Mouvement, parti et pouvoir populaire

Manifestation de soutien au gouvernement du Venezuela, 2017 © teleSUR

Il semble que les partis politiques n’aient jamais eu aussi mauvaise presse. Réputés temples de la corruption et du carriérisme, gangrenés par les querelles intestines, ils se voient progressivement substituer des formes d’organisation que l’on nomme volontiers « mouvements ». Autrefois largement cantonné à la droite, ce refus du parti se répand dangereusement à gauche, sous diverses formes parfois purement nominales mais souvent accompagnées de conséquences pratiques bien réelles et fondées sur des doctrines accordant une place démesurée au rôle politique des affects. A l’heure « d’Aufstehen ! » et de la France Insoumise, revenir sur le rôle de la raison en politique ainsi que sur la fonction historique des partis et sur les mécanismes de dépossession doit nous permettre d’insister sur l’importance fondamentale d’organisations structurées et démocratiques orientées vers la prise de pouvoir des classes populaires. Par Mathis Bernard.


Chacun a en tête des exemples fameux de partis ouvriers et populaires qui ont marqué l’histoire, au premier rang desquels l’énorme Parti Communiste Français, qui compta jusqu’à 700 000 membres revendiqués à la fin des années 70. Ces organisations massives et hiérarchisées ont fasciné les sociologues : quantités de travaux leur sont consacrés, et les premiers ouvrages de sociologie politique étaient dédiés à ces organisations entièrement nouvelles et jugées caractéristiques de la modernité politique. Certaines, comme le PCF, ont acquis une influence sociale telle que leur capacité à modeler les croyances et les comportements, à forger les individus, était comparable à celle de l’Église catholique. A titre d’exemple, certaines communes de la fameuse « ceinture rouge » parisienne ont connu, à quelques époques, des taux d’abstention inférieurs à ceux des quartiers bourgeois, traduisant un rôle d’intégration politique capable de renverser jusqu’aux tendances statistiques les plus lourdes. De même, la SFIO (l’ancêtre du PS) et surtout le PCF ont été en mesure de propulser une masse considérable d’ouvriers et d’employés jusqu’aux plus hautes instances législatives, atteignant un pic de représentation populaire à l’Assemblée nationale en 1946 avec une centaine de députés. Depuis lors, cette proportion a constamment diminué jusqu’à retrouver aujourd’hui un niveau comparable à celui des premiers années de la République.

Défile du 1er Mai 1937 à Paris (Source : Mémoires d’Humanité/Archives départementales de la Seine-Saint-Denis)

Toutefois, il ne s’agit pas de s’attacher à un mot: le parti de masse moderne est avant tout, en ce qui nous concerne, un principe de structuration démocratique et, pourrait-on dire, un ensemble de liens sociaux (ou de “sociation”, aurait dit Max Weber) fédérés dans l’objectif de la réalisation d’intérêts et d’objectifs idéologiques à travers la prise du pouvoir. Dès lors, peu importe, même si cela constitue un critère de définition habituel, qu’un parti participe ou non à des élections: un tel critère est tout à fait dispensable dans la mesure où il ne rend pas compte de la diversité historique des organisations partisanes.

Des organisations politiques telles que la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI), qui comptait environ 150 000 membres en 1937, ont joué un rôle comparable d’éducation politique de masse, d’identification et d’action collective démocratique, et ne se présentèrent à un scrutin électoral que dans les circonstances exceptionnelles de la guerre civile espagnole. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de la photographie qui a été choisie pour illustrer cet article: la Fédération des Jeunesses Libertaires, qui se rattachera au Mouvement libertaire de la Confédération nationale du travail (CNT) et de la FAI en 1937, constitue bien la jeunesse d’un “parti” au sens large du terme. Si la CNT ne recrute, comme tous les syndicats ouvriers, que sur des bases de classe, et non en se fondant sur une pure adhésion idéologique, sa fusion avec la FAI et son rapport concret à l’exercice du pouvoir font que l’on ne saurait affirmer nettement qu’il s’agit seulement d’une “confédération syndicale” ou d’un “parti”: nous sommes manifestement face à un cas-limite. La forme du congrès symbolise le principe d’unification démocratique: regroupant des délégués venant de toutes les branches de l’organisation, il permet de dégager une ligne politique stable servant de base aux éventuelles instances exécutives. Nous reviendrons plus tard sur ces questions de fonctionnement interne, qui sont au cœur de la distinction entre organisation partisane et mouvement politique, mais au total, qu’il s’agisse du PCF ou du Mouvement libertaire, ces organisations ont eu pour point commun de participer à une socialisation des masses populaires à la politique moderne, c’est à dire une politique aux enjeux nationaux voire internationaux, donc médiatisée, marquée par les questions idéologiques et les clivages de classes.

