Théorie d’illuminés ? Proposition de retour à l’âge de pierre ? Réaction antimoderne de hippies ? La décroissance n’est pas encore débarrassée des clichés. Ce concept, qui ne cesse de gagner en popularité à l’heure d’une longue stagnation économique, mérite un éclairage digne de ce nom.
Un concept relativement moderne
Bien qu’en germe dans l’esprit d’un certain nombre d’auteurs critiques de la révolution industrielle du XIXème siècle – Murray Bookchin, Pierre Kropotkine, Léon Tolstoï, entre autres -, le concept de décroissance ne s’enracine dans l’espace intellectuel qu’au tournant des années 1970. En effet, c’est en 1970 qu’est publié le rapport Meadows du club de Rome. Celui-ci affirme que l’humanité serait sur une trajectoire d’utilisation des ressources naturelles totalement insoutenable, et bénéficie d’une forte exposition médiatique. Il s’agit d’une première étape dans la constitution de l’écologie politique moderne. Il faut dire néanmoins que certains auteurs s’étaient déjà penchés sur le sujet et jouent aujourd’hui les parents idéologiques du mouvement décroissant. C’est ainsi que le philosophe Jacques Ellul, par sa critique du règne de la technique a inspiré les décroissants. Ou, dans un domaine plus politique, André Gorz, qui a théorisé l’écosocialisme. On pourrait ajouter à ces deux références importantes Cornelius Castoriadis, qui a fortement influencé les décroissants en ce qui concerne le localisme et leur vision de la démocratie.
L’actuel fer de lance de la décroissance est l’économiste Serge Latouche dont les longues vidéos sur le sujet sont disponibles sur Youtube pour quiconque veut en savoir plus. Si l’on devait trouver une formule pout résumer le point de départ de la décroissance on tomberait aisément d’accord sur la suivante « La croissance ne peut être infinie dans un monde fini ». Et, précisément, nous serions arrivés à ce stade du développement quantitatif de la production et de la consommation qui met en danger notre monde fini. Il faudrait, en conséquence, rompre avec notre société consumériste pour aller vers une « société de décroissance ».
Une nouvelle utopie ?
Contrairement aux idées reçues, le passage à une société de décroissance n’entrainerait pas nécessairement un recul du PIB – une récession – mais exigerait que nous acceptions la réduction purement quantitative de la production et de la consommation tout en préservant la dimension qualitative de nos modes de vie, afin de nous libérer des nuisances du productivisme : pollution, dégradation de l’alimentation, etc. Et c’est là ou cela devient plus compliqué, car il faut alors s’accorder sur les « besoins essentiels » et il n’est pas aisé de les définir dans nos sociétés hyperconnectées. Du point de vue des théoriciens de la décroissance, cela appelle une forme de révolution éthico-politique où les individus accepteraient une forme d’ascétisme écologique. Mais est-ce possible de demander à des pays qui s’industrialisent de faire leur révolution éthique alors que les pays du Nord usent largement des ressources naturelles depuis plusieurs générations ?
La décroissance et le changement global
On objectera aisément à la problématique décroissante le fait que l’épuisement des ressources naturelles est un problème d’ordre global. Il faut néanmoins reconnaître que cette dimension a été prise en compte sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un « internationalisme décroissant ». En effet, les pays du Nord se doivent d’être solidaires vis à vis des pays du sud et il faudrait donc qu’ils acceptent une réduction plus importante de l’utilisation des ressources – de l’ordre de 70% de ce qu’ils utilisent – que les pays du sud qui ont un droit à s’industrialiser. Par ailleurs, la décroissance implique un retour au local, afin de diminuer le « grand déménagement du monde », c’est pourquoi le projet décroissant s’inscrit dans une perspective protectionniste qui favorise la démocratie locale.
Dans l’esprit des théoriciens de la décroissance, il faut partir d’initiatives locales pour arriver ensuite à l’échelon national et enfin au global. On peut néanmoins douter de la possibilité d’une telle montée en généralité du fait des intérêts divergents profonds qui animent les États, et de la lutte d’ores et déjà engagée pour le contrôle des futures ressources clés de la planète. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’intéresser au nombre de conflits liés à l’eau – par exemple entre l’Egypte et le Soudan, entre la Syrie et l’Irak, etc.
Un néo-malthusianisme pessimiste ?
Nombre de critiques de la décroissance convergent vers l’idée qu’il s’agirait d’un concept proche du malthusianisme (c’est-à-dire prônant la diminution de la population et dans le cas présent, de l’impact des activités humaines) et qu’il repose sur des hypothèses fondamentalement pessimistes. De l’aveu même des partisans de la décroissance, le progrès technique censé permettre l’augmentation de « l’éco-efficience » – l’efficacité technique de l’utilisation des ressources – est vu comme insuffisant. C’est une des lignes de démarcation importantes avec les théoriciens du développement durable pour lesquels les signaux-prix qui résultent de la raréfaction des ressources sont censés permettre des investissements écologiques qui conduiront à une innovation suffisante pour gagner en éco-efficience. Concrètement, il s’agit de dire que si le pétrole devient trop cher, l’humanité se mettra à innover suffisamment dans les énergies renouvelables pour qu’il n’y ait pas de problème fondamental de développement durable. On voit ici que le marché est censé fournir les « signaux-prix » adéquats alors que la problématique écologique contient un certain nombre d’irréversibilités qu’il n’est pas possible de refléter dans les signaux-prix. Le débat est en tout cas ouvert entre optimistes et pessimistes.
On peut se demander en tout cas si le défaut du concept de décroissance n’est pas, tout simplement, son nom. Car qui veut d’un avenir où on lui promet de décroître ? Aucun homme politique ne s’est jamais fait élire sur un programme qui promet la régression matérielle. Il y a là un réel défi politique pour les adeptes de la décroissance.
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