La métropolisation de la France, un danger pour la République

Rocade de Bordeaux © Wikimedia

La métropolisation est une tendance lourde de nos sociétés. Né aux États-Unis, ce phénomène de concentration de la production de richesses dans de très grandes agglomérations a gagné la France au cours des dernières décennies et l’a profondément transformée. La métropolisation a conduit à une éviction des classes moyennes et populaires des métropoles, renvoyées dans une France périphérique appauvrie. La crise des Gilets jaunes a mis en lumière les dommages démocratiques de cette partition sociale et territoriale. C’est la thèse de Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui vient de publier dans la collection Le Débat chez Gallimard L’impasse de la métropolisation. L’historien souligne que la conquête électorale des métropoles par l’écologisme politique paraît relever davantage d’un réflexe de fermeture sur soi que d’une prise en compte du problème posé.1

La nouvelle économie de services à la française a détruit l’ancien modèle économique. Les chiffres sont spectaculaires. En un demi-siècle, l’emploi industriel a régressé de plus de 40% à 10% de la main-d’œuvre et l’agriculture s’est effondrée de 15% à 2% des emplois. Cette fuite en avant vers l’économie tertiaire et financière touche tout le territoire et toutes les activités. Toutefois, elle est particulièrement marquée dans les métropoles, celles-ci ayant peu à peu répudié leurs activités industrielles, une tendance qui ne faiblit pas. Citons l’arrêt de l’usine AZF à Toulouse en 2001, qui fait suite à la première grande catastrophe industrielle du siècle, ayant tué 31 personnes, blessé 2 500, et fait 2 milliards d’euros de dégâts ; la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en 2013 et des dernières grandes usines Nexans et SITL à Lyon de 2013 à 2015 ; ou la fermeture de l’usine Ford de Blanquefort-Bordeaux en 2019. Les deux exceptions sont – jusqu’à la Covid – le grand port de Marseille-Méditerranée et les industries aéronautiques à Toulouse et Bordeaux, même si ces dernières sont autant des industries de cadres que de main-d’œuvre.

Une économie de cadres très productive…

Les métropoles sont devenues des bassins d’emplois presque exclusivement tertiaires, avec un très fort taux d’encadrement, ce qui est un paradoxe pour des villes qui furent presque toutes de grandes cités ouvrières : Paris, ancienne capitale industrielle de la France ; Lyon, la ville des soyeux, des canuts et de la chimie ; Lille-Roubaix-Tourcoing, capitales du textile ; Marseille, Bordeaux et Nantes, anciennes capitales portuaires et d’industries navales. Cette page définitivement tournée, les capitaux bancaires et industriels ont été reconvertis dans les activités tertiaires les plus rentables. C’est le rêve de « l’entreprise sans usines », cher à l’ancien PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk. Quand il l’énonça en 2000, ce fut un choc : mais sa prédiction, qui était alors le vœu secret de la technostructure française, s’est autoréalisée.

Pour contourner le coût du travail élevé en France, dû aux charges sociales et au haut niveau de contestation sociale, les capitaux ont délaissé la productions des biens matériels au profit des services immatériels. Ce choix ne fut celui ni de l’Allemagne ni celui du Japon, ce qui oblige à y reconnaître un choix délibéré. Les cadres sont apparus comme politiquement plus sûrs que les ouvriers, et leur valeur ajoutée plus performante. Ainsi se sont à la fois multipliés dans les métropoles – prestige et confort obligent – les services aux entreprises et les services à la personne, qu’ils soient marchands ou non marchands. Ainsi, l’hôpital public se développe en même temps que les cliniques privées, et les universités publiques aux côtés de grandes écoles privées. On pourrait rétorquer que l’État a créé et réparti des universités et des hôpitaux sur tout le territoire. Mais les services hospitaliers de pointe sont aussi concentrés dans les CHU, qui accueillent aussi les médecins les mieux rémunérés, les professeurs d’université et les étudiants et diplômés les mieux classés.

Car la métropolisation concentre les emplois privés de cadres dans ces régions urbaines. La fin des usines a entraîné la grande migration des ingénieurs vers les agglomérations. Depuis le tournant du siècle, ce mouvement touche aussi les architectes, les médecins, et les professions libérales en général.

