« Le cycle des mobilisations aux États-Unis est sans précédent » – Entretien avec Mathieu Magnaudeix

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Women’s March on NYC 2019 ©Dimitri Rodriguez

Le rapport des forces progressistes aux États-Unis a beaucoup évolué ces dernières années. Alors que l’image négative de l’Empire conspué écrasait tout il y a encore une décennie, la campagne radicale de Bernie Sanders en 2016 et l’émergence tonitruante d’Alexandria Ocasio-Cortez deux ans plus tard en ont fait une nouvelle source d’inspiration. Dans Génération Ocasio-Cortez : Les nouveaux activistes américains, Mathieu Magnaudeix, journaliste chez Mediapart, plonge en profondeur dans ces réseaux qui agitent la scène politique américaine depuis quelques années. À l’aube d’une élection présidentielle peu reluisante, nous avons voulu interroger l’auteur sur les perspectives de ces forces de changement après la défaite de Bernie Sanders. Retranscription par Catherine Malgouyres-Coffin.


LVSL – Ces dernières années, les États-Unis ont connu une effervescence militante et un renouveau des visages politiques. Vous attribuez ça à l’accumulation d’une énergie politique et historique ces deux dernières décennies. Quelles en sont les sources ?

Mathieu Magnaudeix – La source immédiate, c’est l’élection de Donald Trump. Pour beaucoup d’observateurs à l’étranger mais également aux États-Unis, elle était inattendue. Cette élection a constitué un choc, une révélation de la colère de l’Amérique, une colère sociale, mais aussi racialisée. Les deux peuvent se combiner, et Donald Trump a su exploiter une partie de cette colère, même si évidemment tout le monde ne traduit pas la colère sociale en termes raciaux. De fait, Donald Trump a su parler à une partie suffisamment importante de l’électorat, au-delà du simple électorat républicain. Il a mené une campagne d’entertainer, personnage venu de la télé réalité, jouant sur la notoriété et sur ses prouesses supposées d’homme d’affaires. Même si la suite a montré qu’en réalité tout cela est largement du show : il n’a pas autant de succès en réalité comme homme d’affaires et n’est même pas milliardaire, contrairement à ce qu’il dit.

Au-delà du personnage de Donald Trump, de son occupation permanente de l’espace médiatique, son élection a constitué un élément de choc et de stupeur. Elle continue, trois ans et demi après, de saisir le monde et d’horrifier une partie des Américains. Pour beaucoup de gens assez jeunes, qui n’étaient pas forcément politisés, l’élection de Trump est devenue un révélateur de tous les symptômes du « cauchemar américain », selon l’expression de Wendy Brown, résultat notamment d’inégalités sociales ravageuses inacceptables. Comme le dit souvent Bernie Sanders, trois milliardaires détiennent la moitié du patrimoine des Américains. Par ailleurs, le racisme gangrène la société américaine et les conditions matérielles de vie se sont dégradées à grande vitesse. Ce dernier point est particulièrement important. Pour la plupart des Américains, y compris les classes moyennes et les CSP+, les conditions matérielles de vie sont insupportables et inacceptables. Le néolibéralisme a profondément impacté la vie des Américains, si bien que les gens sont atomisés ; certains ont trois ou quatre boulots, sont perclus de dettes, n’ont pas d’argent. L’épidémie de Covid l’a révélé au grand jour : il y a une difficulté extraordinaire à se payer des soins de base ; des couches entières de la population peuvent basculer très vite dans des conditions matérielles très difficiles. 40% des Américains ont un compte bancaire vide, aucune épargne disponible. C’est dans ce paysage social dramatique que Trump a été élu.

Pour autant, les politiques publiques de Trump une fois élu ont révélé son projet: son grand œuvre, à l’hiver 2017, a été sa réforme fiscale qui a consisté à donner beaucoup d’argent aux multinationales comme aux foyers les plus aisés. Cette réforme est le symptôme que les politiques publiques aux États-Unis sont en faillite. La politique fiscale de Donald Trump s’est faite au détriment des classes populaires et des classes moyennes.

Très vite, à cause de cette conflagration entre les conditions matérielles de la vie des gens et ce que révélait la victoire de Donald Trump, qui a fait une campagne agressive, raciste et sexiste (on se rappelle qu’il se vantait d’attraper les femmes « by the pussy »), on a vu des mobilisations s’organiser. En fait, l’élection de Donald Trump a été un catalyseur.

La première des mobilisations a été la Women’s March, la Marche des femmes, dont je rappelle l’importance dans le livre. Même si elle a fini par péricliter en raison de divisions profondes, elle a représenté, dès le lendemain de l’investiture de Trump, le premier vrai mouvement d’ampleur. Les mobilisations se sont donc enclenchées par la colère des femmes. Donald Trump a assumé pendant la campagne le fait qu’il était le candidat qui allait sauver l’Amérique blanche et masculine. Il a joué sur la corde d’un monde menacé, qu’il fallait sauver et auquel il fallait redonner un élan comme l’indique son slogan : « Make America Great Again ». Sa rhétorique portait une nostalgie, un projet de retour à la « Grande » Amérique d’avant, en réalité mythifiée puisqu’elle excluait des pans entiers de la population.

