Le retour de l’extrême-droite allemande

Extrême droite allemande -- Le Vent Se Lève
Le leader d’extrême-droite allemand Björn Höcke

Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) serait-il en seconde position au niveau national ? C’est ce que suggèrent plusieurs sondages, qui font état d’une progression fulgurante du parti d’extrême droite. Il bénéficie de la conjoncture récente, qui a vu la puissance allemande et sa prospérité économique menacées par l’arrêt des exportations de gaz russe. Mais sa progression est également le fruit d’une longue stratégie de « guerre culturelle », visant à imposer sa vision du monde bien au-delà des élections et des cénacles parlementaires. Par Sebastian Friedrich, traduction Alexandra Knez [1].

Lorsque Friedrich Merz se lance dans la bataille pour succéder à Angela Merkel à la présidence de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en novembre 2018, il se fixe un objectif ambitieux. Merz déclare au tabloïd allemand Bild qu’il veut « réduire de moitié » le score d’Alternative für Deutschland (AfD). À l’époque, celui-ci tournait autour de 15 % dans les sondages. De fait, au cours des cinq dernières années, si sa progression nationale est longtemps demeurée pratiquement nulle, le parti est aujourd’hui en tête des sondages dans plusieurs Länder, réussissant à rallier de larges pans de la droite.

Ce n’était pas gagné d’avance. En avril 2013, plus d’un millier de personnes se sont entassées dans la salle de conférence bondée d’un hôtel pour assister au congrès fondateur de l’AfD. Ils ont acclamé un professeur d’économie, Bernd Lucke, qui, visant résolument la CDU, a parlé avec mépris des « vieux partis » et a affirmé que l’Allemagne devait prendre du recul par rapport à l’UE, laisser la gestion de l’économie au secteur privé et adopter une approche plus conservatrice en matière de politique sociale. Outre M. Lucke, Frauke Petry, chimiste, et Konrad Adam, ancien journaliste, ont également été élus à la tête de l’AfD. Tous trois ont depuis quitté le parti.

Dix ans après sa création, le visage de l’AfD a radicalement changé : alors que l’euroscepticisme conservateur était le thème dominant à ses débuts, l’AfD est aujourd’hui majoritairement un parti d’extrême droite. Néanmoins, il existe une constante entre l’AfD original et l’AfD actuel : dès le début, l’AfD a cherché à unir le bloc politique à droite de la CDU et son partenaire de coalition traditionnel, les néolibéraux du parti Liberal-démocrate (FDP).

Au départ, le parti représentait une alliance entre un courant ordolibéral entourant quelques dizaines de professeurs d’économie et un réseau national-conservateur composé d’aristocrates, de fondamentalistes chrétiens et d’antiféministes. Peu de temps après sa création, cependant, un troisième courant est entré en scène : une aile völkisch, clairement ethno-nationaliste, étroitement liée à la « nouvelle droite » autoproclamée qui est apparue en France et en Allemagne de l’Ouest dans les années 1960 – et qui renvoie à des idées d’extrême droite plus traditionnelles. Son idéologie de base est un ethno-nationalisme qui conçoit le Volk [terme allemand pour « peuple » NDLR] comme une communauté ethniquement homogène. Il considère que sa tâche principale est de changer la réalité pour qu’elle corresponde à cet idéal.

Malgré toutes les querelles internes, les divisions et les luttes de pouvoir, ces trois courants continuent de donner le ton au sein de l’AfD. Cette constellation implique nécessairement certaines contradictions internes, étant donné les différences substantielles entre les ordolibéraux, les conservateurs et les ethno-nationalistes.

Le parti affiche par exemple des positions très divergentes en matière de politique économique et sociale ainsi que de géopolitique. Un autre point de désaccord, autour duquel tournent la plupart des luttes internes de l’AfD depuis sa création, est de nature stratégique : alors qu’une majorité des figures clés des courants national-conservateur et ordolibéral préfèrent la modération tactique et une approche parlementaire, une grande partie de l’aile ethno-nationaliste privilégie une stratégie de mobilisation basée sur une opposition fondamentale au système politique en tant que tel.

Néanmoins, malgré ces profondes divergences, l’AfD a toujours réussi à éviter le type de scission qui menacerait son existence, en restant fidèle au projet du parti et en se concentrant sur les points d’unité qui le soudent : le rejet de l’égalité.