A contrario, de nombreux partis conservateurs ont longtemps été de lâches regroupements d’élus notables qui, jouant auparavant sur leur prestige personnel pour obtenir des postes électifs, en furent réduits à se coaliser pour faire face à la puissante mutualisation des moyens politiques et économiques que constituaient les partis républicains et socialistes. Ils n’ont pas joué un rôle de développement d’un pouvoir populaire et d’éducation politique mais bien un rôle essentiellement paternaliste et électoraliste.

On ne saurait que trop souligner à quel point le parti politique sur le modèle socialiste fut la forme par excellence d’une politisation de haut niveau des masses ouvrières. Jouant certes un rôle secondaire par rapport à l’immense porte d’entrée vers l’action politique que représentaient les syndicats ouvriers, ceux-ci ont souvent constitué une école et une voie d’accès aux partis politiques. Les partis politiques modernes ont aussi permis de réduire considérablement le rapport notabiliaire à l’exercice du pouvoir : officiers, propriétaires terriens et rentiers ont vu leur nombre diminuer au sein des institutions représentatives à mesure que s’enracinait le suffrage universel, qui imposa la présence de nouvelles élites politiques, davantage issues de la petite bourgeoisie intellectuelle voire de la classe ouvrière, capables d’opposer programmes et doctrines aux relations clientélistes. Et s’il s’agit de tirer toutes les leçons des échecs historiques des organisations social-démocrates, communistes et libertaires, reste à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, en abandonnant le principe d’une structuration formelle capable de poser les bases du pouvoir populaire, ce qu’une organisation déstructurée et peu autonome n’est pas en mesure d’accomplir.

Le mouvementisme : une forme de régression démocratique justifiée par une régression scientifique

En France, la forme mouvementiste de l’organisation politique est essentiellement incarnée par la France Insoumise. Dans son état actuel, celle-ci est manifestement dirigée par les anciens cadres du Parti de Gauche et de quelques autres formations de moindre importance, auxquels se sont greffés plusieurs figures qui se sont d’abord distinguées hors du champ politique, à l’instar du journaliste François Ruffin. Cela a amené, suite à une petite victoire électorale, à la constitution d’un groupe parlementaire relativement virulent, qui a su porter quelques problématiques nouvelles dans le débat parlementaire, ce dont on ne peut que se réjouir. Toutefois, son mode de fonctionnement rend structurellement impossible la constitution d’une organisation populaire jouant un rôle comparable à celui des partis de masse du XXème siècle.

Si on peut voir dans le mouvementisme contemporain une forme d’opportunisme jouant sur la méfiance populaire envers les partis politiques, il faut souligner qu’il peut être soutenu par les théorisations des principaux penseurs du populisme de gauche, au premier rang desquels Chantal Mouffe et Ernesto Laclau. Dans leur perspective postmoderne, inspirée par un remaniement de la philosophie du nazi Carl Schmitt, le “peuple” est essentiellement une construction du discours politique, une agrégation d’intérêts radicalement hétérogènes et a priori en conflits. Le leader, porte-parole et dirigeant, est alors celui qui opère la conversion en discours politique de ces intérêts hétérogènes via un ensemble de métaphores (le fameux « Le Pain et la Paix » de Lénine, souvent évoqué par Pablo Iglesias) plus ou moins douées de sens. Dès lors, difficile d’envisager qu’un peuple aussi métaphorique puisse exprimer une volonté cohérente et concrète susceptible d’être trahie par une direction politique insuffisamment contrôlée par sa base populaire.

