La Commune de Paris, révolution démocratique et sociale écrasée dans le sang

Les programmes scolaires se focalisent sur les réalisations de la IIIème République : libertés publiques, réformes scolaires, laïcité… Ils passent sous silence le fait que ces mesures avaient déjà été mises en place, bien avant Jules Ferry et Aristide Briand. En l’espace de deux mois, de mars à mai 1871, la Commune de Paris avait réalisé ce que la IIIème République a mis trente ans à accomplir. Comment expliquer le silence, ou l’embarras, de l’historiographie républicaine dominante à propos des Communards et de leur oeuvre républicaine ? Ils se comprennent d’autant moins que la Commune visait à libérer la France du joug prussien et à défendre son intégrité vis-à-vis de la puissance montante à l’Est obsession de la IIIème République s’il en fut. C’est que la Commune, par sa radicalité sociale, a profondément fracturé le camp républicain, et continue aujourd’hui encore de le faire. 


En 1870, le Second Empire vacille. Après plus de vingt ans à la tête de l’État, Napoléon III laisse en place une France en pleine ébullition. La situation sociale est délétère et l’industrialisation encourage la concentration d’un nouveau prolétariat dans les villes. La grande pauvreté couplée à des conditions sanitaires désastreuses provoque des taux de mortalité vertigineux ; la probabilité de mourir avant cinq ans, pour un enfant né dans le département de la Seine avoisine les 40 % durant toute la durée du Second Empire… (1)

Le spectre de Valmy

La loi, mal appliquée, limite le travail journalier à 11 heures à Paris et 12 heures en province ; elle autorise de nombreuses dérogations. La surexploitation qui règne dans les entreprises confère un écho aux discours socialistes qui inquiète les classes possédantes. Cet élément est structurant à plus d’un titre. Il permet de comprendre pourquoi une partie du camp républicain considérera la Commune avec hostilité, jusqu’à se joindre aux Versaillais. Il permet également de comprendre pourquoi les classes supérieures ont assisté à l’invasion de la France par les Prussiens avec tant de résignation. S’y opposer aurait impliqué de mobiliser la population en armes. Mais pouvait-on ressusciter Valmy sans faire renaître les sans-culottes de l’an II ?

Dans ses Considérations sur les principaux événements de la révolution française, Germaine de Staël évoque la victoire des révolutionnaires de 1792 contre les monarchies européennes… Au prix d’une levée en masse et d’un élan populaire qui ont culminé dans la Terreur : « Le peuple était animé d’une fureur aussi fatale dans l’intérieur qu’invincible au dehors (…) Tout faisait croire aux gens de la classe ouvrière que le joug de la disparité des fortunes allait enfin cesser de peser sur eux (…) et l’ordre social, dont le secret consiste dans la patience du grand nombre, parut soudain menacé. L’esprit militaire n’avait pour but alors que la défense de la patrie (…) jusqu’au moment où un homme [Robespierre ndlr] a tourné contre la liberté même les légions sorties de terre pour la défendre ».(2) « Défendre la patrie » en même temps que « l’ordre social » ? En 1870 l’équation paraissait impossible à résoudre. 

Dans le Cri du peuple, on peut lire : « la France est maintenant sur la croix, et jamais les clous n’ont été fournis par tant de Judas ni enfoncés par tant de bourreaux ».

C’est ainsi que l’on peut comprendre la tiédeur du « Gouvernement de défense nationale ». Cette coalition de républicains modérés et de monarchistes, mise en place en 1870 pour faire face aux troupes prussiennes, a en effet été condamnée à l’inaction par son refus de mobiliser la population de Paris.

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Victor Hugo photographié par Nadar en 1878.

Le camp « républicain », s’était uni pour faire chuter le Second empire. Il ne tarde pas à se fracturer. Bientôt, les clivages n’opposent plus les républicains aux anti-républicains, mais ceux qui souhaitent la levée en masse pour chasser les envahisseurs prussiens à ceux qui y sont hostiles. Parmi ces derniers la quasi-totalité du camp monarchiste, mais aussi un grand nombre de « républicains modérés ».

