L’étau se resserre pour le centre-gauche italien après la scission de Renzi

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En quelques semaines seulement, Matteo Renzi, roi déchu de la précédente législature, est parvenu à enrayer l’ascension irrésistible de Matteo Salvini, leader de la Ligue, et à revenir à la tête d’un nouveau parti moulé autour de sa personne, tout en affaiblissant durablement son ancienne formation politique. Les implications d’une telle manœuvre politicienne sont plurielles, et risquent de réduire la capacité d’action du centre-gauche au sein de la nouvelle coalition gouvernementale.


La scission renzienne

Dans un entretien donné au quotidien La Repubblica, Matteo Renzi s’est épanché sur les raisons qui ont conduit à sa décision de scinder le Parti démocrate (PD) ainsi que sur les contours de sa nouvelle création politique. Il évoque la fragmentation du parti ainsi que les critiques constantes envers sa personne qui émanent, selon ses termes euphémiques, d’un « certain courant culturel au sein de la gauche italienne » comme raisons majeures de son départ. Tel un pompier pyromane, il déplore les divisions internes du PD alors qu’il n’a eu cesse de les alimenter sous son règne. De même, il fustige l’hostilité de l’aile gauche du parti à son égard en oubliant le dénigrement constant dont il a fait preuve envers celle-ci lorsqu’il était au pouvoir. Quant à son nouveau parti, Italia Viva, le ton, ou plutôt l’absence de ton, est donné. Dans un optimisme désincarné, le florentin compte faire campagne sur l’anti-salvinisme et le besoin de penser l’avenir. La grammaire du vide est en place, il ne reste plus qu’à marcher. L’Italie, pourtant présentée comme le laboratoire politique de l’Europe, s’inscrit dans le rejet grandissant, déjà matérialisé dans plusieurs pays européens, de la troisième voie au sein des gauches occidentales.

La scission de Matteo Renzi, qui emporte avec lui 25 députés et 15 sénateurs, affaibli de facto les courants libéraux au sein du PD. Le processus de recentrement autour de la social-démocratie au sein du parti, déjà amorcé avec l’élection de Nicola Zingaretti comme secrétaire général, devrait donc s’intensifier. Les mesures défendues par le nouveau secrétaire, articulées autour du travail, de l’écologie et de l’éducation, s’inscrivent véritablement dans le rôle que doit tenir le PD en Italie s’il veut défaire le salvinisme et cristalliser l’électorat de gauche autour de son projet. Malheureusement, le virage à gauche du Parti démocrate semble déjà fortement circonscrit avant même de pouvoir commencer à gouverner. Les contraintes sont plurielles et interviennent à plusieurs niveaux.

Vers un PD à prédominance social-démocrate ?

Premièrement, au sein même du parti, il n’est pas encore certain que la frange libérale soit définitivement évacuée. Le départ précipité de Matteo Renzi ne permet pas de dire que celui-ci ne jouira plus d’aucune influence dans les coulisses de son ancien parti. Ce qui est logique sachant qu’il a eu le dernier mot sur les listes électorales ayant porté à la législature actuelle. À l’intérieur de PD, l’ancien maire de Florence peut encore compter sur l’influent clan des toscans, composé par Luca Lotti, Antonello Giacomelli, Dario Parrini et surtout le chef de groupe du PD au sénat, Andrea Marcucci. Le ministre de la Défense du nouveau gouvernement, Lorenzo Guerini, est aussi considéré comme un des fervents soutiens de Matteo Renzi. Ces derniers commandent un courant plus large, nommé Base Riformista, qui compte de nombreux élus PD et qui ont voté contre Nicola Zingaretti pour la présidence du parti. Cette frange libérale, bien que fragilisée depuis le départ de Matteo Renzi, pourrait agir comme un cheval de Troie au profit de ce dernier. Le spectre renzien n’est donc pas prêt de s’évanouir dans l’antre du Nazareno.