Du vieux vin dans de nouvelles bouteilles

Après des années de lutte acharnée, l’aile ethno-nationaliste de l’AfD a pris la tête du mouvement. Le parti est donc devenu le bras parlementaire de l’extrême-droite allemand, bien que sous une forme quelque peu modernisée.

Cette modernisation est d’abord substantielle. Elle reste centrée sur l’homogénéité du Volk, mais elle ne définit plus cette homogénéité sur la base de la génétique – une démarche discréditée depuis la chute du nazisme. On trouve bien quelques tentatives discrètes pour réhabiliter la catégorie de « race » dans la sphère publique allemande, mais elles sont appuyées par un concept parallèle beaucoup plus astucieux : l’ « ethno-différentialisme  ». L’ ethno-différentialisme prend en compte la critique du racisme génétique, mais arrive à des conclusions similaires à l’aide d’arguments anthropologiques, ethnologiques et psychologiques : des peuples différents peuvent vivre côte à côte, mais ils ne doivent pas se mélanger et doivent rester « purs ».

Le concept d’ ethno-différentialisme remonte aux années 1970. À l’époque, Henning Eichberg, l’un des maîtres d’œuvre du nationalisme radical d’Allemagne de l’Ouest, a développé le concept de sociétés ethniquement homogènes, rejetant ainsi l’universalisme de gauche et reformulant les idées racistes d’une manière qui semble plus inoffensive que l’ethnocentrisme agressif des nazis. L’ ethno-différentialisme continue de façonner la droite radicale dans toute l’Europe aujourd’hui. Il est fondamental pour les intellectuels de la nouvelle droite ainsi que pour les courants fascistes et d’extrême droite en France, en Italie et en Espagne.

L’ethno-différentialisme est populaire en Allemagne non seulement parmi le mouvement dit identitaire (un groupe de protestation néofasciste actif dans toute l’Europe occidentale), mais aussi parmi les politiciens de l’AfD. Hans-Thomas Tillschneider, membre du parlement du Land de Saxe-Anhalt, a évoqué le terme sous un angle positif lors d’une contribution au débat programmatique du parti en septembre 2018, affirmant que l’ ethno-différentialisme représentait le « leitmotiv du programme de l’AfD ». Selon lui, le parti devrait « s’engager à préserver l’unité ethnoculturelle qui s’appelle le peuple allemand dans tous les domaines. »

L’influence de cette idéologie est également perceptible lorsque le président honoraire de l’AfD, Alexander Gauland, faisant référence aux joueurs de football issus de l’immigration, a déclaré que l’équipe nationale allemande n’était plus allemande « au sens classique du terme », ou lorsque les orateurs de l’AfD font la distinction entre les « Allemands à passeport » et les « vrais Allemands ».

Au cours des dix années d’existence de l’AfD, il a été possible d’observer une modernisation idéologique mais aussi stratégique au sein de l’extrême droite allemande. L’AfD a depuis longtemps cessé de fonctionner comme un simple parti, mais constitue un élément parmi d’autres d’un projet politique d’extrême-droite qui comprend également des initiatives citoyennes de droite, des médias, des fraternités étudiantes, des groupes de réflexion et des sous-cultures. Les stratèges de l’aile ethno-nationaliste, en particulier, ne cherchent pas seulement à gagner des voix, mais se battent autour des questions de langage et pour le contrôle de la rue.

L’AfD a clairement remporté la compétition électorale au sein de la droite allemande, en réalisant des avancées dans presque toutes les classes et tous les milieux sociaux. Pendant ce temps, son précédent concurrent, le Parti national démocratique (NPD), plus explicitement néonazi, et d’autres partis d’extrême droite ont largement perdu de leur importance ou se sont totalement dissous. Cela dit, l’aile ethno-nationaliste de l’AfD en particulier considère le parlementarisme d’un très mauvais œil.

Selon Björn Höcke, le leader incontesté des ethno-nationalistes, le rôle de l’AfD est de servir de « voix du mouvement » au parlement qui est considéré avant tout comme une scène sur laquelle promouvoir les positions du parti. Il ne s’agit pas seulement d’un travail parlementaire : lors d’une interview enregistrée, M. Höcke a expliqué l’orientation stratégique de son camp : « Quelques corrections et réformes mineures ne suffiront pas. Mais le caractère inconditionnel de l’Allemagne sera la garantie que nous nous attaquerons à la question de manière approfondie et fondamentale. Une fois le tournant pris, nous, Allemands, ne ferons pas les choses à moitié ».

