Le logement est depuis quelques temps le sujet catalyseur d’une contestation sociale en différents endroits du globe : à Berlin, à Barcelone, mais aussi un peu partout en France. Ce mouvement nous rappelle combien cette problématique est devenue centrale, en particulier dans les métropoles. Porte-parole du DAL Toulouse/Haute-Garonne, François Piquemal, qui enseigne les lettres, l’histoire et la géographie en lycée professionnel, a aussi lancé avec des amis la mini-série de vulgarisation J’y suis J’y reste, sur la question du droit à la ville à Toulouse. Avec lui, nous avons souhaité évoquer la question du logement, qui demeure extrêmement complexe, car profondément corrélée à toutes les problématiques urbaines d’inégalités sociales.
LVSL – Pour commencer, pourriez-vous nous rappeler le contexte succinctement ? Lorsqu’on traite de la problématique du logement en France, de quoi parle-t-on exactement ?
François Piquemal : Concrètement, on parle d’a-minima 143 000 personnes sans-abris, plus de 3 millions de logements vacants, 4 millions de personnes mal-logées, 12 millions en précarité énergétique, 12 millions fragilisées par rapport au logement, 2 millions de logements insalubres et autant de demandeurs HLM. Il y a aussi une spéculation continue sur le logement, qui entraîne une envolée des prix de l’immobilier. Toutes les demi-heures dans notre pays, une personne, une famille, se fait expulser par la force publique de son logement !
Derrière ces chiffres que l’on entend souvent, il y a des gens, des vies, des fins de mois, de l’anxiété, des problèmes de santé, d’éducation, et de travail. Récemment au DAL31 par exemple, nous avons eu un cas très éloquent, celui de Jacqueline, 76 ans, menacée d’expulsion. Elle est au minimum vieillesse, soit à 868 euros par mois pour un loyer de 551 euros. Il y a dix ans son loyer était de 432 euros, ce qui signifie qu’il a augmenté de 12 euros par an. Dans les années 1980, le budget lié au logement représentait 13 % en moyenne des revenus des personnes, aujourd’hui c’est en moyenne 26 % et cela peut dépasser les 50 % dans les zones urbaines tendues. Cela a considérablement explosé.
LVSL – Il y a beaucoup d’associations et d’ONG qui œuvrent de près ou de loin sur la question du logement, qu’est ce qui fait la spécificité de l’action du DAL ?
L’objectif du DAL depuis sa création à Paris en 1990 est d’organiser les mal-logés dans des luttes collectives pour qu’ils obtiennent des droits. Cela passe par de multiples actions : manifestations, rassemblements, campements, réquisitions et autres. Aussi, c’est moins connu – même si c’est pourtant l’essentiel de notre travail -, nous travaillons à l’accès au droit des personnes, ainsi qu’au niveau juridique et législatif. De cette manière, il nous arrive d’obtenir des jurisprudences qui font avancer les droits pour les mal-logés grâce à nos juristes et des amendements dans les lois liées au logement.
Ce qui fait notre originalité, c’est que nous sommes l’une des rares associations sur le logement à tendre vers l’auto-organisation dans les luttes des principaux concernés, les mal-logés. C’est notre idée directrice car historiquement en France, et cela serait une longue histoire à raconter, la question du « sans-abrisme » a souvent été traitée par le prisme de la charité, et non par les questions de classe qui sont à l’oeuvre dans les luttes des mal-logés. D’ailleurs, celles-ci sont des luttes bien souvent menées par les femmes, de par l’assignation genrée de l’espace domestique que représente le logement, dans toutes les sociétés patriarcales.Le DAL a aujourd’hui une longue histoire, de nombreuses luttes derrière lui.
« Les luttes sur le logement n’ont que rarement la portée qu’elles méritent, […] le logement est l’un des angles morts du mouvement social en France. »
LVSL – Quels sont les aspects du mal logement que vous abordez ?