Ces mobilisations montrent que l’élection de Donald Trump représente la quintessence du système politique américain et de ses blocages. Les Républicains ne changeront pas la vie des gens, ce n’est pas leur projet politique, et ça l’est encore moins avec Trump. Mais les Démocrates non plus, en tout cas pas suffisamment. Pour beaucoup d’Américains, et même si celui-ci reste une figure populaire, la grande déception a été les deux mandats Obama : du point de vue des politiques qui ont été mises en place, l’absence de mesures fortes de régulation financière au moment de la crise de 2008, et généralement l’incapacité à changer la vie des gens.

LVSL – Quelles sont les organisations qui ont contribué à l’essor de ce cycle politique ?

M.M. – Ces mobilisations ont ensuite essaimé dans plein de champs. Elles s’appuient sur un terreau qui est déjà existant aux États-Unis : il existe un maillage d’organisations structurées y compris au niveau local. La culture de la mobilisation américaine est un peu différente de la nôtre. Ces organisations ont l’habitude de mobiliser localement pour obtenir des buts précis, buts qui sont parfois très locaux. Là, il y a eu une explosion de mouvements qui ont aussi eu vocation à être nationaux, même si leur dimension locale restait présente. C’est le cas des mouvements comme Sunrise, qui organise localement et nationalement, et se pose par ailleurs la question du pouvoir.

Construire du pouvoir, c’est ce que font ces organisations traditionnellement pour influencer les pouvoirs publics, gagner leurs campagnes. La nouveauté, c’est qu’elles cherchent aussi à construire aussi la capacité à prendre le pouvoir, très concrètement, au sein du Parti démocrate. Ces organisations ont acté qu’un troisième parti ne pouvaient pas émerger de façon suffisante pour changer véritablement le système politique à des fins progressistes. Comme Trump qui a en quelque sorte « pris » le parti Républicain contre son gré, ces organisations veulent déborder le Parti démocrate sur sa gauche. Cette idée de construire une hégémonie politique nouvelle au sein du Parti démocrate grandit.

Cela implique de créer des organisations puissantes, qui assument y compris l’aspect électoral des choses. Le symbole de cette prise de conscience, c’est par exemple ce qui s’est passé autour de la candidature de Cori Bush dans le Missouri, un État du Midwest, qui après avoir gagné cet été une élection primaire face à une figure du parti démocrate est désormais assurée d’entrer au Congrès en novembre.

Cette pasteure et infirmière est venue à la politique après les émeutes de Black Lives Matter à Fergusson en 2014-2015. Elle a été sur le terrain : elle a alors aidé les gens qui ont été confrontés à la police dans les rues. Puis elle est devenue un des nombreux leaders de ce mouvement. Lors de sa campagne, elle a été épaulée par plusieurs organisations, notamment Sunrise qui s’est créé juste après l’élection de Donald Trump en 2017, avec cette idée de faire advenir un Green New Deal aux États-Unis dans les trois ans à venir. Ce qui est extrêmement ambitieux, puisque Donald Trump à la Maison Blanche dérégulait à tout va, notamment sur les sujets environnementaux.

Cori Bush était également soutenue par Justice Democrats, une organisation proche d’Ocasio-Cortez. Leur leitmotiv est de faire émerger des candidats pour défier des sortants démocrates aux élections. Depuis 2018, sept candidats soutenus par Justice Democrats ont battu des sortants issus de l’establishment. C’est arrivé du côté des Républicains au moment du Tea Party, mais ce n’était pas arrivé dans le Parti démocrate depuis très longtemps. Ces deux organisations ont fait le travail local et ont aidée Cori Bush à gagner sa primaire face à Lacy Clay qui est un baron démocrate noir, dont le père détenait la circonscription depuis 1969.

C’est une contestation très claire de l’establishment démocrate par la base. Cori Bush avait perdu la première fois en 2018. Elle a finalement gagné. Ces organisations, certaines en tout cas, assument désormais ce côté à la fois insider et outsider de la politique électorale : c’est à dire faire pression à l’extérieur dans la société, monter des mouvements, des campagnes, interpeller les pouvoirs publics, les décideurs ; et d’autre part revendiquer le pouvoir purement et simplement. Sinon, il y a un plafond de verre qui, malgré toutes les campagnes de terrain, empêchent que ces politiques soient traduites dans le quotidien des gens.

LVSL – Quels ont été les autres mobilisations qui ont marqué les dernières années du mandat Trump ?

