Les chiffres sont formels, Emmanuel Macron est un président élu par défaut. Largement, mais par défaut. Pour une très grande majorité de la population, il n’y a pas d’adhésion franche au programme du candidat En Marche. Quoi qu’en disent les journalistes vedettes et les politiciens en quête de strapontin.
Réfléchir malgré l’indigence générale
A peine les résultats étaient-ils connus que tous, présentateurs et vétérans de la politique, signaient un chèque en blanc au nouveau président. Sur France 2, c’en était même dérangeant de voir ces vieux routiers de la politique partir au sprint à la pêche aux postes.
De Ségolène Royal à Christian Estrosi, en passant par Rama Yade, Bruno Lemaire, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Corine Lepage, pas un n’a eu la patience d’attendre 5 minutes avant de proposer ses services au nouveau patron. Il fallait voir François Bayrou parler de “rassemblement de 2 français sur 3”, ce vieux rêve de Giscard. Et le duo Pujadas/Salamé pour passer les plats avec toujours cette même question : “Et vous, voulez-vous en être ?” Malaise TV.
Le FN, malgré ses 10 500 000 de voix, a été traité comme d’habitude par ce microcosme, avec hauteur et dédain. Il faut revoir le passage du Sénateur David Rachline pour s’en convaincre. Fini de faire barrage, retour aux vieilles méthodes si efficaces © Capture d’écran
A les écouter pérorer sur ce large et franc succès, on aurait presque fini par y croire. M. Macron a été plébiscité par le peuple de France.
Seul le porte-parole de la France Insoumise, Alexis Corbière, est venu secouer tout ce petit monde. Mais dans un style que d’aucuns trouveront beaucoup trop agressif pour que son propos ne porte.
Décrypter les résultats officiels
Emmanuel Macron est donc élu Président de la République avec 66,1% des suffrages exprimés. Un score tout à fait écrasant, mais qui doit énormément au profil de son adversaire au second tour : Marine Le Pen, qui n’a jamais eu la moindre chance de l’emporter. Pour mesurer les dynamiques, il faut comparer les résultats du premier et du second tour :
- Emmanuel Macron passe de 8,6 à 20,7 millions de voix (+12,1)
- Marine Le Pen passe de 7,6 à 10,6 millions (+3).
Il saute aux yeux que le “Front Républicain” a fait la différence. Cependant, une comparaison s’impose, celle avec 2002 et le duel Chirac-Le Pen :
- Jacques Chirac passe de 5,6 à 25,5 (+19,9)
- Jean-Marie Le Pen passe de 4,8 à 5,5 (+0,7)
La conclusion est simple, le mouvement de barrage au FN de 2017 est largement suffisant pour ne lui laisser aucune chance, mais a considérablement perdu de sa vigueur par rapport à 2002.
Fronde historique
Au-delà des chiffres bruts, il faut mettre en perspective la victoire d’Emmanuel Macron, car plusieurs éléments permettent de relativiser ce “triomphe”.
- Abstention record depuis plus de 50 ans, avec 25,4% des inscrits
- Les votes blancs et nuls atteignent un record historique de 9% des inscrits
- Il y a en France près de 4 millions de non-inscrits sur les listes électorales, qui représentent 9% du total des Français en âge de voter
Avec ces trois chiffres rajoutés dans le décompte, le score d’Emmanuel Macron descend à 40 % du corps électoral. L’honnêteté oblige à dire que les précédents présidents obtiennent un pourcentage global similaire, c’est bien l’abstention massive et l’explosion des votes blancs et nuls qui est historique. Et ce n’est pas fini.
Au premier tour, Emmanuel Macron était le candidat qui recueillait le moins de vote d’adhésion avec 41% de suffrages “par défaut”. Fabriqué de toutes pièces par l’entreprise médiatique, M. Macron s’est imposé progressivement, pour de nombreux Français, comme le seul vote utile contre le FN. Mais pas comme le candidat qui propose un projet auquel on adhère, type Mélenchon, Hamon, Fillon ou Le Pen.
Macron, vote futile ou vote utile ?
Maintenant que toutes les données sont connues, posons la question qui nous intéresse : quelle proportion des Français soutient M. Macron pour ses idées ?
- 20 753 798 électeurs ont choisi En Marche au second tour, dont 12,1 se sont agrégés pour faire barrage. Au premier tour ils étaient 8 656 346 millions, dont seulement 58% ont voté par conviction, soit 5 020 680 personnes. Pour faire clair : seulement 24,2% des électeurs d’Emmanuel Macron l’ont choisi pour son programme.
- Comme on l’a vu précédemment, les 66,1% des suffrages recueillis par le nouveau président représentent en fait 40% des Français en âge de voter.
- Ce sont donc les 24,2% de convaincus parmi les 40% qui ont voté pour lui qui représentent son socle véritable. Soit 9,68% des Français en âge de voter. Seulement.
Nous sommes donc bien forcés de l’admettre, Emmanuel Macron ne peut pas se prévaloir d’un soutien populaire massif. On est loin du triomphe. Surtout quand on regarde de plus près le score du FN.