Manifestation de soutien au gouvernement du Venezuela, 2017 (Source : teleSUR)

Chantal Mouffe déclare ainsi, dans un entretien à l’Obs:  « Je crois à la nécessité d’un leader. Il n’y a pas de démocratie sans représentation, car c’est elle qui permet la constitution d’un peuple politique. Il n’y a pas d’abord un peuple qui préexisterait, puis quelqu’un qui viendrait le représenter. C’est en se donnant des représentants qu’un peuple se construit. C’est autour du leader que se réalise le “nous” »

S’il ne s’agit pas de contester la nécessité pratique de la représentation dans des sociétés bourgeoises fortement centralisées qui nous imposent à minima une forme de porte-parolat, ce n’est pas ce que Mouffe défend ici. Force est de constater que sa déclaration exprime non une attitude pragmatique prenant acte de l’impossibilité concrète et contingente d’une forte horizontalité mais bien une justification de la représentation qui confine à la métaphysique et rejoint étonnamment les conceptions aristocratiques de la représentation: chez l’abbé Sieyès, acteur important de la Révolution française, la représentation vise précisément à constituer une volonté générale qui ne préexiste pas au sein de la société mais ne se constitue que par le biais des élus.

Dans cette perspective théorique, l’objectivité du social, la force prépondérante de certains principes de découpages de la société, et en particulier la classe sociale, n’ont pas leur place: la classe n’est jamais qu’un principe parmi d’autres, issu non pas d’un ensemble de facteurs déterminant les comportements sociaux, mais bien d’une opération d’unification par le discours opérant sur un terreau hétérogène. Devant toute considération d’ordre proprement sociologique, Chantal Mouffe va davantage mobiliser le concept « d’affect » comme principe explicatif de la vie sociale et de la mobilisation, n’hésitant pas à recourir aux concepts psychanalytiques douteux de « pulsion de vie » et de « pulsion de mort », voire aux théories pour le moins discutables d’un Jacques Lacan, en lieu et place des découpages fondés sur la matérialité des relations sociales et découverts par l’enquête scientifique. On ne saurait que trop voir le potentiel relativiste et nihiliste d’une telle position: en l’absence d’intérêts objectifs produits par la combinaison d’une humanité commune et d’une position sociale donnée, la définition éclairée et rationnelle du désirable politique est impossible.

Et si Mouffe n’est pas avare de critiques envers le “romantisme” (sic) des mouvements tels que Nuit Debout, dont elle fustige à raison le rêve naïf d’horizontalité parfaite et le refus du porte-parolat, sa théorie politique apparaît d’emblée compatible avec le fonctionnement de mouvements de type plébiscitaires tels que la France Insoumise. Car si l’on s’en tient à sa pensée, on ne voit pas en vertu de quel motif nous pourrions critiquer l’évidente absence de démocratie interne au sein de cette organisation, la dimension cooptative de la désignation de ses dirigeants et son caractère presque exclusivement électoraliste. Une fois la volonté populaire décrétée inexistante en elle-même, la raison mise au ban de la politique et les divisions objectives du monde social brouillées et noyées dans la toute-puissance du discours, ni la masse du peuple ni les adhérents d’une organisation politique ne peuvent revendiquer une parole et une action autonomes susceptible d’être opposées à l’action unificatrice du chef. L’usurpation du pouvoir par un dirigeant tyrannique est bien difficilement pensable.

Pour l’autonomie populaire : réinvestir et renouveler la forme du parti

Le militant socialiste, communiste ou anarchiste trouvera dans la sociologie scientifique des outils bien plus adaptés à une compréhension rationnelle des mécanismes sociaux et susceptibles d’être mobilisés pour défendre l’autonomie des classes populaires et leur éventuelle prise de pouvoir. La sociologie politique de Pierre Bourdieu, fondée sur une théorie du capital politique et militant, de ses modalités d’acquisition et de conservation, prend le contre-pied de l’analyse psychologiste de Chantal Mouffe, qui tient plus d’une psychanalyse des foules que de la sociologie scientifique. À rebours de cette tendance, qui affirme le matérialisme métaphysique pour mieux nier le matérialisme historique, Bourdieu établit à travers la théorie des champs une articulation du matériel et du symbolique en mesure de rendre compte de toute la diversité du social.