M.M. – Les années 2017-2018, jusqu’au mouvement actuel, ont été des années d’intense mobilisation : avec la Women’s March, avec la marche pour le climat, avec toutes sortes de manifestations, y compris hyper locales, contre l’agenda de Donald Trump. Jeremy Pressman, un universitaire, a compté ces manifestations comme je l’indique dans le livre et considère que le phénomène est sans précédent. Il y a aussi eu la mobilisation contre les armes à feu en réponse aux fusillades, à la violence et au nombre d’armes à disposition. C’est aussi une mobilisation extrêmement politique, puisque les armes à feu sont devenues une question identitaire pour les Républicains à travers la défense du Second amendement. Les gens qui considèrent qu’il faut réguler les armes ont aussi réagi contre ce dogme ardemment défendu par Trump.

Plus récemment, il y a eu les mobilisations des derniers mois, des dernières semaines, qui continuent encore et constituent le mouvement social le plus important depuis très longtemps aux États-Unis, peut-être même de l’Histoire. Le mouvement des droits civiques était extrêmement intense, mais n’a peut-être pas mobilisé autant en si peu de temps. On est sur des organisations qui auraient mobilisé entre 15 et 23 millions de personnes. Le cycle de mobilisation aux États-Unis est sans précédent.

C’est un élément extrêmement central. Des mobilisations comme ça, sans vouloir prédire le résultat des élections à venir, construisent de la politique, font venir de nouvelles générations à la politique, créent des solidarités, de l’envie de faire de la politique. Cette effervescence-là aura de toutes façon un impact. Cette effervescence des dernières années, je trouve qu’elle a beaucoup été sous-estimée. On nous a dit: « Mais la gauche américaine n’existe pas. Ce n’est pas assez fort. Ce ne sont pas des gens qui se mobilisent vraiment. Cela n’est pas important ». Je pense que c’est une erreur de voir les choses ainsi. Frances Fox Piven, 87 ans, l’égérie des mouvements sociaux aux États-Unis, qui a accompagné toutes les mobilisations depuis les années 1960, m’a dit récemment lors d’un entretien pour Mediapart: « C’est le mouvement que j’ai attendu depuis si longtemps ! ».

Évidemment, tout cela ne vient pas de nulle part. Ce cycle s’ancre dans vingt ans de mobilisations qui ont couru pendant toute cette période, malgré la guerre en Irak, malgré les années Bush, malgré la crise financière, parfois même déclenchées par ces événements, puisque la guerre en Irak a suscité une opposition importante, et la crise financière a suscité Occupy Wall Street.

Il y a eu de grands mouvements. Par exemple, la mobilisation du mouvement altermondialiste pour la justice globale au tournant des années 2000 a laissé des traces substantielles parce que ce mouvement a formé une génération de gens qui continuent aujourd’hui à former plein de gens aux États-Unis. Ils les forment notamment à la question de la non-violence, à la façon de bloquer des rues, des bâtiments, des villes, etc. Il y a un vrai savoir, qui a été réactivé, qui venait d’ailleurs, de strates plus anciennes de mobilisations, notamment climatique, environnementale, des mouvements des années 1980-1990, y compris des droits civiques.

Il y a eu ensuite Occupy Wall Street, considéré à l’époque comme une espèce de campement de zazous dans Manhattan qui n’allait pas aller très loin. En réalité, il y a eu des dizaines et des dizaines d’occupations dans tout le pays, parfois avec des occupations qui ont duré extrêmement longtemps. Elles ont pu s’ancrer, comme à Harrisburg, capitale de la Pennsylvanie, où le campement était à côté du Capitole et a duré pendant un an. Ce ne sont pas juste des gens qui campaient, c’étaient des gens qui faisaient de la politique et qui faisaient pression sur les pouvoirs publics. Ils ont créé de la politique. La plupart des gens avec qui j’ai échangé ont vécu Occupy Wall Street soit comme une charnière, soit y ont participé pour les plus âgés et en ont vu la richesse.

Et puis évidemment Black Lives Matter ! Black Lives Matter a été un moment de mobilisation certes d’abord des noirs aux États-Unis, mais qui a profondément transformé le débat sur les violences policières et la dimension intersectionnelle des enjeux sociaux. Indépendamment même de la question des violences policières, qui par ailleurs est revenue dans le débat, Black Lives Matter a été l’occasion de se rendre compte que les politiques de changement social de gauche doivent englober les préoccupations de l’ensemble de la société, y compris des Noirs qui se trouvent aux États-Unis. C’est en train de changer un peu, mais les Noirs restent les plus pauvres, les plus précaires, qui cumulent le plus de difficultés sociales. Ainsi, la politique ne pourra changer la vie des gens que si elle change la vie de tous les gens. C’est un des enseignements importants portés par Black Lives Matter.

Enfin, en arrière-plan de tout cela, il y a une troisième phase qui est très contemporaine de tout ce qui s’est passé avec Trump, mais qui a débuté depuis une dizaine d’années : c’est la question climatique. Dès 2014, il y a des mobilisations importantes aux États-Unis. L’urgence climatique est exprimée par les experts du GIEC qui disent que nous avons dix ans pour changer les choses, sinon ça va être une catastrophe. Ils ont contribué à la prise de conscience de que nous sommes déjà dans la catastrophe climatique. Cette urgence de changer les choses se fait terriblement sentir, sinon nos enfants seront directement impactés par le changement climatique dans des proportions absolument hallucinantes.

