Macron, le Obama français : pour une réhabilitation des guignols de l’info

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On n’en finit plus de nous vendre Macron comme un nouveau héros politique des temps modernes. A coup de Unes et de storytelling, le nouvel Obama français nous sera bientôt envié par l’ensemble du Monde libre et peut-être de l’Univers. Retour sur une farce médiatique à peine moins caricaturale que la propagande du régime Nord-Coréen.

Ce n’est plus un secret, on assiste depuis quelques mois en France à bulle médiatique se formant autour du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron. Tantôt dynamique, tantôt visionnaire, le jeune politicien (à 39 ans, on reste très loin de la moyenne d’âge du milieu) nous est présenté comme l’incarnation du renouveau, de la modernité par la majorité des rédactions. Son parcours est désormais connu de tous : l’ENA, l’inspection des finances, la « commission pour la libération de la croissance française » dirigée par notre Jacques Attali national, et enfin le ministère de l’économie après quelques années au sein de la garde rapprochée de François Hollande. Malgré ce pedigree, on nous vend souvent Emmanuel Macron comme un candidat surgi de nulle part, arrivé comme un boulet de canon à la surprise générale.

Il est vrai qu’avant sa nomination au Ministère de l’économie, peu de personnes connaissaient son nom et son visage. Et on en arrive aujourd’hui à un moment où l’élite économique française semble avoir trouvé son champion, déjà présenté comme le seul capable de battre Marine Le Pen par certains médias. Ayant battu des records d’impopularité, Français Hollande et Manuel Valls sont désormais considérés comme politiquement morts et l’ex chouchou des médias Alain Juppé s’est vu “voler” sa victoire malgré les pronostics formels des instituts de sondage. Macron devient alors le joker ultime. Jeune, sympa et, il faut bien le reconnaître, très bon en communication, il porte en lui les espoirs de toute une classe qui avait jusqu’à maintenant reçu les faveurs des gouvernants et qui compte bien maintenir le statu quo. Ce qu’il faudrait faire à présent, c’est replacer le « phénomène Macron » (notez bien les énormes guillemets que j’utilise) dans un contexte plus global.

Car plus je vois le visage riant de Emmanuel Macron apparaître sur nos écrans, plus je repense à un sketch que les Guignols de l’info ont diffusé il y a de ça quelques années. Exit Gramsci et Marx, ce sont les Guignols qui selon moi ont le mieux saisi ce qu’incarne Emmanuel Macron. Le sketch auquel je me réfère montrait alors Mr. Sylvestre (le gros trader bourrin) expliquant l’arrivée de Barack Obama au pouvoir aux États-Unis dans une émission intitulée « les dossiers secrets de l’histoire ».

Celui-ci concluait sa présentation de cette façon : « Alors on a fait l’impensable, on a fait élire un président noir. On a mis à la tête du système quelqu’un qui n’avait rien à voir avec le système. Et aujourd’hui les gens ont confiance en Obama, ils pensent qu’il va créer un nouveau capitalisme. » Si la crise financière de 2008 est évidemment expliquée de manière comique, les Guignols mettent cependant en lumière un élément essentiel : la nécessité pour les milieux d’affaires de présenter des candidats neufs, éclectiques, capables de convaincre le public de continuer sur la même voie, à savoir la leur.

Si certains ont salué le bilan de Barack Obama en terme de croissance et d’emploi, il restera celui qui est parvenu à faire élire Donald Trump aux États-Unis. N’ayant jamais imaginé la possibilité de remettre en cause les structures du capitalisme néolibéral, les deux mandats de Barack Obama ont en réalité été marqués par la montée des inégalités, des emplois sous-payés et de la pauvreté. Inutile de rappeler les violences policières et l’envoi massif de drones au Moyen Orient.

Ajoutez à cela à un discours teinté de solidarité et de tolérance, il n’en faut pas plus pour qu’Obama se fasse élire en Novembre 2008. Et ainsi le pouvoir est récupéré par les Démocrates dont la compromission avec les cols blancs de Wall Street a été amplement démontrée par la campagne de feu Hillary Clinton. Ce que montre le cas de Barack Obama, c’est que malgré la crise, malgré la misère sociale, le statu quo politique peut persister si ses représentants trouvent le bon cheval. Celui-ci devra alors incarner le renouveau, il devra éblouir les électeurs par son éloquence. En bref, il devra miser sur la forme, aux dépens du fond bien évidemment.

Ce phénomène ne se limite pas aux États-Unis. On se souvient de Matteo Renzi en Italie, charismatique Florentin qui a travaillé dans la communication et le marketing. S’il n’est pas directement élu au poste de Premier Ministre, il parvient à rassembler 40 % des votes italiens aux élections européennes de 2014 (un résultat qui ferait baver n’importe quel parti de gouvernement en Europe). Deux ans plus tard, les électeurs italiens le sanctionnent par un “Non” au référendum malgré sa verve et ses tweets énergiques. Au Canada, Justin Trudeau paraît briller par sa coolitude et son progressisme à tout épreuve. Cela n’empêche pas ce fils de Premier Ministre de vendre des armes à l’Arabie Saoudite et de négocier avec enthousiasme le traité de libre-échange liant son pays à l’Union européenne.

Le cas d’Emmanuel Macron pose alors une question cruciale : L’oligarchie peut elle continuer à faire élire ses candidats à grand coup de baroufs médiatiques et de sondages bidons ? Un politicien habile peut-il encore réussir à faire passer la même eau croupie pour un verre de limonade ? On a pointé avec justesse au Royaume-Uni et aux États-Unis l’incapacité de la sphère médiatique à empêcher le choix du Brexit et l’élection de Trump, malgré tous ses efforts. Avec un Front National en tête lors des dernières élections et quasiment assuré d’être au second tour le 23 avril, la situation de la France demeure légèrement différente. Cependant le score réalisé par Emmanuel Macron le soir du 23 avril 2017 devra être pris au sérieux. Au delà de ses conséquences politiques, il nous dira surtout si « lémédia » peuvent encore déterminer le résultat d’une élection ou si l’hégémonie idéologique des véritables guignols de l’info appartient désormais au passé.

Sources :

http://www.regards.fr/web/article/obama-entre-dans-l-histoire-sans-la-changer

https://www.jacobinmag.com/2016/09/justin-trudeau-unions-environment-arms-saudi-arabia/

https://www.mediapart.fr/journal/international/241214/matteo-renzi-2-lost-transgression?onglet=full

Crédit photo :

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