À la fin de l’été, le gouvernement vénézuélien s’était engagé dans un processus de dialogue avec l’opposition vénézuélienne, des années après une escalade de tensions et de violences dans la région. L’extradition aux États-Unis d’Alex Saab, homme d’affaire proche du président Nicolas Maduro, paralyse le dialogue depuis octobre dernier.
Après l’échec des dernières discussions à la Barbade en 2019, un nouveau cycle de négociations s’est ouvert l’été dernier à Mexico entre le gouvernement de Maduro et les différentes tendances de l’opposition, sous la médiation de la Norvège. La sortie de Donald Trump de la Maison Blanche d’une part, et l’affaiblissement de l’opposition vénézuélienne d’autre part, rebattent les cartes des pourparlers, permettant au président Nicolás Maduro d’affirmer sa légitimité de chef de l’État.
Aux origines des troubles politiques
En 2014, le Venezuela entre dans une crise économique de grande ampleur déclenchée par la baisse des cours du pétrole, dont les recettes représentent alors 90% des exportations et 50% du budget fédéral [1]. Pendant ses quinze années à la tête de l’État, le pouvoir chaviste avait en effet misé sur la rente pétrolière pour financer ses programmes sociaux, accroissant davantage la vulnérabilité économique du pays et sa dépendance vis-à-vis des exportations pétrolières. Un an après la mort du président Hugo Chávez, l’effondrement du cours du baril prive le pays de l’essentiel de ses ressources. Surfant sur les vagues de la crise et profitant des erreurs du gouvernement – telle que l’émission excessive de devises par la Banque centrale – l’oligarchie marchande alimente le marché noir du dollar. Cette flambée du dollar parallèle, combinée à la fuite des capitaux déjà opérante depuis le début du mandat de Chávez, vient aggraver une situation déjà difficile. Hyperinflation, pénurie… le Venezuela s’enlise. En 2015, le déclenchement des sanctions étasuniennes, suivies de celles de leurs alliés, précipite la chute libre de son économie [2].
Fin 2014, le Congrès des États-Unis adopte la loi 113–278 dite « Loi de défense des droits de l’Homme et de la société civile au Venezuela » qui constitue la base légale des décrets suivants de sanctions économiques unilatérales.
Les premiers décrets de sanctions, signés sous Barack Obama, déclarent le Venezuela « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis » et interdisent d’entretenir des relations commerciales et/ou financières avec une liste de personnalités proches du pouvoir. À partir de 2016 le blocus financier commence, les institutions vénézuéliennes titulaires de compte bancaires à l’étranger se voient stipuler des restrictions pour la réalisation de paiements en dollars.
L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche donne un coup d’accélérateur, le Venezuela est mis à l’isolement : interdiction des transactions avec l’État vénézuélien, la Banque centrale et PDVSA (entreprise pétrolière publique), gels des avoirs financiers… les conséquences sont désastreuses. Voyant sa notation sur les marchés internationaux dégringoler, le pays se retrouve dans la quasi-impossibilité de se financer par l’emprunt.
Les États-Unis, qui représentaient 40% des exportations pétrolières du pays, se sont fermés à son marché. En février 2021, la production de pétrole plafonne à 500 000 barils par jour contre trois millions au début des années 2010 [3].
Paralysé, l’État n’est plus en mesure d’importer les produits nécessaires et les sanctions économiques s’accompagnent de graves conséquences sociales. Une étude du Center for Economic and Policy Research fait état de 40 000 morts causées par ces mesures pour les années 2017 et 2018, notamment en ce qu’elles perturbent l’importation de produits de première nécessité ou de médicaments [4].
Une opposition prête à tout pour en finir avec le chavisme
Naturellement, les tensions entre le chavisme et l’opposition ne datent pas d’hier. Déjà en 2002, la frange radicale de l’opposition, représentant les intérêts d’une oligarchie marchande, tentait un coup d’État contre le jeune gouvernement d’Hugo Chávez [5].