Certes, les services à la personne comme le tourisme ou l’hôtellerie-restauration mêlent des emplois de main-d’œuvre sans qualification, mal rémunérés, et des emplois à haut revenus : mais la particularité des métropoles est qu’elles ont réussi – comme pour la médecine – à capter la plupart des emplois les mieux rémunérés. Dans la fonction publique, le tertiaire de commandement a trouvé refuge dans ces métropoles ; et dans le secteur concurrentiel, le mouvement est encore plus marqué. L’État doit en effet maintenir des emplois de cadres, même en petit nombre, dans tous les départements, que ces emplois soient universitaires, hospitaliers, militaires, judiciaires ou liés au réseau de la préfectorale. Mais la balance n’est pas équilibrée. 85% à 90% des énarques résident à terme en Île-de-France, ce qui reflète la réalité de l’organisation et de la centralisation de l’État. De même, les emplois les mieux rémunérés de la fonction publique territoriale se concentrent dans les capitales régionales, qui sont en majorité des métropoles depuis la réforme de François Hollande. Or la question est plus large.

À Paris, presque la moitié de la population est désormais composée de cadres supérieurs, soit 44% : cette proportion considérable se réduit au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Paris et du cœur des métropoles. Elle tombe à 37,5% dans les Hauts-de-Seine (petite couronne), 30% dans les Yvelines (grande couronne) et à moins de 10% dans les départements du Cantal ou de la Lozère, parmi les plus ruraux de France. À s’en tenir aux cadres du secteur public, l’écart serait moins important. Mais, dans le secteur privé, ce serait pire. Car la métropolisation concentre les emplois privés de cadres dans ces régions urbaines. La fin des usines a entraîné la grande migration des ingénieurs vers les agglomérations. Depuis le tournant du siècle, ce mouvement touche aussi les architectes, les médecins, et les professions libérales en général. Cela tient, pour partie, à la féminisation de ces métiers, à leur concentration dans des structures plus larges (cabinets d’avocats ou d’architectes remplacent les indépendants d’autrefois), mais surtout à la concentration des richesses produites dans les métropoles. La richesse attire les cadres car elle peut les rémunérer selon leurs attentes, et ils la font croître en retour.

La puissante catégorie sociale des cadres, passée en soixante ans de 5 % à 15-17% des actifs, ce qui, en 2020, représente 4,7 millions de personnes (famille non comprises), réside aux deux tiers dans les métropoles. Ce fut l’objectif des maires de Nantes, Bordeaux ou Toulouse que d’attirer dans leur ville ces actifs haut de gamme, désireux de quitter Paris et ses nuisances pour s’installer dans une grande ville de province. Non seulement ils démontrent par leur choix l’attractivité de la ville choisie, mais ils renforcent tous les mécanismes ardemment souhaités par les municipalités (montée des prix de l’immobilier, gentrification, élargissement des bases fiscales, image de marque, création de richesses et de nouvelles entreprises, etc.).

Cette dynamique de métropolisation repose principalement sur la mobilité des hauts emplois de services (public ou privé). Elle se traduit par la constitution de milieux sociaux et de vie homogènes, comme l’Ouest parisien, le centre de Bordeaux, le centre et la banlieue ouest de Lyon, les quartiers du centre et sud de Marseille et, de l’autre, par la concentration des administrations et des entreprises à forte valeur ajoutée. CHU, grandes écoles et universités offrent localement des services à la personne (formation, santé, entre autres), tandis que dans les entreprises de services aux entreprises (informatique, communication, publicité, banques, finance, conseil, etc.) accroissent les revenus, les ressources fiscales et les investissements.

En 2019, les douze métropoles françaises produisent plus de la moitié du PIB national, alors qu’elles n’occupent qu’une infime partie du territoire, près de 5% (dont 2,5% pour l’Île-de-France). Elles hébergent les deux tiers des cadres français, ce qui est leur atout maître, dont un tiers en Île-de-France, et le second dans les onze autres (Lyon, Marseille/Aix, Lille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Rennes, Montpellier, Nice et Grenoble). Certaines, comme Paris et Nice, abritent en outre une grande proportion de cadres retraités, ce qui contribue à l’économie générale du système métropolitain. Il s’ensuit un grand déséquilibre dans la production des richesses, la distribution des activités et des revenus au sein de l’espace national, plaçant les deux tiers des départements français dans une situation de dépendance chronique au sein du grand système national de redistribution, assuré par l’État et les organismes sociaux.

