Jérôme Guedj est candidat pour la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale dans la sixième circonscription de l’Essonne. Conseiller régional d’Île de France, il fait face à la ministre de la Transition Écologique Amélie de Montchalin dans le cadre des prochaines élections législatives. Engagé depuis de nombreuses années au sein du Parti Socialiste, il s’est notamment investi sur la thématique du grand âge. Fort de ce parcours, mais également de la situation particulière de sa candidature, nous nous sommes entretenus avec lui.
LVSL — Pour commencer, quelle est votre lecture de la séquence politique actuelle ?
Jérôme Guedj — Le qualificatif d’historique n’est pas galvaudé et je le vois dans la façon dont se déroule la campagne sur le terrain. L’évènement que constitue le rassemblement de la gauche et des écologistes a eu une signification extrêmement forte qui s’est immédiatement répandue dans la population. Toute les enquêtes d’opinion montraient une large aspiration à l’union et le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle l’a en partie cristallisée. Il y avait certes du vote utile, mais aussi la volonté d’amener un candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle. Outre ces différents signaux, le fait que Jean-Luc Mélenchon ait pris ses responsabilités ainsi que les autres représentants de la gauche en forgeant cette union a fait voler en éclat le plafond de verre qui empêchait jusqu’à maintenant la qualification d’un candidat de gauche au second tour de la présidentielle. Les gens en sont conscients et, pendant les porte-à-porte que nous effectuons quotidiennement, nous en remercient.
Avoir adossé cette union à un cadre programmatique de 650 propositions a par ailleurs renforcé la dimension symbolique de cet accord. Il en va de même pour le fait d’avoir choisi, sur les sujets qui créaient des débats, de privilégier l’honnêteté en indiquant explicitement qu’ils pourront faire l’objet de discussions parlementaires, plutôt qu’un attelage de circonstances dépourvu de toute consistance. Même si il n’y avait pas de candidatures communes dès le premier tour lors des législatives de 1997, l’accord que nous avons trouvé rappelle en cela celui de la gauche plurielle.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que le signal envoyé au peuple de gauche a été celui d’un retour nécessaire à la radicalité, à la rupture. Il était à ce titre assez éloquent d’entendre Olivier Faure, lors de la Convention de la NUPES à Aubervilliers, parler d’un « réformisme radical ». En somme, nous renouons le long fil de l’histoire des débats sur le type d’action politique à mener qui avait débuté il y a plus d’un siècle et nous sortons enfin de l’impuissance dans laquelle le quinquennat Hollande avait laissé l’ensemble de la gauche. Si Jean-Luc Mélenchon a pris ses distances avec le reste de la gauche en 2017, c’est aussi pour cette raison. Les électeurs avaient rejeté en bloc la trajectoire prise par ceux qui se revendiquaient pourtant de la gauche historique. Et à ce titre, il n’avait pas totalement tort.
Un accord de gouvernement, même fabriqué rapidement, prenant en compte les points de divergence permet enfin de dire qu’il n’y a pas de gauches irréconciliables. D’ailleurs, la vitesse avec laquelle cette union a été faite en atteste. Maintenant, nous pouvons et nous devons tout faire pour remporter le troisième tour que représentent les législatives des 12 et 19 juin afin de prouver qu’au-delà d’un simple accord, nous pouvons engager le tournant historique que tant de gens attendent depuis des années.
LVSL — Vous avez été pendant plusieurs années à différents postes de responsabilités au sein du Parti Socialiste, comment analysez-vous du point de vue de votre parti, l’Union qui a été conclue ?
J.G. — Cette union représente la sortie du cadre dans lequel nous étions jusqu’alors enfermés. Elle met fin à l’économicisme à tout crin, aux triangulations saugrenues qui devaient assurer une prétendue crédibilité budgétaire et économique. Avec cette union, nous remettons les priorités dans le bon ordre et défendons une gauche de transformation face à l’urgence écologique et sociale qui ne peut passer que par la rupture. Mais en réalité, cette grammaire conceptuelle avait déjà infusé en amont. Prenez l’augmentation du SMIC de 15%, Anne Hidalgo l’avait inscrite dans son programme à la présidentielle. Ceux qui tentent de créer de fausses dissensions et des querelles intestines sur les questions sociales font erreur : nous avons le même constat sur le pouvoir d’achat. De même pour la planification écologique que Jean-Luc Mélenchon a fait émerger dans le débat il y a déjà de très nombreuses années. Et il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à l’époque où Jean-Luc Mélenchon était encore au Parti Socialiste, il portait déjà bon nombre de ces propositions sous forme de motions. Il n’y a pas de trahison comme veulent le faire croire certains. Nous sortons simplement des œillères que nous avions depuis de bien trop longues années.