Parmi les partisans d’une guerre totale contre les Prussiens, on trouve de futurs « grands noms » de la IIIème République, comme Léon Gambetta ou Victor Hugo. On trouve aussi les républicains les plus radicaux, comme Jules Vallès ou Auguste Blanqui. La plupart d’entre eux s’étaient opposés à l’entrée en guerre de la France avec la Prusse, souhaitée par Napoléon III. Mais une fois l’armée française vaincue et les troupes prussiennes présentes en France, ils se rallient à la défense nationale. S’ils n’approuvent pas le gouvernement conservateur en place, ils estiment que l’indépendance de la France est la première condition pour l’édification d’une société démocratique et égalitaire.

Le Gouvernement de Défense Nationale ne l’entend pas de cette oreille. Au sommet de l’État et dans les plus hautes sphères de l’État-major, certains préfèrent collaborer avec la Prusse et signer un armistice plutôt que de courir le risque d’une insurrection populaire.(3) D’autres estiment que la situation militaire est désespérée et que mieux vaut chercher les conditions d’une paix honorable. En conséquence, le gouvernement joue l’attentisme et décourage les tentatives trop hardies de désencerclement de Paris.

La femme d’Edgard Quinet, membre du Gouvernement de Défense Nationale, écrit : « si Paris s’aperçoit un jour qu’on l’a trompée, le revirement sera terrible ».(4) Inévitablement, les Parisiens finissent par soupçonner le gouvernement de mettre relativement peu de zèle à défendre leur cause. Jules Vallès, rédacteur en chef du journal Le Cri du Peuple, écrit : « la France est maintenant sur la croix, et jamais les clous n’ont été fournis par tant de Judas ni enfoncés par tant de bourreaux ».(5) Blanqui, l’un des représentants les plus radicaux du mouvement socialiste, écrit dans son journal La patrie en danger le 15 janvier : « le cœur se serre au soupçon d’un immense mensonge ». Il dénonce « l’abominable comédie » que constitue ce Gouvernement de Défense Nationale qui prétend défendre la France mais refuse de donner au peuple les moyens d’en chasser les Prussiens. Conscient de son influence sur l’opinion, le Gouvernement de Défense Nationale le fait arrêter et mettre en prison. C’est la première étape d’une longue escalade.

Blanqui
Auguste Blanqui © Auteur inconnu

Le 18 mars 1871, le Gouvernement de Défense Nationale ordonne le désarmement de Paris. Partout dans Paris, des troupes s’activent pour retirer l’attirail qui permettait de défendre la capitale. Mais sur la butte de Montmartre, les ouvriers parisiens refusent qu’on leur retire les canons. Les soldats envoyés pour désarmer Montmartre reçoivent l’ordre de tirer sur les ouvriers ; ils refusent, finissent par rejoindre les ouvriers et livrer leurs officiers à la fureur vengeresse de la foule. Ainsi débute l’insurrection de la Commune.

« Place à la Commune, place au peuple ! »

Les mouvements républicains et socialistes réclamaient depuis plusieurs semaines la mise en place d’une « Commune » de Paris, dont la fonction serait de défendre Paris à la place du Gouvernement de Défense Nationale, et de secourir sa population victime du froid et de la misère. Sur une affiche placardée en janvier 1871 et co-écrite par Jules Vallès, on peut lire : « Le grand peuple de 89 qui détruit les Bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il dans un désespoir inerte, que le froid et la famine aient glacé dans son coeur, dont l’ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang ? ». Elle se conclut sur ces mots : « Réquisitionnement général. Rationnement gratuit. Attaque en masse. Place au peuple ! Place à la Commune ! ».

L’action de la Commune était « toute empreinte de ce sentiment, vaguement socialiste parce qu’humanitaire, mais surtout jacobin, des montagnards de la Convention et de la Commune de 1793, sentiment révolutionnaire que personnifiaient en somme Delescluze à sa façon et les disciples de Blanqui, à la leur »

À la suite du 18 mars, des élections sont convoquées pour diriger cette Commune. Une majorité jacobine est élue, héritière de la tradition républicaine de 1793 et teintée d’éléments socialistes, collectivistes et anarchistes.

Communiste, la Commune ? L’hommage que lui a rendu le mouvement ouvrier tout au long du XXème siècle, la source d’inspiration qu’elle a représenté pour un nombre incalculable de gouvernements socialistes, pourrait le laisser penser. L’historiographie républicaine ayant délaissé la Commune, c’est avant tout la mémoire communiste et anarchiste qui a entretenu son souvenir. L’épithète communiste est en outre fréquemment mobilisé par ses adversaires, dès les premiers jours de son existence.