L’hécatombe des classes populaires urbaines

La partition territoriale qui sépare aujourd’hui les classes sociales françaises aisées de la majeure partie du peuple n’épuise pas la métropolisation comme prince de réorganisation de la société. Il serait faux et naïf de penser que la bourgeoisie française et les haut des classes moyennes peuvent se passer des classes populaires. Certes, le gros des classes populaires françaises a dû quitter le monde de la production, tant agricole (par excès de modernisation) qu’industrielle (par excès de délocalisation). L’artisanat a été réduit à sa plus simple expression par la standardisation, et l’industrialisation du bâtiment par la mode du jetable et par l’obsolescence programmée. Pourquoi recourir à des réparateurs ou à des couturières quand on jette, et à des peintres quand sa maison est équipée de PVC ?

Mais cela laisse intacts les services à la personne (nettoyage, aide aux enfants ou aux personnes âgées, restauration) et certains services aux entreprises (gardiennage, entretien des locaux et des espaces verts). Dans le grand chambardement territorial traversé par la France des années 1970 aux années 2000, les classes populaires ont quitté l’Île-de-France puis certaines métropoles pour se réinstaller assez loin : dans des zones rurales comme en Bretagne, dans des villes petites et moyennes, mais surtout dans le péri-urbain, à quelques dizaines de kilomètres de la ville-centre. La pavillonisation de l’habitat les a matériellement éloignées des bassins d’emploi des services à la personne ou aux entreprises. Or pour garder un enfant, il faut être disponible dès huit heures du matin ; pour ranger et préparer les restaurants, la fin de soirée est nécessaire ; pour nettoyer l’avenue des Champs-Élysées ou les transports en commun, on doit travailler en pleine nuit. Les employeurs ont besoin d’une main-d’œuvre de proximité et à faibles salaires. Or travailler de nuit à vingt ou quarante kilomètres de chez soi, surtout si l’on doit utiliser sa voiture personnelle – cité pavillonnaire oblige – pour un Smic ou à peine plus, n’a aucun intérêt économique.

Il est souvent dit que « les Français » refusent de faire des métiers dégradants, ce qui rend nécessaire un flux migratoire constant vers les métiers et secteurs « sous tension ». Cette explication, qui fait l’impasse sur la métropolisation, est biaisée : les prix de l’immobilier des métropoles se sont envolés en une génération – à l’inverse de l’Allemagne –, croissant deux à trois fois plus que les salaires versés ; poussées par la désindustrialisation, les classes populaires ont été chassées des villes. Il existe des exceptions, nonobstant le fait que certaines familles ont grimpé dans l’échelle sociale pour s’intégrer aux élites. Mais en général, à cause du chômage, de la transformation de l’environnement – devenu trop cher, ou non conforme aux habitudes antérieures –, ou pour défaut de famille nombreuse, les anciennes classes populaires n’occupent plus les logements sociaux. Beaucoup ont même quitté ceux qu’elles occupaient.

Une fois réalisé leur déménagement hors de la métropole, et réinstallées en pavillon ou dans une petite ville, il n’y a plus de retour possible. Ainsi sont partis les « déplorables », pour pasticher une citation de Hillary Clinton évoquant les électeurs populaires de Trump.

Le centre des métropoles – tantôt livré à la rénovation (quartiers Saint-Michel à Bordeaux, de la Gare de Lyon à Paris), à la construction de quartiers résidentiels (quartiers de la BNF à Paris rive gauche ou des bassins à flots à Bordeaux), de bureaux ou d’activités diverses (Euroméditerranée à Marseille, quartier des gares à Lille) – incite ou contraint les classes populaires subsistantes à quitter leurs quartiers de naissance ou de résidence. Une fois réalisé leur déménagement hors de la métropole, et réinstallées en pavillon ou dans une petite ville, il n’y a plus de retour possible. Ainsi sont partis les « déplorables », pour pasticher une citation de Hillary Clinton évoquant les électeurs populaires de Trump.