LVSL – La défaite de Bernie Sanders aux primaires démocrates a mis un coup sur la tête aux militants radicaux pour lesquels l’électorat démocrate dérivait irrémédiablement vers leurs positions politiques. Comment cette défaite est-elle lue ? Bernie Sanders a commis peu d’erreurs, n’a-t-il pas été trop radical ?

M.M. – Ce qui s’est joué est un mur du refus de la partie mobilisée de l’électorat du parti démocrate, qui est plutôt âgée. Il faut rappeler qu’il y a de grandes différences dans les intentions de vote et dans les votes effectifs mesurés après les sondages entre les plus jeunes et les plus âgés. Les plus jeunes votent massivement pour Bernie Sanders, quand ils votent, ce qui est le problème. Les plus âgés votent plus souvent, et en particulier pour les candidats centristes et Joe Biden dans cette primaire.

Il y a eu un mur du refus de l’électorat démocrate traditionnel, centriste, face aux positions de Bernie Sanders. J’ai rencontré des gens en campagne qui me disaient : « Oui, c’est bien ce qu’il porte, c’est ce qu’on voudrait, mais ce n’est pas possible aux États-Unis ». L’idée que ce n’est pas possible reste ancrée…

J’ai vu ce refus très clairement quand j’étais en Californie, au moment de la primaire. J’étais dans la Californie intérieure, plutôt peuplée d’ouvriers, moins radicale que la côte avec Los Angeles ou San Francisco. Il y avait une peur très grande autour des propositions de Sanders, on entendait des discours tels que : « ce sont des choses qui ne sont pas possibles aux États-Unis, qu’on aimerait bien avoir mais en fait c’est de l’utopie ». L’autre peur était fondée sur l’idée qu’on ne pourrait pas battre un candidat républicain comme ça et encore moins Donald Trump. C’est pourquoi il faudrait parler à l’électorat modéré, à l’électorat blanc des banlieues, qui sont des endroits où il y a plutôt des gens de la classe moyenne supérieure, souvent blancs. Il faudrait parler à ces gens-là, parce que si on développe des politiques trop socialistes, trop à gauche, on va les perdre et Donald Trump va repasser.

Cette idée était solidement ancrée et c’est une des raisons pour lesquelles Sanders n’est pas passé.

Mais je pense que Bernie Sanders a fait un formidable travail au cours de ses deux campagnes présidentielles. Sanders, qui disait toujours les mêmes choses depuis 40 ans et qui n’avait jusqu’ici pas vraiment été écouté, s’est cette fois retrouvé au centre du débat. Cela n’était jamais arrivé. Ce travail d’éducation populaire pèsera évidemment pour la suite. Le flambeau est repris par d’autres : il y a quelque chose créé pour l’avenir.

Tous les organizers que j’ai rencontrés ont la volonté de créer des politiques à gauche du possible, pour reprendre l’expression de Michael Harrington, qui est le père du DSA (Democrats Socialists of America), l’organisation socialiste américaine. Leur but : faire comprendre aux Américains que des politiques de gauche ne sont pas utopiques, mais en réalité de bon sens, évidentes, face à l’ampleur des défis qui se posent à la société américaine.

LVSL – Deux stratégies semblent se dessiner pour ces activistes. Une partie d’entre eux s’épanouit dans les mouvements sociaux et dans la contestation extra-institutionnelle. De l’autre côté, de nombreux activistes ont fait le choix de mener une stratégie hégémonique à l’intérieur du Parti démocrate. Où en est ce débat ?

M.M. – Le débat court toujours dans toutes les organisations. Si on prend l’exemple de Black Lives Matter, une nouvelle génération de militants assume clairement la dimension politico-électorale des choses. Ces militants veulent faire élire des candidats différents. J’ai cité l’exemple de Cori Bush, mais d’autres activistes assument nettement cette confrontation directe avec les pouvoirs politiques et leur volonté de prendre le pouvoir. Il y a d’autres tendances de Black Lives Matter qui sont beaucoup plus centrées sur l’aide à la communauté noire et le besoin de tisser des liens entre les gens. Réduire l’atomisation des individus passe par des politiques de healing, des espaces safe où les gens peuvent un peu se raconter, peuvent créer des liens entre eux, etc.

Il y a d’un autre côté plein de gens qui considèrent que les partis politiques ne changeront pas leur vie. Ils sont dubitatifs à l’idée que le mouvement radical qui a émergé ces dernières années puisse pour changer les choses réellement. Il y a beaucoup de gens politiquement désabusés aux États-Unis, ou qui considèrent que la politique ne change jamais rien. Ce débat stratégique est donc permanent.

LVSL – Au fur et à mesure des témoignages des militants écologistes, queer, de défense des minorités raciales, votre récit met en relief une forme de beauté qui transparaît de leurs actions. Ce registre émotionnel est par ailleurs explicitement assumé aux États-Unis à travers la revendication de l’espoir, de la joie, de la résonnance interpersonnelle… La politique assume-t-elle plus facilement les émotions aux États-Unis qu’en France ?

