La vertueuse indignation des médias face à l’assaut du Capitole

La contestation de la victoire de Joe Biden a culminé lors de la violente émeute au Capitole, qui devait tenter de prendre le contrôle des institutions publiques, avec le soutien passif d’une partie des forces de police. Il est difficile de ne pas éprouver un sentiment de déjà-vu. Ce procédé ressemble aux nombreuses révoltes des secteurs d’extrême-droite contre les victoires des gouvernements « bolivariens » ou nationaux-populaires d’Amérique latine, le cas bolivien étant le plus récent. La différence dans le traitement médiatique de phénomènes pourtant similaires ne peut qu’interroger. Par Denis Rogatyuk, traduction par David Durillon et Catherine Malgouyres-Coffin.

Aucune comparaison entre des processus électoraux différents ne peut être menée avec exactitude. Mais le modèle de contestation développé par les forces politiques d’extrême droite à travers l’Amérique latine, face à une défaite électorale imminente, semble avoir atteint le Nord du continent. Cette stratégie a longtemps été un élément crucial de l’arsenal de l’opposition vénézuélienne, jouant un rôle important dans chaque élection majeure depuis la course à la présidence de 2013.

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Son premier grand promoteur, Henrique Capriles Radonski, était si convaincu que la courte victoire de Nicolás Maduro avec seulement 50,6% des voix était le produit d’une fraude massive que dans les jours suivant l’annonce des résultats, il a appelé ses partisans à « exprimer leur rage dans les rues ». Les émeutes et les manifestations violentes de l’opposition qui en ont résulté ont causé la mort de onze personnes (pour la plupart chavistes) et ont préparé le terrain pour la stratégie à long terme de l’opposition. Cette stratégie consiste à tenter de renverser le gouvernement de Maduro par divers moyens directs et indirects. Juan Guaidó s’est ainsi également proclamé président «par intérim» du pays sans légalité aucune.

La tactique consistant à crier à la fraude a été imitée puis déployée par le principal candidat de l’opposition de droite, Guillermo Lasso, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle équatorienne. De la même manière, il a ainsi affirmé que le Conseil électoral national (CNE) de l’Équateur avait faussé le résultat final en faveur du candidat d’alors du le parti Alianza País, Lenín Moreno. L’exemple le plus récent et le plus marquant, cependant, est celui des élections d’octobre 2019 en Bolivie.

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Tout comme Donald Trump, diverses personnalités politiques boliviennes, en particulier le principal candidat d’opposition Carlos Mesa et le leader du coup d’État Luis Fernando Camacho, ont brandi le spectre de la fraude au cours des mois précédant les élections. Ils ont ainsi ajouté une pression supplémentaire avec la présence d’observateurs électoraux «indépendants» tels que l’Organisation des États américains (OEA). De même, les mois qui ont suivi les élections américaines ont été marqués par les affirmations de Trump selon lesquelles la fraude électorale était presque inévitable. Une fois les premiers résultats officiels connus, le schéma de réaction de Trump et celui de ses homologues boliviens fut presque identique.

Profitant de la lenteur du dépouillement, aux États-Unis en raison du COVID-19 et en Bolivie en raison de l’arrivée tardive des votes ruraux, Trump et les dirigeants boliviens Mesa et Camacho favorables au coup d’État, ont pris le devant de la scène pour proclamer leurs « victoires » respectives mais également pour avertir leurs partisans et les médias internationaux qu’il y aurait une tentative de « voler » les élections.

Ces proclamations, ainsi que les spéculations sur la probabilité de fraude propagée sur les réseaux sociaux, ont été la poudrière déclenchant les manifestations dans les deux pays. Alors qu’en Bolivie, la cible des manifestants était le gouvernement d’Evo Morales et le Tribunal électoral suprême (TSE), les foules pro-Trump ont commencé à se rassembler dans les principaux États clés des élections (Nevada, Pennsylvanie et Géorgie) pour arrêter le processus de dépouillement.

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Des milices armées ont également fait leur apparition, à la manière de la Resistencia Juvenil Cochala (RJC) et de l’intervention du groupe de jeunes phalangistes Unión Juvenil Cruceñista (UCJ) en Bolivie. Pendant ce temps, diverses sectes et groupes religieux ont commencé à avertir du complot « satanique » visant à voler l’élection à Trump, tout comme ces rassemblements de masse de chrétiens évangéliques à Santa Cruz, dirigés par le chef d’extrême droite Camacho, à la veille du coup d’Etat.

Alors que ces hurlements à la « fraude » se poursuivaient, les manifestations pro-Trump se sont transformées en une violente tentative d’insurrection au sein du Capitole, les manifestants franchissant les barricades aidés de milices et de groupes armés, tandis que la police et les forces armées restaient passives, avant de se retirer.

Quelques différences clés doivent bien sûr être soulignées entre ces deux cas. Trump, contrairement aux leaders de l’opposition bolivienne Mesa et Camacho, s’est attiré les foudres d’une partie de l’élite économique des États-Unis, tout en ayant gardé le soutien d’une partie des principaux médias privés du pays. Et contrairement à Mesa, Donald Trump n’a pas d’organisation internationale majeure comme l’OEA pour vérifier ou rejeter ses allégations de fraude. Et malgré l’obsession continue de l’establishment démocrate et des médias grand public pour le soi-disant scandale du Russiagate, les États-Unis ne sont pas confrontés à la perspective d’une intervention étrangère, comparable à celle que son propre gouvernement fait peser sur les pays d’Amérique du Sud.

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