Municipalisme : « Ce que nous construisons ne doit pas nous échapper »

Illustration municipalisme Doulain Medkour Maximi
Alenka Doulain, Margot Medkour, Marianne Maximi

En 2020, lors des élections municipales, Alenka Doulain, Margot Medkour et Marianne Maximi ont toutes les trois incarné dans leur ville respective (Montpellier, Nantes et Clermont-Ferrand) l’émergence de ces nouveaux mouvements municipalistes qui ambitionnent de reprendre le pouvoir par le bas et de remettre la politique aux mains des habitants. LVSL s’est entretenu avec elles pour confronter leurs expériences, leurs lectures des réalités politiques et leurs projets et espoirs pour l’avenir.

LVSL – Vos mouvements respectifs, Nous sommes Montpellier, Nantes en commun et Clermont en commun, ont tous la particularité d’avoir été récemment fondés quasi ex-nihilo autour d’enjeux politiques locaux et autour de l’idée de conquérir le pouvoir municipal. En cela, ils semblent être en rupture avec les forces politiques traditionnelles qui jouent les élections locales comme des déclinaisons d’enjeux nationaux. Aussi, vous incarnez personnellement une nouvelle génération politique (populaire, écologiste, féministe…) qui n’hésite plus à entrer en confrontation avec les forces de la gauche institutionnelle comme le PS que vous avez toutes les trois affronté dans vos villes lors des dernières élections. Considérez-vous comme nécessaire une redéfinition des clivages politiques ? Si oui, quelles sont les lignes de clivages que vous mettez en avant ? 

Alenka Doulain – Pour comprendre les clivages existants à Montpellier et la nature de notre mouvement, il faut comprendre le contexte politique montpelliérain. Montpellier est une ville qui a été marquée par des pratiques politiques assez autoritaires, tels que « la cousinade» : un petit groupe de gens qui gère la ville avec ses propres règles. Entre copains et une classe politique qui de manière générale considère les classes moyennes et les classes populaires comme des parts de marché, qu’elle a assez souvent apprécié diviser selon ses intérêts propres. Le tout dans un contexte de chômage endémique et de résilience écologique. Les forces politiques locales, et notamment les partis dits de gauche, n’arrivaient pas du tout à prendre le pouvoir. Le clivage droite-gauche était peu opérant, puisque depuis 40 ans nous étions gouvernés par des gens qui se disaient de gauche mais qui menaient une politique au service de quelques uns. Ils étaient au service d’une stratégie de métropolisation et au service d’une grande ville qui court après l’attractivité mais qui oublie la plupart de ces citoyens sur le côté. La gauche était un terme qui avait été essoré localement et qui ne voulait plus rien dire, notamment pour les classes populaires. C’est à partir de ce constat, que nous avons essayé de construire une force politique en dehors des partis. Nous nous sommes lancés, convaincus que la soupe des logos ne fonctionnait pas sur Montpellier et qu’il fallait imaginer un autre dispositif pour réussir à prendre la ville.

Marianne Maximi – A Clermont-Ferrand il y a une particularité locale. Je fais partie de la France insoumise et la campagne que nous avons menée était clairement soutenue par la FI et d’autres collectifs. Clermont-Ferrand, est une ville dite socialiste depuis la libération. C’est un champ politique un peu vieillot dans lequel « la gauche de la gauche » existe et est présente depuis des années. Avec la LCR puis le Front de gauche, il y a eu des élus d’opposition au PS. Clermont en commun se situe dans cette tradition d’opposition qui existait déjà dans cette ville mais est aussi dans une rupture par les pratiques militantes : par exemple, nous construisons le programme avec la base, lors d’un travail de plusieurs années et non pas avec les élus sortants. C’est surtout notre méthode et notre façon d’aborder cette séquence électorale qui s’est posée en rupture. Là où je rejoins Alenka c’est que nous avions face à nous une alliance de « gauche » qui rassemblait du PS au PCF en passant par EELV, une soupe de logos avec une orientation politique qui n’était absolument pas en rupture avec les politiques libérales. Nous avons pointé ce fonctionnement, notamment en ramenant les intérêts des classes populaires dans le champ politique. Mais il y avait déjà une base politique radicale dans le conseil municipal. J’étais déjà élue au mandat précédent, en 2014, nous sommes donc dans un entre deux, entre la rupture et cette tradition de radicalité déjà présente dans les conseils municipaux. 

« Le clivage que nous mettions en avant est celui où d’un côté il y a les habitants, c’est-à-dire celles et ceux qui vivent la ville, qui la voient comme une expérience sensible, qui l’habitent au sens plein du terme contre ceux qui abordent la ville simplement comme un objet économique et qui veulent une métropole attractive. »