Communiste, la Commune ne l’était pourtant pas. Son but premier était de défendre la patrie en danger, selon l’expression consacrée. En outre, la doctrine sociale des Jacobins était trop imprécise pour déboucher sur un programme économique cohérent. Gaston da Costa résume : l’action de la Commune était « toute empreinte de ce sentiment, vaguement socialiste parce qu’humanitaire, mais surtout jacobin, des montagnards de la Convention et de la Commune de 1793, sentiment révolutionnaire que personnifiaient en somme Delescluze à sa façon et les disciples de Blanqui, à la leur ».(6)

Elle portait cependant en elle une indéniable dimension populaire et révolutionnaire. Le patriotisme dont se réclamaient les Communards n’était pas le patriotisme qui fut celui de la future IIIème République, ni le chauvinisme d’un Maurras ou d’un Barrès. C’était le patriotisme égalitaire de la Ière République, celui de 1793 et des sans-culottes. La patrie n’était pas pour les Communards une entité tellurique ou géographique. C’était la communauté elle-même, ou plus exactement la « communauté des affections », pour reprendre l’expression de Saint-Just. La défendre, lui donner corps et lui donner vie, impliquait pour les Communards d’en faire la propriété de tous, et pas seulement des plus puissants. Ainsi s’explique la radicalité des mesures politiques prises par la Commune de Paris : la mise en place d’institutions redistributives du pouvoir et de la richesse allait de pair, pour ses représentants, avec la défense physique de la France.

Liberté, égalité, fraternité ou la mort
La Révolution Française, source d’inspiration constante pour la Commune.

La Commune a donc imposé des mesures d’urgence chargées de soulager la population parisienne : extension du remboursement des dettes sur trois ans, interdiction d’expulser un locataire de son logement, rationnement gratuit… Des embryons de mesures sociales sont ensuite votées : interdiction du travail de nuit pour les boulangers, réquisition des entreprises abandonnées par les grands propriétaires ; elles sont gérées en autonomie par les ouvriers, et le travail y est limité à 10 heures par jour.

La Commune met surtout en place les germes d’une démocratie directe. Des Jacobins aux anarchistes, il existait un objectif commun parmi les Communard : l’institution des conditions d’une souveraineté populaire réelle. C’est la raison pour laquelle la Commune a expérimenté la mise en place d’un nouveau contrat entre représentants et représentés, sous la forme du mandat impératif : les élus n’étaient plus considérés comme autonomes de leurs électeurs pendant leur mandature, mais constamment révocables. Les Communards pensaient que sans contrôle des élus par le peuple, sans implication permanente et quotidienne du peuple dans les affaires politiques, sans politisation intense et constante de la vie de chaque citoyen, la démocratie ne serait qu’une coquille vide.

Comme sous la Révolution Française, une multitude de clubs politiques, de sociétés populaires, de journaux essaiment partout dans Paris. Ils favorisent l’implication permanente du peuple dans la vie de la cité. Karl Marx, observateur attentif de cet épisode, s’en réjouissait ; à ses yeux, le suffrage universel sous un régime représentatif permet au peuple « de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante doit « représenter » et fouler aux pieds le peuple au parlement ». Avec la Commune, ajoutait-il, le suffrage universel donne au peuple les moyens « de remplacer les maîtres toujours hautains du peuple par des serviteurs toujours révocables ».(7)

Dans ce même esprit de concrétisation de la souveraineté populaire, la Commune a encouragé la prise du pouvoir militaire par la population. L’armée de métier a été aboli, et les représentants de la Commune ont poussé chaque citoyen à prendre les armes. Le Comité central de la Commune appelait à la création d’une « milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir, au lieu d’une armée qui défend le gouvernement contre les citoyens ».

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Louise Michel © J. M. Lopez

Une remise en question aussi radicale de la hiérarchie qui existait entre possédants et travailleurs, entre représentants et représentés, ne pouvait pas ne pas affecter toutes les sphères de la société. Cette effervescence politique a également conduit au questionnement du rôle auquel la société cantonnait traditionnellement les femmes : celles de citoyennes passives, par nature inférieures aux hommes. La Commune a été une expérience politique qui a permis à nombre de femmes de s’impliquer dans la vie de la cité au même titre que les hommes. Ce sont elles qui, à la tête des clubs populaires et des journaux féministes comme la Sociale d’Andrée Léo, ont imposé à la Commune ses mesures sociales les plus avancées. C’est sous la Commune que sont apparues plusieurs des grandes figures du féminisme, comme Louise Michel.

