Jean-Baptiste Guégan : “Le sport a toujours été en Russie un marqueur de puissance”

Auteur de “Football Investigation, les dessous du football en Russie” (Bréal, co-écrit avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter), Jean-Baptiste Guégan est journaliste, expert en géopolitique du sport. Il revient pour nous sur les enjeux extrasportifs qui irriguent la “Coupe du Monde de Poutine” et les compétitions suivantes.


LVSL : La Coupe du monde en Russie a commencé le 14 juin. Ces dernières années, le sport russe a été touché par des scandales de dopage. Les athlètes russes n’ont pas pu représenter la Russie lors des derniers JO d’hiver. Ils ont organisé malgré tout les JO d’hiver de Sotchi en 2014. Est-ce que la Coupe du monde 2018 va leur permettre de revenir sur le devant de la scène du sport mondial ?

Jean-Baptiste Guégan : Le sport a toujours été important pour la Russie, c’est à la fois un vecteur d’image et un marqueur de puissance. Le sport leur permet de montrer leur capacité à former leur jeunesse, à rayonner et puis à montrer qu’ils sont un peuple qui gagne. C’est quelque chose d’essentiel pour Vladimir Poutine. Depuis son premier mandat et plus encore depuis le deuxième, il a énormément axé le rayonnement russe autour du sport parce que c’est une manière de rendre leur fierté aux Russes et de montrer que la Russie existe. Cela va leur apporter plusieurs choses. En Russie dès qu’on organise un évènement, c’est multifactoriel. La première c’est de modifier l’image russe. Donc de se servir de la Coupe du monde pour améliorer leur image dégradée à cause des conflits en Ukraine, de l’intervention en Syrie et des prises de position de Poutine sur la scène internationale.

La deuxième c’est une vraie volonté économique, touristique. La Russie est un grand pays avec un patrimoine important et une histoire riche et longue. Sauf qu’au regard de leur territoire et de leur population ils sont sous dotés en touristes. Et donc l’idée de cette Coupe du monde, c’est de montrer ce que la Russie a à offrir au monde et pour cela il faut mettre en vitrine les villes comme Samara ou Saransk.

La troisième motivation, c’est l’aménagement et la valorisation du territoire. Les villes qui ont été choisies, c’est le cas de Saransk et d’Ekatérinbourg, ce sont des villes qui ont été délaissées en termes d’aménagement, en termes de développement depuis la chute de l’URSS et l’arrivée de Poutine au pouvoir. C’est l’occasion avec cette Coupe du monde d’investir énormément comme ils l’ont fait à Sotchi pour développer les transports et les offres d‘hébergement mais aussi finalement l’offre de services.

Après, du point de vue géopolitique, ce Mondial sert, au-delà de toute considération sportive, à construire un rapport de forces avec l’étranger et de montrer que la Russie est un acteur avec lequel il faut compter dans le cadre du multilatéralisme que défend Poutine. Le choix de Kaliningrad a été fait pour gentiment montrer aux Européens que la Russie est au cœur de l’UE. Il sera aussi très intéressant de voir après l’affaire Skripal et les menaces de boycott diplomatique comment les supporters anglais vont être reçus. Et de voir comment l’équipe des Three Lions (la sélection anglaise, ndlr) va être accueillie en Russie. Enfin, il faut reconnaître une chose, c’est que la Russie a tendance à faire deux choses, la première à parler fort et ensuite s’excuser silencieusement. La Russie a accepté les conclusions du rapport McLaren et a priori, cela n’a pas été médiatisé. La Russie a donc fait un pas pour reconnaître le dopage institutionnalisé qui a eu cours.

LVSL : Leur équipe a peu de chances d’aller loin…

La sélection russe est la deuxième nation la moins bien classée à la Coupe du monde devant l’Arabie Saoudite qu’elle rencontre au premier tour. On verra bien ce qu’ils feront. Comme à chaque Coupe du monde, l’organisation des groupes est orientée par un règlement favorable au pays organisateur.

