Hôpital public : les soignants ont leurs maux à dire

Manifestation du Comité Inter-Hôpitaux / Inter-Urgences – © Ugo Padovani

Engagé dans une mobilisation historique, l’hôpital public en crise commence à dévoiler les contours d’un mouvement de lutte pour sa sauvegarde. En mars dernier, la crise que traverse l’hôpital public est devenue visible avec le début de la grève des urgences. Depuis, le mouvement prend de l’ampleur dans tous les secteurs hospitaliers et, pour les soignants, l’hiver s’annonce contestataire.


Jeudi 10 octobre, le Collectif inter-hôpitaux (CIH) tenait sa première assemblée générale dans les amphithéâtres de la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, afin de répondre à la nécessité d’agir que le collectif avait pointé dans sa tribune fondatrice publiée le 22 septembre. À travers les témoignages, les expériences diffèrent, mais les constats sont communs. Tous pointent le manque de moyens, tant matériels qu’humains, les financements insuffisants, la suppression de lits ou la transformation de l’hôpital public en en “usine à soin” : « Nous sommes à la croisée des chemins, nous vivons notre dernière chance de sauver l’hôpital » résumait le Pr. Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor. Lors de cette assemblée fondatrice, deux motions sont votées, l’une concernant les modalités d’actions et l’autre les revendications à faire entendre. Ces dernières pointent en particulier le manque de moyens et réclament l’ouverture de lits et l’embauche du personnel nécessaire. Les restructurations successives sont en effet devenues si dramatiques qu’elles en viennent à mettre en danger les patients.

« Nous sommes à la croisée des chemins, nous vivons notre dernière chance de sauver l’hôpital »

Ces coupes budgétaires sont précisément ce qui a achevé de convaincre les hospitaliers mobilisés de la nécessité d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans un fond de grève des urgences qui patine, l’annonce d’une hausse du budget de la santé inférieure à son augmentation structurelle a finalement fait sortir des rangs les plus réticents. Alors que l’hôpital public devrait voir ses dépenses augmenter structurellement de 4% en 2020, l’annonce d’une hausse de l’Objectif national de dépense d’assurance maladie (ONDAM) plafonnée à 2,3% a été vue comme un nouveau coup dur par des services déjà en souffrance : « La rigueur s’est transformée en austérité, entraînant le cercle vicieux de la pénurie » mentionnait la motion votée lors de l’assemblée du CIH. Médecins, paramédicaux et même pontes du milieu médical, tous sont concernés par la question du financement, allant bien au-delà de leurs intérêts spécifiques.

«Quand tout sera privé, on sera privés de tout »

Au cœur des revendications, la question du financement de l’hôpital est donc primordiale. Pour réclamer un plan d’urgence pour l’hôpital public, les actions classiques se mettent en place. À Saint-Louis, dans le nord de Paris, le hall de l’hôpital est décoré aux mots d’ordre du mouvement, avec l’objectif de sensibiliser les usagers à une problématique qui les touche directement. Les soignants mobilisés commencent alors à tracter, avec en ligne de mire la journée de mobilisation nationale du 14 novembre prochain, qui sera une journée très symbolique pour un mouvement qui cherche encore ses limites. Mais en parallèle, ce mouvement s’est doublé d’une “grève du codage”, qui consiste en un arrêt de la transmission des informations permettant à l’hôpital de facturer à l’Assurance maladie les actes médicaux concernés. Cette grève du codage n’est pas un geste anodin, car cette transmission constitue le cœur du fonctionnement de la “tarification à l’activité” (ou T2A), qui régit le mode de financement actuel de l’hôpital. Très critiquée, cette “tarification à l’activité” est visée par les revendications du mouvement, car elle entraîne une gestion managériale de l’acte médical. De fait, cette “coupure des vivres” s’est imposée comme un moyen d’action aussi symbolique que pragmatique, dans la mesure où une grève ordinaire aurait été un coup dans l’eau pour les soignants, automatiquement réquisitionnés lors des grèves pour assurer la continuité des soins : « Il y a plus de personnel dans les services les jours de grève que le reste du temps, avec les assignations ! » renchérissait un membre du personnel de la Pitié-Salpêtrière. Car, avec 400 infirmières déjà manquantes dans les services de l’AP-HP (Île-de-France) du fait de difficultés de recrutement, les grèves obligent l’administration à assigner une grande partie des soignants, pour des services travaillant déjà en effectifs restreints. L’arrêt du codage, s’il peut sembler paradoxal – il empêche le financement de la structure pour appeler à son augmentation – présente néanmoins l’avantage pour le mouvement d’être incontournable par l’administration. Cela constitue un élément essentiel pour le mouvement, qui lui permet d’instaurer un véritable rapport de force.

Gerbe de fleur pour le budget de l’hôpital public – Manifestation du Comité Inter-Hopitaux / Inter-Urgences – © Ugo Padovani

Avec déjà 309 services mobilisés sur l’AP-HP au 24 octobre, le CIH semble avoir instauré ce rapport de force, poussant Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, à « alerter chacun des conséquences pratiques du non-codage », dans un courrier adressé à l’ensemble des soignants des Hôpitaux de Paris le 16 octobre dernier. Et si le plan pour l’hôpital que devrait proposer Agnès Buzyn mi-novembre est grandement attendu, c’est avec le scepticisme d’un monde plus habitué aux coupes budgétaires masquées qu’aux financements suffisants. Les réformes passent, mais le sentiment d’avoir entre les mains un service public en déliquescence demeure pour beaucoup. En effet, les réponses de l’exécutif à cette crise des urgences sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Le “Pacte de refondation des urgences” annonçait en septembre dernier un financement de 750 millions supplémentaire, après 6 mois de mouvement, mais celui-ci n’a pas eu l’effet escompté car cette somme n’est qu’un redéploiement, qui se fera au détriment des autres secteurs. Les services d’urgences n’étaient à l’origine que la partie émergée d’un service public en tension, mais ceux-ci sont désormais les précurseurs d’un mouvement global de l’hôpital public.

« C’est un cri d’alarme que poussent les soignants »

« Aujourd’hui c’est un cri d’alarme que poussent les soignants. Pas pour notre bien-être ou des revendications individuelles, mais pour notre devoir d’être garants de notre santé à tous, des malades d’aujourd’hui et de demain » écrivait en septembre dernier le Dr. Sophie Demeret, neurologue. Alors que le mouvement prend de l’ampleur, la question des suites à donner au mouvement revient quotidiennement. La journée de mobilisation nationale est bien prévue le 14 novembre à Paris mais, en interne, personne ne veut se contenter d’un bref coup d’éclat médiatique. Car quelle que soit l’issue, l’essentiel a déjà débuté : derrière les portes aseptisées, dans les réunions et assemblées, un autre Hôpital panse son avenir.

Manifestation du Comité Inter-Hôpitaux / Inter-Urgences – © Ugo Padovani