Le militantisme écologiste est-il aussi impopulaire qu’on le pense ?

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet d’entrepôt logistique Greendock en mai 2024. © Vincent Dain

Blocages routiers, occupations, manifestations, ZAD, sabotage d’infrastructures écocidaires… Le mouvement écologiste recourt à des modes d’actions de plus en plus variés, dont l’utilité fait débat. Or, contrairement à une idée répandue, les actions les plus radicales peuvent être largement soutenues dans la population. À condition cependant qu’elles ciblent un adversaire clairement identifié plutôt que d’impacter les « citoyens lambda ». Explications [1].

Éco-terroristekhmers vertsayatollah de l’écologie… Les qualificatifs se sont multipliés ces dernières années pour condamner toute action des militants écologistes jugée trop radicale. Ce raidissement a atteint son apogée à l’issue de Sainte-Soline et de la tentative du gouvernement de dissoudre les Soulèvements de la Terre.

Si cette dernière a été rejetée par le Conseil d’État, les critiques en impopularité ne sont pas sans effet sur les mouvements eux-mêmes. Dans cette logique, Extinction Rebellion, outre-Manche, a fait le choix en décembre 2022 d’arrêter (temporairement) les actions disruptives pour créer un mouvement plus large et populaire, sentant le vent tourner face à un gouvernement et des médias conservateurs de plus en plus hostiles.

L’impopularité des mouvements écologistes serait autant liée à des modes d’action jugés trop radicaux qu’au profil sociologique particulier des militants, plutôt très diplômés, urbains et jeunes, et régulièrement qualifié de ce fait de « bobos » pour les disqualifier. Les résultats de la première vague du Baromètre Écologie Environnement, collectés en décembre 2023, viennent pourtant nuancer ce rejet des mouvements écologistes et de leurs méthodes.

Des modes d’action soutenus au-delà des idées reçues

Il ressort d’abord de cette enquête un taux de soutien élevé pour le répertoire d’action des mouvements écologistes. Sans surprise, cependant, c’est la manifestation, c’est-à-dire le mode d’action le moins perturbateur, qui arrive en tête avec 74 % des enquêtés qui la trouvent tout à fait ou plutôt acceptable. Plus étonnant en revanche, certains modes d’action parmi les plus perturbateurs et spécifiquement liés aux mouvements écologistes, font l’objet d’un rejet modéré, voire minoritaire. Une grande majorité de la population (67 %) considère ainsi acceptable de bloquer une entreprise polluante. De même, 61 % des Français reconnaissent la légitimité d’occuper une zone naturelle lorsque celle-ci est menacée.

Ce résultat est d’autant plus surprenant que les lignes de clivage ne correspondent pas à certaines idées reçues que l’on peut avoir sur la prévalence des classes moyennes supérieures dans la préoccupation pour l’environnement. Si une telle conception s’est cristallisée avec l’opposition entre la « fin du monde » et la « fin du mois » lors du lancement des gilets jaunes, elle a ensuite été partiellement démentie par la participation de certains d’entre eux aux marches pour le climat et la proximité établie par des travaux de recherche entre l’attitude des gilets jaunes l’environnement et celles de la moyenne des Français.

Notre enquête confirme cette réalité plus nuancée. On voit par exemple que les ouvriers et employés sont autant favorables au répertoire des écologistes que les cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS), si ce n’est davantage. Tandis que les premiers soutiennent le blocage d’entreprises polluantes à la hauteur de 67 %, ce taux baisse à 62 % chez les CPIS. Ces derniers sont 60 % à juger favorablement l’occupation de zones naturelles menacées, soit autant que les ouvriers et employés (61 %). À l’exception des agriculteurs, qui ne soutiennent qu’à 54 % le blocage des entreprises polluantes et à 33 % le fait d’occuper une zone naturelle menacée, le soutien à ces actions reste en fait majoritaire dans l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Similairement, les niveaux de diplôme et de revenu ne semblent pas corrélés aux taux de soutien, ce qui discrédite l’idée d’un rejet mécanique du répertoire des écologistes par les classes populaires.

Autre réalité contre-intuitive, les taux de soutien restent hauts, même à droite de l’échiquier politique. Par exemple 43 % des électeurs qui s’identifient à la majorité présidentielle (LREM/MoDem/Horizons) et 46 % de ceux qui se sentent proches des Républicains reconnaissent comme tout à fait ou plutôt acceptable l’occupation de zones naturelles menacées, contre des taux supérieurs à 80 % pour La France Insoumise et EELV.

Alors que la défense des zones naturelles s’ancre dans l’attachement à un territoire et que le blocage d’entreprise polluante les désigne comme adversaires, les perturbations entraînées par le blocage de route et l’interruption d’événements sportifs impactent principalement le « citoyen lambda ».