Margot Medkour – À Nantes, le PS est au pouvoir depuis 1989 avec Jean-Marc Ayrault qui a ensuite réussi à placer Johanna Rolland comme successeuse. Le modèle est assez proche de celui de Montpellier dans le sens où il y avait une figure PS assez majeure, avec toute la problématique de l’héritage. Nous avons aussi ce phénomène d’un « bloc de gauche » : la dernière fois que le PCF s’est présenté en parti indépendant et a fait un score important de 15%, c’était après la période de 1968, en 1971. Depuis 1977, aucun mouvement radical indépendant n’avait fait un aussi bon score que ce qu’a fait Nantes en commun en 2020. Ce clivage classique « gauche-droite » est en place depuis longtemps : le PCF est allé avec Johanna Rolland, ainsi que l’UDB, Union démocratique bretonne, de même pour Génération.s etc. Johanna Rolland a réussi à être à elle seule l’image de la « gauche ». Le sens du clivage « gauche-droite » s’est complètement brouillé. En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais dit, dans aucune interview, dans aucun discours, que nous étions de « gauche ». Nous n’avons jamais utilisé le mot « gauche » car il nous semblait que ce terme était devenu vide de sens. Pour nous le clivage principal était autour des partisans de l’attractivité, de la métropolisation, des gens, comme Johanna Rolland, qui veulent faire de Nantes une grande ville à l’échelle européenne, contre ceux qui s’opposent à ce modèle. Cela comprend une droite assez réactionnaire mais aussi un camp beaucoup plus progressiste, celui vers lequel nous tendions. Le clivage que nous mettions en avant est celui où d’un côté il y a les habitants, c’est-à-dire celles et ceux qui vivent la ville, qui la voient comme une expérience sensible, qui l’habitent au sens plein du terme contre ceux qui abordent la ville simplement comme un objet économique et qui veulent une métropole attractive. Nous travaillons pour que la ville soit le cœur de la vie, de la cité, et non  le cœur de la vie économique. Nous souhaitons également lutter contre celles et ceux qui nous dépossèdent de la ville, qui nous repoussent en dehors de la ville par la gentrification : on nous dépossède de nos quartiers en décidant de leur architecture à coups de bétonisation. À l’opposé, nous souhaitons nous réapproprier la ville, la reprendre en main pour sortir de l’impuissance dans laquelle nous sommes.

LVSL – Vous avez incarné dans vos villes « la réappropriation de la politique par les habitantes et habitants ». Vous utilisez des idées telles que le « municipalisme » ou le « droit à la ville » issues des penseurs Murray Bookchin et Henri Lefebvre. Des penseurs symboles d’un courant de pensée qui promeut la démocratie locale et la reprise du pouvoir « par le bas ». Indépendamment de ces auteurs, quelle est votre conception du municipalisme ?

Alenka Doulain – Barcelone est notre exemple : même dans les grandes villes, il est possible de faire faire la politique par les habitants. Cet exemple nous a vraiment guidé. Notre municipalisme a trois piliers :
1) Faire de la politique avec ses voisins. Si nous ne parvenons pas à réinjecter de la démocratie à un échelon local, nous n’arriverons jamais à le faire à des échelons supérieurs. Une municipalité est l’espace idéal pour recréer des solidarités, de la fierté, du lien social et donc de la politique dans ce qu’elle a de noble. Regarder avec ses voisins et ses voisines dans une même direction, c’est très important chez nous.
2) L’écologie sociale. On a tendance à séparer la manière dont on analyse les crises écologiques et les crises sociales, on a même tendance à les opposer. Au contraire l’échelon local permet de les réconcilier et de montrer que c’est bien les deux faces d’une même pièce et qu’il est impératif de traiter ces sujets là ensemble.
3) Partir des colères des gens : soyons pragmatiques et disons-nous que chaque petite victoire obtenue à l’échelon local nous permettra de nous renforcer et de continuer. Nous sommes influencés à ce titre par les techniques d’auto-organisation et de community organizing. Il ne s’agit pas de faire « à la place de… » mais de partir de ce qui se passe sur le terrain, de choses concrètes pour les catalyser et en faire une première étape de conscientisation dans le sens où une organisation collective permettra d’atteindre notre but et de passer à l’étape suivante. Il y a aussi ce côté de ne pas chercher la pureté. Dans le community organizing, chaque victoire que l’on peut aller chercher on la prend. Dans notre propre camp parfois, il y a des personnes qui se confortent pas mal dans une situation d’opposition et la pureté de leur position les conforte. Chercher la subtilité et mener des combats qui peuvent nécessiter du pragmatisme peut parfois leur paraître secondaire alors que pour nous c’est assez prioritaire. 

« L’enjeu c’était pour nous de ramener à celles et ceux qui vivent dans cette ville au quotidien, qui bossent, le droit de décider ce qui est bon pour eux et d’arrêter d’attendre qu’on nous dise ce qui est bon pour nous. »