La crise économique de 2014 fut alors saisie par la droite vénézuélienne comme une nouvelle opportunité et devint l’argument principal au renversement du pouvoir. Le pays fut la proie de nombreuses tensions internes, alimentées par des groupes politiques dont l’objectif était de faire tomber le gouvernement par la violence.
Auto-dénommée « La Salida » ( « la sortie » en espagnol), la stratégie de l’opposition est de destituer le président Nicolás Maduro par tous les moyens. Les mobilisations de rue – à la violence assumée – organisées par la droite tournent en affrontements entre opposants et chavistes. Entre 2014 et 2017, ces tensions font plus d’une centaine de morts et provoquent des milliers de blessés. Pendant les six premiers mois de l’année 2017, les manifestations connaissent un regain de force et de violence, faisant un bilan de 115 morts [6].
En parallèle, sur fond de crise économique, le chavisme perd une part de l’adhésion populaire, et les élections législatives de décembre 2015 amènent une majorité de députés de droite sur les bancs de l’Assemblée nationale. Leur projet est clair : la destitution du président Maduro. Quelques semaines après l’élection, le Tribunal suprême – acquis au pouvoir – déclare l’Assemblée nationale en situation d’illégalité pour compter dans ses rangs trois députés soupçonnés de fraude. Depuis lors, gouvernement et pouvoir judiciaire court-circuitent l’institution. Suite au blocage parlementaire et à des arrestations ou déclarations d’inéligibilité de plusieurs de ses candidats, l’opposition choisit de boycotter l’élection présidentielle de 2018. C’est donc sans surprise que celle-ci donne vainqueur le président sortant.
Le 23 janvier 2019, les tensions atteignent leur point culminant lorsque Juan Guaido, alors président de l’Assemblée nationale, s’auto-proclame « président de la République par intérim ». Cet acte de « putsch institutionnel », largement relayé médiatiquement et diplomatiquement, fait entrer le Venezuela dans une crise politique profonde. Presque immédiatement après sa déclaration, Juan Guaido est appuyé par les États-Unis puis, dix jours plus tard, par l’Union européenne. Sur le Cône Sud, le président auto-proclamé peut notamment compter sur le soutien du Chili, de la Colombie, ou de l’Argentine. Donald Trump évoque plusieurs fois la possibilité d’une intervention militaire. Mais ce coup de force et l’appui international qu’il reçoit ne suffisent pas, Nicolás Maduro se maintient au pouvoir.
Deux ans plus tard, avec sa stratégie de boycott des processus électoraux qui a isolé la droite de la scène politique, les chavistes reprennent l’Assemblée nationale en 2020 malgré une forte abstention. La tentative de Guaido ayant échoué et le boycott ayant peu d’impact, la droite vénézuélienne s’oriente désormais vers une solution négociée, une issue qui arrange aussi le pouvoir chaviste.
L’enjeu de ces négociations
Du côté des chavistes, l’enjeu est la suppression des sanctions économiques qui touchent le pays et tendent à le maintenir dans une situation de crise profonde.
Dernier exemple en date, la Cour suprême britannique doit se prononcer dans les prochains mois sur le refus de la Banque d’Angleterre de restituer ses réserves d’or à la Banque centrale du Venezuela. Cette propriété, d’une valeur estimée entre 1,3 et 2 milliards d’euros, est refusée depuis 2018, année de réélection du président Maduro, par le Royaume-Uni qui ne la reconnaît pas [7].
Bien qu’il soit en posture délicate, ces négociations sont une victoire pour le pouvoir chaviste, permettant à Maduro de s’affirmer comme président légitime du Venezuela. Saluées par les États-Unis et l’Union européenne notamment, les négociations redorent l’image du pouvoir sur la scène internationale. Maduro, dont l’opposition espère la démission au travers de ces négociations, a réitéré la légitimité des dernières élections et de son mandat, qu’il entend exercer jusqu’à son terme en 2024.
Du côté de la droite vénézuélienne les revendications sont multiples mais se concentrent sur un point en particulier : l’organisation du calendrier électoral. Pour revenir sur le terrain politique, la droite espère obtenir des garanties pour l’organisation des prochains scrutins et un calendrier transparent.