Tous. Le DAL est né de l’expulsion de familles d’un bâtiment qu’elles occupaient. Nous étions donc, dès le début, assez axés sur la question du sans-abrisme avec des luttes spectaculaires comme à la Rue du Dragon ou à la Rue de la Banque à Paris, des luttes soutenues par des personnalités comme l’Abbé Pierre, Emmanuelle Béart, Albert Jacquard ou encore Joey Starr. Puis, petit à petit, des habitants mal-logés sont arrivés, et on a lutté avec eux sur des questions de rénovations urbaines, de précarité énergétique, de charges, ou d’insalubrité. Depuis 2014, nous sommes syndicat de locataires HLM, et nous avons d’ailleurs obtenu près de 40 élus lors des dernières élections de représentants de locataires, ce qui est une percée significative de notre engagement sur la question du logement social.
LVSL – Comment expliquer que les luttes sur le logement soient relativement peu médiatisées ?
Il ne se passe pas une semaine en France sans qu’il n’y ait une action d’un comité du DAL ou d’autres collectifs en soutien aux mal-logés. Pourtant, effectivement, même des luttes longues dans le temps vont parfois manquer de visibilité alors qu’elles impliquent des centaines de personnes et sont très dures dans leurs modalités. En fait, souvent, les médias ne s’intéressent à ces luttes que lorsqu’elles concordent avec leur agenda sur le sujet du logement : sortie annuelle du toujours très intéressant rapport de la Fondation Abbé Pierre, drame humain suite à un incendie ou un effondrement comme à Marseille, début et fin de la trêve hivernale. Pourtant, autant de personnes meurent à la rue, l’été comme l’hiver.
Même dans le monde militant, les luttes sur le logement n’ont que rarement la portée qu’elles méritent, cela car d’une certaine manière le logement est un des angles morts du mouvement social en France. Cela mériterait une longue explication, car plusieurs paramètres historiques sont à prendre en compte pour le comprendre. C’est vrai que pour faire une analogie avec une célèbre série, on se sent parfois un peu comme une sorte de « Garde de Nuit » à laquelle on s’intéresse surtout quand on ne peut plus faire autrement que de voir les victimes des « Marcheurs Blancs » de la spéculation immobilière.
LVSL – En parlant d’insalubrité, le drame de Marseille en novembre 2018 a mis en lumière cette problématique dans les parcs privés et publics. Comment en arrive-t-on à une telle situation ?
La question de l’insalubrité est de plus en plus présente dans le débat public et cela n’est pas un hasard. Le drame survenu dans le quartier de Noailles à Marseille montre la défaillance totale d’une municipalité sur la question depuis des décennies. Si le cas marseillais est assez extrême, le problème se pose aussi ailleurs, dans l’ensemble du territoire national. Ainsi, a-t-on appris récemment, dans une ville comme Toulouse c‘est au moins 1 logement sur 20 qui est insalubre.
Il y a eu un laisser-aller depuis qu’un certain nombre de compétences en la matière ont été transférées de l’État aux EPCI. On observe parfois que certains Services communaux d’hygiène et de santé peuvent être amenés à sous-évaluer des cas de logements insalubres et indignes car les propriétaires font partie d’un corps électoral qu’il faut éviter de froisser en vue des élections locales.
Un exemple concret : le 10 janvier dernier, un immeuble a pris feu à Toulouse, sans faire de mort heureusement, mais avec tout de même une vingtaine de blessés. Pourtant, l’été précédent, les services étaient passés et avaient adressé des consignes au syndic et aux propriétaires pour se mettre aux normes. Sans suite, car il n’y a pas eu de véritables contraintes exercées par la puissance publique.
LVSL – Dans ces circonstances, le « permis de louer », préalable à la mise en location sur le marché et délivré après visite des autorités, est-il la bonne solution ?
Le permis de louer, c’est une mesure positive mais limitée. En effet, il faut s’en prendre aux racines du problème. On note que beaucoup de logements insalubres sont issus de copropriétés dégradées où les petits propriétaires se sont retrouvés face à des frais qu’ils n’étaient pas en capacité financière d’assumer. Ils ont d’une certaine manière été victimes de la propagande du « tous propriétaires à tous prix ». Or, c’est bien ce dogme qui se poursuit aujourd’hui avec la Loi Elan, celle qui encourage les offices HLM à vendre leurs logements et laisse la main aux promoteurs immobiliers pour construire toujours plus vite de manière à maximiser les profits. Par ailleurs, l’augmentation constante des loyers empêche beaucoup de gens d’accéder aux logements mis sur le marché car trop chers ou du fait que certains propriétaires imposent trop de demandes de garanties. Face à ce manque de débouchés sur le marché privé, et dans l’attente d’un logement social qui peut être très longue, les personnes n’ont parfois d’autres choix que d’accepter des logements insalubres sous la coupe de marchands de sommeil.