En effet, l’analyse de la dépossession des masses par les instances dirigeantes est au coeur de la théorie bourdieusienne des partis politiques. Examinant le fonctionnement interne des partis ouvriers historiques, et notamment le PCF, il montre de quelle façon ces énormes appareils structurés et hiérarchisés ont offert une dignité et une influence politique décisive aux masses populaires tout en sélectionnant, parmi les ouvriers ou parmi la petite bourgeoisie intellectuelle une élite dirigeante toujours susceptible d’usurper la parole et les intérêts des représentés. Les classes dominées, toujours définies par leur état de dépossession, sont contraintes par cet état à de tels modes de fonctionnements, qui mutualisent les moyens mais créent une forte dépendance à l’égard de organisation : l’élu du PCF, ouvrier formé dans les écoles de cadres du parti, ne peut quitter l’organisation sans perdre du même coup le capital politique collectif qui lui a permis d’obtenir sa position de pouvoir. Cependant, tant qu’il reste au sein du PCF, il se fait le porte-voix de la classe ouvrière dont il est issu mais ne fait plus tout à fait partie, contribuant autant à la déposséder de son expression autonome qu’à favoriser son pouvoir, sa formation politique et sa représentation au sein des institutions bourgeoises. D’où une formule aussi fameuse que paradoxale : “Il faut toujours risquer l’aliénation politique pour échapper à l’aliénation politique.” C’est cette tension entre dépossession et conquête d’une dignité de classe qui est au cœur de l’analyse de Bourdieu, dont le continuateurs ont nuancé le pessimisme en montrant les formes institutionnelles susceptibles de contrecarrer les mécanismes d’aliénation.

Walter Crane, The Triumph of Labour, 1891 (Source : British Museum)

Les conséquences d’une telle analyse sur le débat qui oppose mouvement et parti sont patentes : si la forme partisane revêt des risques évidents, elle ne peut être évitée par un groupe politique dont l’objectif serait l’organisation autonome des classes dominées voire leur accession au pouvoir politique. Il faut un appareil puissant, en mesure de bâtir un grand nombre de militants issus de ces classes via la production d’une masse considérable de formation, d’expression et d’action politique, en lien avec les organisations de masse regroupées autour de revendications portant sur une thématique donnée. La production idéologique elle-même ne peut pas être essentiellement importée du monde journalistique ou académique, qui fonctionnent selon leurs logiques propres et nécessairement exogènes à l’organisation populaire : elle doit être le fruit d’intenses discussions démocratiques au sein de l’organisation, mobilisant un maximum de ses membres grâce à son appareil de formations et de communication interne, et menant à proposer une doctrine susceptible de rassembler le parti autour d’une même ligne politique. Ceci étant organisé dans une perspective résolument délibérative tout à fait opposée aux positions théoriques du populisme de gauche, basées sur une conflictualité au statut anthropologique. Une telle délibération interne doit être le moyen d’une véritable « souveraineté de la raison », pour employer la belle expression de Pierre-Joseph Proudhon, ainsi qu’une manière de produire un programme et des modes d’action susceptibles de correspondre aux aspirations populaires qui, n’en déplaise à nos populistes, préexistent à toute mise en forme. Une telle conception du débat interne doit être le support concret d’une vigilance organisée des membres du parti envers toutes les formes de dépossession de la parole: la ligne politique ayant été élaborée d’une façon aussi horizontale que le permet une structure formelle de grande envergure, les instances exécutives de l’organisation n’en sont que les dépositaires temporaires et toujours susceptibles de déviation.