De nouvelles populations s’installent dans les quartiers réaménagés, répondant aux souhaits des municipalités des grandes villes. Celles-ci veulent attirer des CSP+, ces cadres pouvant répondre à la hausse des prix de l’immobilier, et dont les modes de vie sont conformes aux nouvelles attentes : la salle de sport remplacera le bistrot, et l’onglerie ou le magasin bio la charcuterie ou la droguerie d’antan. En outre, certaines populations mobiles, comme les touristes ou les étudiants, sont ciblées. Car la gentrification n’est pas subie mais voulue. Nous reviendrons, plus tard, sur cet aspect difficile à aborder : dans une capitale régionale en pleine expansion, soucieuse de son image de marque et désireuse de satisfaire ses nouveaux habitants, pourquoi s’embarrasser de gens à « problèmes » ? Les foyers de handicapés, les maisons de retraite, les hôpitaux, les trop grandes familles, voire les enfants, la pauvreté d’une manière générale sont des problèmes pour les édiles : cela coûte cher et occupe un personnel communal important, cela crée des servitudes, de sorte qu’à l’exclusion des ouvriers et employés indispensables au confort de ses habitants, la grande ville est tentée d’externaliser ces habitants ou ces activités vers la banlieue, voire sa grande banlieue. La nouvelle géographie de la localisation des EHPAD et des nouveaux équipements liés à la mort (arboretum funéraire, centres de crémation, chambres mortuaires, pompes funèbres) dans les métropoles serait très éclairante.

La conséquence de ces transformations réalisées en une ou deux générations est un rapide changement des populations métropolitaines. Dans la capitale girondine, il ne reste pas grand monde des Bordelais d’origine. Depuis l’abandon du port urbain de Bordeaux dans les années 19802, suivi de la rénovation de la ville dans les années 2000, le turnover a été très rapide. La mystérieuse « bourgeoisie bordelaise », réputée distante, s’est considérablement renouvelée : François Mauriac n’y retrouverait pas beaucoup son monde. Aspirées par Paris, par d’autres métropoles ou la mondialisation, les descendants des élites d’autrefois sont souvent partis. Et que dire des classes populaires qui dessinaient l’autre visage de Bordeaux : gouailleur, parlant fort avec l’accent bordelais chantant, mâtiné de termes occitans ou espagnols. Ce petit peuple, qui vivait des activités du port, de l’industrie et du commerce du vin, a quitté la ville. La mairie et la presse locale préfèrent évoquer les « nouveaux Bordelais », cœurs de cible des communicants de la mairie. À Toulouse, La Dépêche du Midi a calculé, il y a quelques années, que sur ses 800 000 habitants les Toulousains d’origine sont moins de 200 000, alors que la ville-centre comptait plus de 400 000 habitants dès 2000.

La République en échec

L’impasse démocratique dans laquelle se sont engagées les métropoles a été évoquée au début de cet ouvrage. Elle touche le fondement de la démocratie politique : le scrutin électoral. Non seulement la participation électorale est devenue faible dans les grandes agglomérations, et même de plus en plus faible ; mais cette dégradation de la légitimité des élus, acquise par le suffrage universel, est aggravée tant par l’évolution du pouvoir des maires que par les structures sociologiques de la ville. Si les métropoles votent très peu, ainsi que nous l’avons évoqué, c’est que les segments de la société qui votent le plus (classes moyennes, retraités) ont été chassés de la ville-centre au profit de populations peu ou non votantes (étudiants, immigrés récents – souvent étrangers –, sans parler des touristes).

Évoquons, en outre, la nature du pouvoir municipal. Celui-ci est de moins en moins démocratique. Les élus d’opposition au conseil municipal n’ont en général que le pouvoir de la parole, étant sous-payés et n’étant pas associés aux décisions ; quant à la majorité municipale, elle est presque entièrement soumise aux décisions du maire, le conseil se contentant de voter en bloc les décisions prises au préalable entre le maire, ses services administratifs, son ou ses conseillers politiques, et quelques notables ou hommes d’affaires – des non-élus donc. Ajoutons qu’en dépit de la décentralisation, de nombreux facteurs limitatifs ont contribué à réduire la marge de manœuvre des maires ; il s’agit des communautés d’agglomération, des règlements et des normes, du caractère oligopolistique des fournisseurs aux collectivités – qui constituent un pôle majeur du capitalisme rentier à la française –, du principe de précaution et de la judiciarisation de la vie publique. Toute la chaîne démocratique en est atteinte.