Michel Platini est revenu dessus en parlant maladroitement de “magouille” pour la Coupe du monde 98. En vérité, ce n’est pas une tricherie, c’est juste une orientation du tirage et de son aménagement. C’est typique pour toutes les compétitions internationales de football. L’idée est de préserver le pays organisateur sur le premier tour pour maintenir l’enthousiasme et la passion populaires.

Pour en revenir au seul domaine sportif et pour en avoir discuté avec Alexeï Mechkov, l’ambassadeur de Russie, ils n’attendent rien de la Sbornaya (surnom de l’équipe russe, ndlr). Si ce n’est qu’ils soient à la hauteur des valeurs russes et de la Russie. Et qu’ils soient combatifs sur le terrain, pour renvoyer une bonne image de l’homme russe. C’est dans la logique du virilisme à la russe. Donc quand on discute avec eux, tous prévoient déjà que leur équipe ne passera pas les huitièmes de finale. Vraisemblablement ils tomberont contre l’Espagne ou le Portugal, et vraisemblablement ils se feront éliminer. Ce qui sera intéressant, c’est de voir leurs capacités athlétiques et de voir comment le sélectionneur russe va pouvoir rendre sa fierté à l’équipe russe. S’ils sont au même niveau qu’à la Coupe des confédérations, ce sera compliqué d’aller au-delà des huitièmes de finale.

« Ce Mondial sert, au-delà de toute considération sportive, à construire un rapport de forces avec l’étranger et à montrer que la Russie est un acteur avec lequel il faut compter dans le cadre du multilatéralisme que défend Poutine. »

LVSL : A l’Euro 2016 il y a eu des affrontements à Marseille entre des hooligans anglais et russes. Est-ce qu’on peut s’attendre à des nouveaux affrontements en Russie ?

Pour avoir interviewé plusieurs spécialistes de la question pour notre Football Investigation avec Quentin et Ruben, que ce soit Ronan Evain qui est spécialiste du supportérisme russe, l’ambassadeur russe en France ou les spécialistes du foot russe du site Footballski.fr, tous ont la même réponse : le risque existe mais il est exagéré. Le supportérisme russe est un supportérisme composé d’ultras et de hooligans mais ils ne sont qu’une minorité. Comme dans toute frange de supporters, il y en a qui sont plus radicaux. Pour autant, on peut penser qu’il n’y aura pas de débordements pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’il n’y en a pas eu l’année dernière lors de la Coupe des Confédérations. Il y avait un niveau de sécurité rarement atteint, et dans une zone d’un kilomètre autour du stade, il fallait montrer patte blanche. Ensuite, on sait de sources internes que les services de renseignements russes ont fait clairement comprendre aux supporters radicaux qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi. Tous ceux qui ont été identifiés comme leaders ultras ont été prévenus aimablement. On n’oublie pas que la Russie est un régime autoritaire. Elle a fait comprendre que ceux qui ne respecteraient pas les règles feraient face à la loi et à sa férocité en Russie.

Et à côté de ça, il y a une autre règle tacite qui a été instituée. Les autorités russes, dans cette logique de virilisme, ont tendance à laisser les “fights”. Mais une condition a été imposée, c’est que ces combats soient organisés en dehors des villes. Avec deux limites : ne pas déranger les Russes moyens et ne pas nuire à l’image de la Russie à l’international. Donc tous les “fights” entre supporters ultras sont délocalisés dans les bois et la seule condition de non-intervention des forces de police et des services de renseignements, c’est qu’il n’y ait pas de blessés ou de morts.

Force est de constater que depuis 2012, cela s’est calmé malgré quelques dérapages. Dans notre livre, “Football investigation, les dessous du football en Russie”, nous revenons là-dessus. Le pouvoir a clairement rappelé à l’ordre ceux qui étaient concernés. Et plus encore depuis l’Euro 2016. On peut se demander si les Russes n’avaient pas intérêt à déstabiliser un Etat comme la France en acceptant d’envoyer des supporters ultras, en les laissant partir car ils savaient pertinemment qu’il y aurait un risque. Notamment en jouant sur la perspective d’un Etat incapable de tenir des supporters dans une des plus grandes villes françaises à l’approche de la présidentielle.