Marianne Maximi – À Clermont, nous avons pu expérimenter des choses en suivant les campagnes dans les autres villes et effectivement nous avons été inspirés par le réseau des villes rebelles, par Barcelone, par des expériences de réappropriation de la politique. Quand on prend l’échelle municipale, nous faisons face à des professionnels qui s’accrochent au pourvoir. À Clermont-Ferrand, le maire n’a jamais travaillé, il ne connaît pas le monde du travail. L’enjeu c’était pour nous de ramener à celles et ceux qui vivent dans cette ville au quotidien, qui y bossent, le droit de décider ce qui est bon pour eux et d’arrêter d’attendre qu’on nous dise ce qui est bon pour nous. Prenons l’exemple de l’ANRU : nous avons un gros programme de rénovation urbaine à Clermont-Ferrand et pour nous cette politique-là, nationale, symbolise vraiment tout ce qu’il ne faut pas faire au niveau des quartiers populaires. Ce qui arrive par en-haut, tout ce que ça entraine comme conséquences de gentrification, de relégation urbaine, nous a poussé à essayer de partir d’expériences de luttes des habitants. Il faut se confronter à ce qui existe par ailleurs, rencontrer les collectifs déjà organisés et s’appuyer sur le mouvement associatif. Ce sont des associations qui souffrent mais qui sont des experts dans leur domaine. Nous travaillions avec des associations d’habitants, nous avons essayé de rencontrer ces experts du quotidien qui ont une vraie connaissance. Nous avons essayé de construire par en bas, sur un temps long. Deux ans ça peut paraître court, mais c’est long comme travail pour rencontrer le maximum de personnes. Nous nous sommes aussi beaucoup appuyés sur l’expérience des gilets jaunes. Dans notre liste il y a des personnes qui ont beaucoup participé à ce mouvement et qui sont aussi un exemple de rupture avec les politiques traditionnels. Elles étaient à la fois animées d’un ras-le-bol mais aussi d’une volonté constructive qui les a poussé à rejoindre la dynamique de Clermont en commun. Le collectif « Nous sommes prêt.e.s » a aussi rejoint la campagne, un collectif sur les questions écologiques et principalement composé d’enseignants-chercheurs. Nous nous sommes aussi appuyés sur les savoirs scientifiques pour démontrer que les classes populaires ont les outils pour apporter des solutions, qui leur conviennent et non pas qui arrivent par en haut. Par exemple, les métropoles sont une catastrophe pour les habitantes et habitants, elles sont une catastrophe économique, une logique de concurrence effroyable, on vide les villes des classes populaires pour les rendre attractives. Nous avons tenté d’avoir cette vision d’ensemble et d’avoir des réponses concrètes. La méthodologie municipaliste c’était aussi le cadre de l’assemblée générale. Nous avons beaucoup travaillé collectivement. Toutes les décisions que nous avons pu prendre étaient prises collectivement en assemblée générale. Ce travail précieux de discussion est un moyen de se réapproprier la politique, par en bas, et aussi essayer de renverser la table de celles et ceux qui nous dirigent depuis beaucoup trop d’années. Cela a motivé les habitants et habitantes à se saisir de ces questions, à s’engager. Selon moi, l’échelle municipale est la meilleure pour s’engager. 

« Il s’agissait de dire que la ville n’est pas juste un amas de bâtiments avec des routes, c’est une communauté, des liens sociaux et des interactions entre les personnes. »

Margot Medkour – Notre nom, Nantes en commun, est une référence à Barcelone en commun, qui a été une vraie source d’inspiration. Notre conception du municipalisme, ce sont deux éléments principaux :
1) L’idée que « ce qui se fait pour nous, sans nous, se fait contre nous » nous a incité à reprendre en main tous les enjeux de notre vie concrète et à construire collectivement des solutions.
2) Une vision de la ville comme le lieu possible d’une révolution, pour inventer un nouvel ordre pour remplacer l’ordre établi. Dans l’acceptation la plus radicale, il y a l’idée que ce n’est pas juste en prenant l’État que nous pourrons changer les choses mais que c’est un changement qui se fera d’abord à des échelles très concrètes, nos quartiers, notre commune, et qu’ensuite on pourra remonter. Cette idée que l’on peut changer le monde en commençant par parler à ses voisins et ses voisines pour s’organiser collectivement. C’est possible car au niveau de la commune il y a le concret, les bases matérielles de la vie. Nous pouvions avoir une opposition avec les autres forces de gauche plus classiques qui percevaient la ville comme une sorte de coquille qu’il faut gérer de façon assez technocratique alors que nous nous souhaitions remettre un contenu très politique derrière. Nous voulions sortir de tout ce langage type déroulé argumentaire où à chaque fois que l’on nous présente une politique on le fait comme si cela relevait juste de la logique et absolument pas d’un positionnement politique. Il y avait cet enjeu pour nous de repolitiser les enjeux locaux, de faire en sorte que la commune soit une vraie commune avec des communs, une communauté politique. Il s’agissait de dire que la ville n’est pas juste un amas de bâtiments avec des routes, c’est une communauté, des liens sociaux et des interactions entre les personnes. Il s’agissait de former cette communauté politique alors que les politiques mises en place encouragent le fait que nous soyons entreposés les uns à côtés des autres sans liens et interactions, c’est évidemment encore pire aujourd’hui. Nous avions aussi l’idéal de la Commune de Paris à l’esprit, en cela Nantes en commun est aujourd’hui dans une phase davantage communaliste que municipaliste. L’approche municipaliste se fondait sur l’idée que nous pouvions profiter de l’élection pour nous saisir de l’institution, puis s’en servir comme levier. Mettre la force des institutions, notamment la force budgétaire, au service de l’écologie populaire et dans le sens des politiques que les gens auront conçues.

Marianne Maximi – Margot a dit une chose très intéressante sur la repolitisation. Avec la métropole il y a l’enjeu de plus en plus présent de la dépolitisation des politiques publiques dans un espace qui échappe aux citoyennes et citoyens. À Clermont, « leur gouvernance partagée » va du PCF, EELV, le PS mais aussi LREM, LR… tout le monde gère ensemble et nous ne sommes plus dans la politique, dans le clivage politique. Ils ont brouillé les pistes. Nous avons fait un travail pédagogique pour expliquer les enjeux à l’échelle métropolitaine. On parle d’élections municipales mais c’est aujourd’hui la métropole qui décide et les gens l’ignorent. Ils ignorent complètement qu’il y a cette co-gestion. Les dirigeants prétendent qu’il n’y a pas d’alternatives, qu’il s’agit d’enjeux sérieux. On ne débat plus politique, il n’y a que l’intérêt économique qui joue. C’est vrai qu’il faut repolitiser, notamment les budgets, car on nous fait croire qu’il n’y a plus d’enjeux politiques mais c’est complètement faux.

