Les cadeaux aux riches d’Attal et de Bardella : le choc fiscal dont on ne parle pas

© Kelly Sikkema

Cette campagne législative au pas de course s’est concentrée sur les questions économiques et fiscales, souvent pour insister sur la prétendue « insoutenabilité financière » du programme du Nouveau Front Populaire. Ce sont pourtant le RN et Ensemble qui multiplient les promesses de cadeaux fiscaux dans leurs programmes respectifs, sans expliquer comment ils seraient financés. Loin d’aider les « classes moyennes » comme ils le prétendent, ces réductions d’impôts bénéficieront principalement aux 10 % les plus aisés, au détriment de la majorité des Français.

Cette campagne législative aurait pu donner lieu à une confrontation intéressante de visions économiques opposées. Mais avant même la publication du programme du Nouveau Front Populaire (NFP), Bruno Le Maire et Jordan Bardella ont préféré jouer avec les peurs. L’actuel ministre de l’économie a par exemple déclaré que la victoire du Nouveau Front Populaire impliquerait la mise sous tutelle de la France par le FMI. La critique provenant d’un ministre de l’économie ayant accumulé 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire en 7 ans pourrait apparaître ironique. Alors pour appuyer son propos outrancier, il n’a pas hésité à publier un chiffrage faussé, indiquant par exemple que la réforme de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) coûterait 39 milliards d’euros. Gabriel Attal indique quant à lui que les retraités gagnant 1.200 euros par mois payeront davantage de CSG avec cette réforme. Pour appuyer son propos, il publie même un simulateur truqué, comme révélé par le journal Le Monde.

Les fake news des deux ministres ne concordent pas – ou alors il faudrait imaginer que la réforme soit à la fois coûteuse pour les finances publiques et fasse payer davantage d’impôt à une large majorité de Français. La vérité est toute autre : le NFP propose une baisse de l’impôt sur le revenu et de la CSG pour 92 % des Français, financée par une hausse pour les plus riches, ce qui rend la réforme budgétairement neutre. Mais tout est bon pour embrouiller le débat et détourner l’attention de leur propre bilan, alors qu’ils ont justement augmenté la CSG sur les petits retraités ou encore prolongé la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui représente un prélèvement de près de 10 euros par mois pour un salarié au SMIC.

L’argument du « sérieux économique » vise en outre à faire croire qu’aucune autre politique ne serait possible comme le rappelle le journaliste de Mediapart Romaric Godin : « Aucune transformation majeure ne s’est souciée d’une norme de finance, précisément parce que ces normes sont construites pour empêcher la possibilité d’une quelconque transformation sociale. Respecter le cadre financier, c’est respecter d’abord la hiérarchie sociale existante. […] Ce critère de « réalisme » lié à des « chiffrages » est proprement douteux. Ils reposent ainsi sur des hypothèses incertaines et toujours contestables, à la hausse comme à la baisse. Il est, à cet égard, amusant de voir les économistes doctes venir donner des leçons définitives sur ces programmes alors que leurs propres prévisions sont régulièrement défaillantes et en décalage constant avec la réalité. »

Il est par exemple piquant de noter que le journal Les Echos s’est permis de dénoncer le programme soi-disant infinançable du NFP, tout en publiant le jour suivant un article prodiguant des conseils à ses lecteurs pour échapper aux futurs impôts proposés par cette même coalition. S’affoler d’une hausse des déficits tout en prodiguant des conseils pour baisser les recettes de l’Etat est tout de même cocasse. Le programme du NFP est en réalité le seul entièrement chiffré et financé. Il est d’ailleurs soutenu par plus de 300 économistes renommés internationalement, dont la Prix Nobel Esther Duflo. A l’inverse, le RN et Ensemble proposent de nombreuses baisses d’impôts, sans aucun chiffrage ni piste de financement. Mais les éditorialistes peuvent dormir tranquille : ce sont bien aux plus riches du pays que s’adressent ces cadeaux fiscaux.