M.M. – De façon générale aux États-Unis la culture du récit, du storytelling, la mise en scène de soi, tout cela est omniprésent. Donald Trump c’est aussi ça, d’une certaine façon. C’est une culture un peu différente de la nôtre et sur laquelle nous avons évidemment, et parfois à juste titre, pas mal de réserves. Au sein de cette culture, des mises en scène de soi, des récits collectifs à vocation inclusive, y compris en ce qui concerne l’espace de gauche, trouvent donc un terreau plus favorable. Cela est certain.

Vivant aux États-Unis, j’ai été extrêmement ému, parfois bouleversé par des mobilisations, par l’intensité du lien qui se créait au sein de certaines organisations. Ma curiosité est venue de cette découverte.

J’ai particulièrement été surpris par cette capacité, y compris dans les moments les plus durs des mobilisations, à ne jamais se perdre dans la toxicité de l’instant. Ils essaient encore et encore, ils ne se laissent pas abattre par les difficultés et la négativité. Je trouve cela extrêmement fort. Cette culture-là, je pense qu’elle vient en grande partie de ces cultures politiques minoritaires qui constituent désormais la trame des mouvements sociaux aux États-Unis. Le mouvement des droits civiques a créé une vraie culture de la joie du mouvement, inséré lui-même dans la culture noire qui a énormément de rituels, qui est une réponse à l’esclavage, à la ségrégation… C’est une réponse joyeuse pour affirmer la vie contre la tragédie, contre le déterminisme.

Ces modalités de la mobilisation ne sont pas forcément faciles à comprendre pour des gens qui baignent dans une culture européenne de gauche plus rationnelle, historiquement fortement marquée par le marxisme. Les révolutions, la classe, tout cela a été laminé aux États-Unis. Le mouvement ouvrier a été combattu, le Maccarthysme est passé par là, et les socialistes y sont toujours sont décrits comme d’affreux communistes qui vont refaire Cuba à New-York.

Là, ce qui est intéressant, et qui peut donner quelques enseignements, c’est que cette culture passe par la constitution de relations interpersonnelles très fortes, de communautés d’affinités, d’une culture de groupe, voire des cérémoniaux pour se valider mutuellement, pour être sûr que tout le monde est à l’aise dans le mouvement. Parfois, cela échoue, c’est certain, comme partout, mais cette préoccupation est tout de même présente. Elle se battit sur des savoirs-faires, sur des façons d’amener les gens les uns avec les autres, de les élever…

Aux États-Unis, il y a beaucoup de gens qui réfléchissent à la question du storytelling, à la façon d’inventer des histoires puissantes face au néolibéralisme et à l’empire. Il faut assumer de passer par des slogans qui sont aisément compréhensibles, qui parlent aux personnes qui sont très loin de la politique, qui « résonnent » chez elles. Resonate est un mot très important dans les mouvements aux États-Unis. L’idée est d’aller chercher les gens, ce qui peut les bouger, les émouvoir, ce qui peut aussi les amener à la politique.

Il ne s’agit pas de manipulation, ou de la simple construction d’un récit alternatif face au néolibéralisme et à l’Empire. L’objectif est d’emmener les gens dans la politique alors qu’ils sont simplement face à leur vie, qu’ils n’ont pas les clefs pour s’activer politiquement ou qu’ils ne le souhaitent pas.

LVSL – Dans votre ouvrage, vous mettez en évidence le fait que les conseillers initiaux d’Ocasio-Cortez regardaient particulièrement du côté de l’Espagne et du populisme. Waleed Shahid, le premier salarié d’AOC, cite ainsi la lecture d’un ouvrage d’Íñigo Errejón et de Pablo Iglesias comme une première claque, avant sa rencontre avec Chantal Mouffe. Ces circulations idéologiques sont peu connues et vont à contre-courant des caricatures faites en France sur le populisme progressiste

M.M. – Fabien Escalona, dans son papier dans Médiapart, l’explique bien, puisqu’il connaît cette question du populisme, y compris son articulation dans un espace plus européen.

Lorsque Waleed Shahid lit le bouquin d’Errejón et Mouffe, il a le sentiment de lire quelque chose qui peut concerner les États-Unis. Il se dit qu’il y a là la possibilité d’un populisme multiracial et intersectionnel. Le populisme étant alors défini de façon assez vague comme relevant des politiques qui aident à changer le quotidien de la majorité des Américains qui travaillent, c’est en tout cas comme ça qu’il est formulé par Ocasio-Cortez. Et les États-Unis ne manquent pas de gens qui travaillent. Tout le monde travaille et parfois pour rien. Par ailleurs, la question du travail n’y est pas traitée en termes de classes, parce qu’encore une fois le discours sur les classes concerne une petite élite intellectuelle de gauche aux États-Unis. Si vous parlez de classe aux États-Unis, on vous dit souvent, « donc vous ne parlez pas de race », à cause évidemment de l’histoire raciste de ce pays. Et souvent, n’est pas la peine de parler à un ouvrier américain de la question de la classe, il va vous traiter de socialiste, ou de communiste et vous n’allez pas le convaincre.