LVSL – Dans un contexte institutionnel de dégradation de la démocratie et de l’État social, entre mondialisation supranationale et divisions régionales intra-nationales, la commune est-elle le meilleur échelon possible des transformations écologiques, sociales et démocratiques radicales à mener pour endiguer la dépossession de notre souveraineté politique ? 

Alenka Doulain – C’est une bonne question car nous sommes plutôt un pays marqué par la passion présidentielle. Selon les rapports du GIEC, 50 à 70% des solutions face au changement climatiques sont identifiées comme appartenant à l’échelon local. En termes de souveraineté alimentaire, énergétique, etc., l’échelon local peut être très pertinent pour répondre aux enjeux, en partie, d’effondrement de nos sociétés, avec des solutions socialement acceptables. Il s’agit aussi de trouver des solutions rapides, le souci dans le fait d’attendre de grands plans nationaux ou européens c’est que cela met en œuvre de grosses machines bureaucratiques difficiles à bouger. Et puis il s’agit aussi de penser les solutions en partant des gens, en partant de l’implication des citoyens : ce sont nos rues, nos écoles, nous savons ce qui est bon pour nous. Enfin, l’échelon local permet de repenser la manière de faire de la politique, on peut y changer beaucoup plus facilement la manière dont vont fonctionner les mouvements politiques en tant que tels avant et pendant les campagnes, sur la manière dont on choisit les gens qui vont nous représenter, la manière dont on fait le programme. Aussi, sur la manière dont on fait la politique si on arrive au pouvoir, c’est plus facile d’accompagner les services, de changer le paradigme localement bien que les métropoles soient déjà de grosses machines. Il est plus facile d’entraîner des bifurcations plus rapides à cet échelon là.  Il est vrai que la question de l’échelon chatouille beaucoup les municipalistes quand on se dit qu’aujourd’hui c’est l’État français qui nous donne nos droits sociaux et nous protège. Je n’ai pas de réponse toute faite mais c’est une question qui va nous accompagner pour les décennies à venir. 

Marianne Maximi – Je rejoins ce qui vient d’être dit. C’est le meilleur échelon pour la démocratie aussi. La commune c’est, enfin c’était car les dernières élections ont montré le contraire, des élections qui intéressaient les habitantes et habitants. On a eu un contexte avec une abstention historique , mais les citoyens ont quand même des avis sur la politique locale, sur qui est leur maire et connaissent les enjeux d’une élection municipale. La question démocratique, par exemple pouvoir donner son avis par un référendum d’initiative citoyenne, peut être expérimenté à cet échelon. Pouvoir interroger directement les habitantes et habitants sur les grands projets par exemple aussi. C’est le lieu des expériences démocratiques concrètes, en tout cas en ce qui concerne la commune. La métropole est un autre échelon malheureusement, mais qui pourrait s’y prêter si on y avait accès davantage. C’est aussi un lieu de solidarités, même si les politiques sociales sont à l’échelle départementales et qu’elles sont coordonnées par l’État, la ville peut agir réellement sur les questions de solidarité entre les habitantes et les habitants. Nous allons avoir un besoin de ville qui protège, c’était un de nos slogans de campagne « protéger les habitantes et habitants », à la fois de la crise écologique mais aussi de la crise sociale sans précédent que nous allons affronter. Une ville qui protège c’est une ville qui met en place des choses concrètes dans chaque quartier, dans chaque école,… La ville peut faire ça. Elle s’est de plus en plus privée du droit de le faire en transférant de nombreuses compétences aux métropoles, mais les CCAS – Centre Communaux d’Action Sociale, ce n’est pas rien, ça peut être une puissance en termes de solidarité. À Clermont-Ferrand, la commune a gardé cette compétence mais je sais que beaucoup de métropoles ont récupéré cette compétence sociale. La commune est donc un bon échelon si l’on parvient à garder ces compétences là et que l’on freine ce mouvement de centralisme sur les grandes métropoles pour garder aussi des outils surs, comme l’a mentionné Alenka, l’autonomie alimentaire où l’on peut expérimenter des choses. Malheureusement je ne connais pas beaucoup de villes qui s’y mettent. À Clermont-Ferrand c’est pourtant un sujet qui a été porté par la liste PS mais qui aujourd’hui n’avance absolument pas en pratique. La difficulté est aussi là, nous avions face à nous des listes qui ont repris ces concepts-là et qui aujourd’hui trahissent ces engagements et éloignent les gens qui y ont cru. 