De plus, même parmi les soutiens importants de Zingaretti, le basculement vers la gauche ne va pas de soi. En effet, le président de la région du Latium compte sur le soutien de deux barons démocrates qui n’appartiennent pas à la mouvance social-démocrate dont celui-ci est issu. Il s’agit du ministre de la Culture dans le nouveau gouvernement, Dario Franceschini, ainsi que de l’ancien premier ministre et nouveau commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni. Le premier est réputé pour faire et défaire des majorités au sein du parti et ne suivre que la logique de la victoire tandis que le deuxième appartient à la frange libérale modérée du parti, représentée par le courant RiforDem. Compte tenu de cet équilibre précaire, le nouveau secrétaire général ne pourra imposer ses thèmes au parti que s’il réussit à engranger des victoires rapidement. À cet égard, les élections régionales, qui vont se tenir dans les prochains mois en Ombrie, en Émilie-Romagne et en Calabre vont être décisives.

Le piège de l’endiguement

La cohabitation entre le Mouvement cinq étoiles (M5S) et le PD s’annonçait déjà compliquée avant même la scission de Matteo Renzi. Désormais, l’horizon de la nouvelle coalition PD-M5S, soutenue par Italia Viva, parait encore plus mince. Malgré le besoin de politiques socio-économiques ambitieuses, la coalition gouvernementale menée par le premier ministre ressuscité, Giuseppe Conte, semble destinée à poursuivre un agenda prudent, pour les prochains mois en tout cas.

La volte-face de Renzi accentue le caractère contenu du gouvernement Conte II de plusieurs manières. En effet, celui-ci s’est arrangé au préalable pour placer des fidèles aux postes clés de l’exécutif avant de rompre avec le PD. Il s’agit du ministre de la Défense, Lorenzo Guerini, déjà mentionné un peu plus haut, de la ministre de l’Agriculture, Teresa Bellanova, de la ministre pour l’Égalité des chances et de la Famille, Elena Bonetti, de la vice-ministre de l’Éducation, Anna Ascani, et du sous-secrétaire aux affaires étrangères, Ivan Scalfarotto. Assurée par une présence parlementaire substantielle, potentiellement grandissante si d’autres députés du PD ou du parti de droite Forza Italia rejoignent les rangs du nouveau parti Italia Viva, et par une présence significative au sein de l’exécutif, la pieuvre toscane possède assez de ramifications pour influencer l’agenda du gouvernement.

L’intérêt renzien consiste à maintenir la coalition, le temps que le nouveau parti puisse s’affermir et préparer sa campagne, tout en limitant la marge de manœuvre de celle-ci afin qu’elle ne puisse engranger des succès trop conséquents. La prise d’otage et la division paraissent être deux tactiques plausibles pour réussir à endiguer l’agenda de l’exécutif. Dès que celui-ci tenterait de s’éloigner de l’intérêt renzien, par exemple en prônant des politiques socialement ambitieuses et permettant à la coalition giallorossa de gagner en popularité, Matteo Renzi pourrait alors créer l’instabilité en menaçant de retirer son soutien. L’autre manière de contenir l’agenda serait d’empêcher une entente trop profonde entre le PD et le M5S, car cela pourrait mener à l’émergence de politiques de fond, seul moyen de s’assurer un véritable soutien auprès de la population. Si l’intérêt renzien venait à prévaloir, conservant ainsi la nouvelle coalition dans une superficialité politique, le PD ainsi que le M5S risqueraient de ne jamais s’en remettre.