En revanche, il y a aux États-Unis une tradition ancienne du populisme, qui a été extrêmement vivante, dont se revendique particulièrement des gens comme Warren. Au cours des primaires, Elizabeth Warren se revendiquait clairement de cette tradition de façon subliminale : fille de l’Oklahoma, issue d’un milieu républicain, qui a vécu des difficultés dans sa vie, etc. C’est exactement ça, la culture du populisme américain. Au départ, il s’agit d’un parti agrarien, rural, du Midwest, du milieu du XIXème siècle, qui dénonçait les deux principaux partis. Cette tradition existe et est régulièrement réactivée. De la même façon, cette idée était présente dans la campagne de Sanders, de façon subliminale.

Ce nouveau populisme qu’ils tentent de formuler est multiracial : d’ici vingt ans, les États-Unis seront un pays à minorités. Il y aura plus d’hispaniques que de noirs ou de blancs. Je le montre dans le livre, le phénomène est tellement fort que les gens n’arrivent même plus à se définir. Quand on leur dit « Est-ce que tu es noir ? blanc ? hispanique ? » ils ne savent souvent pas quoi répondre puisqu’ils sont de plusieurs origines. Ce qui est drôle, c’est quand on dénonce en France le fait que les États-Unis sont une société racialiste où il y a des statistiques ethniques. Certes, on peut considérer que ça pose un problème de classer les gens ainsi. Mais c’est presque le débat d’avant, parce qu’en fait, il y a beaucoup de mélanges, et les gens se définissent eux-mêmes comme issus de différentes origines. Il devient de plus en plus difficile de se définir strictement noir, strictement blanc, strictement asiatique… Toutes ces catégories sont en train de perdre leur sens. En cela, parler de projet politique multiracial est beaucoup plus intéressant. Ce qui compte c’est que la société dans son ensemble, toute la société, puisse bénéficier des changements politiques.

LVSL – Dans votre ouvrage, vous investissez les débats qui ont eu lieu sur le populisme de gauche, et avancez la possibilité d’un populisme intersectionnel en lien avec les dynamiques politiques américaines. Fabien Escalona, dans Mediapart, vous suit sur cette hypothèse et balaie d’un revers de la main l’opposition traditionnelle entre les dynamiques populistes et les dynamiques multiculturelles. S’il n’y a pas de contradiction a priori entre les deux, on peut néanmoins poser quelques éléments de débats. Le populisme repose en effet sur une verticalisation de la conflictualité entre « ceux d’en bas » et « ceux d’en haut ». C’est moins clair lorsqu’il s’agit des luttes issues de ce qu’on appelait auparavant « les nouveaux mouvements sociaux » où la conflictualité se déploie à la fois sur un axe vertical et sur un axe horizontal, c’est-à-dire entre personnes dominées. Si le populisme peut effectivement prendre des formes inclusives et intégrer ces enjeux, ne pensez-vous pas que l’articulation de ces deux types de dynamique est précaire et potentiellement fragile ?

M.M. – L’idée de ce populisme, en tout cas tel qu’il se déploie aux États-Unis est de ne pas jouer sur ces différences, et de dire: nous avons un horizon commun à construire et on ne changera les choses que si les plus impactés, les plus oppressés, les plus marginalisés voient leurs conditions matérielles et leurs conditions de vie changer. Il dépasse un peu à mon sens l’aporie que vous soulevez.

Ce qui n’empêche pas qu’il y ait évidemment plein de gens qui expriment des indignations qui sont liées à leur communauté ou à leur personne. Toutefois, on l’a vu dans les manifestations récentes, on voit de plus en plus de créations de liens entre des gens qu’on pouvait considérer comme des publics qui avaient des buts différents. En même temps, il y a plein de Noirs aux États-Unis qui disent qu’il ne faut pas diluer leurs revendications, parce que si on les dilue on oublie la question du racisme qui a trait spécifiquement à leur communauté. C’est un débat qui traverse tout le temps les organisations.

