Immunité de Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant : la mise en péril de la séparation des pouvoirs

Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu, à l’occasion d’une rencontre à Jérusalem le 22 janvier 2020 © Israel Ministry of Foreign Affaires

En novembre dernier, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, pour des faits de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Six jours plus tard, le gouvernement français, par la voix du quai d’Orsay, indiquait qu’ils bénéficiaient tous les deux d’une immunité susceptible d’empêcher leur arrestation sur le sol français. Une position très éloignée du droit international et du principe de séparation des pouvoirs.

Le gouvernement français pouvait-il s’opposer à l’arrestation de Benyamin Netanyahou et de Yoav Gallant, dans l’hypothèse où ils poseraient le pied sur le sol français ? La question est devenue brûlante depuis que le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a invoqué leur immunité, à travers un communiqué publié en réponse aux mandats d’arrêts émis le 21 novembre 2024 par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du Premier ministre israélien et de son ancien ministre de la Défense pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Plus précisément, le quai d’Orsay estime que si le Statut de Rome impose la « pleine coopération » de la France avec la Cour pénale internationale, celui-ci « prévoit également [en son article 98] qu’un État ne peut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des États non parties à la CPI ». Le communiqué ajoute que « de telles immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahou et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et remise. » Il se conclut par l’affirmation de « l’amitié historique qui lie la France à Israël, deux démocraties attachées à l’État de droit et au respect d’une justice professionnelle et indépendante », avant de préciser que la France « entend continuer à travailler en étroite collaboration avec le Premier ministre Netanyahou et les autres autorités israéliennes pour parvenir à la paix et à la sécurité pour tous au Moyen-Orient. »

Une bienveillance vis-à-vis d’Israël que le rapport volumineux d’Amnesty International publié le 5 décembre 2024, et concluant à la commission d’un génocide dans la bande de Gaza, ne semble pas avoir ébréchée, la diplomatie française se contentant d’en « prendre note. » Les conclusions de ce rapport sont pourtant confortées par plusieurs sources telles que le rapport du 25 mars 2024 de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, ou encore le rapport du 20 septembre 2024 du Comité spécial de l’ONU chargé d’enquêter sur les pratiques israélienne affectant les droits de l’Homme du peuple palestinien, lesquels doivent être mis en lien avec l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024 concluant à un risque plausible de génocide à Gaza.

La remise en cause française des décisions de la CPI

Ce communiqué a heurté de nombreux spécialistes du droit pénal international, et ceci pour trois raisons. La première est que depuis l’adoption du Statut de Rome le 17 juillet 1998, la France a promu l’action de la CPI et encouragé la coopération la plus large possible des États avec cette institution, considérant que les crimes touchant l’ensemble de la communauté internationale ne pouvaient rester impunis. Dans des situations analogues, elle n’a d’ailleurs pas hésité à soutenir la CPI face aux États parties au Statut de Rome refusant de mettre à exécution ses mandats d’arrêt visant des chefs d’États ne reconnaissant pas la compétence de la CPI (à l’instar d’Israël), au motif juridiquement inopérant que ces derniers jouissaient d’une immunité. Tel fut encore le cas en septembre 2024, lorsque la France apportait « son plein soutien à la CPI » suite au refus de la Mongolie de procéder à l’arrestation du président russe Vladimir Poutine arrivé sur son sol. La position du quai d’Orsay concernant Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant constitue donc un virage à 180° de la diplomatie française, de nature à freiner l’action de la CPI et à compromettre son efficacité pour sanctionner les crimes les plus graves. Elle donne également l’impression d’un double standard peu compatible avec l’idée de justice.

Ensuite, la deuxième raison tient au fait que la question des immunités a déjà été tranchée par la CPI, qui a conclu à leur inopposabilité s’agissant des crimes internationaux relevant de sa compétence. À plusieurs reprises, elle a estimé que les dispositions de l’article 98 du Statut de Rome ne pouvaient être interprétées comme faisant obstacle à celles de son article 27, qui prévoit explicitement et catégoriquement que « la qualité́ officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité́ pénale. » C’est sur ce fondement que la CPI, le 24 octobre 2024, a condamné la Mongolie pour son refus d’interpeller Vladimir Poutine.

Comment la France pourrait-elle continuer à affirmer qu’elle respecte la CPI, dès lors qu’elle ne respecterait pas ses décisions ? Il faut d’ailleurs souligner qu’à rebours du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les juridictions françaises sont en voie d’alignement sur la jurisprudence de la CPI. En effet, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 juin 2024, a refusé de reconnaître l’immunité au président syrien Bachar Al-Assad concernant des faits de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Elle a estimé qu’eu égard au droit international coutumier, une telle immunité ne pouvait s’appliquer à des crimes d’une telle gravité.

La confusion de l’immunité politique et juridique

Enfin, en tout état de cause, le gouvernement français ne dispose d’aucune compétence juridique pour accorder une immunité à Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant. Il s’agit d’une prérogative réservée à l’autorité judiciaire, qui doit se prononcer sur ce point en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. C’est d’ailleurs ce que prévoient les textes organisant la procédure d’arrestation et de remise à la CPI. Ainsi, l’article 627-4 du Code de procédure pénale dispose que les demandes d’arrestation aux fins de remise délivrées par la CPI sont adressées aux « autorités compétentes » (à savoir le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, puis le garde des Sceaux) qui les transmettent au procureur général près la cour d’appel de Paris après s’être assuré de leur « régularité formelle. » Ce contrôle portant seulement sur la forme et non sur les questions touchant au fond du droit, l’exécutif ne serait pas juridiquement fondé à invoquer une immunité pour rejeter la demande de la CPI.

D’ailleurs, le même article du Code de procédure pénale permet à la CPI, si l’urgence le commande, d’adresser directement sa demande au procureur de la République territorialement compétent (sans passer par le canal diplomatique), afin qu’il procède à l’arrestation provisoire de la personne visée par le mandat d’arrêt. Le procureur ne peut se soustraire à cette obligation, sauf à violer à la fois le Statut de Rome et le Code de procédure pénale. En toute hypothèse, ce n’est pas le gouvernement, mais les juges du siège de la chambre de l’instruction qui, en dernière analyse, se prononcent sur la remise des personnes interpellées à la CPI, et donc sur la question des immunités.

En d’autres termes, le communiqué du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne doit pas laisser croire que l’exécutif aurait juridiquement le pouvoir de faire obstacle à l’arrestation et à la remise à la CPI de Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant : il n’en est rien. Ce communiqué constitue toutefois une pression politique sur l’autorité judiciaire, puisqu’elle l’incite à accorder l’impunité aux deux mis en cause en se fondant sur une interprétation fallacieuse du Statut de Rome, de la jurisprudence de la CPI et du droit international coutumier. Et ceci, en faisant peu de cas de la séparation des pouvoirs… Pour respecter le droit international, procureurs et juges auront alors le devoir, le cas échéant, d’affirmer leur indépendance en résistant aux pressions politiques, comme l’a fait la CPI en émettant ces mandats d’arrêt.