Dans les faits, le supportérisme russe n’est pas forcément politisé. Il y a donc peu de risques de débordements. Malgré les tensions entre la Russie, les Etats-Unis et l’Europe, il y a toujours eu coordination. Les services de police russes et européens continuent à discuter sur la question des ultras et des hooligans. Donc personne n’a intérêt à ce que ça se produise. L’intérêt de cette Coupe du monde est de montrer que la Russie est un pays sûr. Dans la représentation qu’on en a, la Russie est un pays qui fait peur. Les autorités veulent donc montrer que c’est un pays qui ne craint rien et qui est surtout accueillant. On peut penser qu’il n’y aura pas de débordements. Et quand bien même il y en aurait, il y aura tellement de présence policière et militaire dans les stades pour contrôler les radicaux, qu’il n’y aura pas de mauvaises images de débordements.

LVSL : Il y a quatre ans au Brésil lors de la Coupe du monde, il y a eu des manifestations contre le pouvoir. Est-ce que l’opposition russe peut profiter de la Coupe du monde pour manifester contre le pouvoir ?

La première différence est que le Brésil est une démocratie alors que la Russie est un régime autoritaire malgré sa constitution démocratique. D’un point de vue constitutionnel, le rapport n’est pas le même. En Russie, il y a deux types d’opposition. Une opposition légale et acceptée et une opposition durement réprimée. Des opposants comme Navalny se sont faits remarquer au moment du quatrième mandat de Poutine dans le cadre d’une manifestation qui dénonçait “le nouveau tsar”. Ce dernier a fini en prison. On peut remarquer une concomitance avec 2017 où avant la Coupe des Confédérations il y a eu une vague d’arrestations. Donc on peut imaginer des opposants à Poutine essayent de ses servir de la Coupe du monde, je pense aux Femen notamment.

Des ONG essaieront de se servir de cet évènement pour donner une force à leur cause, quelle qu’elle soit. Et notamment quand elles ciblent le pouvoir russe et ses dérives. Après on peut faire “confiance” aux services de renseignements russes pour faire face à ces mobilisations. On peut imaginer, sans prendre parti, qu’il y aura une manifestation sportive très sécurisée et que le moindre débordement sera recadré très vite. Je ne pense pas qu’il y aura d’images aussi négatives que celles attendues parce qu’on n’est d’abord pas dans le même contexte politique ni dans le même contexte économique. La croissance en Russie est revenue et Poutine fait tout pour dynamiser son image. Il n’a pas intérêt à ce type de contre-publicité.

Après on peut faire confiance aux médias internationaux pour montrer ce qui ne va pas en Russie. Nous sommes en pleine guerre de l’information et de l’image des deux côtés. Donc ce sera aux uns et aux autres de faire la part des choses.

LVSL : Début mars, un ancien espion russe a été retrouvé empoisonné en Angleterre. Le gouvernement anglais accuse la Russie de l’avoir assassiné et a annoncé un boycott diplomatique de la Coupe du monde. Aucun membre de la famille royale et du gouvernement n’ira à la Coupe du monde. Est-ce que ce boycott pourra aller plus loin et comment la Russie va accueillir l’équipe d’Angleterre ?

Le boycott britannique de la manifestation russe est un boycott qui est surtout diplomatique et symbolique. On a eu la même chose à Sotchi. Vous aurez du mal en termes de relations internationales à vous passer d’un membre du conseil de sécurité de l’ONU.

Au pic de la crise avec la Russie, il y a seulement eu des expulsions de chargés de renseignements, c’est-à-dire des espions. Il n’a pas eu de rupture définitive et réelle des liens diplomatiques. Il y a juste eu un refroidisseement et une tension. Cela veut dire que si le boycott se poursuit, et il se poursuivra, il sera exclusivement symbolique et médiatique.

“Poutine veut montrer que la Russie est plus forte avec lui que sans lui.”

