Il est désormais difficile de parler de l’Espagne sans aborder le cas de Podemos. Ce parti fondé en 2014 a ravi l’intégralité de la gauche européenne dès ses premiers succès électoraux et continue son petit bonhomme de chemin au sein du Parlement espagnol. Partout on a salué le génie de ses leaders qui semblaient avoir réinventé la politique grâce à un savant cocktail de démocratie horizontale et de discours populiste. Il devient alors intéressant de jeter un coup d’oeil au profil des fondateurs du parti pour comprendre ce phénomène : ils sont tous profs. Profs de sciences politiques pour être exact. Juan Carlos Monedero, Iñigo Errejón et bien sûr le patron, Pablo Iglesias, toutes ces personnes ont comme point commun d’avoir étudié la science politique à l’Université Complutense de Madrid. L’ami Pablo ne se contente donc pas de rédiger des tracts, mais également des thèses de doctorat et, c’est ce qui nous intéresse, des livres. Ainsi on a surtout retenu ses Leçons politiques de Games of Thrones, un must pour les fans de la série et les maîtres de conf en philosophie politique. Le leader de Podemos est connu pour être un grand amateur de GoT (au point d’avoir offert un coffret DVD de la série au nouveau Roi d’Espagne l’année dernière1), mais il s’est également intéressé au cinéma au sens large. Il nous fait donc partager sa vision de politologue dans ce petit livre paru en 2013: Machiavel face au grand écran.
Qu’est-ce que l’ “hégémonie culturelle” ?
Avant de jouer les apprentis fossoyeurs de films (ou Durendal, c’est vous qui voyez), arrêtons nous un instant sur les références de l’auteur. Les habitués des cercles intello de gauche/lecteurs du Monde Diplomatique n’auront pas manqué de remarquer que, si il y a bien un mec à la mode actuellement, c’est Antonio Gramsci. Aujourd’hui tout le monde est gramscien, tout le monde se revendique de cet italien à lunettes qui a eu le malheur de vivre l’arrivée au pouvoir de Mussolini dans les années 20. Ainsi Pablo Iglesias le place au même rang que Machiavel qu’il considère comme “le premier à dire que le pouvoir est, avant tout, une relation sociale et un ensemble de production d’hégémonie idéologique d’un groupe contre un autre”. On note également son apparition dans plusieurs jeux de la licence Assassin’s Creed, mais ce n’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici.
Ce qui nous intéresse, c’est cette “production d’hégémonie idéologique” dont parle Iglesias, et c’est là que Gramsci peut nous aider à comprendre. Pour les révolutionnaires du début du XXe siècle, le problème était plutôt simple à résoudre : construisons un parti de la classe ouvrière, prenons le pouvoir et instaurons une société idéale où règnera l’amour et les comités d’usine. Que nenni leur répond alors Gramsci ! Il ne suffit pas de s’emparer du pouvoir de l’État pour renverser le capitalisme, il faut avant tout changer ce qui se passe dans la tête des gens. Or l’État et le capital sont partout désormais! Dans les écoles, dans nos salons via le poste de télévision, dans la rue avec la publicité… A travers toutes ces institutions, notre façon de voir le monde est façonnée d’une certaine manière et ainsi est créée cette fameuse “hégémonie idéologique”. Renverser le pouvoir en place implique pour Gramsci de renverser cette hégémonie maintenue en permanence. Pablo Iglesias choisit donc d’analyser comment les films participent à la production, ou la subversion, de cette hégémonie culturelle. Prenons un exemple très simple: si je vous demande de vous représenter le débarquement des troupes alliées en Normandie, c’est très probable que l’image de Tom Hanks déguisé en soldat américain dans Il faut sauver le soldat Ryan vous viennent à l’esprit. Le cinéma nous permet d’associer des lieux, des moments de l’histoire à des images et ainsi joue sur notre représentation de la réalité sans même que l’on s’en rende compte.
Le cinéma est (toujours) politique
L’auteur nous propose donc dans ce livre de 150 pages d’analyser des sujets aussi variés que la représentation du Tiers-Monde, les interprétations de la Guerre d’Espagne dans le cinéma récent ou encore les effets du capitalisme sur le lien social. Certains ont par exemple salué la critique de la guerre du Vietnam développée dans Apocalypse Now par Francis Ford Coppola. Cependant le film ne brille pas vraiment par sa représentation des “colonisés”. Même si les répliques du colonel Kilgore sont, admettons-le, extrêmement badass, le film ne nous propose rien d’autre que d’observer la guerre du point de vue des GI Américains et on cherche despérément le moment où les Vietnamiens ne se cantonnent pas à n’être qu’une partie du décor. Mais pour autant, le sympathique Pablo ne nous laisse pas nous morfondre et nous propose le visionnage de La Bataille D’Alger de Gillo Pontecorvo, qui choisit cette fois de traiter les deux camps à égalité.
Si vous aimez le cinéma, vous aimerez probablement ce livre. Si vous aimez le marxisme et la théorie critique, vous aimerez probablement ce livre. En lisant Machiaval face au grand écran, on découvre à la fois des films et des auteurs, mais on est surtout poussé à s’interroger sur le message que les réalisateurs veulent nous faire passer. Le point sur lequel se concentre l’auteur, c’est la représentation de l’“Autre”, du “sujet subalterne” comme il le dit. Cet ouvrage est donc une invitation à garder l’oeil aiguisé quand on regarde un film: Comment sont représentés les différents personnages ? Qu’est-ce que le réalisateur essaye de dire ? Après avoir lu le livre de Pablo Iglesias, vous devriez avoir moins de mal à répondre à ces questions.
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