Margot Medkour – Je pense qu’il s’agit vraiment de l’échelle qui permet la réappropriation. Ce que produit notre monde capitaliste c’est ce sentiment d’impuissance, entretenu par notre système de démocratie représentative. Le sentiment que l’on ne peut rien changer. Je trouve ça affolant que nous parvenions beaucoup plus facilement à imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Nous sommes de plus en plus conscients des problèmes sociaux et écologiques mais on ne sait pas comment faire. Or, la commune c’est l’endroit le plus concret, les gens se sentent légitimes à prendre la parole car il s’agit de sujets de leur vie quotidienne. Je trouve que cela est très important car ça ouvre la voie de la repolitisation, ça ouvre la voie à la recréation de collectifs. À Nantes, nous avons ouvert des enquêtes, c’est-à-dire des temps de discussions collectives avec un processus de réappropriation autour de thématiques et de quartiers et il y avait une sorte de magie dans les discussions, on pouvait y partager des problèmes et à en faire ressortir des solutions comme si nous étions capables de tout faire. On se sentait en capacité de le faire. Ce premier pas de repolitisation et de construction collective me paraît très important dans la société dans laquelle nous vivons. Je pense qu’à l’échelle locale on peut faire une démocratie plus radicale. On peut imaginer des assemblées de quartiers, où on décide de budgets concrets et où on décide de reprendre la main sur des sujets concrets comme la nourriture, l’énergie, l’eau, etc. On peut y reconstruire cette démocratie avec des assemblées car on perçoit concrètement le périmètre du cercle. Aujourd’hui, parler de communauté politique nationale ça semble devenir abstrait alors que parler de la communauté politique à une échelle locale ça devient beaucoup plus concret. A partir de la commune on peut mettre en œuvre cette réappropriation, inventer un autre modèle de société en partant du bas. Par exemple, sur la nourriture, les communes peuvent faire beaucoup. C’est dans les villes que se concentrent le plus de personnes qu’il faut nourrir et donc ça crée des rapports de force dommageables entre les métropoles et les milieux ruraux. A travers des régies agricoles on peut retravailler ce lien ville-campagne et sortir de la métropole qui asservit tous les territoires alentours. On peut aussi faire des choses incroyables sur le logement. Nous portions cette proposition de faire des coopératives immobilières où la ville peut investir de l’argent pour faire sortir du marché des logements et peu à peu « coloniser » la ville par du logement non-marchand. Il y a aussi la santé : à Nantes, nous nous battons contre un projet de futur CHU qui vise à centraliser toutes les antennes du CHU actuel pour faire un nouvel établissement avec moins de lits et moins de soignants, ce qui va complètement à l’encontre des enseignements de la crise sanitaire. On peut aller vers un autre modèle et créer des centres de santé de proximité en faisant en sorte que les habitants soient partie prenante réellement de ces institutions. Des institutions créées par les habitants et dont ils ne soient pas que « clients ». Enfin, même sur l’énergie on peut faire en sorte que ce ne soit pas qu’un enjeu technique mais de le repolitiser en créant une régie énergétique avec un fournisseur local porté par les institutions et les habitants. On voit que sur ces sujets la commune peut prendre un rôle beaucoup plus important que ce à quoi elle est restreinte aujourd’hui. 

LVSL – Vous avez davantage divergé dans vos stratégies lors des dernières élections municipales. Ainsi, Marianne Maximi et Alenka Doulain vous êtes parvenues à obtenir des élus contrairement à vous Margot Medkour. Avec vos expériences différentes, quelle position vous semble la plus à même de permettre les transformations sociales nécessaires : dans l’institution ou en dehors ? Sinon, à quoi sert la présence dans les institutions ?

Marianne Maximi – Je dirais que nous avons une jambe à l’intérieur et une à l’extérieur. Je me définis clairement comme une militante et non uniquement comme une élue. Je l’assume tout à fait mais avec un point d’équilibre où le travail institutionnel a ses limites. Nous sommes face à une machine énorme et, pour exemple, nous avons fait 15% au second tour et nous n’avons droit qu’à 4 élus sur les 55. On ne représente pas ce qu’on pèse car le système électoral est ainsi fait. Ce n’est pas nous qui allons pouvoir infléchir les politiques que propose le maire ou le président de la métropole, ils ont largement leur majorité pour voter tout ça. La fonction que nous pouvons donc avoir en tant qu’élu est, d’une part, obtenir des informations, car tout cela est très opaque et rien n’est fait pour que ce soit lisible et facile de comprendre les enjeux. On s’attache à redistribuer l’information et tenir informés les gens pour rendre accessible ce qui se joue dans les conseils municipaux et métropolitains. Il y a aussi à faire vivre le lien entre les urnes et la rue, s’appuyer sur les luttes qui existent et les faire entrer dans les conseils. C’est en tout cas l’un de nos objectifs en tant que groupe d’élus. Cela a aussi un lien avec l’échelon municipal : on peut ramener des gens dans les conseils municipaux, en dehors de cette crise sanitaire, permettre à des collectifs, à des habitants en lutte, de venir dans les conseils et de se présenter, voir de les envahir s’il le faut. Je n’ai aucun problème avec le fait de perturber un conseil, je l’assumerais. Il y a un moment c’est la place des habitantes et des habitants d’y être aussi ! Il y a aussi l’enjeu d’être des lanceurs d’alerte parce qu’il y a des choses qui se trament sans être jamais très claires et il faut les décrypter. Nous essayons donc d’avoir accès aux informations, ce qui est une grosse bataille en soi. Quand on est dans l’opposition on ne nous donne pas les informations. Tout ça pour être des porte-paroles des luttes et ramener l’intérêt des classes populaires dans les conseils. Notamment lors des débats budgétaires où l’on parle chiffres et enjeux économiques mais jamais des gens, alors nous essayons de ramener ces débats sur des choses concrètes. Être élu ce n’est pas un aboutissement, au contraire, c’est un travail compliqué surtout quand on a un emploi à côté.  Tout ça dans un contexte particulièrement compliqué pour ce nouveau mandat, pour avoir fait celui d’avant en termes d’organisation collective nous sommes face aux nécessités de nous réinventer mais ça demande beaucoup de temps et il est compliqué d’agir comme nous l’espérions au moment des élections. Nous attendons avec impatience le printemps où nous pourrons nous retrouver plus largement car nous savons les limites que nous avons entre 4 élus.

