Loi ASAP : un coup fatal pour l’Office Nationale des Forêts ?

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Forêt d’Ogden aux Etats-Unis © Sharon McCutcheon

Le projet de loi d’Accélération et simplification de l’action publique (ASAP) a été adopté le 28 octobre dernier par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le texte contient de nombreux articles aux contenus flous et prévoit notamment de simplifier les démarches d’implantation de sites industriels, de réduire la participation citoyenne ainsi que de progressivement privatiser les effectifs de l’Office national des forêts (ONF). Pourtant, dans un contexte de réchauffement climatique et d’érosion de la biodiversité, l’ONF pourrait avoir un rôle important dans la protection des forêts domaniales et communales françaises.


Un nouveau pas vers la privatisation de l’ONF

Le 3 novembre dernier, 78 députés ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel afin d’invalider plusieurs dispositions du projet de loi ASAP. L’article 33 de cette loi est un de ceux posant problème car il prévoit d’autoriser le gouvernement français à légiférer par voie d’ordonnance pendant 18 mois afin de modifier le fonctionnement de l’ONF. Le pouvoir pourra alors « modifier les dispositions du code forestier relatives à l’Office national des forêts afin d’élargir les possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l’exercice de l’ensemble des missions confiées à l’office, y compris la constatation de certaines infractions ». Des salariés d’une structure privée pourraient donc se voir attribuer des pouvoirs de police.

« En transformant l’ONF en entreprise, l’État va-t-il pouvoir mettre en place des politiques environnementales novatrices et ambitieuses par le biais d’une organisation qui est encouragée à améliorer sa rentabilité de ces activités concurrentielles ? » Raphaël Lachello

L’institution comprend déjà 43% de salariés sous statut privé et le taux de remplacement des fonctionnaires n’est que de 64%, c’est à dire que seuls 2 départs sur 3 sont remplacés. A cela s’ajoute la baisse globale des effectifs qui sont passés de 15 000 travailleurs en 1985 à moins de 9000 aujourd’hui. Les territoires les moins « rentables », à comprendre comme ceux qui ne produisent pas beaucoup de bois à l’instar des régions montagneuses, ont le plus souffert de ce manque de moyens.

L’ONF : retour sur plus d’un demi-siècle d’histoire

L’ONF a été créée en 1964 par Edgard Pisani, alors ministre de l’Agriculture, et succède à l’Administration des eaux et forêts, la plus vieille administration française. Ce changement de statut est un premier pas vers la lente privatisation de l’institution : cette dernière doit dorénavant s’autofinancer par sa principale source de revenus, la vente du bois, et reçoit des subventions de l’État pour s’occuper des forêts domaniales et communales. La baisse des cours du bois depuis 10 ans n’a fait que creuser le déficit de l’institution. Sa dette totale est évaluée à plus de 450 millions d’euros et son déficit structurel à plus de 55 millions d’euros. Dans les années 1970, le chiffre d’affaires généré par la vente de bois des forêts gérées par l’ONF était d’environ 476 millions d’euros et a aujourd’hui été divisé par deux. Parallèlement à ce phénomène, l’État subventionne de moins en moins l’organisme. Contacté, Raphaël Lachello, historien de l’environnement, nous confirme ainsi que « la contribution compensatoire de l’État pour la gestion des forêts des collectivités diminue. Elle était de 144 millions d’euros sur le contrat 2012-2016 tandis que sur celui de 2016-2020 elle était de 140,4 millions ».

Le contrat d’objectifs et de performance 2016-2020 de l’ONF stipule que, « conformément aux recommandations de la Cour des comptes (rapport de juin 2014) et aux engagements pris par le Gouvernement, l’ONF maîtrisera son endettement ». Cette pression financière contraint l’ONF à réduire drastiquement ses coûts et à réajuster le nombre de ses employés. Condamnée par son manque de deniers, l’organisation a mené à plusieurs reprises des opérations financières douteuses et fait souvent appel à des fonds privés. L’institution reçoit ainsi plus de 1,5 million d’euros de dons par an. Même si ce chiffre ne représente pas une énorme part du budget global de l’ONF, il va être amené à prendre de plus en plus d’importance au fil du temps. La quarantaine de mécènes de l’organisation, souvent de grosses multinationales comme HSBC ou Total pour n’en citer que deux, s’offrent ainsi une communication « green-washing » à bas prix.