Résorber le logement insalubre demande donc une vision plus globale de la question du logement et appelle à changer de braquet idéologique. Il faut lancer un grand plan de rénovation thermique, phonique et anti-vétusté des logements, en faisant du parc HLM un secteur pilote. Il faut aussi expérimenter des modalités d’écoconstructions pour les futures livraisons de logements. Enfin, il est urgent d’encadrer les loyers, si possible à la baisse, pour ne plus laisser les marchands de sommeil prospérer sur du logement indigne.
« Nous avons en réalité derrière la mixité sociale un préjugé social des élites qui vise à essayer de dissimuler la lutte des classes qui persiste dans nos sociétés. »
LSVL – Toujours sur ce thème de l’état du logement en France, les projets de renouvellement urbain, pilotés par l’Agence pour la rénovation urbaine (ANRU), consistant à reconstruire ou rénover les habitats des quartiers identifiés comme fortement dégradés, partent d’une ambition louable. Toutefois, on observe bien souvent qu’elles induisent un effet de gentrification du fait qu’une partie des personnes déplacées pendant la phase de travaux ne peuvent revenir à leur habitat initial, compte tenu des conditions d’accès économiques aux nouveaux logements. Comment faire pour éviter ou limiter cette conséquence indirecte et contre-productive ?
Il est compliqué de faire un bilan des programmes ANRU de manière exhaustive. Évidemment au DAL, nous sommes avec des habitants qui contestent, à raison, les programmes ANRU dans leurs quartiers : de la Villeneuve à Grenoble, en passant par la Coudraie à Poissy, cela ne veut pas dire que les opérations sont mauvaises partout.
Cependant de grandes lignes se dégagent depuis que cela a été lancé en 2003 sous la houlette de Jean-Louis Borloo : un manque d’écoute des habitants souvent mis de côté des décisions, des démolitions d’immeubles parfois fonctionnels et salubres où les gens ont leur vie, et également un manque de cohérence dans l’aménagement des futurs quartiers. Enfin et surtout, les programmes de l’ANRU peuvent être clairement des outils de gentrification des quartiers prioritaires de la ville, le remplacement d’une population par une autre plus aisée, qui ne résolvent rien aux problèmes sociaux que vivent les habitants.
A Toulouse par exemple, où l’ANRU concerne 63 000 habitants dans 16 quartiers de l’agglomération, j’ai le souvenir que dans un des documents de présentation de ces projets la Mairie se félicitait « qu’au moins 50 % des habitants seraient relogés sur place ». Mais alors, quid des 50 % restants ? Ils sont en vérité relogés plus loin, puisqu’une partie importante des logements qui sont reconstruits dans leur quartier ne leur sont plus accessibles financièrement, en termes de loyers voire d’accession à la propriété qu’on veut leur faire avaler. Voici donc comment se débarrasser de la moitié de la population d’un quartier pour essayer de la remplacer par une population plus désirée par les dirigeants locaux.
Il faut se rendre compte de la violence symbolique et affective que cela peut représenter pour les gens. On leur emballe la démolition de leur lieu de vie en deux ou trois réunions de concertations inintelligibles et on vous fait trois propositions de relogement pas toujours adaptées à vos besoins. Vous voyez votre habitat démoli et votre quartier disposer alors de nouveaux aménagements dont vous ne profiterez pas. Somme toute, vous devez alors vous intégrer dans un nouveau quartier avec tous les changements que cela implique : travail, démarches administratives, scolarité, lieux de sociabilité et autres.
LVSL – Les pouvoirs publics communiquent sur ces opérations sur le souhait de promouvoir la mixité sociale, c’est-à-dire l’idée d’une cohabitation sur un même secteur géographique de personnes issues de catégories socio-professionnelles différentes. Qu’en est-il réellement ?