Après, pourquoi il ne peut pas être sportif ? Pour plusieurs raisons. La première c’est que pour une fois on a une sélection des Three Lions qui est compétitive. Très jeune mais compétitive. Et donc les Anglais vont y aller. La deuxième c’est que le gouvernement de Theresa May est impopulaire, il ne peut pas se permettre de s’aliéner les fans de foot. Il faut rappeler que le foot en Grande-Bretagne est une véritable culture, c’est quelque chose de fondamental. Pour des raisons de politique intérieure et de popularité il y aurait de toute façon eu une équipe britannique. Il y a une troisième raison qui est économique. Le football est une industrie du spectacle particulièrement développée en Angleterre. D’abord du point de vue des médias mais aussi de l’activité générale. Et on ne peut pas imaginer des Britanniques privés de sélection, qui ne seraient pas capables de dépenser leurs livres sterling dans les bars : la perte économique serait trop importante ! Il n’y a jamais eu de boycott d’une phase finale de Coupe du monde donc ce serait une première. Je ne vois pas l’Angleterre le faire et ce n’est pas l’intérêt des pays. L’important, c’est de continuer d’échanger. On a bien vu que la politique de la chaise vide ne menait à rien et que le meilleur moyen de comprendre Poutine, c’est de discuter avec lui.

La Russie a reconnu une partie de sa responsabilité et on peut être sûr que les Britanniques seront bien accueillis. Parce qu’il ne faut pas oublier une chose, c’est que l’économie russe souffre, mine de rien, en raison des sanctions internationales et qu’elle a tout intérêt à renvoyer une image positive aux investisseurs qui pour la plupart sont des Anglo-Saxons. Si on regarde, la moitié des grandes firmes transnationales mondiales sont en grande majorité étrangères et ne regardent qu’une chose : la sécurité de leurs avoirs et de leurs investissements. Le signal serait très mauvais et irait à l’encontre de ce que veut faire Vladimir Poutine. On peut s’attendre à ce qu’il y ait pour la forme des sifflets mais ça n’ira pas au-delà. En tout cas on peut l’espérer. S’il y avait un débordement ou un quelconque problème ce serait gênant.

LVSL : Mais qu’est-ce que Poutine espère de la Coupe du monde ?

Il espère plein de choses. A titre personnel et à titre politique ce qu’il espère, ce n’est même pas conforter son pouvoir, parce qu’il est déjà établi. On a vu sa réélection à plus de 70%. Ce qu’il espère c’est de continuer d’entretenir son image d’homme d’Etat, d’homme qui fait gagner la Russie et lui redonne sa fierté. C’est exactement ce qu’il fait depuis qu’il est réélu. C’est exactement ce qu’il faisait depuis son troisième mandat et même bien avant. Il a compris tout l’intérêt de rendre sa grandeur au peuple russe et tout ce qu’il construit du point de vue médiatique et dans sa communication va dans cette logique-là.

Du point de vue de la politique intérieure, Poutine veut montrer que la Russie est plus forte avec lui que sans lui. Cela fait taire les oppositions, cela rend sa fierté au peuple russe. Enfin, quand on parle de géopolitique du sport on parle d’échanges entre dirigeants. On sait que les Britanniques n’iront pas mais on ne sait pas ce que vont faire les autres dirigeants européens et mondiaux. Le propre de ces manifestations est de faire se rencontrer des gens qui ne se rencontrent pas forcément dans les mêmes cadres.

On est hors d’un G20, d’un G8, donc on peut imaginer des contacts à haut niveau même simplement au niveau personnel, entre Mohamed Ben Salmane, l’héritier du trône saoudien et Vladimir Poutine par exemple. On aura des contacts entre les dirigeants qui viendront sur le sol russe. Et ces contacts seront diplomatiques et précieux pour la Russie.

LVSL : L’organisation d’une Coupe du monde pour une nation, c’est toujours bien pour développer le soft power ?