Mais ce que je trouve intéressant, c’est de poser cette question-là et d’essayer de trouver les mécanismes qui permettent de poser ces débats. Il y a un exemple très clair dans les organisations noires, conduites par des noirs, où les membres sont noirs, comme Black Lives Matter. Ça n’empêche pas qu’il peut y avoir des amis blancs du combat, mais ils ne sont pas dans Black Lives Matter : ils sont dans des organisations affiliées ou bien ils sont proches, ils donnent des coups de mains, ils se définissent comme des « alliés ». Tous les Noirs n’ont certes pas vécu la même chose. Mais les Noirs ont besoin d’espaces à eux pour s’organiser. Ce sont des espaces où ils peuvent déployer leurs récits et créer du pouvoir. Ces pratiques ne me choquent pas. Ce que je trouve intéressant, c’est justement d’essayer que tout le monde sache à quel niveau il peut agir. En effet, dans plein d’organisations noires ou hispaniques, on va te dire « oui, ben toi tu es blanc, donc si tu veux nous aider, ne nous aide pas comme quelqu’un qui va nous donner des leçons. On va te dire ce qui est bon pour nous. On va te raconter nous ce qu’on pense de ce qu’on subit, de ce qu’on a envie de voir comme politique. » Je trouve ces dimensions intéressantes. Ce sont des discussions qu’on n’a pas du tout en France : lorsque des femmes, qu’elles soient racisées ou pas, tentent de s’organiser en non-mixité pour discuter de questions politiques ou pas, cela provoque un tollé. C’est ramené à du séparatisme, à de l’identitarisme ou à de la tyrannie des minorités.

Cet été, on a vu le premier secrétaire du PS Olivier Faure s’indigner que des femmes noires veuillent aller chez des gynécologues noires en région parisienne… La Licra a dit que ce n’était pas acceptable, qu’on commence à faire des listes, etc. Moi, en tant que garçon gay de 40 ans, je vais plutôt voir des médecins gays, parce que je pense qu’ils comprennent mieux un certain nombre de choses liées à ma vie sexuelle, liées à prévention, et qu’ils qui savent me parler de certaines questions. Je me sens tout simplement mieux.

En France, on a des difficultés à envisager que des gens directement concernés par des problèmes qu’ils dénoncent puissent s’organiser entre eux pour trouver des solutions. En fait, on a tout simplement du mal avec l’activisme : des élues parisiennes comme Alice Coffin et Raphaëlle RémyLeleu ont été traitées de façon odieuse, dans leur majorité, sur les réseaux sociaux, parce qu’elles ont eu l’audace de demander des comptes à un élu, Christophe Girard, adjoint socialiste à la culture à Paris et proche d’Anne Hidalgo, qui a finalement dû démissionner pour ses liens avec l’auteur pédophile Gabriel Matzneff. Anne Hidalgo elle-même les a qualifiées d’« hystériques » !

Plus largement, qui de plus qualifié que les Noirs ou les Arabes pour parler du racisme structurel ? Qui de plus qualifié que les femmes pour parler du sexisme et du patriarcat ? Ce sont des enjeux qui provoquent aujourd’hui des débats et beaucoup d’émoi, y compris dans les partis de gauche. Les gens pensent qu’il s’agit de logiques qui conduisent à du repli sur soi. Cela peut sans doute être le cas parfois. Mais le plus souvent, cela permet de créer des espaces politiques.

LVSL – En février, vous avez abordé ces enjeux du populisme au cours d’un débat sur les États-Unis avec Fabien Escalona et Federico Tarragoni qui mettaient en lumière les dynamiques liées au populisme multiracial américain…

M.M. – Lorsque les proches d’Ocasio-Cortez parlent de populisme, ils ne s’embarrassent pas trop de concepts en réalité. Une prise de conscience chez tous ces gens que l’important est de parler aux citoyens de leur vie, en des termes qu’ils comprennent. C’est de cette façon qu’il est possible de transcender dans le discours un certain nombre d’apories et d’impasses, de confrontations qui pourraient se poser.

LVSL – Ces questions ont-elles fait débat aux États-Unis ?

M.M. – Pas vraiment en fait, ce débat concerne très peu de gens. Aux États-Unis, le terme populiste est très mal défini : dans la presse, il est utilisé autant pour Trump que pour Sanders, et connote surtout une contestation un peu tous azimuts des élites. Il y a eu des interrogations en lien avec cette comparaison. Sanders a d’ailleurs répondu : « Non, mais attendez, on ne peut pas du tout nous comparer, cela n’a rien à voir ».

Jonathan Matthew Smucker, un organizer de Pennsylvanie proche de Bernie Sanders que je cite dans le livre, l’explique bien : ceux qui participent à ces débats sémantiques représentent en réalité un petit cercle. Ce que Smucker explique bien, c’est que tous ceux qu’il faut convaincre pour construire une coalition politique large, ce sont tous les autres, celles et ceux qui ne sont pas dans la politique, ne se définissent ni comme démocrates, républicains ou même indépendants. Il y a plein de gens qui ne se définissent pas par ces étiquettes-là : c’est ceux-là qu’il faut activer si l’on veut une révolution politique. L’enjeu est de reformuler entièrement le discours politique pour que les gens comprennent de quoi on parle. Bien sûr, il y a des logiques populistes chez Trump et chez Sanders. Simplement ce ne sont pas du tout les mêmes logiques. Chez Trump il y a une logique de division et d’exacerbation de tensions raciales, considérant qu’une classe blanche est menacée par toutes sortes d’intérêts, de revendications minoritaires, etc. Il agite l’épouvantail du monde qui change, cherche à exacerber ces tensions. De l’autre côté, Bernie Sanders mobilise un discours populiste, qui oppose les 99% contre les 1%, mais, pour aller vite, dans une volonté d’inclure les différents intérêts de ceux qui composent les 99%.