Concernant l’intensité du soutien à ces modes d’action, cependant, on voit des règles plus prévisibles se confirmer avec un soutien qui décline avec le positionnement politique à droite et l’âge. Ce qui converge avec le constat que, sans être plus inquiets que leurs aînés pour l’environnement en France, les jeunes générations tendent à traduire davantage leur préoccupation en engagement.

L’importance des actions ciblées

Certains modes d’action suscitent toutefois beaucoup moins d’adhésion. Il en va ainsi du blocage de routes, rejeté par 69 % de la population, et de l’interruption d’événements sportifs (par exemple lors du Tour de France de 2022), rejeté à 74 %. Cette désaffection se retrouve de manière plutôt homogène dans la population. Atténué par l’âge, le rejet de ces modes d’action est plus net chez les agriculteurs, les ouvriers et employés.

Ces actions peu populaires ont un point commun : leur caractère indiscriminé. Alors que la défense des zones naturelles s’ancre dans l’attachement à un territoire et que le blocage d’entreprise polluante implique de les désigner comme adversaires car responsables, les perturbations entraînées par le blocage de route et l’interruption d’événements sportifs ne sont pas ciblées et impactent plus directement et principalement le ou la « citoyen lambda ».

Ces résultats rappellent la réforme des retraites et le soutien majoritaire pour un durcissement du mouvement : quand la cause est jugée juste par une grande partie de l’opinion et qu’un adversaire est clairement désigné comme responsable, le caractère illégal de certains modes d’action perd de son effet dissuasif et l’action est jugée majoritairement comme acceptable.

Si l’on reprend l’exemple d’Extinction Rebellion, le mouvement britannique ne s’y est pas trompé puisqu’à l’issue de l’action qui devait parachever en avril dernier sa stratégie de massification, une majorité de militants se sont prononcés en faveur de plus d’actions disruptives et ciblées. C’est également de cette façon qu’on peut comprendre en France le succès des Soulèvements de la Terre qui redynamisent l’opposition à projets locaux contestés (des méga-bassines de Sainte-Soline au projet de l’A69 dans le Tarn), et la multiplication d’actions de désobéissance civile ciblées, comme celles contre les Assemblées générales de Total ou le mode de vie des ultra-riches (des jets privés aux golfs en passant par les croisières). On se rappelle également de la popularité des Faucheurs Volontaires qui, au début des années 2000, sont parvenus à faire accepter la légitimité de leurs modes d’action impactants (arrachage de plants, destruction de stocks, etc.) en s’appuyant sur le rejet majoritaire des OGM par la population française et des figures appréciées comme José Bové.

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Quelles perspectives pour les mouvements écologistes ?

Il ressort de ce panorama que la radicalité des modes d’action importe moins que le fait de cibler un adversaire clairement identifié. Doit-on pour autant imaginer que cela conduira les écologistes à abandonner une fois pour toutes leurs actions dans l’espace public ?

On peut en douter. En effet, les actions ciblées sont plus difficiles à mettre en place que les mobilisations de rue. Dans le cas des ZAD, elles impliquent une présence quotidienne sur place et dans celui des entreprises, les actions sont plus efficaces quand elles sont synchronisées avec l’actualité (comme l’annonce de bénéfices ou la tenue d’une Assemblée générale), ce qui demande une certaine organisation. De même, les lieux associés au gouvernement sont extrêmement protégés et la police, habituée à en défendre l’accès, comme en témoigne la tentative avortée de blocage du ministère de la Transition écologique en octobre 2020 par Extinction Rebellion.

L’espace public, quant à lui, ne se résume pas nécessairement à une confrontation entre les militants écologistes et l’opinion publique, puisque l’intervention souvent musclée de la police rappelle l’hostilité de l’État, tandis que les actions spectaculaires permettent de réaffirmer ses demandes à l’égard de la puissance publique. Au-delà de ces considérations pratiques, il faut rappeler que la popularité de leur répertoire n’est pas forcément l’objectif premier des militants écologistes, qui se préoccupent plus immédiatement de la protection des espaces naturels menacés et du maintien des questions environnementales et climatiques dans l’agenda médiatique et politique.

De plus, si l’enquête montre que certains modes d’action sont moins rejetés que d’autres par la population, on ne peut pas en conclure que les militantes écologistes disposent automatiquement d’un socle d’adhésion fort. On peut imaginer qu’un même mode d’action soit perçu différemment en fonction de ses modalités et des collectifs qui le portent. Par exemple, la question « d’occuper une zone naturelle menacée » peut autant couvrir la protection d’un parc public apprécié par des riverains dans leur quartier que l’occupation d’une ZAD par des militants accusés d’écoterrorisme par le gouvernement. La capacité des mouvements écologistes à imposer leur discours et leurs termes dans le débat sera donc déterminante face aux tentatives de criminalisation croissantes.

[1] Article initialement paru sur The Conversation