La lutte autour du langage est une lutte pour l’hégémonie culturelle, de nature « métapolitique ». Le concept de métapolitique s’inspire à bien des égards de la stratégie de la Nouvelle Gauche post-1968 en France. Cette approche induit que l’hégémonie politique dépasse le cadre des élections et des partis en tant que tels, mais se conquiert sur « l’espace pré-politique », c’est-à-dire la bataille sur les modes de pensée. Götz Kubitschek, l’un des fondateurs de l’Institut pour la politique d’État (IfS), un groupe de réflexion d’extrême droite et un cadre de la nouvelle droite, identifie trois stratégies discursives pour la guerre culturelle de l’extrême droite : la droite doit tout d’abord repousser les limites de ce qui peut être dit par le biais de provocations ciblées. À cette fin, il est nécessaire de « pousser de manière provocante les limites de ce qui peut être dit et de ce qui peut être fait ». L’AfD a utilisé dès ses débuts cette stratégie de transgression calculée des tabous, ce qui lui a permis de dominer les débats politiques, surtout dans les premières années de son existence.

Deuxièmement, la droite doit poursuivre une stratégie d’ « imbrication » dans le but d’ « empêcher l’artillerie de l’ennemi de tirer ». La droite doit imbriquer ses propres troupes avec celles de l’ennemi, afin que ce dernier ne sache jamais avec certitude « s’il n’atteindra pas son propre camp lorsqu’il tirera ». Concrètement, cela signifie qu’il faut être d’accord avec les politiciens conservateurs lorsqu’ils condamnent la politique du gouvernement allemand à l’égard des réfugiés.

Enfin, Kubitschek recommande une stratégie connue sous le nom de Selbstverharmlosung – que l’on pourrait traduire par « auto-trivialisation ». La droite doit chercher à « repousser les accusations de l’adversaire en affichant notre propre innocuité et en soulignant qu’aucune de nos demandes ne se situe en deçà des normes de la société civile ». En réalité, selon cette posture, la droite n’est pas si mauvaise ; elle s’oppose à la violence et soutient la Constitution et la démocratie. Toutefois, prévient-il, la droite doit veiller à ne pas sombrer trop profondément dans l’auto-trivialisation.

Outre la bataille pour les votes et la bataille pour les esprits, la nouvelle droite mène également une bataille de la rue. Dans ce domaine, l’AfD réussit à plusieurs reprises à bâtir des ponts vers des mobilisations de rue d’extrême droite telles que Pegida, un mouvement extraparlementaire islamophobe. Le point culminant de la stratégie visant à faire de l’AfD la force principale du mouvement d’extrême droite a été une manifestation à Chemnitz le 1er septembre 2018, au cours de laquelle les hauts responsables de l’AfD ont défilé côte à côte avec les figures de proue de Pegida, les Identitaires et les voyous néo-nazis. Cette manifestation a marqué une première pour l’AfD qui s’est ouvertement présentée comme la force dirigeante d’un front uni de droite alliant la lutte de la rue à l’activité parlementaire.

Une mosaïque de droite sous pression

L’aile ethno-nationaliste de l’AfD et le parti dans son ensemble ont connu des années difficiles en 2020 et 2021. Le parti stagne autour de 10 % dans les sondages, l’Office de protection de la Constitution commence officiellement à contrôler ses activités et les opposants de l’aile ethno-nationaliste gagnent du terrain dans les luttes intestines du parti. Tout cela est source d’inquiétude et certaines personnalités d’extrême droite commencent à tourner le dos au parti. Pour eux, il semblait que la « loi d’airain de l’oligarchie » était en train de se réaliser sous leurs yeux. Ce terme fut inventé par le social-démocrate devenu fasciste Robert Michels, selon lequel les partis ont tendance à développer des bureaucraties et des élites de pouvoir et donc à perdre leur élan au fil du temps.

À certains moments, l’AfD a failli perdre le contrôle des mouvements de rue. Lors des manifestations contre le confinement et la vaccination qui ont émergé autour de la pandémie du COVID, le parti a perdu son statut d’avant-garde du mouvement de droite dans certaines parties de l’Allemagne de l’Est au profit d’un groupe connu sous le nom de « Saxe libre ». Les critiques de droite ont reproché à l’AfD d’avoir trop peu investi dans la consolidation de sa périphérie et d’avoir accordé trop peu d’attention au mouvement.