Les candidats du pouvoir d’achat… des plus riches !

Commençons par décrypter les mesures proposées par le RN à destination des jeunes. La suppression pure et simple de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans est sans doute la plus emblématique. Elle ne changera pourtant rien à la situation de la majorité des jeunes qui perçoivent des revenus trop faibles pour être assujettis à cet impôt. Cela représentera en revanche un cadeau de 1,3 milliard d’euros aux 10% des jeunes les plus riches. Dans la même veine, Jordan Bardella souhaite exonérer d’impôt sur les sociétés les patrons de moins de 30 ans. Mais en réalité, une infime minorité de jeunes entreprises payent l’impôt sur les sociétés puisque la plupart ne sont pas encore rentables ou bénéficient déjà de régimes fiscaux favorables. Cette mesure bénéficiera donc uniquement aux quelques jeunes patrons dont les entreprises sont particulièrement florissantes. Elle risque par ailleurs de créer des possibilités de fraude fiscale, des parents pouvant par exemple enregistrer leur entreprise au nom de leurs enfants. Ce cadeau leur permettra d’augmenter leurs marges nettes et donc leurs dividendes… qui ne seront eux-mêmes pas taxés pour les patrons de moins de 30 ans. La boucle est bouclée.

Est-ce vraiment la priorité d’aider les 10% de jeunes ayant déjà des situations d’emploi stables, un salaire confortable ou étant à la tête d’une entreprise déjà rentable ?

Gabriel Attal a eu des mots très durs contre ces mesures mais en reprend pourtant l’esprit en proposant la suppression des droits de mutation à titre onéreux (les « frais de notaire ») jusqu’à 250.000 euros pour les jeunes accédant à la propriété. Cette baisse d’impôt ne bénéficiera pas aux « jeunes de classes moyennes et populaires » comme il le prétend. Pour qu’un jeune puisse accéder à la propriété, il faut en effet que la banque lui accorde un prêt, ce qu’elle fera généralement pour des jeunes disposant déjà d’un patrimoine, d’une situation d’emploi stable et d’un revenu confortable supérieur à 3.800 euros par mois comme l’a montré un journaliste de France info. Par ailleurs, la mesure inquiète fortement les collectivités locales, en particulier les départements, qui récupèrent la grande majorité des recettes de cet impôt pour financer des besoins locaux.

Sans même aller jusqu’à dénoncer les cas les plus caricaturaux de jeunes traders se voyant offrir des baisses d’impôts spectaculaires ou du dernier fils de Bernard Arnault exonéré d’impôt sur les sociétés, il faut se demander : est-ce vraiment la priorité d’aider les 10% de jeunes ayant déjà des situations d’emploi stables, un salaire confortable ou étant à la tête d’une entreprise déjà rentable ? Est-ce bien raisonnable d’avoir baissé les aides personnalisées au logement (APL) pour les jeunes locataires comme l’a fait le Gouvernement pour ensuite utiliser cet argent pour baisser la fiscalité des jeunes propriétaires ?

Mais les baisses d’impôts sur le revenu ne s’adressent pas qu’aux jeunes pour le RN, qui propose également d’instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant, au nom de la relance de la natalité. Là encore, la majorité des familles qui ne payent déjà pas l’impôt sur le revenu n’en bénéficieront pas. Et plus la famille sera aisée, plus le cadeau sera élevé. Le RN veut même supprimer l’impôt sur le revenu des médecins retraités reprenant du service. Cette mesure a de quoi étonner : s’il est évident qu’il faut trouver une solution au problème des déserts médicaux, l’outil fiscal ne paraît pas le plus adapté. Mais ce que souhaite en réalité le RN apparaît alors clairement : détricoter petit à petit l’impôt sur le revenu, l’un des seuls impôts progressif de notre système fiscal. Lorsqu’il dirigeait le Front National, Jean-Marie Le Pen proposait sa suppression pure et simple. Jordan Bardella s’inscrit dans cette lignée, avec comme à son habitude, un enrobage plus présentable. Il convient par ailleurs de noter que le RN poursuit la même logique qu’Emmanuel Macron, qui avait lui-même déjà affaibli l’impôt sur le revenu au moment des gilets jaunes, alors même qu’il s’agissait d’une réponse complètement inadaptée à leur demande de justice fiscale.