Faire barrage = Faire le jeu du FN
Pendant 15 jours interminables, ceux qui ont fait le choix de ne pas choisir ont tout entendu. Les heures les plus sombres, les années 30, le fascisme à nos portes… Tout a été fait pour culpabiliser les 35% d’électeurs qui n’ont pas voté pour l’un ou l’autre des candidats.
Alors disons les choses clairement. Ceux qui se transforment en anti-fascistes forcenés pendant deux semaines – tous les 15 ans – alors qu’ils ne se soucient guère d’habitude de la montée inexorable du Front National font fausse route. C’est peut-être même la pire méthode imaginable.
C’est en prenant en compte les problématiques délicates confisquées par le FN et en se les réappropriant, de manière plus juste, qu’on pourra récupérer des voix parmi les 10 millions d’électeurs frontistes. Oui, il faudra bien mettre sur la table un jour des sujets tels que la perte de souveraineté de la France au profit de la très libérale Union Européenne et d’un OTAN va t’en guerre ; analyser en profondeur les dysfonctionnements de l’Euro ; répondre à la désindustrialisation massive de secteurs entiers du pays ; à la désertification des zones rurales ; au racisme structurel dont sont victimes les non-blancs ; à l’accroissement sans fin de la pauvreté dans ce pays ; à l’indigne Françafrique ; aux origines et causes du développement du fondamentalisme islamique, etc…
C’est à ce seul prix qu’on pourra un jour juguler le nationalisme xénophobe. On en est loin et le FN a de beaux jours devant lui avec ses ennemis actuels.
Victoire historique pour le Front National
Ce n’est pas pour rien qu’on vu Marine Le Pen se déhancher sur le dance-floor une heure à peine après l’annonce de sa défaite.
La candidate du Front National le sait bien, cette campagne marque un tournant majeur pour son parti à plusieurs égards.
- Le plafond de verre a littéralement explosé : pas grand-monde n’imaginait que le FN puisse pulvériser à ce point son record de voix, qui était de 6,8 millions avant ce scrutin. Avec 10,5 millions de suffrages reçus au second tour, le FN a clairement passé un cap.
- Le Front Républicain n’est plus : en 2002, tout le champ politique s’était dressé comme un seul homme pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen, dont le score n’avait quasiment pas bougé entre les deux tours, quand Chirac prenait 20 millions de voix supplémentaires. Cette année, seuls Benoît Hamon et François Fillon ont appelé à voter Macron. Jean-Luc Mélenchon, lui, s’est contenté du strict minimum avec une consultation en ligne pour les militants de la France Insoumise. Tous les “petits” candidats n’ont pas donné de consigne (Arthaud, Poutou, Asselineau, Lassalle, Cheminade).
- Le FN a fait alliance. C’est peut-être là l’événement le plus symbolique de cette évolution. Nicolas Dupont-Aignan, ancien cadre de l’UMP et fondateur de Debout la France, a scellé une alliance de second tour avec Marine Le Pen. Avec un poste de Premier Ministre à la clé en cas de victoire. De fait, le FN a mis un pied dans l’arc républicain et devrait désormais faire tout son possible pour renouveler l’expérience. Notamment au niveau local.
Législatives, attention danger !
C’est bien là le plus important à comprendre. La donne a changé pour les législatives, qui devraient voir des triangulaires à peu près partout.
En 2012, lors de sa première candidature présidentielle, Marine Le Pen n’était arrivée en tête au premier tour que dans 10 des 577 circonscriptions. Cette année, c’était le cas dans 216, dont 45 à la majorité absolue !
On peut d’ores et déjà imaginer les différents postulats :
- Les candidats France Insoumise ne passeront d’alliance avec personne, sauf exceptions. L’échec des négociations avec le PC risque d’être un écueil terrible pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi pour les traditionnels “partis de gouvernement.
- L’ensemble PS-En Marche-LR va surement devoir fusionner systématiquement au second tour, autour d’une candidature commune. Dans le cas contraire, il y aurait des quadrangulaires fréquentes et totalement indécise (ex : FI-EM-LR-FN). L’hypothèse la plus probables étant quand même que la dynamique de l’élection de M. Macron et “l’effet de gel” pourraient entraîner une vague En Marche.
- Le FN sera de la partie quasiment partout et profitera de toutes les erreurs de ses adversaires. Dans ces conditions, il semble tout à fait réaliste d’imaginer entre 80 et 100 députés FN en juin au Palais Bourbon. Ils n’était que deux lors du dernier quinquennat. Cherchez l’erreur.
Quoi qu’il en soit, les grosses ficelles sont bien usées. Emmanuel Macron s’apprête à accentuer encore les politiques libérales mises en place depuis 1983 et, ce faisant, renforcera de manière automatique le vote contestataire. Cependant, la France Insoumise semble désormais une alternative crédible au vote FN et pourrait bousculer un peu tout ça. Les élections législatives s’annoncent passionnantes !
Matthieu Le Crom
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