LVSL – On peut formuler une critique assez importante à votre ouvrage. Vous semblez tellement aimer ces activistes que votre recul critique n’est pas toujours saillant. Vous passez par exemple sous silence les nombreuses tensions internes à cet espace politique en renouveau. Ou encore le phénomène de star system complètement contradictoire avec une doxa horizontaliste qui apparaît d’autant plus hypocrite. Quel regard portez-vous sur les limites de ce renouveau ?

M.M. – Les gens dont je parle peuvent avoir désaccords importants, mais dans le contexte américain ils ont aussi conscience que l’ennemi, ce ne sont pas leurs semblables. Au passage, ces éventuelles dissensions sont assez peu connues parce que les médias états-uniens s’intéressent assez peu à la gauche. Mais oui, pour avoir suivi la campagne de Sanders, bien sûr qu’il y a des dissensions : on peut citer l’exemple des tensions internes au camp Sanders, notamment autour de l’organisation Our Revolution qui a échoué au début du mandat de Trump à structurer un mouvement capable de capter la dynamique de la campagne perdue de Sanders en 2016. Pour autant, ces tensions politiques et parfois personnelles, si elles peuvent expliquer des ratés dans la mobilisation, me semblent moins importantes que la dynamique générale, qui est celle d’un réveil global de la gauche aux États-Unis. Dernière chose, les organisations militantes sont aussi plus structurées que chez nous, et habituées à parler aux médias, avec des messages politiques précis, des responsables de communication, et une connaissance de la façon de répondre aux médias.

LVSL – Ils sont plus intelligents que la gauche française…

M.M. – Oui, c’est-à-dire qu’il y a aussi une discipline des mouvements qui est plus importante. Ils ont appris à parler aux médias, à communiquer, à faire les choses… Ils savent comment mener une lutte efficace. Je ne suis pas choqué qu’il y ait des gens qui sachent tenir leur organisation et cherchent à faire passer leur message. Bien sûr, cela rend plus difficile le travail des journalistes ! Mais c’est aussi au journaliste politique en l’occurrence de savoir chercher les bonnes informations : il est tout à fait logique que les organisations tentent de raconter ce qu’elles veulent raconter, et logique aussi que les journalistes aient une distance critique vis-à-vis de ces messages, à condition, je dirais, qu’elle soit de bonne foi, ce qui est loin d’être toujours le cas…

Quant à la question du star system, c’est un pays qui produit des idoles et des stars à la chaîne, Pour le livre, j’ai essayé de partir du réel : les États-Unis et leur culture. Oui, on peut le déplorer, simplement, c’est comme ça que se construit la politique là-bas. Ocasio-Cortez profite de cette starisation, mais en même temps, elle ne cesse de répéter qu’elle représente un mouvement. Et la question qui est pour moi cruciale, c’est de savoir comment et jusqu’à quand Ocasio-Cortez va avoir la capacité de représenter ce mouvement. Des questions très politiques vont se présenter pour elle, notamment son rapport au Parti démocrate. Il s’agit d’une question centrale. Représentera-t-elle encore ce mouvement quand elle commencera à faire un certain nombre de compromis politiques ? Aujourd’hui, elle représente quelque chose qui dépasse largement la notoriété, l’influence et l’importance d’une congresswoman de New-York, ce qui n’est en principe pas grand-chose dans le système américain.

Par ailleurs, ce qu’il faut voir aussi, c’est que ce mouvement dont je parle est un petit monde au regard du système politique américain. C’est un mouvement qui se déploie, qui espère grossir, qui touche plein d’aspirations de beaucoup de gens, qui découvre qu’il a des leviers incroyables à actionner, mais qui reste extrêmement minoritaire aux États-Unis.

Que vont-ils devenir ? Dans le système américain, ils ont besoin de produire des personnages qui parlent, qu’on voit, qui sont connus et reconnus. Après, est-ce qu’ils vont suffisamment grossir pour peser dans le Parti démocrate dans la dizaine d’années à venir ? Est-ce que cela change vraiment les choses ? C’est une grande question, très ouverte, à laquelle eux-mêmes n’ont probablement pas de réponse.

J’assume ce livre comme un livre de rencontres, avec des gens qui m’ont marqué, qui m’ont touché, qui m’ont ému, qui ont changé beaucoup de choses aussi dans ma vie, qui ont changé beaucoup d’appréhensions, de perceptions que j’avais de la possibilité-même de changer les choses. Comme je l’écris dans le livre, ils m’ont donné de l’espoir, pas un espoir naïf, mais un espoir lucide. Il se termine par une phrase que j’ai trouvé très belle d’Emily Meyer, activiste du mouvement IfNotNow, une organisation de jeunes juifs américains de gauche opposés à l’occupation israélienne. « Si nous ne gagnons pas… nous nous serons au moins fait des amis en chemin. C’est cela, aussi, qui donne un sens lumineux à nos vies. »

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