Alenka Doulain – Nous, nous avons été très fidèles au slogan des municipalistes barcelonnais « un pied dedans et mille pieds dehors ». On essaie donc d’avoir ses deux pieds qui fonctionnent ensemble car c’est ce qui est efficace. Sur le pied dedans,  je me retrouve dans ce qu’a dit Marianne. Nous avons 3 axes. Il y a d’abord le côté porte-voix de tous ceux qui sont sous les radars de l’action municipale ou métropolitaine. Par exemple, juste avant les fêtes tous les vacataires des bibliothèques qui pendant le deuxième confinement n’avaient pas été rémunérés et comme ce sont des vacataires, ils ne sont pas représentés par les syndicats. En parler lors du conseil crée une polémique et ça fait bouger les lignes. De manière générale, comment faire pour que nos interventions viennent mettre la lumière sur des dysfonctionnements et être le porte-parole des associations, des luttes, etc. Il y a une capacité à le faire, les conseils, bien qu’en visio désormais, restent une courroie de transmission intéressante et je me dis souvent que si nous n’étions pas là personne ne le ferait. Un deuxième axe, c’est d’être sur un travail de proposition et d’imaginaire. Si dans 5 ans on veut être l’alternance dans notre ville il ne faut pas se conforter dans une posture d’opposition. Il s’agit de montrer à quoi pourrait ressembler notre ville si nous avions les manettes dans quelques années. C’est souvent cet aspect le plus difficile car quand on reçoit les dizaines d’affaires à traiter en conseil municipal, savoir sur lesquelles intervenir, le temps de rédiger l’intervention, etc., on est souvent sur de la réaction à et très peu sur se demander ce que l’on ferait à leur place.  C’est ce que nous essayons de faire, montrer à quoi ressemblerait une ville qui sortirait de la stratégie d’attractivité, qui valoriserait les métiers du liens et du care, tout cela il faut le rendre concret. Enfin, le troisième axe, c’est, par les élus, avoir des gens qui vont incarner des hommes ou des femmes politiques qui fonctionnent autrement. Oui, l’élu c’est de la représentation, c’est de la personnification, alors comment incarner cette légitimité à nous exprimer sur ce qui touche notre société. Il faut mettre en récit ces femmes et hommes politiques tels que nous aimerions qu’ils et elles soient. Des gens intègres, des gens là pour défendre l’intérêt général et non pour faire carrière. Quant aux mille pieds dehors c’est tout ce que nous essayons de faire en termes de mobilisations mais nous pourrions sans doute y mettre plus d’énergie si nous n’avions pas d’élu, typiquement je vois souvent ce qui se fait à Nantes et de fait vous allez plus loin. Les forces militantes après les campagnes se réduisent, d’autant plus en temps de covid. Il y a donc un arbitrage dans les moyens. Aussi, avoir un pied dedans peut rendre la tâche plus difficile pour les mille pieds dehors parce qu’ils se retrouvent pris dans une grille de lecture où ils sont assimilés à l’opposition municipale.

Margot Medkour – Nous ne sommes pas dans l’institution et nous sommes dans une phase, la 3e saison de Nantes en commun, que nous appelons « la contre-mairie habitante ». C’est souvent d’abord entendu dans un sens institutionnel. Nous participons à notre façon aux conseils municipaux et métropolitains en les travaillant en amont et en les commettant sur les réseaux sociaux avec un objectif d’ouvrir l’institution aux habitantes et habitants, de redonner du contexte derrière chaque grosse délibération et de les repolitiser. Quand on regarde juste comme ça un conseil, surtout lorsqu’il n’y a pas de réelle opposition à l’intérieur comme à Nantes, on ne comprend pas forcément l’incidence de telle ou telle délibération, alors on essaie de faire entendre une autre voix, une autre vision de la ville en revenant toujours à ce clivage : la métropolisation/attractivité VS la ville des habitants et de la convivialité. On s’amuse aussi à détourner les outils mis en place par la ville notamment, car chez nous ce sont des champions du «dialogue citoyen », Nantes a même eu un prix à ce sujet de la part de la Commission européenne. Pourtant, personne n’est dupe à Nantes quant aux concertations. Par exemple, nous avons récemment eu une concertation sur de futures lignes de tram avec une seule proposition, où tout est déjà tracé. Nous nous sommes saisi de cette consultation pour repolitiser le projet. Il s’agissait d’expliquer pourquoi il y a ce projet, quel est le projet politique derrière. Il y avait la possibilité de faire des propositions individuelles, nous avons collectivisé des avis en incitant les gens à mettre la même contribution sur la plateforme, dans un objectif d’y donner du poids et de sortir de cette individualisation de la parole politique qui s’accompagne d’une dépolitisation. La contre-mairie a aussi un autre sens : on pense qu’en tant qu’habitantes et habitants organisés nous avons une force pour faire des choix politiques d’impact majeur. On s’attèle à une tâche difficile : construire une ville dans la ville qui implique d’autres façons de vivre. Par exemple, il y a peu avait lieu la rentrée d’une sorte d’école d’un genre nouveau, l’Institut Nantais d’Etudes et d’Action (l’INEA), pour avoir un espace alternatif d’accès aux savoirs et aux savoir-faire pour que des jeunes puissent être dans l’action, une action politique. On s’intéresse aussi à développer un mouvement de réappropriation autour de l’énergie, ainsi qu’à ouvrir notre propre café, véritable parlement dans la ville et le but est qu’une multitudes d’autres cafés de ce type puissent voir le jour et que les habitantes et habitants initient des mini contre-mairie dans leur quartier. À travers la recréation de lien social et la repolitisation de certains enjeux dans les quartiers, peuvent se mettre en place des actions qui changent concrètement les choses. Je terminerai sur un dernier aspect de notre stratégie, c’est le fait de nous saisir de luttes majeures et locales dans lesquelles personne ne va ou dans lesquelles la mobilisation est timide. Nous avons commencé avec la lutte contre le transfert du CHU dont je parlais précédemment, il s’agit d’essayer de créer de la mobilisation, de repolitiser cet enjeu là et de faire en sorte qu’il y ait un intérêt des gens sur ce sujet. On se rend compte que les gens sont bien plus au courant de ce qui peut se passer au niveau national alors que ce qui se passe sous leurs fenêtres leur reste parfois inconnu. Ce sont aussi des projets de long terme, on ne se rend même pas compte de l’impact que cela va avoir sur notre quotidien car on ne voit pas la matérialité du projet, ni quand il commence ou se termine. 