Ce que souhaite en réalité le RN apparaît alors clairement : détricoter petit à petit l’impôt sur le revenu, l’un des seuls impôts progressif de notre système fiscal.

En outre, Jordan Bardella maintient la « flat tax » mise en place par Emmanuel Macron et dont la conséquence est qu’en France, les revenus du travail sont bien davantage taxés que les revenus du capital. Alors même que depuis 2017, le salaire horaire réel dans le secteur marchand a baissé de 4,8% tandis que les dividendes augmentaient de 85%. Et que cette politique de baisse de la fiscalité du capital n’a eu aucun effet bénéfique pour l’économie, de l’aveu même du comité d’évaluation de France Stratégie mis en place à la demande du président de la République.

Jordan Bardella promet également de supprimer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui a remplacé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ici, le RN ne cache même pas le public visé, décrit dans le nom même du prélèvement : cet impôt est actuellement payé par les propriétaires d’une résidence principale valant plus de 1,9 million d’euros… Rappelons ici que 50% des ménages français ont un patrimoine net quinze fois moins important que ce seuil. C’est donc un cadeau de 2 milliards d’euros pour les 0,4% les plus riches que nous propose l’autoproclamé « candidat du pouvoir d’achat ». Les 500 plus grosses fortunes de France sont passées d’un total de 454 à 1.170 milliards d’euros depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Mais la priorité de Jordan Bardella est donc de leur venir en aide.

Pour se différencier sur le papier de Gabriel Attal, il propose par ailleurs de rétablir un impôt sur la fortune financière. Cela sonne bien. Mais il s’agit d’une opposition de façade : les deux candidats proposent donc de ne taxer qu’une partie du patrimoine des très riches. Par ailleurs, de très nombreux biens ne seront ni taxés par Gabriel Attal, ni par Jordan Bardella : les yachts, les jets privés, les montres et bijoux de luxe, les crypto-monnaies, les lingots d’or, les œuvres d’art, etc. Leurs groupes parlementaires respectifs se sont d’ailleurs toujours associés à l’Assemblée nationale pour rejeter toutes les taxes sur ces produits de luxe proposées par les groupes de gauche. Il s’agit pourtant de biens que l’on retrouve, il faut le dire, assez peu chez les « classes moyennes » qu’ils prétendent vouloir protéger… Un riche n’aura alors qu’à répartir son patrimoine sur des investissements non taxés pour échapper à toute imposition sur celui-ci. Une manœuvre si simple que les conseillers fiscaux risquent même de se retrouver au chômage.

Opération séduction des héritiers

Ces détenteurs de gros patrimoines peuvent aussi compter sur ces deux partis pour leur permettre de transmettre leurs possessions sans payer le moindre impôt. Ainsi, le RN propose « d’exonérer les donations des parents et des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100.000 € par descendant tous les 10 ans ». Faisons un simple calcul. Un couple avec deux enfants et cinq petits-enfants – ce qui correspond à une famille française moyenne – pourra transmettre 100.000 euros par parent et enfant et petit-enfant, soit au total 1,4 millions d’euros tous les 10 ans, sans payer d’impôt. Et ce alors même que 87% des successions sont inférieures à 100.000 euros et sont donc déjà largement exonérées d’impôt actuellement.