La mixité sociale est effectivement un des objectifs affichés des programmes ANRU. Ce concept a été disséqué par de nombreux universitaires, et il pose d’emblée un problème éthique à mon sens. La mixité sociale est une projection du monde politique et technocratique sur les quartiers populaires, partant d’un postulat : pour que les gens vivent mieux dans les quartiers, en y freinant les problèmes sociaux et de délinquance qui peuvent y exister, il ne faut pas laisser les plus modestes entre eux mais leur permettre des côtoyer des classes moyennes, voire plus aisées, comme si cela « moraliserait » des habitants qui auraient besoin de l’être. La morale, la bienséance n’est pourtant pas l’apanage de ceux qui possèdent un capital social et économique élevé. Je ne pense pas qu’en mettant un Balkany ou un Guéant au-dessus d’un point de deal, on fasse revenir dans le « droit chemin » ceux qui y participent. Nous avons en réalité derrière la mixité sociale un préjugé social venant des décideurs politiques qui vise en fait à essayer de dissimuler la lutte des classes qui existe dans nos sociétés. Pourtant, si ces quartiers peuvent avoir de lourds problèmes qu’il ne faut pas nier, ils sont aussi forts d’une histoire, de cultures, de liens de solidarité importants qui méritent autant considération que les vitrines de luxe de certains quartiers aisés.
Forcément, derrière on assiste à des dérives au nom de la mixité sociale. L’année dernière des parents d’élèves et des enseignants se sont mobilisés dans le quartier du Mirail à Toulouse contre la fermeture de deux collèges. Ces fermetures encouragées par le Conseil Départemental l’étaient sous prétexte de mixité sociale, pour envoyer les enfants des quartiers dits « sensibles » dans des établissements du reste de la ville. Au nom de la mixité sociale, les habitants se sont donc retrouvés avec deux lieux d’éducation en moins dans leur quartier, et les enfants avec des trajets école-domicile beaucoup plus longs. On aurait pourtant pu faire autrement si le but était réellement de mélanger des élèves de conditions sociales différentes. Ainsi, il aurait été opportun d’insérer les filières les plus prisées dans ces collèges pour attirer des élèves du centre-ville, cela aurait été en plus un puissant signal envoyé aux habitants du quartier en confiant ces filières aux collèges de leur quartier.
On tombe là dans une des incohérences que l’on évoquait avec les programmes ANRU, comment prétendre aider les habitants d’un quartier quand on y supprime des services publics ou qu’on les y amoindrit ? En vérité, que va-t-il se passer pour les parents d’élèves de ces deux collèges cités ? S’ils ont plusieurs enfants qui sont encore en école élémentaire, pour des raisons pratiques, ils vont penser à déménager dans un endroit qui leur soit accessible financièrement et proche d’un collège. La suppression des deux collèges fût là un levier concret parmi d’autres pour inciter les familles nombreuses à quitter leur quartier et ainsi laisser la place à un autre type de population.
LVSL – Comment lutter alors contre ces politiques de la ville que l’on peut qualifier de séparatistes, promues par les collectivités ?
Une fois ce bilan accablant dépeint, il faut tout de même mentionner que la mixité sociale est désirée, mais souvent que d’un seul point de vue, celui des plus modestes. Beaucoup d’habitants des quartiers souhaiteraient vivre aux côtés de personnes qui ne leur ressemblent pas, que ce soit de par leurs appartenances sociales ou culturelles. C’est notamment le combat des mères du quartier du Petit Bard à Montpellier, mais bien souvent les habitants aisés d’une ville, quand ce n’est pas les pouvoirs publics, mettent en place des stratégies d’évitement des populations modestes sur lesquelles elles projettent leurs préjugés. C’est toujours aux habitants des quartiers populaires d’accueillir, de se déplacer et de faire les efforts au nom de la mixité sociale. Mais qu’en est-il de cet accueil et de ces efforts dans les quartiers huppés des grandes villes ? Il suffit de songer au sketch occasionné par l’implantation d’un centre d’hébergement d’urgence dans le 16ème arrondissement de Paris.
Bien sûr, il faut créer du lien social, que les gens en dehors de leurs classes et de leurs cultures se rencontrent. Néanmoins, il faut que les politiques qui n’ont que la « mixité sociale » à la bouche soient cohérents, car souvent ceux sont les mêmes qui votent pour la suppression de la carte scolaire et des services publics de proximité, qui sont aussi des lieux de sociabilité et de rencontres. C’est pourtant par l’emploi, les services publics, la présence de l’humain dans les quartiers que l’on peut rendre ceux-ci plus agréables pour celles et ceux qui y vivent.
