Brésil, Colombie, Costa Rica, Cuba, Mexique, Venezuela. L’Amérique latine ne manque pas d’élections présidentielles cette année. Parmi elles, les élections colombiennes du 27 mai et du 15 juin pourraient être celles d’un possible changement politique. A l’approche du premier tour de la présidentielle, retour sur la candidature de Gustavo Petro, seul candidat de gauche à l’élection présidentielle dans un pays depuis longtemps acquis à la droite conservatrice et libérale.
Un pays traditionnellement de droite libérale-conservatrice
Difficile pour la gauche institutionnelle de se faire une place dans le paysage politique colombien : elle n’a jamais été au pouvoir et le terme de « gauche » a systématiquement été associé aux guérillas armées révolutionnaires. Suite à la démocratisation du pays dans les années 1950, le Parti conservateur et le Parti libéral ont monopolisé le pouvoir sans interruption dans la seconde moitié du 20ème siècle. Cette monopolisation s’est incarnée notamment dans la création du Frente National (1956), coalition qui organisait des alternances pour la présidence jusqu’en 1974. Si cet accord s’est arrêté à cette date, la mainmise de ces deux partis sur le pays a continué jusqu’en 2002. Contrairement à la vague progressiste touchant l’Amérique Latine dans les années 2000, après dix ans de politiques néolibérales sur la majorité du continent, la première décennie du siècle en Colombie a été celle de l’approfondissement de la logique de marché et de politiques sécuritaires.
C’est ainsi qu’Alvaro Velez Uribe arrive au pouvoir en 2002 en se présentant en tant que candidat indépendant après son retrait du Parti libéral. Grand propriétaire terrien et multimillionnaire, il met alors en place pendant deux mandats une politique à la fois néolibérale et sécuritaire. Pro-américain et ennemi juré de son homologue Hugo Chavez, Uribe s’oppose à la politique du Venezuela en maintenant avec Caracas des relations particulièrement tendues.
Il lance sur le plan économique une série de réformes de flexibilisation du travail, privatisations d’entreprises publiques (Banques, télécommunications, énergie) et signe en 2006 le Traité de Libre Commerce (TLC) avec les États-Unis. Les « années Uribe » sont également marquées par son programme de « sécurité démocratique », visant à mettre fin à la guérilla par une lutte répressive. Adulé par une partie des Colombiens pour lesquels il est l’homme qui a affaibli considérablement la guérilla, il est haï par une autre pour ses scandales de corruption et sa proximité avec les paramilitaires.
En 2010, Juan Manuel Santos, ministre de la défense d’Uribe et ancien ministre du commerce extérieur de César Gaviria pendant l’ouverture économique des années 90, prend le pouvoir avec le soutien d’une coalition de centre-droit. Il poursuit la ligne économique libérale de son prédécesseur en menant une politique en faveur des plus riches. Pendant son mandat, de nombreuses entreprises publiques sont vendues à des multinationales : 308 exactement, selon le ministère du logement et du crédit public, vendues au privé entre 1986 et 2016. De plus, les réformes mises en place augmentent l’imposition indirecte touchant directement les plus pauvres ou facilitent l’extractivisme minier, pilier économique de la stratégie de croissance du gouvernent Santos.
Juan Manuel Santos s’est fait néanmoins plus pacifiste que son prédécesseur dans son rapport avec la guérilla en entamant le processus de négociations avec les FARC menant à l’Accord de la Havane de 2015. Celui-ci met fin à plus de 50 ans de guerre civile, inclut le désarmement de la guérilla et la possibilité pour elle de se reconvertir en parti politique et de se présenter aux élections. L’accord est alors dénoncé par la droite uribiste qui y voit un laxisme envers la guérilla et souhaite, en cas de victoire aux prochaines présidentielles, « le modifier structurellement ».
Après deux mandats de Santos, les prochaines élections présidentielles du 27 mai s’annoncent comme déterminantes pour l’Accord de paix qui polarise le pays. Après diverses primaires internes et alliances entre partis, cinq candidats principaux sont en lice pour l’élection : Ivan Duque, (Centro democratico d’Alvaro Uribe et soutenu par le Partido Conservador, « ultradroite »), Gustavo Petro (Colombia Humana, gauche), Sergio Fajardo (Coalición Colombia, centre), German Vargas Lleras (Mejor Vargas Lleras, ex vice-président de Santos, droite libérale-conservatrice) et Humberto de la Calle (Partido Liberal, droite libérale).
Gustavo Petro, un espoir pour la gauche
Aujourd’hui, dans un pays parmi les plus inégalitaire de la planète, il semblerait qu’un candidat de gauche, Gustavo Petro, ait une chance d’arriver au pouvoir. Économiste de formation, guérillero du M-19 dans les années 80 et aujourd’hui à la tête de la coalition Colombia Humana, il se place actuellement deuxième parmi les intentions de votes des derniers sondages.
Auparavant membre et candidat en 2010 (il obtient alors 9,14% des votes) du principal parti de gauche institutionnel, le POLO, il s’en écarte et crée le Mouvement Progressiste en 2011. Il pourrait cette fois réussir à passer au second tour en étant actuellement le seul candidat de gauche en lice à la présidentielle colombienne avec le soutien du Parti communiste colombien, de l’Alliance Sociale Indépendante et du Mouvement Alternatif Indigène et Social. Ce monopole de Gustavo Petro à gauche s’explique principalement par deux facteurs : l’absence de candidat des partis de gauche et le retrait des FARC de la campagne présidentielle. Le POLO et les Verts, qui rassemblaient les votes de gauche lors des dernières élections, se sont ralliés à la coalition centriste de Sergio Fajardo, jugée plus à même de rassembler. Quant aux FARC, ils avaient lancé leur campagne pour la présidentielle mais s’en sont retirés suite à des perturbations fréquentes lors de leurs réunions publiques et des problèmes de santé de leur leader Timochenko.