J’irais même au-delà, l’union avec la France Insoumise permet aux militants et aux cadres du Parti Socialiste de rencontrer et d’apprendre de personnes qui sont allées plus loin que nous, tant sur le plan programmatique que sur celui de la formation et de la diffusion de thèmes. Jean-Luc Mélenchon a gagné la bataille des idées et incarne aujourd’hui la lueur d’espoir du peuple de gauche. Nous vivons aujourd’hui le retour d’une gauche qui ne peut plus, face à un centre-droit ectoplasmique, se contenter d’accompagner la mondialisation néo-libérale, mais assume la nécessité de la rupture pour un partage plus juste des richesses produites dans un contexte de crise écologique majeure.
LVSL — Dans le cadre de votre campagne dans la 6ème circonscription de l’Essonne face à la ministre Amélie de Montchalin, quelle stratégie de campagne avez-vous, cette fois-ci, choisi d’adopter ?
J.G. — Ma candidature a une particularité, je me retrouve face à une ministre du précédent quinquennat qui vient d’être renommée. Dès lors, j’assume faire face à l’incarnation la plus pure du macronisme et je lui demande d’assumer son bilan. Elle y a pleinement participé et doit rendre des comptes. En 2017, il était aisé pour elle de revendiquer le « en même temps » macroniste, de se dire « ni de gauche, ni de droite » et de se faire élire en partie sur ce tour rhétorique d’une réinvention de la social-démocratie, mais nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, nous savons ce qu’est le macronisme au pouvoir. Nous avons vu les ravages qui ont été commis dans les services publics, la brutalité de ce mandat et son inaction en matière climatique et environnementale.
Amélie de Montchalin a la spécificité d’avoir siégé en tant que responsable à la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale pour la République en Marche. C’est donc elle qui a porté, dès la première loi de finances en 2018, la fin de la promesse du « en même temps », car il s’agissait alors de supprimer l’ISF pour mieux baisser de cinq euros les APL aux ménages les plus modestes. Dès ce moment-là, le macronisme a fait tomber le masque et a montré qu’il s’agissait d’une droite bon teint tout ce qu’il y a de plus classique. Amélie de Montchalin se félicitait dans Libération du travail parlementaire mené alors et notamment de la suppression de l’ISF, il faut aujourd’hui rendre des comptes, car à aucun moment l’impact de cette mesure n’a été pris en compte. Le ruissellement n’est resté qu’une fable dépourvue de tout fondement économique rationnel qui n’a nullement permis la relance de l’investissement productif mais a largement augmenté l’épargne des ménages concernés. Le bilan du macronisme et, par la même occasion d’Amélie de Montchalin, c’est avant tout son ancrage droitier.
Pour la période qui s’ouvre, il faut également noter un paradoxe. Alors même que, sous Emmanuel Macron, l’État s’est vu condamné pour son inaction climatique, Amélie de Montchalin se retrouve aujourd’hui Ministre de la transition écologique et celle qui lui a précédé à ce poste, Première Ministre. Du glyphosate à l’enterrement de la Convention Citoyenne pour le Climat, il est indéniable que le précédent gouvernement, dont bon nombre de ministres sont aujourd’hui issus, a été incapable de prendre les mesures nécessaires pour affronter la crise dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Amélie de Montchalin a en outre déclaré récemment qu’il n’était pas possible de « faire de l’écologie contre l’économie ». Cette sentence atteste qu’elle fait très nettement fausse route : si l’écologie doit se soumettre à l’économie telle qu’elle fonctionne aujourd’hui (par la dépendance aux énergies fossiles, les logiques de temps court et la recherche constante du profit immédiat), alors tout combat est perdu d’avance. Elle ne sera dès lors que l’exécutante zélée du maintien de l’ordre établi, laissant cours à la communication et au greenwashing.
LVSL — Quelles sont les thématiques que vous souhaitez développer durant cette campagne ? Le grand âge, sujet sur lequel vous vous êtes particulièrement investi, en fait-il partie ?
J.G. — La question du grand âge fait bien entendu partie des thématiques que je souhaite porter, mais elle s’inscrit également dans ma campagne du fait de mon action passée en tant que président du département. Dans cette circonscription, j’ai créé le premier établissement d’un service public de maisons de retraite qui fait de l’Essonne un département assez singulier, car il s’est porté opérateur d’un tel projet alors même que nous avions du mal à en créer et que c’était bien souvent le secteur privé qui en tirait les bénéfices.
