 

Le coût du renouvelable

Premier fait majeur de l’histoire des énergies renouvelables, leur coût baisse de manière remarquablement constante au cours des dernières années (voir figure 3). Cette baisse s’explique d’une part par des améliorations technologiques et par des effets d’apprentissage. Ces technologies, en particulier l’éolien et le solaire, sont arrivées à un stade de maturité qui leur permet d’atteindre des coûts très intéressants et cela les rend compétitifs face aux énergies fossiles traditionnelles. Notons toutefois que cette compétitivité n’aurait pas été atteinte sans les investissements publics massifs du début du siècle et les soutiens avec des prix de rachat garantis. Ces derniers ont ainsi permis d’avoir des retours d’expérience et d’accélérer l’arrivée à maturité des technologies et leur développement industriel. 

Figure 3, Évolution des prix de l’éolien terrestre (gauche) et du photovoltaïque (droite), M. Liebreich

Par ailleurs, des coûts supplémentaires sont nécessaires pour effectuer le raccordement aux réseaux et gérer les risques de congestion. Ces coûts ne sont pas continus avec des différences importantes selon les technologies et les lieux. Une étude DENA estime pour l’Allemagne ces coûts à 100€/kW [12] en ce qui concerne les raccordements réalisés jusqu’alors. À l’échelle européenne, les coûts de raccordement sont estimés à environ 100 milliards d’euros pour les projets européens sur les dix prochaines années.

Une chose est certaine : aucune énergie renouvelable n’est capable, seule, d’assurer l’équilibre du réseau à tout instant. Seule une combinaison astucieuse de différents moyens de production et de technologies de stockage peut atteindre cet objectif. 

Les principales contraintes qui pèsent sur l’intégration des énergies renouvelable ainsi que certaines solutions ont donc été présentées. Tentons maintenant de mettre toutes ces contraintes bout à bout en y intégrant des paramètres économiques et d’observer les résultats. C’est à cette tâche de synthèse que s’attellent des modèles technico-économiques proposés par différentes études. Parmi ces études, citons les premiers travaux de l’ADEME (Mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations, 2016) [13], les travaux de Jean-Marc Jancovici (100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche?, 2017) [14], le scénario de l’association Négawatt (2017) [15] la dernière étude du CIRED [16] ou bien le tout récent rapport conjoint de RTE et de l’Agence Internationale de l’Energie concernant les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050 [17].

Les apports de la modélisation technico-économique

Toutes ces études tentent d’assurer l’équilibre offre/demande du réseau à chaque pas de temps (1h en général) et regardent quelles hypothèses permettent d’assurer cet équilibre. Les différences se situent généralement dans le choix des hypothèses technologiques et de leur évolution (coût de production, facteur de charge, disponibilité des gisements de vent). Pour le cas français, un des points critiques est celui de l’évaluation du coût de l’électricité nucléaire, qui fait l’objet de nombreuses expertises et contre-expertises [18].

Il existe actuellement un consensus scientifique sur la possibilité d’intégrer une part très importante d’énergies renouvelables dans le mix électrique à l’horizon 2050. Toutefois, cela implique un développement important des sources de flexibilité, telles que le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, l’utilisation de centrales de pointe ou encore celle des réseaux de transports frontaliers. Techniquement le 100% EnR semble donc réalisable.

L’incertitude porte plutôt sur l’évaluation des coûts et la comparaison entre différents choix de mix. L’évaluation des coûts sur plusieurs décennies est un exercice périlleux car elle dépend par exemple de l’évolution du prix des technologies, ou encore de celle des matières premières. Cette évaluation dépend aussi des coûts liés au nucléaire, à la gestion de la fin de vie des centrales. Certaines études, à l’image de celle du CIRED affirment que le développement d’un système 100% EnR peut se faire sans surcoût additionnel.

Un bon article de synthèse, écrit par Emmanuel Pont, compare le modèle de Jean-Marc Jancovici et celui du CIRED et apporte des éclairages plus précis sur les choix des hypothèses et les limites de chaque étude [19].

Impact des énergies renouvelables sur la biodiversité, les sols et les paysages

Les énergies renouvelables, au même titre que n’importe quelle activité humaine, ne sont pas neutres vis-à-vis de l’environnement. Celles-ci peuvent avoir des effets sur la biodiversité, les sols ou encore les paysages. Par exemple, certaines installations renouvelables peuvent entraîner la dégradation ou l’altération de milieux naturels ou la modification de certains paramètres environnementaux. Les impacts physiques ou chimiques sur les sols existent aussi, notamment lors des phases d’extraction. Le développement de certaines énergies renouvelables peut contribuer à l’artificialisation des sols. La présence d’énergies renouvelables (PV, éolien, barrages) entraîne des modifications du paysage, pousse à repenser l’aménagement de certains territoires et occasionne des problèmes d’acceptabilité par les citoyens. Une étude récente de l’ADEME [20], publiée en aout 2020 a recensé les études tentant d’évaluer ces impacts en termes de biodiversité, de dégradation des sols ou encore des paysages. 