Idéologiquement, Gustavo Petro se déclare progressiste de gauche mais non marxiste et n’a pas caché son admiration par le passé pour Hugo Chavez, tout en condamnant actuellement la politique de Nicolas Maduro au Venezuela. Il se dit aujourd’hui plus proche des idées de Pepe Mujica.
On lui reconnaît des compétences de bon orateur, dont la technique se base sur un discours populiste, antisystème et anti-establishment. Dans un pays où la défiance envers une classe politique corrompue est source d’une abstention électorale monumentale, il a, comme on peut le lire dans El Pais « su canaliser, du moins pour le moment, un mécontentement allant au-delà des divergences relatives à l’accord avec la guérilla, un des facteurs ayant dominé la politique colombienne pendant les dernières années. Petro développe un discours qui séduit particulièrement les jeunes, les habitants de la capitale et ceux de la côte caraïbe (région dont il est lui-même originaire).
Petro est en Colombie clairement situé à gauche dans le paysage politique et réussit, dans un pays libéral-conservateur, à se démarquer par sa volonté d’un service de santé et d’une éducation publique. Il prône une économie se détachant des industries pétrolières et minières dans une optique de baisser l’impact sur le changement climatique. Il s’engage à s’attaquer aux problèmes fonciers du pays où de grands espaces possiblement productifs appartiennent à de grands propriétaires terriens. Pour cela, il propose de les taxer fortement pour les inciter à vendre leur terre, que l’État pourrait racheter et revendre à des paysans. Il cherche par ailleurs à reconnaître des droits aux minorités tels que les indigènes ou LGBT.
De plus, Gustavo Petro peut compter également sur un contexte actuel plus favorable à la gauche. Selon José Fernando Flórez, docteur en sciences politiques « L’oscillation dans le spectre idéologique des préférences politiques des Colombiens lors des dix dernières années montre que les postures de gauche sont apparues en crescendo par rapport à celles de droite qui ont diminué ». Le politiste s’appuie notamment sur une étude du LatinoBaromètre de 2016 selon laquelle 19,7% des Colombiens s’identifiaient de gauche en 2007, alors qu’ils étaient 30,7% en 2016.
Une droite apeurée par le « castrochavisme »
La possibilité d’une victoire de Gustavo Petro fait pourtant débat. Ivan Duque, celui que Daniel Pecault, politiste spécialiste de la Colombie, nomme « la créature d’Uribe », pointe en tête des sondages. Ne pouvant se représenter en vertu de la Constitution colombienne, l’ancien président Uribe actuellement sénateur garde une grande popularité et conserve son influence médiatique dans le pays. La coalition menée par Duque et Uribe est farouchement opposée à l’Accord de paix et défend un programme pro-marché et sécuritaire soutenu par les élites économiques. Rappelons que cette dernière a raflé les sièges lors des législatives du 11 mars dernier. Par conséquent, le pouvoir législatif est un des plus à droite de l’histoire colombienne, malgré l’éclatement partisan en œuvre depuis une décennie. Dans la dynamique de ces résultats, Ivan Duque apparaît sans conteste comme le favori de la prochaine élection.
Le combat de l’ultradroite contre Petro s’effectue par une dénonciation médiatique de l’ancien guérillero « proche des soviétiques » et de son programme « castro-chaviste » (terme inventé par Uribe) car celui-ci mènerait la Colombie à un « second Venezuela ». Dans un contexte d’entrée massive en Colombie de migrants vénézuéliens, ces propos provoquent une stigmatisation claire et sont repris par la plupart des opposants de Petro et par les grands médias qui occultent la plupart des sujets que le candidat de Colombia Humana présente. La campagne présidentielle du côté de la droite se fait donc principalement en prônant les dangers d’une victoire adverse.
Quelles perspectives pour l’élection ?
Si la Colombie s’est démarquée dans les années 2000 en Amérique Latine par l’absence d’élection d’un candidat de gauche, on pourrait aujourd’hui espérer y voir une victoire progressiste dans un contexte de retour en force conservateur en Amérique Latine lors des dernières années (Sebastian Piñera au Chili, Mauricio Macri en Argentine, Michel Temer au Brésil).
Mais les chances de victoire de la gauche soutenant Petro sont pourtant minces tant Ivan Duque apparait comme favori. Une autre surprise pourrait être celle de la présence au second tour face à Duque du candidat centriste Sergio Fajardo, beaucoup moins clivant que Petro et considéré comme plus à même de vaincre la droite dure.
En supposant de sa présence au second tour, le candidat de Colombia Humana devra alors réussir à rallier les votes obtenus par Fajardo au premier tour dans une logique de maintien de l’accord de paix. Mais cela risquerait encore d’être insuffisant pour remporter la tête de l’exécutif.
Même en cas de victoire de Gustavo Petro à l’élection présidentielle, la mise en place effective de son programme reste hypothétique. Il devrait faire face à un combat contre la droite dure détenant le pouvoir législatif, les élites économiques du pays et la presse qui feront certainement tout pour l’empêcher d’appliquer ses propositions. N’ayant personne sur sa gauche à qui se rallier et ne bénéficiant pas d’un parti politique structuré, le risque serait alors de tomber dans les méandres de la social-démocratie européenne si prompte à abandonner tout progrès social pour une dose de libéralisme économique. Cependant, dans un pays où les mouvements sociaux d’ampleur peinent à prendre forme, il semble aujourd’hui que seul Gustavo Petro puisse être capable de provoquer une avancée sociale.
Malo Jan.