Pour moi, cette question précise ne peut être analysée que dans un cadre plus large. Le pouvoir d’achat d’une part et les services publics de l’autre sont les deux enjeux principaux desquels découlent tous les sujets de santé, de grand-âge et de dépendance, mais aussi d’éducation, de sécurité. Le reflux des services publics, leur fragilisation est aujourd’hui un véritable danger. Il faut y mettre fin. À ce titre, Amélie de Montchalin a également eu de lourdes responsabilités en tant que ministre de la transformation publique. Elle proposait par exemple de sortir du statut général de la fonction publique et n’a rien fait pour dégeler le point d’indice puis revaloriser à hauteur nécessaire le traitement de bon nombre de fonctionnaires. Cette défiance à l’endroit des services publics et la défense du recours massifs aux cabinets de conseils ne peut plus durer. Le service public n’est pas un poids, un enkystement comme le défendent les tenants de la « start-up nation », c’est notre patrimoine commun et ce qui fait tenir debout notre société face aux difficultés.
Pour revenir sur le grand âge, la loi promise par Emmanuel Macron n’a cessé d’être repoussée mois après mois, alors même que la crise du Covid a remis ce sujet au cœur des préoccupations. Pour le seul motif budgétaire, les quatre ou six milliards nécessaires pour sortir des gens de l’isolement, de la précarité et même de la maltraitance n’ont jamais été trouvées alors que pour supprimer l’ISF à hauteur du même montant, il n’a suffi que de quelques semaines. Tout cela montre bien qu’il ne s’agit que de choix politiques, car si on le décide il est parfaitement possible d’investir pour améliorer les conditions de travail et de vie de millions de personnes. À ce titre, je l’écris dans mes documents de campagne : je souhaite siéger à la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée pour travailler et mettre fin à la logique dangereuse dans laquelle nous nous trouvons depuis trop d’années.
LVSL — Tirez-vous ces conclusion et ces critiques du rapport que vous avez effectué, durant la crise du Covid, pour le gouvernement ?
J.G. — Beaucoup de rapports sur le grand âge ont été commandés durant le précédent quinquennat, sept au total. Le mien en faisait partie. Je m’occupais alors de la gestion de la crise du Covid, de manière opérationnelle, en contact avec les associations dont la Croix-Rouge mais également les instances locales en charge de ces questions. En parallèle, j’ai énoncé un certain nombre de recommandations sur le sujet de l’isolement des personnes âgées et, force est de constater, qu’elles n’ont pas été suivies. Mais c’est également le cas des autres rapports. Ni sur le plan juridique, ni sur le plan budgétaire, les mesures n’ont été prises pour engager le virage nécessaire face à la transformation de la longévité qui représente une mutation aussi importante que la transition écologique. Nous devons regarder avec autant d’importance la transition démographique en cours et c’est l’un des combats que j’ai portés et que je continuerai à défendre. Il s’agit d’un vrai sujet politique, car il interroge la façon que nous avons de traiter les personnes âgées et de faire société avec eux, mais également tous les métiers qui entourent ce domaine. Je crois profondément que nous ne pourrons pas construire un avenir meilleur sans les métiers du lien qui œuvrent quotidiennement pour recoudre les existences et sortir les individus de l’isolement.
LVSL — De manière plus lointaine, au-delà des prochaines élections législatives, comment envisagez-vous l’avenir de l’union qui vient d’être nouée ? Est-ce le début d’un nouveau cycle politique comme cela avait été le cas lors de la dernière union à gauche ?
J.G. — L’union que nous portons aujourd’hui ne peut pas être éphémère. Nous trahirions une espérance immense et nous ne pouvons pas penser qu’il est possible de recommencer comme auparavant, chacun dans notre coin. Avec l’accord que nous avons conclu, nous ne devons pas seulement porter l’espoir d’une majorité parlementaire, mais penser au-delà. Bien-sûr que nous avons des identités politiques, des appartenances différentes et je ne renie nullement le fait que je suis socialiste. Mais il est impensable de considérer que nous pouvons marcher chacun dans notre rang pour la période qui vient. Il nous revient de faire vivre ces différences qui nous animent et qui forgent également notre complémentarité dans une perspective large. Les divergences existent et existeront, mais elles sont bien moins importantes qu’à d’autres moments de l’histoire, quand le PCF et le PS s’unissaient par exemple. Peu importe le parti dont nous sommes issus, nous partagerons nos combats, nos luttes et devrons agir pour le bien commun.