Il faut aussi réinvestir massivement dans le logement social en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, avec le cas viennois par exemple. Cela se sait peu, mais dans la capitale autrichienne, 62 % des habitants sont locataires HLM et très heureux de ne pas avoir de loyers exorbitants, car l’offre de logements sociaux est telle qu’elle régule tout le marché du logement et empêche la formation d’une bulle immobilière. De fait, le problème de la mixité sociale s’y pose beaucoup moins car les quartiers ne sont pas soumis aux mécanismes de spéculation.
LVSL – Justement, en France, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), votée en 2000, impose aux communes dont la population est supérieure à 3500 habitants de disposer d’un taux de logements sociaux supérieur à 25% d’ici 2025. La loi prévoit que les municipalités ne mettant pas en place une politique volontariste pour atteindre ce taux soient sanctionnées financièrement. Toutefois pour éviter les phénomènes géographiques de ségrégation sociale dont nous venons de traiter, ne serait-il pas intéressant dans les grandes villes ou métropoles de la rendre applicable à l’échelle d’un quartier ?
Ce taux a été relevé à 25 % suite à la Loi Alur mise en place par Cécile Duflot, ce qui était une avancée notable. Toutefois à la razzia sur les APL s’est ajoutée une loi de destruction massive, arrivée pour raser au bulldozer le logement social : la loi Elan. Elle coupe un grand nombre de moyens au secteur HLM, oblige les bailleurs à vendre 1 % de leur parc par an pour subvenir à leurs besoins, répartit le taux d’effort non plus aux communes mais aux intercommunalités, ce qui risque d’engendrer des « mics-macs » sans noms dans celles-ci.
Le gouvernement actuel, et c’est une première, ne prévoit aucun euro pour l’aide à la construction de logements sociaux, l’État laisse ici la construction de logements sociaux à la charge des offices HLM, cela alors que le nombre de demandeurs n’a cessé d’augmenter. Alors comment faire ?
Il faudra bien sûr dans le futur reprendre la main sur la construction de logements sociaux. Cela passera inévitablement par l’abrogation de la Loi Elan et par la mise en valeur des HLM comme logements accessibles et innovants du point de vue écologique. Le logement social souffre d’un déficit d’image lié à des clichés plus ou moins erronés, et l’on voit que des communes mettent en place des stratégies pour éviter la construction de logements sociaux pour les plus modestes. Certaines préfèrent même payer des amendes plutôt que d’en construire ! Il faudrait donc les sanctionner plus lourdement.
Au surplus, les stratégies d’évitement peuvent être plus pernicieuses. Toulouse est de ce point de vue un triste exemple : la municipalité a ainsi fait passer dans son PLUIH une résolution qui précise que tous les programmes immobiliers inférieurs à 2000 m² n’avaient pas l’obligation de construire des logements sociaux. Cela peut paraître anodin comme cela, mais dans les faits les programmes supérieurs à 2 000 m² sont quasiment inexistants au centre-ville. Cela profite aux promoteurs et à la municipalité, décidés à ne pas construire de logements sociaux dans les quartiers du centre.
Autre manière de mettre les plus modestes de côté, la disproportion entre l’offre de logements sociaux et les demandes. Nous avons ainsi publié un rapport au début de l’année qui montre que 75 % des demandeurs à Toulouse sont éligibles, de par leurs ressources, à du logement très social. Pourtant ce type de logements ne correspond qu’à 29 % des nouvelles constructions, ce qui signifie que plus vous êtes pauvres, moins vous avez de chances d’avoir accès rapidement à un logement social.
Ici le logement social, sa construction, ses attributions, est un outil de gentrification au service des pouvoirs locaux. Il faut que l’État reprenne la main en imposant des constructions adaptées à la demande, en faisant du secteur HLM une force attractive d’avenir dans la logique résidentielle des gens. Il faut que les municipalités assument leurs responsabilités plutôt que de chasser leurs habitants toujours plus loin. Certains parlent parfois des « quartiers perdus de la République », nous devrions parler des « quartiers perdus de la solidarité », et les reconquérir notamment par l’implantation du taux légal de logements sociaux. La solidarité, c’est pour tout le monde.