Les impacts sur la biodiversité sont les plus documentés. Les éoliennes par exemple peuvent entraîner des blessures et augmenter la mortalité de certains oiseaux. Le bruit peut perturber la faune locale. La phase d’installation peut elle aussi être nocive pour l’écosystème local. Par ailleurs, les développeurs sont tenus d’être très attentif au cours de la phase d’excavation, susceptible d’affecter l’environnement alentour et la biodiversité. Toutefois, les études concluent globalement à des impacts faibles. Les impacts sur les paysages ont eux aussi été bien analysés. Ils soulèvent les questions d’acceptabilité et poussent à revoir certaines politiques d’aménagement local. En ce qui concerne l’impact sur les sols, le constat est plus mitigé. L’artificialisation des sols est souvent qualifiée de négligeable notamment en ce qui concerne l’éolien terrestre. Il est nul pour le photovoltaïque sur bâti. La grande interrogation porte sur les impacts des phases d’extraction des matériaux. Le rapport de l’ADEME souligne que cet impact est très peu étudié.

Tout de même, l’électrification croissante de nos sociétés (voitures électriques, périphériques connectés, etc.) va entraîner, afin de réduire notre utilisation d’énergies fossiles, une augmentation de la consommation de certains métaux, à l’image de l’aluminium, du nickel ou du cuivre. Leur extraction massive va probablement entraîner des impacts environnementaux non négligeables, en particulier si l’extraction a lieu dans des pays peu regardants à propos des normes environnementales.

Un enjeu au moins autant politique que technique

Pour conclure, la trajectoire française d’évolution du mix électrique verra augmenter la part des énergies renouvelables. Leur intégration soulève des interrogations en termes de stabilité du réseau et de coûts. Plusieurs études montrent que la transition vers un système 100% renouvelable semble techniquement réalisable mais celles-ci s’appuient sur de nombreuses hypothèses d’évolution des technologies et de comportements qui peuvent parfois être remises en cause. Par ailleurs, la visibilité sur les enjeux en matière de ressources est encore très limitée. De nombreux points mériteraient des approfondissements, que ce soient les avantages et faiblesses de chaque technologie ou leur mise en commun au sein du réseau français. 

Après avoir eu un aperçu global des enjeux de l’avenir de notre système électrique et de l’intégration des énergies renouvelables, rappelons que ce système hautement technique qu’est le réseau électrique s’inscrit au cœur d’une société et de politiques humaines. Les choix d’évolution du système énergétique français ne sont jamais politiquement neutres. Par exemple, le positionnement sur la question nucléaire est crucial dans le paysage politique français. Le choix du mode de gestion économique de production et de distribution l’est lui aussi à l’heure où le projet Hercule de démantèlement d’EDF est au cœur de l’actualité. De même, les interactions entre politique industrielle nationale, taxe carbone aux frontières et développement de l’énergie sont un enjeu majeur des années à venir. La question énergétique reste avant tout une question politique mêlant sécurité d’approvisionnement, prix abordables et politique industrielle. Nous reviendrons sur les principaux enjeux politiques de l’évolution du système électrique français dans un prochain article. 

Bibliographie

[1] [2] https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

[3] ADEME ; Bilan Gaz à Effets de Serre, Mix électrique France continentale, https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?moyenne_par_pays.htm

[4] ASN (Agence de Sureté Nucléaire), Réexamens périodiques et poursuite de fonctionnement d’une installation nucléaire en France

[4 bis] EDF, Communiqué du 29 octobre 2020, https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/edf-reajuste-le-cout-du-programme-grand-carenage

[5] Programmation Pluriannuelle de l’Energie, Ministère de la transition Ecologique

[5bis] Commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable, novembre 2020, http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/Developpement_durable/Essentiel_Transition_energetique.pdf

[6] RTE (Réseau de Transport d’électricité), https://www.rte-france.com/acteur-majeur-europe-electricite/les-interconnexions-service-europe-electricite-solidaire

[7] Connaissance de l’énergie, fiche sur le réglage de la fréquence https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/reglage_de_la_frequence.pdf

[8] FOCKEN et al., Short-term prediction of the aggregated power output of wind farms—a statistical analysis of the reduction of the prediction error by spatial smoothing effects, Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics, Volume 90, Issue 3, March 2002, Pages 231-246

[9] RTE, Schéma de développement décennal du réseau, https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/Sch%C3%A9ma%20d%C3%A9cennal%20de%20d%C3%A9veloppement%20de%20r%C3%A9seau%202019%20-%20Synth%C3%A8se.pdf

[10] Fraunhofer Institut, https://energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=DE

[11] Connaissance des énergies, fiche sur les STEP, https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydroelectricite-stations-de-transfert-d-energie-par-pompage-step

[12] DENA, Agence allemande de l’énergie

[13] ADEME, Mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations

[14] https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/100-renouvelable-pour-pas-plus-cher-fastoche/

[15] Negawatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050.pdf

[16] CIRED, How Sensitive are Optimal Fully Renewable Power Systems to Technology Cost Uncertainty? Behrang ShirizadehQuentin PerrierPhilippe Quirion

[17] RTE/AIE : étude sur les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050, janvier 2021, https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050

[18] Cour des Comptes, Les coûts de la filière électronucléaire (2012), la filière EPR (2020)

[19] Emmanuel Pont, https://medium.com/enquetes-ecosophiques/jancovici-100-renouvelable-1a820334496e[20] ADEME, état de l’art des impacts des énergies renouvelables sur la biodiversité, les sols et les paysages, et des moyens d’évaluation de ces impacts, août 2020