La scission renzienne comporte une autre conséquence néfaste pour les ambitions affichées par la nouvelle direction du PD. Le soutien officiel de Matteo Renzi à la nouvelle coalition, en tant qu’acteur distinct du PD, est le symbole ultime de la mutation du M5S, de parti du vaffa, équivalent terminologique du dégagisme en France, en parti du pouvoir. Avant la scission, le mouvement pentastellaire, malgré la contradiction essentielle que représente une coalition avec le PD, pouvait toujours tenter de sauver les derniers lambeaux de son image de parti dégagiste en évoquant un PD renouvelé et affranchi du renzisme, tout en espérant que la postérité effacerait le rôle fondamental joué par l’ancien premier ministre dans la formation de celle-ci. Malheureusement pour les grillini, avec sa scission, Matteo Renzi vient de sceller cette trappe rhétorique. Davantage dans ses contradictions, le M5S, dans un esprit de survie, semble parti pour prioriser à tout prix la séduction d’un électorat vacillant, ce qui risque d’affecter négativement la qualité de la nouvelle coalition gouvernementale et par conséquent la possibilité du PD de concrétiser son agenda politique.

Manœuvre du budget et zone euro

Le dernier niveau de contrainte s’opère au niveau budgétaire. À l’instar de Sisyphe, le gouvernement italien est condamné à pousser éternellement son fardeau, faire de la politique sans budget. En effet, l’ère du gouvernement Conte II commence par une manœuvre budgétaire délicate, qui devra être présentée à la Commission le 15 octobre et 5 jours plus tard au parlement italien. Le principal objectif consiste à combler un déficit de 23 milliards d’euros et ainsi permettre de boucler la loi de budget 2020. Dans le cas contraire, la TVA, à compter du premier janvier, augmenterait automatiquement et pénaliserait lourdement les foyers italiens. Cette règle, visant à satisfaire les engagements européens en matières budgétaires, place d’emblée le nouveau gouvernement dans une situation d’urgence. Selon les dernières informations, le gouvernement entend bien neutraliser l’augmentation automatique de la TVA, et même mener une politique expansive.

Avec une croissance estimée à 0,1% cette année, estimation considérée optimiste, et une dette de plus de 132% du PIB, il reste très peu d’oxygène au nouvel exécutif pour respirer fiscalement. Celui-ci compte activement lutter contre l’évasion fiscale et revoir le régime des déductions fiscales. Ce dernier point est inquiétant. L’Italie est caractérisée par un régime de déductions fiscales exhaustif qui concerne divers groupes de la société, souvent les moins bien lotis et qui comporte des mesures très appréciées par la population. S’il s’avance sur ce terrain, le nouvel exécutif devra faire preuve d’une grande habileté car il s’agit d’un véritable champ de mines politique.

Enfin, si le PD et le M5S veulent survivre et tirer profit de cette coalition, ils devront éviter l’inertie gouvernementale et travailler activement à la concrétisation des promesses qui fondent cette coalition : baisse de la pression fiscale pour les franges les plus précaires, relance des investissements publics et élaboration d’un plan de lutte contre la pauvreté. Cependant, compte tenu de la situation budgétaire italienne, le seul espoir réside à Bruxelles et à Francfort. Autant dire que cet espoir est très mince. Le soi-disant changement de ton de la Commission vanté par Ursula von der Leyen quant à la rigueur budgétaire, largement relayé dans les médias, est le suivant : encourager la flexibilité dans les limites du pacte de stabilité budgétaire. Malgré le besoin plus en plus pressant d’une importante opération chirurgicale, l’Europe n’offrira que de la morphine à un État en pleine hémorragie.

Le combat se situera donc autour de la dose de morphine, c’est-à-dire au niveau de la latitude budgétaire. Pour ce faire, le PD compte sur deux hommes, Paolo Gentiloni et Roberto Gualtieri. Le premier, en sa qualité d’ancien chef d’État et de nouveau commissaire européen aux Affaires économiques, et le deuxième, en sa qualité d’ancien président de la commission des finances au Parlement européen et de nouveau ministre de l’Économie au sein du gouvernement italien, useront de leurs connaissances des arcanes du pouvoir européen pour obtenir des concessions budgétaires. Dans cet environnement contraint, l’axe Gentiloni-Gualtieri est l’un des seuls moyens d’action en la possession du PD à l’heure actuelle.