Sur le plan scolaire, la Commune réalise en deux mois ce que la IIIème République a mis trois décennies à imposer. L’école gratuite, laïque et obligatoire pour tous est votée et des écoles sont construites.

On comprend le tabou qui, longtemps, a expurgé de l’historiographie républicaine la Commune de Paris, expérience républicaine s’il en fut. Adolphe Thiers, commanditaire du massacre de la Commune, compte au nombre des « pères fondateurs » de la IIIème République.

Ces mesures, souvent embryonnaires, parfois contradictoires, sont le produit d’une synthèse des différentes tendances républicaines qui ont oeuvré à l’événement. L’absence d’étude détaillée de son oeuvre institutionnelle dans la plupart des ouvrages traitant de l’histoire de la République française interroge.

L’illusion lyrique et les intérêts de classe : les raisons d’un oubli

L’attitude que l’on nommerait aujourd’hui idéaliste des Communards n’est pas pour rien dans l’aura dont ils jouissent encore aujourd’hui – là où Versaillais et Prussiens se sont démarqués par une Realpolitik à toute épreuve. Les mouvements révolutionnaires du XXème siècle ne l’ont pas oublié. Si Lénine a dansé dans la neige, selon une anecdote célèbre, lorsque la durée de la Révolution bolchévique a dépassé celle de la Commune d’une journée, c’est parce que le souvenir de la Semaine sanglante plane encore, comme un spectre, sur la Russie de 1917.

Comme pour les révolutionnaires de 1848, la fraternité est le maître mot des Communards. Jules Vallès, qui compte pourtant parmi les plus radicaux, tente encore de distinguer une « bourgeoisie parasite » d’une « bourgeoisie travailleuse ». Alors que la première « rafle, par des systèmes de banques ténébreux, les bénéfices que font ceux qui se donnent du mal », la seconde, « qui descend en casquette à l’atelier, rôde en sabots dans la boue des usines », « est, par ses angoisses, la soeur du prolétariat ».(8) Le laconisme de Karl Marx en 1848 – « la fraternité dura juste le temps où l’intérêt de la bourgeoisie était frère de l’intérêt du prolétariat » (9) – résonne avec la même cruelle ironie trois décennies plus tard. 

Jules Vallès
Jules Vallès en 1871 © Inconnu

Le 28 mars 1871, qui voit l’organisation d’une gigantesque fête populaire, signe l’apogée de cette illusion lyrique. Sous des drapeaux rouges et tricolores mêlés, 200 000 gardes nationaux défilent.  Jules Vallès, dont l’audience devient considérable sous la Commune de Paris, rend compte de cet enthousiasme dans Le Cri du Peuple : « Ce soleil tiède et clair, le frisson des drapeaux, le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue (…) notre génération est consolée ! Nous voilà payés de vingt ans de défaites et d’angoisses. » Il ajoute : « Fils des désespérés, tu seras un homme libre ! »(10)

S’il y a bien une caractéristique qui singularise les Communards, c’est cette déconnexion entre l’urgence critique du moment et le caractère utopique de leurs projets. Alors que les Versaillais ont fait preuve d’un sens stratégique aigu et machiavélien, les Communards ont cherché à multiplier les projets de société et les symboles fracassants.

Au moment où les Versaillais massaient leurs troupes autour de Paris dans le but d’écraser la Commune, celle-ci se préoccupait de la refonte de l’éducation, conçue comme un instrument qui extirperait l’individualisme et l’égoïsme de l’esprit des citoyens. Sur une note issue du Comité chargé de l’éducation, on peut lire : « L’école doit apprendre à l’enfant à respecter et à aimer les autres. Lui inspirer le goût et le souci de la justice. Lui faire comprendre qu’il doit s’instruire non pas seulement pour son propre devenir, mais dans l’intérêt de la collectivité ». Quelques jours plus tard, alors même que Paris est encore encerclée par les troupes prussiennes, les Communards déracinent la Colonne Vendôme érigée à la gloire de Napoléon. Cette colonne, selon eux, constituait « un monument de barbarie, le symbole de la force brutale et de la fausse gloire, l’affirmation de l’impérialisme, la négation du droit des gens ».

