Le temps “des jolies colonies de vacances” est-il révolu ?

Sorti en 2006, le film Nos jours heureux avait réuni 1,5 million de spectateurs, avant de devenir culte pour toute une génération. Dans le même temps, les colonies de vacances traversent une crise multiforme profonde qui les fait peu à peu disparaître. Comment expliquer la désaffection du public pour ces structures qui participaient autrefois de la promesse d’égalité républicaine ? 


Alors que trois associations du secteur – la Jeunesse en Plein Air, l’Union Nationale des Associations Familiales et Solidarité Laïque – annonçaient qu’un Français sur trois dont 3 millions d’enfants ne partiraient pas en vacances cet été, cette question est plus pertinente que jamais. Il est temps d’interroger et de comprendre les maux que rencontrent ces colonies, qui ont pourtant permis à des générations d’enfants de partir en vacances, et qui continuent à imprégner l’imaginaire collectif. Auparavant creuset de la mixité sociale, les “colos” ciblent de plus en plus un public particulier, en prenant en compte l’âge, le genre ou encore le milieu social, et séparent là où elles créaient avant du commun.

Temps de socialisation exceptionnels chargés de représentations qui façonnent l’imaginaire collectif, les colonies de vacances ont été créées afin de donner un accès à la nature à la jeunesse populaire. Elles apparaissent en 1876, sous l’égide d’Hermann Walter Bion, pasteur suisse qui souhaite trouver un remède à la mauvaise santé des enfants défavorisés de Zurich. Des instituteurs et institutrices encadrent alors 68 enfants pendant deux semaines. Elles se développent en Europe pour ensuite s’exporter de l’autre côté de l’Atlantique sous le nom de Summer Camps.

En France, leur développement est entre autres le fait des entreprises, par le biais des comités d’entreprises. Elles sont donc initialement destinées aux enfants des employés, mais rejoignent néanmoins le système éducatif au sortir de la Première Guerre mondiale. Intrinsèquement liées aux patronages laïcs et paroissiaux, elles connaissent un âge d’or entre les années 1930 et les années 1960. Plus largement, l’essor des colonies de vacances est lié à l’évolution urbaine et politique du pays. C’est même contre les villes qu’elles se construisent, l’idée étant d’envoyer les enfants hors de cette dernière afin qu’ils se ressourcent et qu’ils échappent à de mauvaises conditions sanitaires. Les enfants étaient en effet les premiers touchés par les épidémies de tuberculose, contre laquelle l’État commence à lutter en 1916 avec la loi dite Léon Bourgeois et la création de dispensaires d’hygiène publique.

Elles se structurent également du fait des tensions entre les forces catholiques et républicaines. Alors que la République occupe un espace croissant, des patronages urbains puis des colonies menées par des prêtres sont mises en place, et ce dès les années 1880. Les municipalités s’emparent alors de l’objet des colonies de vacances pour en faire une vitrine de leur action sociale, comme en témoigne l’exemple d’Henri Sellier, maire de Suresnes, qui en plus de son action en faveur des Habitations Bon Marché se fait un ardent défenseur de ces colonies. L’historienne Laura Downs note que les trois quarts des enfants de cette municipalité partent ainsi en colonie de vacances au début des années 1930. En ce sens, les colonies de vacances constituent un moyen de définir des politiques urbaines sociales.

Une lente évolution

De leur genèse à aujourd’hui, la philosophie des colonies de vacances a évolué, passant ainsi d’une démarche sociale et hygiéniste à une volonté de recréer de la mixité sociale. Dans les années 1930, il s’agissait davantage d’occuper le temps libre dans la lignée des réformes conduites par le Front Populaire. Les Trente Glorieuses correspondent quant à elles à une volonté de démocratiser l’accès à la culture et aux loisirs.

Cependant, tous les enfants ne partent pas. La crise des banlieues dans les années 1980 a permis de prendre conscience que la jeunesse issue des quartiers restait en fait exclue de ces colonies : il s’agira donc de les y intégrer et de tenter par là-même de prévenir les tensions particulièrement redoutées en saison estivale.

Laura Downs écrit dans Childhood in the Promised Land : Working-class movements and the colonies de vacances in France qu’ « il s’agissait de créer et ouvrir l’esprit de “voyage républicain”, connaître les personnes et les paysages de la campagne ». Elle indique aussi dans l’Histoire des colonies de vacances de 1880 à nos jours que « le paysage faisait partie d’un projet politique et social ».