« Nous devons reprendre en main ce qui nous appartient, construire une ville pour les habitants modestes. ce n’est pas aux spéculateurs immobiliers de choisir la forme des villes […] mais aux habitants. »
LVSL – Les politiques publiques d’aménagement et de construction, menées depuis des décennies (lois BOUTIN, PINEL, ALUR, ELAN…), s’appuient très largement sur des promoteurs privés, massivement des banques et des grands groupes du BTP, pour piloter et conduire les projets de construction de logements via des dispositifs d’incitations fiscales. Ces structures guidées par une logique de profits à court terme, sont-elles, au vu des résultats, les plus adaptées pour résoudre la problématique du mal-logement en France ?
Aujourd’hui les grands groupes de la promotion immobilière profitent à plein de l’idéologie du construire plus vite, plus grand, plus haut. Des constructions qui au passage les favorisent, contrairement aux artisans locaux qui n’ont pas forcément la possibilité de répondre aux appels à projet avec les mêmes armes. Ce dogme repose sur l’hypothèse fausse que plus l’on construit, plus il y a d’offre, plus les prix vont baisser : la croissance non ordonnée serait ici aussi vertueuse. Un excellent rapport de l’ONU mené par Leilani Farah a montré que cela était faux. Le logement n’est plus, dans beaucoup de métropoles, un bien commun mais un produit financier sur lequel investissent les grandes fortunes, les grands groupes ou encore les fonds d’investissement. La préoccupation de ces acteurs n’est pas de savoir si quelqu’un vit dans le logement dans lequel ils ont investi, mais de savoir quelle plus-value il va leur rapporter dans quelques années, grâce à la bulle immobilière qui travaille pour eux. C’est comme cela que l’on atteint un nombre record de logements vacants. En moyenne à Melbourne c’est un logement sur 8, à Paris c’est 11 % des logements, en France on a passé la barre des 3 millions de logements vacants, selon l’INSEE. La spéculation immobilière adore la vacance des logements, car elle participe à créer DE la rareté et conduit donc à l’augmentation des prix.
Ce dogme du toujours plus est parfaitement taillé pour les gros promoteurs qui en plus se voient brader les biens publics, qui ont parfois une forte valeur patrimoniale. On vient d’apprendre qu’à Paris une partie de l’Hôtel Dieu vient d’être cédé par l’APHP pour 80 ans au promoteur Novaxia, à Toulouse c’est une partie de l’hôpital La Grave qui est livré à Kaufmann and Broad pour faire des appartements de luxe. On se retrouve dans une situation paradoxale où la Mairie de Toulouse débloque 1 millions d’euros en 24h pour participer à la restauration de Notre Dame de Paris alors que personne ne lui a rien demandé, mais est incapable de protéger son patrimoine et préfère le livrer à un promoteur à des fins de spéculations immobilières.
Des cas comme ceux-ci, il y en a à la toque, on répartit les lots à chaque promoteur, qui construisent vite, sans se préoccuper de la cohérence par rapport au quartier, à l’histoire de la ville. La vision de la ville qu’ils portent est celle du béton et des gratte-ciels qui empêchent les oiseaux migrateurs de passer dans leurs couloirs, et de l’étalement urbain qui ruine peu à peu les terres agricoles.
Nous devons reprendre en main ce qui nous appartient, et construire une ville pour les habitants modestes et aussi les historiques qui sont attachés à l’identité de leur ville. Cela passera aussi par une remunicipalisation des sols pour « mettre le holà » aux promoteurs : ce n’est pas aux spéculateurs immobiliers de choisir la forme des villes, pour reprendre une expression de Julien Gracq, mais aux habitants.
Il n’y a pas de fatalité, en Espagne suite à la crise des subprimes de 2009, un mouvement social d’une ampleur inédite sur le logement, la PAH (Plateforma de los Afectados de la Hipoteca), a réussi, à force de mobilisations contre les expulsions et d’actions visant à retourner le logiciel du « tous propriétaires » en « construisons des logements sociaux ». Ce mouvement ne se résume pas à une conquête de droits pour les gens. Il a aussi, d’une certaine manière, gagné la bataille culturelle sur la question, au point que l’un de ces porte-parole, Ada Colau, est devenu maire de Barcelone avec un programme très volontariste sur la question du logement et des mesures anti-spéculatives.