Ajoutons qu’en dépit de la décentralisation, de nombreux facteurs limitatifs ont contribué à réduire la marge de manœuvre des maires ; il s’agit des communautés d’agglomération, des règlements et des normes, du caractère oligopolistique des fournisseurs aux collectivités – qui constituent un pôle majeur du capitalisme rentier à la française –, du principe de précaution et de la judiciarisation de la vie publique.

De tout cela résulte une baisse conséquente de la participation au vote, car les électeurs ont compris cette dégradation du pouvoir municipal. De grands « élus » municipaux, parfois présentés en « barons » ou en « princes » régionaux, ne sont élus que par des minorités. Dans les communes de Lille, Bordeaux ou Grenoble, dont la ville-centre est de taille modeste au regard de l’agglomération dans son ensemble, le maire n’est souvent l’élu que d’une infime partie de la population. Alain Juppé a été élu en 2014 par 46 489 électeurs, soit 33,1 % des inscrits de Bordeaux, mais 5,9% de la population de l’agglomération ; le maire de Montpellier, Philippe Saurel, a été élu avec 29 928 voix, soit 20,55% des inscrits, mais 6,64% des habitants de l’agglomération. En 2020, Martine Aubry a été réélue maire de Lille par 15 389 voix, ce qui représente 12,36% des inscrits, mais 1,31% des habitants de Lille Métropole. À de tels niveaux, la distorsion démocratique est presque rédhibitoire, même si tout semble continuer comme avant. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la couleur politique des métropoles puisse changer de manière difficilement prévisible, puisque tout dépend d’une petite cohorte de votants.

Forts de leurs principes démocratiques réaffirmés, les nouveaux maires écologistes de 2020 veulent-ils renouveler les pratiques et l’ancrage de la citoyenneté municipale ? Leurs premiers gestes et déclarations permettent d’en douter. Après Anne Hidalgo en 2019 à Paris, Pierre Hurmic à Bordeaux et Jeanne Barseghian à Strasbourg ont décrété « l’état d’urgence climatique ». Mais sans base juridique, ce projet vise à « défendre une limitation des libertés au nom du changement climatique [ce qui] n’est pas liberticide » (selon l’élue insoumise Manon Aubry)3. Libertés d’éclairages, de chauffage, de déplacement, de consommation, etc. seront désormais soumises à des réglementations contingentes spécifiques. Pourtant, si ces nouveaux élus se présentent en apôtres de la « démocratie participative », il y a un fossé avec leurs pratiques concrètes. Ces adeptes du « collectif » gouvernent leur ville et les métropoles entourés de leurs seuls proches : « Pierre Hurmic à Bordeaux, Grégory Doucet à Lyon ou, encore, Jeanne Barseghian à Strasbourg n’ont attribué qu’à des proches les postes de décision stratégiques, notamment les délégations des intercommunalités 4». Et la journaliste du Figaro Judith Waintraub d’ajouter : « Pierre Hurmic assume de ne pas partager le pouvoir à Bordeaux ».

Partition des électorats, faible appétence des électeurs, dérive technocratique du pouvoir municipal, dilution du pouvoir et des responsabilités, la liste est longue des maux de la crise de la République municipale qui gouverne les métropoles ; cela est d’autant plus fâcheux que leurs maires sont cités en exemple et érigés en interlocuteurs naturels de l’État. Eu égard à la place conquise par les métropoles dans la production des richesses, dans la reconfiguration de l’espace national et social du pays, il n’est pas abusif de dire que leurs manquements démocratiques sont un grave symptôme de la crise de la République.

Notes :

1: Les lignes suivantes sont issues de son ouvrage.

2 : Pierre Guillaume, « Bordeaux oublie son port », in Guy Saupin, Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Âge au XXe siècle, Rennes, PUR, 2006, p.419-427.

3 : Judith Weintraube, « Les folies des nouveaux maires écolos : leurs obsessions, leur idéologie, leurs dégâts », Le Figaro, 4 septembre 2020.

4 : J. Waintraub, op. cit., 4 septembre 2020.