Entre-temps, les stratèges de l’extrême droite accordent plus d’attention à l’interaction entre le parti et les différents protagonistes du mouvement, en développant le terme de « droite mosaïque », inventé par Benedikt Kaiser, intellectuel de l’IfS, en référence au concept de « gauche mosaïque » du syndicaliste allemand Hans-Jürgen Urban. L’idée de base de ce terme est que toutes les forces de droite doivent travailler sur un projet politique commun, tout en se laissant suffisamment d’espace dans leurs sphères respectives : le parti, un magazine, un groupe de jeunes, des femmes artistes, des fraternités universitaires et des groupes de hooligans d’extrême-droite. Dans une société moderne et diversifiée comme l’Allemagne, la droite politique se doit également d’être diversifiée.

Une base importante pour l’AfD et son aile ethno nationaliste sont les Länder de l’est de l’Allemagne, où le parti a obtenu entre 20 et 25 % des voix pendant plusieurs années. Ici, l’AfD marque des points avec sa rhétorique anti-establishment. Le manque de confiance des Allemands de l’Est dans les institutions de l’État s’explique en partie par le fait que, lors de l’adhésion des Länder de l’Est à la République fédérale, beaucoup de choses ont changé pour le pire en peu de temps : pratiquement du jour au lendemain, l’ancien prolétariat industriel a été confronté à une transformation structurelle forcée, à une désindustrialisation ciblée et, par conséquent, à un chômage de masse.

Ce qui avait pris des décennies dans les régions industrielles de l’Allemagne de l’Ouest, comme la Ruhr, et provoqué des bouleversements dans le tissu social malgré les tentatives de l’État pour atténuer le choc, s’est produit en quelques semaines au début des années 1990 sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est. Au lieu des « paysages fleuris » promis par les politiciens ouest-allemands, ils se sont retrouvés avec des ruines industrielles. À l’espoir a succédé la désillusion.

En Allemagne de l’Est, Les liens de la population avec les idéologies et les institutions de l’ancienne République fédérale n’ont donc pas eu à s’affaiblir au fil du temps – ils n’ont jamais été particulièrement forts au départ. Contrairement à l’Allemagne de l’Ouest, une grande partie de l’ex-Allemagne de l’Est est plongée depuis trente ans dans une crise d’hégémonie permanente, dans laquelle les élites politiques et économiques ne parviennent pas à atteindre les masses et à établir un consensus social. La participation électorale est nettement plus faible à l’Est qu’à l’Ouest, tout comme le nombre de citoyens actifs dans des associations bénévoles ou des organisations à but non lucratif.

Cette situation a permis à l’AfD et à ses partisans de combler le vide, en particulier dans les zones rurales, notamment parce que la droite a réussi à se présenter comme défendant les intérêts des Allemands de l’Est. Ce faisant, le parti se rattache consciemment à l’expérience de 1989-1990 : « Achever la Wende », le terme utilisé pour décrire le soulèvement de cette période, est un slogan fréquemment utilisé par l’AfD en Allemagne de l’Est. Le message est clair : à l’époque, le peuple s’est soulevé contre les gros bonnets du parti au pouvoir ; aujourd’hui, il le fait contre l’establishment politique de la République fédérale.

Le bras parlementaire de la violence de rue

En tant que représentation parlementaire d’une extrême-droite modernisée, et dans le cadre de sa stratégie « d’auto-trivialisation », l’AfD rejette officiellement la violence. Pourtant, malgré toutes ses tentatives, les liens avec des groupes potentiellement violents persistent.

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Un exemple : parmi les vingt-cinq personnes arrêtées lors du raid dit « Reichsbürger » en décembre 2022, lorsque la police fédérale a arrêté un réseau de milices d’extrême droite présumées, figurait un juge berlinois qui a siégé au parlement allemand pour l’AfD jusqu’en 2021. L’association, qui se faisait appeler « Union patriotique », aurait projeté de prendre d’assaut le parlement par la force des armes et d’installer un gouvernement autoproclamé.