En 1913, plus de 100 000 enfants partent en colonies, tandis que ce chiffre atteint 4 millions en 1960. Selon la sociologue Magali Bacou et le géographes Yves Raibaud, ils n’étaient plus que 1,2 million en 2016. Les colonies de vacances ont certes une excellente image mais de moins en moins de familles se pressent pour y envoyer leurs enfants. Dès lors, comment comprendre cette désaffection a priori paradoxale ?

Un système en perte de vitesse

C’est aujourd’hui le modèle théorique, économique et social sur lequel reposent les colonies qui vacille et qui est remis en cause par l’évolution des pratiques. Les villes offrent davantage d’infrastructures qu’avant, notamment des terrains sportifs ou des piscines municipales relativement accessibles à tous. De même, de plus en plus de familles partent en vacances, ce qui rend le besoin d’envoyer son enfant en colonie moins pressant. Aujourd’hui, entre 60 et 70% des familles partent en vacances.

D’autres éléments structurels expliquent aussi cette désaffection. Les bâtiments militaires ou religieux désaffectés servaient notamment à accueillir les enfants : ces bâtiments ont aujourd’hui été détruits ou bien induisent une charge financière trop importante pour la remise aux normes, l’entretien ou la restauration. Une étude du CNRS montre ainsi qu’il n’existe plus qu’un tiers du patrimoine des bâtiments encore en fonction en Vendée ou dans les Alpes-Maritimes.

Les normes venant encadrer les colonies ont également augmenté, ce qui a entrainé une hausse des prix des séjours. Sur le plan politique, les projets ont longtemps été portés par des municipalités communistes et par des syndicats, comités d’entreprise ou mouvements d’éducation populaire. Mais la perte d’influence de ces forces dans la société durant les dernières décennies a mené de fait à un affaiblissement inéluctable de ces structures et de ces projets.

Les colonies reposaient également sur un pilier central qui était celui du brassage social, tant du côté de l’Église que des syndicats ouvriers. Aujourd’hui, les structures ont tendance à se scinder en deux. On trouve d’une part une augmentation constante de l’offre de séjours à thèmes, qu’il s’agisse de séjours linguistiques ou sportifs. Ils coûtent de plus en plus cher et constituent une offre de prestations pour les classes les plus aisées. De l’autre côté, il s’agit des colonies dites « des quartiers », qui ont été pensées au tournant des années 1980 pour prévenir les étés, saisons tendues dans les quartiers populaires.

Les classes moyennes ont quant à elle des difficultés grandissantes à assumer un coût financier important souvent compris entre 400 et 600€ la semaine. De plus, si des aides existent, notamment celles distribuées par les Allocations Familiales qui permettent d’alléger le coût d’un départ en colo, peu de familles ont conscience de leur existence et sur les 20 millions d’euros prévus à cet effet, une grande partie demeure inutilisée.

Une évolution qui suit celle de la société

La désaffection pour les colonies de vacances n’est pas sans lien avec les modifications profondes de la société. Tout d’abord, la baisse de mixité sociale au sein même des colos n’est pas sans rappeler la fragmentation territoriale grandissante. Les groupes sociaux autrefois friands et demandeurs de colos se sont divisés et fragmentés : nombre d’ouvriers ont quitté les villes et les grands ensembles pour s’installer dans le périurbain et les maisons individuelles qu’elles proposent. Aussi, l’accès à un jardin s’est développé et permet d’envisager un accès si ce n’est à la nature, au moins au grand air et aux loisirs qui y sont liés.

Pour ce qui est des quartiers et des espaces où se retrouve une grande partie de la population issue de l’immigration, les syndicats et la structuration ouvrière d’antan n’ont plus la même influence, notamment du fait de la difficulté que rencontrent ces populations pour accéder au marché du travail. Ainsi, les réseaux militants qui organisaient certaines colonies ont aujourd’hui disparu et peu de dispositifs sont offert aux enfants de ces quartiers. S’ils partent, c’est notamment grâce à des centres sociaux et parce que leurs parents ne partent pas, là où a contrario les enfants des classes moyennes partent en famille. À une sédentarité contrainte s’oppose donc une mobilité de plus en plus importante qui ne concerne pour les départs en vacances qu’une minorité des Français. La proposition 19 du Plan Borloo suggérait pour pallier cela d’envoyer les enfants des quartiers populaires en colonie de vacances gratuitement.

Si elles constituent indubitablement des œuvres sociales, les colonies de vacances voient leur ADN transformé du fait de l’intégration des logiques de marché et du tourisme. Les structures organisatrices tant publiques que privées se livrent à une concurrence de plus en plus importante et se sont dotées de catalogues, sites ou encore de campagnes de communication pour donner à voir leur offre. L’essor du marketing engendre une hausse des frais pour les familles, si bien que certains séjours se voient logiquement réservés aux familles les plus aisées.