C’était en des termes moins fleuris que Rouland, gouverneur de la Banque de France, évoquait la tâche qui incombait aux Versaillais : « Devant nous, c’est la République rouge, jacobine et communiste. Ces gens-là ne connaissent qu’une seule défaite : celle de la force » (11).

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Adolphe Thiers photographié par Nadar

Tandis que les Communards affirmaient ainsi la vocation internationaliste de leur idéal – multipliant par ailleurs les appels à la fraternisation à l’égard des soldats allemands -, à Versailles, se constituait une autre Internationale : celle des classes dominantes. Et lorsque les premiers combats avec les Versaillais commençaient, les Communards n’ont pas renoncé aux principes de démocratie directe au sein de leur armée, entraînant une perte d’efficacité considérable de leurs troupes…

C’est Adolphe Thiers, président du gouvernement provisoire français, qui a pris en charge la répression de la Commune. Après avoir signé l’armistice avec l’armée allemande, il ordonne la levée en masse de troupes venue des quatre coins de la France pour marcher sur Paris. Avec la complicité de l’armée prussienne, il pénètre dans la capitale le 21 mai et massacre méthodiquement les insurgés, mal organisés, mal préparés, mal informés par leurs journaux, tétanisés par la cruauté des premiers combats. La « Semaine Sanglante », qui se déroule du 21 au 28 mai, constitue l’un des épisodes les plus brutaux de l’Histoire de la capitale. C’est entre 17,000 Communards – estimation de Camille Pelletant, auteur d’un premier rapport sur la question – et 7,000 – estimation contemporaine de Robert Tombs – qui ont succombé au massacre. 

Les survivants ont été internés dans des camps, soumis à des tortures humiliantes et souvent emprisonnés ou déportés. Cette hécatombe a été soutenue par l’immense majorité de l’élite intellectuelle et politique de l’époque, qu’elle soit monarchiste ou républicaine « modérée ».

On comprend le tabou qui, longtemps, a expurgé de l’historiographie républicaine la Commune de Paris, expérience républicaine s’il en fut. Adolphe Thiers, commanditaire du massacre de la Commune, compte au nombre des « pères fondateurs » de la IIIème République. C’est lui que l’Assemblée de 1875 ovationne à la quasi-unanimité, à la demande de Léon Gambetta, comme l’un des architectes du nouveau régime. Les réformes républicaines successives, pour certaines similaires à celles votées par la Commune, ne prennent jamais appui sur cette dernière. Et alors que les relations se durcissent avec l’Allemagne, jusqu’à la Première guerre mondiale, l’exemple de la Commune n’est jamais convoqué par les gouvernants.

Aujourd’hui encore, cette expérience politique éphémère demeure trop sulfureuse pour mériter une place significative dans l’historiographie de la République française.

Notes :

(1) Etienne Van de Walle et Samuel H. Preston, « Mortalité de l’enfance au XIXe siècle à Paris et dans le département de la Seine », Population, 29-1, 1974.

(2) Germaine de Staël, Considérations sur les principaux événements de la révolution française, Éditions Charpentier, 1843, pp. 297-298.

(3) On doit à Henri Guillemin, tout au long de ses trois livres dédiés à la Commune, une étude approfondie qui établit les raisons pour lesquelles le Gouvernement de défense nationale a refusé de mobiliser les Parisiens pour défendre la ville. 

(4) Citée par ce dernier.

(5) « Ceignez vos écharpes », Le cri du peuple, 7 mars 1871. 

(6) Gaston da Costa, La commune vécue, Ancienne maison Quentin, 1903, p. 68.

(7) Karl Marx, La guerre civile en France, texte écrit pour l’Association internationale des travailleurs et édité en 1871.

(8) « Paris, ville libre », Le cri du peuple, 22 mars 1871.

(9) Karl Marx, Les luttes de classes en France, « La défaite de juin 1848 », 1850.

(10) « Le 26 mars », Le cri du peuple, 28 mars 1871.

(11) Cité par Henri Guillemin, L’avènement de M. Thiers et réflexions sur la Commune, Utovie, 2003.