Deuxième exemple : en juin 2019, Stephan Ernst, un extrémiste de droite, a abattu Walter Lübcke, homme politique de la CDU et chef de l’administration publique de Kassel. Ernst a été un partisan de l’AfD, assistant à ses événements et faisant des dons d’argent au parti, et en 2018, il a aidé à la campagne électorale du Land de Hesse en accrochant des affiches et en travaillant dans les permanences.

Troisième exemple : en octobre 2020, un membre de l’AfD a foncé avec un 4×4 sur une manifestation antifasciste en marge d’un événement du parti à Henstedt-Ulzburg, dans le Schleswig-Holstein. Certaines des victimes ont été gravement blessées. Le ministère public accuse le conducteur d’avoir percuté les manifestants « avec l’intention de tuer ».

Il s’agit là des cas les plus évidents de liens entre l’AfD et la violence d’extrême droite. Il existe de nombreux autres cas difficiles à prouver directement, mais dans lesquels la propagande d’extrême droite a incité les auteurs de violences à mettre en pratique la prétendue volonté du peuple telle que formulée par l’AfD. Néanmoins, ni ces liens, ni la dérive d’extrême droite persistante du parti, et son suivi par l’Office de protection de la Constitution, n’ont porté un préjudice substantiel à l’AfD.

Dix ans après sa création, le parti s’est imposé comme une présence politique durable. Il siège dans presque tous les parlements nationaux, compte des centaines de députés et encore plus de collaborateurs. Les espoirs de voir l’AfD déchirée par ses contradictions internes ne se sont pas concrétisés, et il est peu probable qu’ils le soient à l’avenir.

Contrairement à Die Linke, qui est actuellement au bord d’une scission préjudiciable, l’AfD parvient à surmonter ses divergences d’opinion internes fondamentales et, dans certains cas, à les utiliser de manière productive. Les conflits se déroulent désormais en coulisses, de manière relativement discrète.

L’AfD parvient également à masquer ses divergences internes concernant la guerre en Ukraine. À l’instar de la gauche, le camp de droite présente un large éventail d’opinions en ce qui concerne le rôle de la Russie et de l’OTAN. Les voix (essentiellement ouest-allemandes) qui soutiennent l’OTAN sont probablement minoritaires au sein du parti par rapport à celles qui expriment une certaine « compréhension » pour l’invasion russe, en partie parce que certains considèrent la Russie de Poutine comme un modèle pour leur propre approche politique. Néanmoins, un certain degré de pluralisme interne est autorisé sur cette question.

Suite au dernier congrès du parti fédéral à Riesa en juin 2022, l’équilibre des forces a été clarifié pour le moment : l’aile ethno-nationaliste est là pour rester. La gauche allemande doit maintenant se préparer à au moins dix années supplémentaires d’AfD…

Néanmoins, l’AfD est confronté à un dilemme stratégique : selon toute vraisemblance, les autres partis ne formeront pas de coalition avec lui dans un avenir proche. Même en Allemagne de l’Est, où l’AfD est particulièrement forte et où la CDU est plus réticente à prendre ses distances avec les populistes de droite, aucune coalition n’est susceptible d’être envisagée à moyen terme. Les forces de droite de la CDU qui cherchent à initier une telle démarche ont jusqu’à présent été sévèrement réprimandées. Après des discussions entre les membres de la CDU et de l’AfD au parlement du Land de Saxe-Anhalt fin 2020 qui portait sur la tolérance d’un gouvernement minoritaire de la CDU, Holger Stahlknecht, le ministre de l’Intérieur de la CDU qui était apparemment ouvert à une telle proposition, a été contraint de quitter son poste.

Le fait qu’une coalition soit très improbable à ce stade convient aux dirigeants de l’aile ethno-nationaliste, car ils n’aspirent pas à coopérer avec la CDU. Leur modèle est l’Italie, où l’extrême droite a réussi à exercer une telle pression sur les partis conservateurs établis que ceux-ci se sont largement érodés. La destruction de la CDU est la perspective à long terme des ethno nationalistes. Dans le meilleur des cas, une CDU purifiée et fortement affaiblie, qui se déplace considérablement vers la droite, sera prête à rejoindre un gouvernement AfD en tant que partenaire junior.

L’AfD sait que cela n’arrivera pas de sitôt. Mais ses dirigeants pensent à plus grande échelle et à plus long terme. S’il n’en tient qu’aux ethno-nationalistes, les dix premières années de l’AfD ne seront qu’un premier pas.

Note :

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « How the Alternative für Deutschland Radicalized the German Right »