Industrie : quand la communication se substitue à la planification

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances depuis 2017. © AIEA Imagebank

Emmanuel Macron aime à s’afficher en champion de la réindustrialisation. À écouter le discours gouvernemental il serait parvenu à reconstruire un appareil productif miné par des décennies de désindustrialisation. Une récente note de France Stratégie, sur le plan de relance France 2030, présente un tableau moins reluisant. Elle fait état d’un rattrapage insatisfaisant malgré les milliards investis – qui menacent eux-mêmes d’être mis en cause par le retour de la discipline budgétaire.

Après une décennie d’austérité, le desserrement temporaire du carcan budgétaire européen pendant la crise COVID a permis d’annoncer, en 2021, un plan d’investissement de 54 milliards d’euros, dans la lignée des 100 milliards injectés par l’État lors du plan France Relance. Ce plan, nommé France 2030, annonçait divers objectifs pour la souveraineté économique du pays, notamment « sécuriser l’accès aux matières premières » ainsi que « l’accès aux composants stratégiques » (électronique, robotique et « machines intelligentes»).

Trois ans plus tard : quand les résultats contredisent les annonces 

Loin de ces objectifs, cette note de France stratégie indique des résultats mitigés. Si les dispositifs de soutien à l’industrie de France 2030 ont permis de soutenir les entreprises industrielles, ils ont « davantage financé un rattrapage technologique qu’une véritable transformation vers l’industrie du futur ». 

Les chiffres sont parlants : sur un milliard de subventions et 2,9 milliards d’investissements totaux dans le dispositif « industrie du futur », seuls 14% ont servi à l’achat de solutions de robotisation dans les usines, besoin pourtant critique pour rattraper le retard de l’industrie du pays. En effet, en 2012, il y avait moitié moins de robots par travailleur dans les usines françaises que dans les usines allemandes. La majorité (79%) des fonds investis vont en réalité à l’achat de simples machines programmables, ce qui représente seulement un rattrapage technologique, en lieu et place d’une modernisation capable de garantir un avantage aux industries françaises. Ainsi, la France n’est en pointe dans aucun des domaines de « l’industrie du futur » mise en exergue par les annonces gouvernementales ; la première place est prise par le Danemark, spécialiste des robots industriels, et la France demeure loin derrière.

Cette analyse rappelle l’état critique de l’appareil productif français, écrasé par des décennies de sous-investissement public et privé, fragilisé par une fuite des capitaux – les multinationales françaises ayant délocalisé deux fois plus que les entreprises allemandes. Ce modèle court-termiste, fondé sur le profit actionnarial aux dépens de la souveraineté économique du pays, a laissé des traces profondes. 

Le verdict de France stratégie est clair : les transformations de ces dernières années « ne permettent pas de garantir, à ce stade, un impact significatif sur […] la résilience des chaînes de valeur industrielles ». Un exemple criant de cet échec : les gigafactories de batteries, soutenues massivement par l’État, emploient des machines-outils asiatiques plutôt que françaises ou même européennes.

Investir des milliards ne suffit pas

Il ne suffit pas d’investir des milliards : encore faut-il être doté d’outils planificateurs pour les utiliser à bon escient. Or, depuis la disparition du Haut Commissariat au Plan (l’institution présidée depuis 2020 par François Bayrou ne s’occupe que de prospective), ceux-ci font défaut. Dépourvu de leviers adéquats, le gouvernement est contraint de se raccrocher à des des stratégies de court terme, comptant sur les effets d’annonces. Rien n’illustre mieux cette gouvernance par la communication que la fixation de Bruno le Maire sur le nombre de créations d’usine. L’ouverture d’une usine est certes une bonne nouvelle, mais n’indique rien quant à la santé de l’appareil productif déjà existant, par exemple le remplissage de ses carnets de commande. Le bricolage communicationnel va jusque dans la création du plan d’investissement : France Stratégie déplore qu’aucun indicateur de succès n’ait été défini pour les objectifs de souveraineté du plan France 2030…

De la même manière, au lieu d’investir dans la reconstruction d’un appareil productif pour les biens essentiels au quotidien des français, le gouvernement se focalise sur les technologies dites de « rupture ». Ainsi l’un des dix objectifs du plan France 2030 annoncé en octobre 2021, en pleine mode du métavers, est de « soutenir les technologies immersives et la réalité virtuelle ». Une ambition qui, aujourd’hui, fait doucement sourire. D’autres paris risqués ont été faits, notamment sur « l’hydrogène vert » et « l’avion bas carbone ». Ce biais est encore accentué par l’obsession de la BPI pour les deeptech, start-up issues d’un transfert de technologie depuis les laboratoires publics qui ont accès à de multiples financements. Si cette stratégie peut porter ses fruits – comme en atteste l’entreprise d’ordinateur quantique Qandela -, elle est surtout l’occasion d’une formidable dilapidation d’argent public, sans conditions mises aux entreprises qui en perçoivent. L’industrialisation ne peut reposer uniquement sur la montée en gamme vers des produits high-tech, comme le remarquait David Cousquer du cabinet Trendeo dans une récente tribune : les économies d’échelle et les effets de masse ont leur importance pour réussir à produire en France les objets du quotidien.

L’échec du plan tient enfin à la faiblesse des investissements privés : les différents fonds évitent l’industrie, risquée et rentable seulement à trop long terme. Les multiples « SaaS », logiciels qui promettent des gains massifs après seulement 3 ans d’investissement, leur sont préférés.Enfin, la responsabilité éclatée au sein de l’État n’a pas aidé à atteindre les objectifs fixés : le procès du new public management, du recours maladif aux agence, de la décentralisation, n’a pas été fait. Ainsi, dans la relance industrielle, se côtoient à la fois le SGPI, les DREETS, les services économiques des régions, des EPCI, l’ADEME, la BPI, etc. Comment s’étonner que ce patchwork baroque n’ait accouché de rien de cohérent ? Et qui peut douter que le succès d’une stratégie de réindustrialisation passe par le retour d’une entité planificatrice ?