LVSL – Au-delà de vos stratégies respectives de la prise du pouvoir, il existe une critique récurrente selon laquelle les mouvements municipalistes, seraient des mouvements imprégnés d’un certain utopisme autarcique, d’un localisme délaissant les combats politiques de plus grandes ampleurs, d’échelle nationale ou internationale. Quel regard portez-vous sur ces critiques ? Souhaitez-vous œuvrer à une structuration nationale des mouvements municipalistes ? Si oui, comment ? 

Margot Medkour – Je ne partage pas cette critique. J’aime bien parfois reprendre Bruno Latour, sans pour autant partager toute sa pensée, lorsque dans son ouvrage Où atterrir ?, il explique que nous sommes dans un monde hors-sol, où on ne s’intéresse plus au local. Je pense que nous avons besoin de nous réancrer et que c’est justement la solution pour développer une pensée universaliste, partir du local pour penser plus globalement. Au contraire, localement nous pouvons développer des utopies concrètes et très ancrées qui permettent ensuite de penser à des choses globales. Cela me fait penser à un exemple un peu à part mais dans les études sur le genre il est souvent souligné que les femmes se font fréquemment couper la parole parce que leurs propos se fondent souvent d’abord sur leur expérience personnelle pour ensuite développer un propos politique. Je pense que c’est ce que nous faisons avec le municipalisme, nous partons du concret pour ensuite développer une pensée plus universaliste. Je me tente même à dire que c’est une approche féministe, ça permet une approche qui correspond davantage à la façon dont les femmes sont éduquées. Comment peut-on se structurer nationalement ? Ce que je remarque d’abord c’est qu’il y a quelques années on ne parlait pas de municipalisme mais davantage de « démocratie réelle », notamment avec les mouvements autour de la « Belle démocratie », je considère que les mouvements municipalistes comme les nôtres ont repolitisé la démocratie. Je trouverais ça intéressant en effet de peut-être organiser des Assises du municipalisme à la française, avec cette volonté de faire correspondre la forme et le fond : mettre un contenu politique à ce qui est parfois réduit juste à des procédures démocratiques.

Marianne Maximi – Ces critiques sont du grand classique. Au contraire du repli sur soi, penser l’échelle locale permet une ouverture sur le monde, cela permet de penser des enjeux très internationalistes. L’internationalisme c’est là d’où je viens, c’est au centre de notre action politique localement aussi. Je prends l’exemple de l’écologie : d’autres forces politiques développent une vision très morale de l’écologie sans se poser la question d’impacts ailleurs. Dans les débats, j’aime beaucoup contredire les autres forces lorsqu’elles nous disent qu’elles veulent développer les vélos électriques en ramenant l’idée que notre consommation locale et nos choix politiques locaux ont un impact ailleurs dans le monde. Nous ne vivons pas hors du monde, tout est connecté. Pour les batteries électriques par exemple, je pense aux Boliviens qui se font piller pour construire ces batteries. Ces choix politiques il faut les voir à l’échelle mondiale. Ce sont ceux qui veulent être purs localement, sans penser au reste du monde, qui se replient sur eux. Sur l’utopie, nous aimions bien dire que l’utopie c’est ce qui n’a pas encore été réalisé. Nous ne sommes pas fous, au contraire il s’agit de démontrer par l’expérience de terrain que c’est possible. Enfin, sur la structuration, je pense qu’il faut mettre en réseau les expériences. Je pense que nous nous sommes toutes inspirées de ce qui existait déjà, il y a des choses que nous n’avons pas inventées. Nous sommes allés voir Barcelone, Naples sur la question des centres sociaux, au Brésil sur la question de la démocratie directe, il y a énormément de choses qui existent ensuite l’enjeu est de savoir quel partage on en fait. C’est important de parler de mise en réseau sans chercher à aller donner des leçons, il faut se garder de vouloir aller expliquer aux autres ce qui est bon pour eux. Pour ma part j’aime bien quand les Zapatistes disent « fais d’abord la révolution chez toi et après viens nous aider ». C’est important de d’abord se construire localement et de réussir là où nous sommes. L’internationalisme est donc fondamental pour penser le local et je pense que nous sommes les seuls à agir avec une vision de solidarité globale.