Les sites spécialisés dans l’offre de colonies de vacances proposent ainsi des séjours référencés par classe d’âge et genre, là où les colonies traditionnelles avaient vocation à rassembler, intégraient une mixité tant sociale que de genre. Les activités proposées induisent des coûts importants. Un séjour estival sur le site Djuringa pour prendre des cours d’équitation est par exemple facturé 557€, somme à laquelle il faut encore rajouter des frais de dossier. Ces sites sont en définitive plus proches du tourisme que de la colo, tout en continuant à s’appeler “colonie de vacances”. C’est par là-même tout un esprit, une promesse d’égalité qui se trouvé dénaturée au profit de séjours qui permettent de se distinguer et séparent.

Le dernier élément en ce sens est celui de la transposition de la directive de la commission européenne n°2015/2032 du 25 novembre 2015 dans le droit français. Cette directive a engendré la colère des petites structures à la fin de l’année 2017 car elle met en péril les petites associations qui organisent des colonies de vacances en faveur d’un mastodonte façonné par des fusions-acquisitions. Les colonies de vacances ne relèvent plus d’une direction spécifique dans un ministère dédié mais de la Direction Générale des Entreprises. Si cette modification du droit n’a pas été médiatisée, elle correspond à une remise en question de l’implication des associations qui organisent les séjours et qui correspondent aujourd’hui pour deux tiers d’entre elles à des associations d’éducation populaire.

Ce tournant n’est toutefois pas récent. Il s’observe dès les années 1970 avec l’intégration de la logique de rentabilité dans les lettres et documents ministériels qui les évoquent. Il s’agit désormais de produire une offre de vacances, la philosophie et les fondements du départ se trouvant ainsi relégués au second plan. Si les colonies de vacances telles qu’elles étaient chantées par Pierre Perret ne sont plus à l’ordre du jour et ne répondent plus aux attentes d’une société qui a évolué, l’enjeu est de réinscrire dans l’imaginaire social la promesse des colonies de vacances dans un contexte où un nombre croissant d’enfants ne part pas en vacances.

À ce basculement vers une logique marchande s’ajoute l’émergence d’une triste réalité. Outre une illustration supplémentaire de l’effritement de la promesse républicaine, l’accès réduit aux infrastructures et séjours induisent des conséquences désastreuses pour les enfants. 121 personnes sont par exemple mortes par noyade entre le 1er juin et le 5 juillet 2018. Cette donnée masque en fait une situation très préoccupante dans les quartiers populaires, un collégien sur deux ne sachant pas nager à l’entrée en 6ème. Ce chiffre est lié au manque et à la vétusté de certaines infrastructures, les piscines Tournesol en premier lieu. Construites à la fin des années 1970, ces structures préfabriquées, incarnation d’un État fort à l’origine de politiques publiques, ferment les unes après les autres du fait de leur mauvais état. Les enfants se voient ainsi privés de tout accès à la natation, les collectivités locales n’ayant pas les financements nécessaires pour reconstruire des piscines.

Piscine Tournesol de Fagnières

Ainsi, la déprise des colonies de vacances constitue une illustration supplémentaire de l’effritement de la promesse républicaine. Cet effritement a une incidence directe sur les enfants des classes moyennes et populaires, qui se voient privés d’une part du plaisir de partir, de changer d’air et d’autre part d’un socle de compétences que la “colo” permettait d’acquérir. Le modèle néolibéral éloigne en ce sens les citoyens les uns des autres et prive les plus fragiles d’entre eux d’un droit à vivre, à jouir de son temps libre en s’extrayant de son quotidien.

Pour aller plus loin :

Magalie Bacou et Yves Raibaud, « Les jolies colonies de vacances, c’est fini ? », CNRS Le Journal, juillet 2016.

Ifop, « Les Français et les colonies de vacances », sondage pour la Jeunesse en plein air, Mai 2016.

Centres de loisirs, mini-camps, colos : quand les parents et les adolescents font le choix du collectif, Ovlej, Dossier d’étude n°187, Décembre 2016.

Tellier, Thibault. « Laura LEE DOWNSHistoire des colonies de vacances, de 1880 à nos jours, Paris, Perrin, 2009, 433 p. », Histoire urbaine, vol. 34, no. 2, 2012, pp. 163-165.

Crédits photos :

ipernity.com


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