A force de chercher à renouveler la propagande de gauche radicale, ce qui n’a certes pas été mené en vain, les organisations populistes en ont oublié l’impérieuse nécessité de proposer, en leur sein, des ressources (formation politique, outils efficaces de mobilisation sur toutes les questions politiques, liens de solidarité conviviale à échelle locale qui soient enracinés dans les lieux de vie et de travail des classes populaires…) introuvables dans d’autres types de groupes, et nécessaires à la construction dans le long cours d’une solide base militante. En ce sens, elles sont fortement soumises aux fluctuations électorales et n’ont pu porter au pouvoir que des représentants de la petite bourgeoisie intellectuelle, dont l’actuel groupe parlementaire de la France Insoumise est une illustration patente. La situation contemporaine des classes populaires, frappées de plein fouet par la précarité et l’individualisation des carrières, appelle un renouvellement pratique et théorique sur ce sujet. Et pourtant, la réflexion sur la domination de classe a été largement mise de côté au sein des organisations populistes, au profit de catégories autrefois jugées trop vagues (le peuple contre la caste…) pour produire autre chose qu’un efficace travail de propagande. On en trouve une traduction théorique dans l’éloge des « nouveaux mouvements sociaux » opérés par Chantal Mouffe, catégorie qui abandonne l’idéal d’une intégration effective de ces luttes prétendument nouvelles à un combat populaire général : provenant notamment de la sociologie d’Alain Touraine, ce concept vient appuyer une idéologie anti-syndicale et l’ethnocentrisme des classes moyennes supérieures, qui ont vu abusivement dans leurs formes propres de mobilisation et de préoccupations politiques des effets de génération touchant l’ensemble de la société. Les pratiques populaires, marquée par la dépendance au duo parti-syndicat, s’en trouvent du même coup renvoyées à une époque moins émancipée. Du reste, pour Mouffe et Laclau, la constitution de la classe ouvrière comme sujet historique rationnellement organisé au début du XXème siècle aurait même été une terrible erreur entravant la « construction » du peuple.

Cet abandon de l’analyse de classe vaut tout autant pour les organisations comme Podemos, qui au terme de longs débats a finalement adopté une organisation de type social-démocrate, avec tous les inconvénients que cela suppose en terme de dépossession politique, mais dont on ne voit pas bien en quoi les outils de propagande sont complétés, en interne, par une formation pratique et théorique de haut niveau qui soit susceptible de faire accéder les classes populaires à un haut degré de compétence politique. Les outils de l’analyse scientifique de l’histoire ont été abandonnés en rase campagne au motif qu’ils n’étaient plus compris par les masses. Dès lors, les seuls individus susceptibles d’accéder au pouvoir via les organisations populistes sont ceux-là mêmes qui n’ont aucun besoin, du fait de leurs capitaux culturels et politiques personnels, des moyens d’une organisation populaire et autonome. Ainsi, et alors même qu’il est formellement un parti, Podemos reproduit les errements du mouvementisme populiste autant que de la social-démocratie classique.

Dès lors, dans une organisation aussi autonome et massive qu’un grand parti populaire, la création et l’entretien d’institutions radicalement démocratiques sont absolument nécessaires si l’on souhaite éviter les apories des organisations socialistes historiques. Les moyens de communication modernes doivent être utilisés pour contrôler les institutions centrales et permettre des initiatives venues à tout moment de la base de l’organisation. S’il doit exister des instances exécutives quelconques, celles-ci doivent être clairement identifiées: le pire mal que l’on puisse infliger au projet d’une organisation aussi démocratique que possible est de nier l’existence d’instances dirigeantes là où elles se trouvent pourtant réellement. Elles doivent également être révocables à volonté, en tant qu’elles sont le sommet d’une organisation plus ou moins pyramidale (et il vaudrait mieux qu’elle le soit moins que plus) dont elles émanent. Leur marge de manœuvre doit être enserrée dans des résolutions de congrès précises et contraignantes, tandis que leur mandat doit être précis et faire l’objet d’un compte-rendu sur la base duquel ils seront jugés durant et après l’exercice de leur charge. Quant aux unités de base de l’organisation, elles doivent être tenues de respecter la discipline démocratique mais conserver une marge d’action nécessaire pour s’adapter aux problématiques locales et organiser le débat interne. Autant de règles bien connues qu’il reste surtout à mettre en pratique, en gardant à l’esprit que la désaffection pour la forme du parti que l’on constate en France est davantage une conséquence des échecs du marxisme-léninisme et de la social-démocratie que la marque d’une obsolescence définitive d’un mode d’organisation qu’il s’agit surtout de régénérer par l’action des classes populaires.

Ainsi, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, réinvestir la forme du parti doit nous amener à accorder une importance bien moindre aux ambitions électorales. Car bien avant de devenir une machine à engranger des voix (et si toutefois il s’agit bien d’un objectif, ce dont on peut douter), un vaste parti populaire doit être un moyen pour les classes dominées d’accéder à la parole et à l’action politique de masse. De construire une dignité, une discipline et, en définitive, le moyen méthodique d’une conquête de la liberté.

 

Crédits photo :
CNT / Telesur

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