Ce beau cadeau ne vient pas de nulle part : Eric Ciotti, le nouvel allié du RN signait il y a un mois une tribune pour demander la « mort de l’impôt sur la mort » et donc permettre aux milliardaires de faire vivre des générations entières de rentiers sans qu’ils n’aient à participer à l’effort fiscal national. Le parti présidentiel n’est pas en reste : il propose une exonération de 150.000 euros par enfant et 100.000 euros par petit-enfant, tout en gardant la remise à zéro actuelle qui intervient tous les 15 ans. La même famille prise en exemple précédemment pourra donc transmettre 1,6 million d’euros tous les 15 ans sans payer d’impôt. Dans les deux cas, cela permettra à des multimillionnaires de transmettre la totalité de leur fortune, en anticipant et optimisant les donations à intervalles réguliers, alors même qu’il existe un quasi consensus des économistes pour demander le renforcement de l’impôt sur l’héritage des plus riches. Et comme ils ne remettent pas en question la logique même du système actuel, certains petits héritages, en ligne indirecte ou n’ayant pas été anticipés à l’aide de conseillers fiscaux, continueront d’être très fortement taxés.

Une politique « pro business » assumée qui gonflera les marges des très grosses entreprises

Sur le volet entreprises, Jordan Bardella assume directement de s’inscrire dans la continuité fiscale d’Emmanuel Macron : son programme propose ainsi de « poursuivre la baisse des impôts de production » entamée par ce dernier. Il répond ici à une demande de longue date du MEDEF, alors même que cela profitera surtout aux très grosses entreprises et que les effets économiques d’une telle réforme sont remis en cause par de nombreux économistes.

Les principaux gagnants de la baisse de TVA sur l’énergie risquent d’être les énergéticiens comme Total, qui pourront baisser très légèrement les factures, tout en augmentant sensiblement leurs marges.

Au vu du public bénéficiaire de telles réformes, la discrétion de Jordan Bardella sur l’ensemble de ces mesures fiscales n’est pas surprenante. Le président du Rassemblement National préfère en effet mettre en avant sa seule mesure qui bénéficiera à l’ensemble des Français : la baisse de TVA sur les produits énergétiques. Si cette mesure choc parle à tout le monde, l’absence de contrôle réel des prix de l’énergie dans le programme de l’extrême droite interroge. Comme avec la baisse de la TVA dans la restauration instaurée sous Nicolas Sarkozy, il est peu probable que les prix payés par le consommateur baissent significativement. Les principaux gagnants risquent d’être les énergéticiens comme Total, qui pourront baisser très légèrement les factures, tout en augmentant sensiblement leurs marges, absorbant ainsi une bonne partie du cadeau fiscal promis aux consommateurs finaux.

Et à la fin, qui va payer ?

Tout en proposant de nombreuses baisses d’impôts aux plus aisés, les candidats du RN et d’Ensemble sont formels : ils respecteront la trajectoire de baisse des déficits imposée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déficit excessif qui vient d’être initiée contre la France. C’est donc bien l’ensemble des Français qui devra financer ces cadeaux, à travers des coupes budgétaires dans les services publics et les aides sociales. Deux économistes ont fait le travail d’évaluation : le programme du RN conduirait à une hausse du revenu disponible net de 1.160 euros par an pour les 10% les plus riches et à une baisse pour 70% de la population. Les 30% les plus pauvres perdront en moyenne 230 euros par an.

Ainsi, le RN propose en réalité de poursuivre la politique des macronistes, qui se sont illustrés par la baisse des aides au logement des plus précaires pour financer la suppression de l’ISF dès leurs premiers mois au pouvoir. Dernièrement, c’est même au budget dédié au financement de la transition écologique que Bruno Le Maire s’est attaqué en urgence pour compenser des recettes fiscales plus faibles que prévu. La dépense publique par étudiant à l’université française a également baissé de 15% en 10 ans. Les besoins vitaux de la population deviennent alors une variable d’ajustement pour financer les baisses d’impôts pour les plus aisés.

Alors même que la logique pourrait être inverse : partir des besoins de la population et des investissements nécessaires pour endiguer la crise écologique et demander à ceux qui ont les moyens de les financer. En outre, l’augmentation significative des investissements publics et des revenus des ménages conduirait à une relance économique keynésienne, dont l’économie française a besoin pour sortir de la stagnation. Tel serait justement un cap économique « sérieux ».