Cette justification domine, en tout cas depuis quinze ans, depuis que Joseph Nye a théorisé le soft power. L’idée, c’est d’expliquer que toute manifestation sportive concourt à nourrir l’image d’un pays à l’international, à marquer son influence, à accroître son rayonnement et à d’une certaine manière à l’inscrire sur la scène internationale.

La question du soft power est importante, elle est même essentielle mais on a tendance à oublier que pour une nation le fait d’organiser une Coupe du monde, c’est avant tout l’occasion d’aménager son territoire. Derrière chaque manifestation internationale sportive, il y a une volonté de réorganiser le territoire, de le réaménager en bénéficiant par exemple de procédures juridiques d’exception. On l’a vu à l’Euro 2016 avec des procédures juridiques simplifiées, des déclarations à l’international qui permettent de passer outre les réclamations des associations, de s’affranchir finalement d’une certaine légalité dans les procédures au nom de l’intérêt supérieur de l’Etat et de la nation.

Donc ce qu’on voit, c’est que toutes ces manifestations-là sont d’abord l’occasion de dynamiser l’économie, mais surtout de réaménager un territoire et de le valoriser. Je pense notamment à Londres, au quartier de Stratford avec le stade olympique, à Barcelone avec la redynamisation complète de la façade territoriale, ce qui en a fait de une des villes les plus visitées et attractive d’Europe. L’héritage de 92 est là. On va faire pareil à Paris avec la Seine-Saint-Denis. Il y a eu la même chose à Rio avec certains quartiers qui ont été créés de toute pièce qui visent à contrôler, diviser l’aménagement de ces grandes villes. Derrière cette manifestation internationale, oui il y a le soft power, oui c’est important, car aujourd’hui il permet finalement de montrer aux autres qu’on existe, qu’on est capables d’organiser une manifestation et qu’on est un Etat important. Mais ce n’est pas le seul élément qui pousse une nation à organiser un évènement international. Il faut toujours penser, que ce soit pour une Coupe du monde, un Euro ou une manifestation comme les Jeux Olympiques, que les motivations sont multiples. Si on prend Sotchi par exemple, l’idée était de redynamiser le Caucase, de dynamiser les réseaux de partisans inféodés au régime de Vladimir Poutine et à Moscou, dans une zone prompte à l’opposition. Tchétchénie, Abkhazie, etc… Si on prend l’exemple de la Corée du Sud, le choix de Pyeongchang pour les Jeux olympiques d’hiver de 2018 répond à des logiques multiples, d’abord économiques mais on voulait aussi dynamiser un espace qui est resté à l’écart. Donc il y a plusieurs logiques, spatiales déjà, politiques et finalement géopolitiques à toute organisation d’évènements de cette nature.

LVSL : A partir de 2026 la Coupe du monde sera à 48 équipes. Est-ce que c’est une bonne nouvelle pour le football ? Et est-ce que ça va permettre à des équipes qui ne se qualifient pas d’habitude de se montrer et même de faire des exploits comme l’Islande et le Pays de Galles à l’Euro 2016 ?

Pour ce qui est de la compétitivité d’une Coupe du monde à 48, il faut le voir de deux manières. En augmentant le nombre de participants, on augmente le nombre de pays concernés. En augmentant le nombre de pays concernés, on augmente le nombre de diffuseurs, donc de sponsors, donc de partenaires. La première des motivations c’est l’augmentation des revenus de la FIFA.

“Les manifestations sportives sont d’abord l’occasion de dynamiser l’économie, mais surtout de réaménager un territoire et de le valoriser.”

La deuxième motivation c’est que la Coupe du monde à 48 va sécuriser la présence des grands pays en Coupe du monde, qui par exemple ne participent pas à la Coupe du monde 2018, je pense aux Etats-Unis, à la Chine, c’est-à-dire des pays qui vont compter, dans les trente années qui viennent, sur la scène footballistique mondiale. Donc c’est une manière aussi de sortir de la domination bipolaire du football mondial qui se résume à une diagonale Europe-Amérique du Sud. La troisième raison c’est de terminer complètement la mondialisation du foot. Parce que là vous en faites véritablement un évènement global : avec 221 fédérations à la FIFA, globalement on aura un cinquième des fédérations à la Coupe du monde 2026.

