« March for Our Lives » : la génération post-2001 se soulève contre le port d’armes

Premier mouvement social de masse du mandat de Donald Trump, la March for Our Lives est aussi la plus grande manifestation anti-armes à feu de l’histoire des États-Unis. La mobilisation est d’ores et déjà historique, et couronnée de succès en Floride, où la législation a été modifiée. Mais au-delà de la question des armes, le 24 mars a des allures d’acte de naissance pour une nouvelle génération politique.


Les images étaient impressionnantes, samedi 24 mars, à Washington. 800 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale américaine pour réclamer un contrôle plus strict de la vente d’armes à feu dans le pays. Des mobilisations similaires ont eu lieu un peu partout aux États-Unis : 850 villes concernées, pour un million et demi de manifestants en tout. Le mouvement « March for Our Lives » (littéralement, « marcher pour nos vies ») est déjà à inscrire dans les livres d’histoire comme la plus grande manifestation anti-port d’armes de l’histoire américaine. Seul Donald Trump ne s’en est peut-être pas encore rendu compte, lui qui, pendant la Marche, jouait au golf dans sa propriété de West Palm Beach, en Floride.

Tout un symbole, qui reste en travers de la gorge de nombreux Américains : c’est à peine à quarante-cinq minutes de ce terrain de golf que la « March for Our Lives » puise ses origines. À Parkland, plus précisément. Le 14 février dernier, Nikolas Cruz, 19 ans, entre dans son ancien lycée et massacre quatorze élèves et trois membres du personnel avec un fusil d’assaut militaire AR-15. C’était déjà la trentième fusillade depuis le 1er janvier 2018 sur le sol américain, la dix-huitième en milieu scolaire…

Les succès de la mobilisation en Floride

© Mike Licht, Flickr

Avec 495 morts depuis début 2017, la chose en est devenue presque routinière aux Etats-Unis : les tueries de masse rythment l’actualité, dans un pays qui concentre 40 % des armes en circulation dans le monde. Alors pourquoi la tuerie de Parkland a-t-elle donné naissance à un véritable mouvement de fond, qui semble bien parti pour durer ? La réponse réside sans doute dans la capacité des survivants de Parkland eux-mêmes à se mobiliser rapidement après le drame, et à faire bouger les lignes dans l’État de Floride.

Ainsi, le 7 mars, le Parlement de Floride a adopté une loi restreignant l’accès aux armes à feu, et ce contre l’avis du lobby pro-armes, la NRA. La chambre étant à majorité républicaine, un camp politique particulièrement financé par l’argent de l’industrie des armes, le tour de force est à saluer. Certes, ce n’est au fond qu’une petite avancée : si l’âge légal pour acheter une arme recule de 18 à 21 ans, si les armes à crosse rétractable (comme le fusil d’assaut qui a servi dans la tuerie) sont interdites et si les délais d’attente à l’achat sont rallongés, la loi ouvre aussi la possibilité d’armer les enseignants et le personnel scolaire… Mais le symbole est là : des jeunes de moins de vingt ans, qui n’ont pas encore la majorité électorale, ont réussi à peser plus lourd que les lobbys.

Le soulèvement d’une jeunesse post-9/11

Car c’est sans doute ça, la véritable rupture historique de ce 24 mars : l’entrée dans le champ politique d’une nouvelle génération, qui fait partie de ces 4 millions d’Américains qui, d’ici 2020, pourront voter pour la première fois. Si la marche de samedi était transgénérationnelle et relativement transpartisane (bien qu’à forte majorité démocrate), les jeunes étaient en surnombre, et en tête de cortège. Cette génération-là est née entre 2000 et 2003, n’a pas connu le 11 septembre 2001, n’a pas dans son imaginaire politique la chute des Twin Towers, totem traumatique indépassable des générations précédentes. Les marcheurs de samedi ont été bien plus marqués par les errances et les mensonges de la politique de Bush au Moyen-Orient, par les dérives du Patriot Act, que par le patriotisme tous azimuts de leurs parents, voire de leurs grands frères et grandes sœurs. Ils étaient trop jeunes pour voter en 2016, mais soutiennent pour la plupart Bernie Sanders : ils sont progressistes et ont envie de changement. Leur poids électoral en 2020 pourrait jouer dans les Etats les plus stratégiques, Floride en tête.

Une militante tenant une pancarte à l’effigie d’Emma Gonzalez © Robb Wilson, WikiCommons

Déjà, des figures hypermédiatisées ont émergé, des visages qu’on s’attend à retrouver régulièrement sur la scène politique américaine ces prochaines années. À l’image d’Emma Gonzalez. Jeune femme de 18 ans, crâne rasé, jean troué, ouvertement bisexuelle et d’origine cubaine : si l’Amérique anti-Trump a un visage, c’est sans doute celui de la porte-parole des survivants de Parkland. C’est elle qui, samedi, a fait taire la manifestation pendant six minutes et vingt secondes de silence (soit le temps qu’il a fallu à Nikolas Cruz pour éliminer ses 17 victimes à Parkland). Certains commentateurs la présentent déjà comme l’avenir politique de la communauté latino-américaine en Floride.

Reste à voir maintenant si la « March for Our Lives » parviendra à pousser les autorités à s’attaquer à l’inamovible droit au port d’armes au niveau fédéral, ce qui sous-entendrait une modification de la Constitution. Une seule chose est sûre, ces jeunes n’en sont qu’au début de leur combat, et commencent à peine leur parcours politique.

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