La French Tech contre l’écologie

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À la fin du mois de septembre, tout l’écosystème French Tech était invité à assister à « La Rentrée de la French Tech » qui se tenait à Bercy. Le président Macron a tenu à adresser quatre messages à ses « chers amis », entrepreneurs et investisseurs. Sa gestuelle et son ton combattifs témoignent de sa volonté de parachever la start-upisation de la France – au mépris des enjeux sociaux et environnementaux, et sans prise en compte des conditions de possibilité de l’émergence d’une filière technologique véritablement souveraine.

Le premier message est celui de l’impératif de « concilier croissance, justice sociale et environnement est l’enjeu central du 21ème siècle. ». Car, le président l’admet et nul ne saurait le contredire sur ce point : « On ne peut plus produire, consommer, croître comme nous l’avons fait au 20ème siècle. » Il appelle donc à considérer les conséquences environnementales et sociales de nos actions et de nos entreprises et invite les entrepreneurs à inventer un nouveau modèle économique qui « mette ces notions au cœur de nos préoccupations ».

Si le terme n’est pas explicitement lâché, le président véhicule ici les imaginaires de la croissance verte : ce nouvel eldorado capitaliste, où la croissance respecterait l’environnement et les équilibres sociaux. Cette croissance verte repose sur l’idée qu’il serait possible de découpler la croissance économique de ses externalités négatives (consommation des ressources abiotiques, d’eau, destruction de la biodiversité, production de déchets, etc.). Ce découplage est – considérant l’état géopolitique du monde contemporain – un fantasme. L’économie du 21ème siècle repose toujours d’une part sur l’échange de biens et de services, si numériques et technologiques soient-ils, fonctionnant grâce à de la matière, qu’il faut extraire, transformer, assembler, et transporter, et d’autre part sur la précarisation de populations déjà fragiles, ici par l’explosion du recours au statut d’auto-entrepreneur1, ou là en soutenant des projets d’extractions dans des zones géopolitiques déjà en tension2.

Deuxièmement : « Pour inventer ce modèle, notre première arme, c’est l’innovation. » Le président invite les entrepreneurs français et leurs collaborateurs à continuer d’innover, au nom de la souveraineté nationale, de la prospérité économique, des emplois créés et de ceux à venir partout sur le territoire.

De quelle souveraineté parle-t-on ici ? Le fonctionnement de tout appareil électronique repose sur des composantes aux alliages physico-chimiques complexes. La Chine produit 95% de ces éléments rares et a le quasi-monopole sur d’autres métaux rares. C’est aussi elle qui impose quotas et embargos. D’autre part, la chaîne logistique entre le minerai brut et l’industriel final comprend près d’une quinzaine d’intermédiaires parfois difficiles à identifier, cartographier, et donc contrôler3.

Sur le plan logiciel, la grande majorité de ces start-ups ont choisi de s’adosser à des services cloud des géants américains Amazon Web Service, Google Suite, ou encore Microsoft – contre la position monopolistique desquels le gouvernement américain semble avoir renoncé à lutter. Ce, dans un contexte où les entreprises américaines se livrent à une politique agressive de rachats d’actifs français, à laquelle le gouvernement assiste avec passivité.

Pour ce qui est de la création d’emplois, le monde entrepreneurial des start-ups est des plus inégalitaires et il y règne un entre soi sociologique morbide. Les fondateurs (et les rares fondatrices) de start-ups sont sur-sélectionnés socialement, scolairement, professionnellement : les chances de succès restent plutôt réservées à une population masculine, diplômée des grandes écoles, socialement favorisée et en somme déjà bien insérée sur le marché du travail4. Ainsi, si le nombre de poste à pourvoir peut potentiellement augmenter, ces postes ne sont adressés qu’à une frange minime de la population, celle-là même pour qui l’emploi n’est pas un sujet de préoccupation. L’enjeu n’est pas le nombre de postes à pourvoir, mais bien l’adéquation entre les offres et les compétences des demandeurs d’emplois.

Si selon le président, la France se doit d’aller « plus loin, plus fort, plus haut », son atterrissage n’en sera que plus périlleux.

Troisièmement, le président affiche son ambition pour la France : « Devenir la première puissance de la Tech en Europe ». La question se pose de savoir selon quels indicateurs organiser ce classement : en termes de justice sociale ? Selon des critères environnementaux ?

L’ambition n’est que comptable : créer plus de start-ups et lever plus de fonds. Le président appelle à amplifier le mouvement de création de « produits disruptifs », poursuivre la montée en gamme de notre « écosystème d’investissement » même s’il note d’un ton paternaliste que sur ce sujet « tout le monde a grandi ». Un exemple prégnant de cette maturation est sans doute la levée de fonds record de 580 millions d’euros réalisée par la start-up française Sorare. Cette start-up fondée en 2018 mise sur la technologie NFT (Non-Fongible Tokens, une sorte de certificat d’authenticité et de propriété numérique basé sur la blockchain) pour créer un jeu en ligne d’échange de vignettes de joueurs de football. Disruption, justice sociale et respect de l’environnement.

Il affirme, en frappant son poing droit dans sa main gauche – les plus fins sémiologues pourront y voir une métaphore gestuelle de ses inclinaisons politiques – que rattraper le Royaume-Uni est non seulement possible, mais souhaitable pour notre économie.

Pour ce faire, et c’est le quatrième message de cette rentrée, les acteurs de la French Tech bénéficient, depuis 2017, et continueront de bénéficier du support et du soutien du gouvernement. Le président en campagne vante son bilan en mettant en avant les chantiers de transformation de la fiscalité et de simplification de la vie des entreprises, notamment grâce aux lois Pacte et ASAP et semble à présent attendre une contrepartie des entreprises : qu’elles se responsabilisent et fassent évoluer leurs pratiques dans un sens que le gouvernement s’est refusé à inscrire dans la loi, en ne rendant pas contraignant la définition de la « raison d’être » des entreprises à mission (Loi Pacte), en vidant de sa substance la loi Climat ou la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique ou en ne conditionnant pas les aides du Plan de relance, par exemple.

Cette séquence s’est achevée le mardi 12 octobre par la présentation à l’Élysée du plan France 2030 dont le financement à hauteur de 30 milliards d’euros sur 5 ans doit servir, en partie au moins, à « décarboner l’économie ». Cette pluie de milliards à destination des secteurs de l’énergie, des transports, de la santé, de la culture relève d’un même paradigme : optimiser l’existant pour s’économiser l’effort d’un changement. Traiter les symptômes plutôt que d’empêcher la maladie d’advenir. Tenter de réparer plutôt que de préserver. « Produire plus », « devenir les leaders », « prendre la tête » restent les maîtres mots d’une politique obsolète, qui rêve encore de conquérir l’espace après avoir ruiné la vie sur Terre.

Notes :

(1) France Info, « Hausse du nombre d’auto-entrepreneurs : “Le phénomène n’est pas nouveau” et a “tendance à exploser” en période de crise, selon la FNAE », 3 février 2021,

(2) Kansoun, Louis-Nino, « Le Coltan pour le meilleur et pour le pire », Ecofin Hebdo, décembre 2017.

(3) Pitron, Guillaume, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018.

(4) Flécher, Marion, Des inégalités d’accès aux inégalités de succès : enquête sur les fondateurs et fondatrices de start-up, Université Paris Dauphine, 2020.