Ce manque de moyens est également source de mal-être pour les employés de l’ONF. Plus de 50 travailleurs de l’organisation se sont ainsi suicidés depuis 2002. Au sein de l’organisme, beaucoup dénoncent l’impossibilité de répondre aux différentes missions confiées à l’ONF, telles que la protection des sols ou de l’environnement. Le manque d’effectifs et de moyens recentre en effet principalement l’ONF vers la coupe du bois. Plusieurs manifestations ont ainsi éclaté dans toute la France depuis plusieurs années. En 2017, l’intersyndicale représentant les personnels de l’ONF avait décidé de démissionner de plusieurs instances de décisions de l’institution afin de protester contre la dégradation de leurs conditions de travail.

Le rôle que pourrait jouer l’ONF contre le changement climatique

Le réchauffement climatique est une menace durable et réelle pour les forêts françaises. La multiplication des sécheresses depuis plusieurs années est un véritable défi pour les forestiers. En effet, en période de raréfaction de l’or bleu, les arbres deviennent de plus en plus fragiles et des bulles d’air peuvent apparaître dans leur colonne d’eau, conduisant à leur mort.  Ces végétaux, du fait de leur fragilité accrue, deviennent moins résistants aux prédateurs. Il existe de plus en plus d’exemple de « forêts mortes » à cause de parasites. La forêt de Compiègne a ainsi été à plusieurs reprises en partie détruite du fait d’invasions de hannetons. Ces multiples phénomènes, dont la liste n’est ici pas exhaustive, conduisent à une instabilité accrue des arbres et des êtres vivants dépendants de ces derniers (champignons, insectes…). La biodiversité française risque ainsi d’être grandement impactée par les crises climatiques que nous traversons. Autre phénomène préoccupant : les arbres ont tendance à fermer leurs stomates (pores) en période de sécheresse, et jouent alors moins leur rôle de séquestreurs et de stockeurs de carbone. Ces phénomènes risquent de se reproduire et de s’aggraver dans un futur proche : le mois de juillet a été le plus sec depuis 1959 et le plus chaud de l’histoire.

L’ONF aurait pourtant un énorme rôle à jouer pour pallier certains effets du changement climatique. L’organisme a une longue tradition d’étude des sols et mène de plus en plus d’expériences afin de tester la résistance des arbres à certains aléas climatiques. Des forestiers ont, par exemple, planté des espèces d’arbres provenant de Turquie et du Sud de la France en Bourgogne-Franche-Comté afin d’anticiper les hausses de température à venir dans la région. L’ONF pratique en outre des coupes de bois plus respectueuses de l’environnement que celles opérées dans les forêts gérées par le privé. En effet, contrairement à l’ONF qui peut se permettre d’avoir une vision sur le long-terme, les acteurs privés font souvent pousser des forêts en monocultures, où les arbres poussent en moins de 30 ans et dont la parcelle entière subit une coupe-rase afin de maximiser les rendements. Cette pratique pose pourtant de nombreux problèmes environnementaux. Une récente étude dans la Science of the total environnement montre ainsi que les forêts aux contenus homogènes résistent moins bien aux différents aléas causés par le réchauffement climatique. La préservation de l’environnement dans les forêts est une des prérogatives de l’organisme. Pourtant, Raphaël Lachello interroge : « en transformant l’ONF en entreprise, l’État va-t-il pouvoir mettre en place des politiques environnementales novatrices et ambitieuses par le biais d’une organisation qui est encouragée à améliorer sa rentabilité de ces activités concurrentielles ? ».

Une remise en cause de la convention citoyenne pour le climat

Après l’utilisation de multiples jokers pour bloquer trois propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et son refus d’organiser un moratoire sur le déploiement de la 5G, Emmanuel Macron est en passe de trahir une nouvelle fois ses promesses. Le compte rendu de la CCC indique clairement qu’il est « impératif de pérenniser l’existence de l’Office national des forêts et d’en augmenter ses effectifs ». Le document insiste également sur le fait que l’organisme doive « rester public pour en garantir une gestion nationale et indépendante de tout intérêt financier privé ». Le projet de loi d’Accélération et Simplification de l’Action Publique (dont on relève l’indécence de l’acronyme ASAP) est une évidente duperie du pouvoir politique qui fragilise non seulement l’ONF, mais également l’État français. Raphaël Lachello fait ainsi remarquer « qu’une fois [ce] type d’institutions privatisées, l’État perd ses connaissances et son savoir-faire, réduisant ainsi son pouvoir d’action ». L’idéologie néolibérale guidant les politiques publiques depuis plusieurs décennies nous prive une fois de plus d’un utile levier pour préserver nos biens communs.