Maintenant la question c’est de savoir si c’est profitable pour le football, et là c’est autre chose. Plus il y a de matchs, plus il y a de petites nations et plus il y a d’écart entre les Etats. Donc si on regarde ce qui s’est passé avec l’Euro 2016 (passé à 24 équipes au lieu de 16, ndlr), le premier tour a été globalement ennuyeux, plus défensif, moins enclin à des scores serrés et parfois révélateurs de très gros écarts. Donc on peut imaginer qu’une Coupe du monde à 48 va nous proposer des matchs qui risquent d’être très déséquilibrés.

C’est gênant parce qu’on risque d’avoir les mêmes résultats par exemple qu’en phase de groupes de Ligue des Champions, c’est-à-dire des scores fleuves qui rendent l’intérêt des matchs de premier tour moins grand. Après, on peut aussi se dire qu’à force de rencontrer de grandes équipes les petites nations vont progresser. Ces promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pour le football, l’autre intérêt c’est qu’on va pouvoir voir des joueurs qu’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont des têtes d’affiche dans de petites équipes. Je pense à l’Egypte et Mohammed Salah (star de Liverpool, ndlr), qui est présent en 2018. Et puis ça va permettre d’inclure tous les footballs moyen-orientaux, asiatiques et océaniens, qui sont aujourd’hui délaissés.

Je pense qu’on boucle simplement la boucle de la mondialisation du football et qu’aujourd’hui cette manifestation montrera vraiment qu’elle est globale parce qu’elle inclut tout le monde. Après, sera-t-elle intéressante ? On verra. Ce que je crois surtout c’est qu’elle pose une autre limite. Elle va limiter  les candidatures potentielles pour l’accueil parce que très peu d’Etats sont et seront en mesure d’accueillir 48 équipes, avec 48 camps de base, avec 48 camps d’entraînement, que ça va demander beaucoup plus de stades qu’une Coupe du monde à 32, donc ça accroît les coûts. On l’a vu avec la défaite marocaine pour la Coupe du monde 2026.

“Le passage à 48 équipes en 2026 est une façon de terminer la mondialisation du football.”

LVSL : Dans quatre ans la Coupe du monde est au Qatar, est-ce que ça va être en hiver, en été, est-ce qu’ils vont changer le calendrier compte-tenu des conditions climatiques du pays ?

La Coupe du monde 2022 aura lieu l’hiver. Les calendriers des championnats sont connus trois ans avant donc là ils sont en négociations depuis un an et demi. Depuis que le Qatar est désigné, il négocie. Ils sont vraiment rentrés dans les phases de désignation. Les calendriers, les faisceaux satellites sont bloqués quatre ans avant. Là il y a toute la dimension logistique à prévoir et ils sont encore en négociations. Cela va affecter tous les championnats européens et les championnats mondiaux. C’est vrai que c’est inhabituel et ça ne respecte pas le cahier des charges initial du Qatar, on verra bien comment ça va se dérouler. Il est clair qu’il y a un ajustement qui est fait. Je pense que la Coupe du monde aura lieu au Qatar quoi qu’il se passe. Reste à savoir dans quelles conditions elle se tiendra. La condition des femmes se pose, la condition des droits des homosexuels et des minorités aussi, celle des travailleurs immigrés sur place également, même s’il y a eu des améliorations sous la pression de la FIFA, des ONG et de l’opinion internationale.

Il faudra aussi se poser la question de l’acheminement des touristes et des pratiques qui sont occidentales et européennes dans des villes où la consommation d’alcool est normalement prohibée. On verra comment les sponsors s’organisent. Est-ce que des zones réservées aux supporters internationaux seront organisées et échapperont à la loi ? On a vu que dans toutes les grandes manifestations sportives internationales des lois d’exception pouvaient être mises en place.

Propos reccueillis par Gauthier Boucly.