LVSL – Justement, la politique actuellement appliquée du « tout construction », conduisant à une artificialisation ou à une imperméabilisation massive des sols des périphéries urbaines et des terres agricoles ou naturelles, se trouve être souvent la cible des défenseurs de l’environnement. Pour éviter cette dérive, ne doit-on pas plutôt concentrer nos efforts et les moyens associés pour réhabiliter les logements dégradés et réduire le taux de logements vacants ou non occupés (bureaux, commerces ou résidences secondaires) ?
Cela est inéluctable. Aujourd’hui, n’importe quelle personne qui travaille sur un chantier peut vous expliquer comment certains promoteurs parviennent à s’affranchir des normes HQE. Il faut donc renforcer la législation, les obligations des promoteurs en la matière, et les contrôles sur les logements. Cela passe par davantage de moyens humains bien sûr, et l’établissement d’une règle verte qui soit une vraie ligne directrice et intransigeante.
Si l’on veut redorer l’image du logement social, il faut faire de celui-ci un secteur de pointe en termes d’écoconstruction et de rénovation écologique. Cela pourrait commencer par un grand plan de rénovation thermique et phonique de ces logements pour ceux qui en ont prioritairement besoin, améliorant la vie de 12 millions de personnes qui souffrent de précarité énergétique. Trois effets positifs : une diminution de la consommation d’énergie générale, un coût moindre des factures d’énergie pour les habitants, et de la création d’emplois. Qu’attend-on, sinon un peu de volonté politique ?
A Berlin, un grand mouvement social, qui lutte contre l’envolée des prix des loyers traverse à l’heure actuelle la ville et pose clairement la question de l’expropriation des grandes sociétés immobilières, détenant 200 000 logements dans la capitale allemande. La loi de Réquisition, même si elle est aujourd’hui à améliorer, nous permettrait de récupérer des biens immobiliers publics et de grandes sociétés, et de cesser avec l’insupportable absurdité que près de 2 000 personnes meurent à la rue dans notre pays, lorsque des millions de logements sont vides.
Néanmoins la question de l’étalement urbain doit aussi se poser de manière plus large en analysant le phénomène de métropolisation, et en essayant de le dévier pour des villes plus solidaires et écologiques. Est-ce que le progrès pour le développement d’une ville, c’est d’être toujours plus grande ou bien que ses habitants puissent y vivre plus dignement ? Il y a plusieurs leviers à actionner, dont celui d’une meilleure répartition des fonctions économiques, culturelles et sociales entre les espaces métropolitains et leurs alentours. Il faut viser à ce que des villes moyennes ne se voient pas désertées, et ainsi mieux répartir les populations sur un territoire plus vaste, là où des capacités d’accueil existent en amont.
A Toulouse, on estime que 13 000 habitants arrivent chaque année notamment car les carnets de commandes d’Airbus sont pleins, mais cela pose de nombreux enjeux connexes au logement. Doit-on à tout prix continuer à vouloir attirer des gens alors que la densification est parfois mal vécue ? Qu’advient-il si demain Airbus ne peut plus tenir son rôle de moteur économique ? Quels transports en commun le moins polluants possibles met-on en place ? Comment nourrit-on les gens ?
Les revendications des gilets jaunes visent ces interrogations et réclament de l’équité territoriale. Elles dénoncent l’accessibilité des métropoles et la concentration des fonctions névralgiques que celles-ci incarnent, toujours au détriment de toutes celles et ceux qui n’ont pas les moyens de vivre en son centre ou à proximité de transports en commun performants.
C’est une vision globale de la ville qui permettra de dévier le fleuve de l’histoire en cours qui nous amène dans le mur. Peindre les dispositifs anti-sdf en vert, planter des arbres sur des gratte-ciels, ce n’est rien d’autre que du « green-washing » cosmétique. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques et solidaires face auxquels nous nous devons d’agir, dans les villes, aujourd’hui et demain.