Alenka Doulain – Je suis donc moi aussi tout à fait d’accord sur le fait de ne pas être d’accord avec ces critiques sur le « repli sur soi » et sur le «localisme ». L’échelon local est l’échelon sur lequel deviennent très concrets les impacts des politiques libérales nationales ou européennes. Quand on parvient à repolitiser les délibérations des conseils municipaux ou métropolitains on constate à quel point elles traitent de sujets qui peuvent être montés en généralités et sont l’incarnation des rapports de force qui existent aujourd’hui dans notre société. Je crois beaucoup à ce que Bookchin appelle « la conscience des lieux », qui ne s’oppose pas à la conscience de classe mais qui est une réalité qui peut porter ses fruits. Cela n’empêche pas le passage aux échelons au-dessus, au contraire ça peut venir les nourrir. Est-ce que le municipalisme se limite à l’échelon municipal ? Non, d’autres échelons sont intéressants. Je vois les élections départementales qui arrivent par exemple, mais aussi au sujet des fractures qui existent au sein de la société française, comme entre la France périphérique et la France des grandes villes. Je crois que ce sont de vrais sujets intéressants à traiter au plus proche de chez soi. Comment pourrions-nous organiser d’autres formes de solidarité territoriale ? Comment pourrait-on régler ces fractures-là qui d’un point de vue électoral ont des impacts énormes avec deux France qui peuvent sembler irréconciliables. Ce sont des sujets qui doivent s’articuler localement et pour lesquels il y a le moins de discours intéressants nationalement ou à l’échelle européenne. Quant à la structuration en réseau des mouvements municipalistes, je crois que nous le faisons déjà de fait. Nous allons déjà beaucoup voir ce qui se fait ailleurs, cela nous inspire et on le remet à notre sauce. Action commune offre une piste pour construire et montrer comment notre offre écosocialiste, ou d’écologie populaire, elle est structurante dans nos mouvements. Ensuite, je pense quand même que l’élection présidentielle va être extrêmement importante, c’est un moment où se reconfigure l’espace politique français. Si je devais faire un rêve, c’est qu’une sorte d’écosystème se mette en place en France, où l’on pourrait mélanger à la fois des mouvements qui agissent sur la façon dont on pourrait faire naître de nouvelles incarnations politiques de façon comparable à ce qu’accomplit le mouvement « brand new congress » aux États-Unis qui a fait émerger des personnalités comme Alexandria Ocasio-Cortez en allant chercher des gens qui jamais ne se pensaient comme élus potentiels pour représenter les leurs. Donc, comment on pourrait articuler ces mouvements et enfin raconter d’autres histoires que les politiciens qui nous gouvernent, avec des mouvements de community organizing de gens autour de luttes très concrètes, et qui génèrent beaucoup de pouvoir d’agir. A partir de là, il vont construire un discours politique sur ce qu’il faudrait changer au niveau national ou européen. Aussi, à cette double articulation peut s’ajouter un écosystème de médias qui construisent une autre parole. Je ne pense pas que nous arriverons à faire quelque chose d’ici la campagne de l’élection présidentielle mais pour l’après cela peut être quelque chose de structurant. Je me permets quand même de parler de 2022 puisqu’au fond de moi je sais que c’est un moment qui va jouer et que c’est un coche à partir duquel nous pourrions ensuite construire une force populaire avec d’autres.

Margot Medkour – J’aime bien cette idée d’imaginer une sorte de « Justice democrats » à la française autour de nos mouvements municipalistes !
Je souhaitais juste souligner un point : Johanna Rolland est proche de Eric Piolle et d’Anne Hidalgo. Ils se réapproprient un discours pseudo-municipaliste mais d’une façon complètement dépolitisée. Je trouve qu’il y a potentiellement l’ouverture d’une bataille culturelle. Ils ont ce talent de récupérer certains des éléments de nos discours en les vidant de leur substance politique. C’est un des dangers pour nous.

Alenka Doulain – Cette bataille sera difficile à mener dans le sens où notre courant municipaliste, porteur de radicalité, compte peu de personnalités qui ont réussi à devenir visibles. Léonore Moncond’huy, maire de Poitiers, est peut-être la success story des municipales de 2020 et encore elle est elle-même beaucoup happée par ces réseaux là. Ces grands maires, Piolle, Hidalgo,… ont beaucoup de moyens et des agendas présidentiels. On risque d’avoir plusieurs maires candidats à la présidentielle. Il va falloir que nous soyons bons !

Marianne Maximi – Je suis d’accord sur cet enjeu ! Ce que nous construisons ne doit pas nous échapper. Ce que vous notez je le vis aussi dans ma ville avec ces partis qui n’ont aucun scrupule à aller à la soupe tout en essayant de garder une jolie image de gauche. Nous avons aussi le devoir de dévoiler cela, leurs choix et leurs façons de faire. Je rejoins aussi Alenka sur 2022, qu’on le veuille ou non, c’est comme ça que ça fonctionne dans notre pays et c’est une grosse séquence politique. C’est une période qui peut faire émerger de nouvelles figures, c’est ce que nous avons essayé, nous-mêmes, de faire sur ces municipales. Il faut faire émerger d’autres figures, des jeunes femmes, pour bousculer le vieux champ politique. Il faut inciter, accompagner et former cette génération pour qu’elle prenne la place qui est la nôtre : je suis assez fière que nous ayons pu incarner cela. Donc, lors des autres échéances, les législatives notamment, il va falloir qu’il y ait d’autres figures qui émergent, le parcours de ces de femmes qui arrivent dans le champ politique aux États-Unis est une bonne inspiration. A nous de jouer, de continuer à construire, nous avons du travail !