La force principale de cette opposition est aussi sa faiblesse : sa diversité. Rassemblée autour de l’objectif de destituer le président Maduro à l’occasion des législatives de 2015, la coalition de la MUD réunit un spectre politique très large. Cependant, entre les modérés libéraux et les extrêmes putschistes, les nuances sont causes de divisions lorsqu’il s’agit de déterminer leurs actions politiques. En effet, la stratégie de boycott des scrutins électoraux n’a pas été suivie par l’ensemble des sensibilités de l’opposition, notamment par les tendances les plus modérées. Lors des ultimes élections législatives de 2020, Allianza Democrática et Venezuela Unida, deux coalitions composées de partis anciennement membres de la MUD, participent au scrutin. Ces deux coalitions réunies obtiennent 22% des voix contre 69% pour les chavistes. Entre ceux qui participent et ceux qui ne participent pas, l’opposition peine à trouver une cohérence.
D’autre part, Juan Guaido, censé représenter une des figures centrales de l’opposition, est aujourd’hui isolé politiquement. D’abord au sein de son propre parti, Voluntad Popular, dont il n’est plus membre et s’est écarté depuis 2020. Ensuite et de manière générale, il se trouve écarté de l’opposition, que des révélations sur un scandale de corruption touchant Guaido et son entourage [8] ont poussé à s’éloigner. Enfin, la perte de son mandat de président de l’Assemblée nationale des suites de la nouvelle législature embarrasse ses soutiens internationaux et lui a fait perdre l’appui officiel de l’Union européenne [9].
Le 5 septembre dernier, dans le cadre des négociations, Maduro a rejeté toute option de grâce des responsables directs des crimes commis lors de l’escalade des tensions de 2018–2019, une manière de viser, sans le nommer, Juan Guaido, déjà très isolé politiquement.
L’état des négociations
Après deux rencontres au Mexique, les deux parties ont finalement réussi à conclure deux engagements. En premier lieu, un mémorandum, contenant un protocole de négociations pour arriver à un accord, stipule les sujets qui devront être abordés lors des prochaines rencontres. On y retrouve la question de l’organisation des prochaines élections, les sanctions économiques, les droits politiques pour tous, le respect de l’ordre constitutionnel, le renoncement à l’utilisation de la violence, la protection de l’économie nationale et le respect des futurs accords.
Lors de la seconde série de négociations, deux éléments très importants ont été convenus. D’abord, l’opposition accepte de participer aux prochaines élections régionales et municipales qui se tiendront le 21 novembre prochain.
Ensuite, dans l’accord partiel signé par les deux parties, celles-ci affirment leur désir conjoint d’aller vers une amélioration de la condition des Vénézuéliens. S’agissant des sanctions, les deux parties s’engagent à désigner des représentants qui doivent étudier leur impact sur la condition de vie des Vénézuéliens. Cependant, le texte reste vague et n’affirme pas la volonté ferme de mettre fin aux sanctions économiques.
Beaucoup de questions restent encore en suspens. Les négociations dont l’avancée était encourageante sont aujourd’hui au point mort. La troisième rencontre qui devait avoir lieu fin septembre fut d’abord annulée du fait d’un différend diplomatique entre le Venezuela et la Norvège, pays médiateur. La déclaration de la Première ministre norvégienne Erna Solberg à l’Assemblée générale de l’ONU, dans laquelle elle se disait « préoccupée par la violation des droits humains au Venezuela » provoqua la rupture des négociations par le pouvoir vénézuélien, qui remit en question l’impartialité du médiateur des négociations. La Première ministre dut présenter des excuses.
Un dernier épisode met sérieusement en danger la poursuite des négociations : l’extradition depuis le Cap-Vert vers les États-Unis de l’homme d’affaires proche de Maduro Alex Saab. Intermédiaire important du pouvoir vénézuélien, il est accusé – enquête en cours – par les États-Unis de blanchiment d’argent et d’avoir permis l’enrichissement personnel de Maduro et ses proches. Il avait été arrêté au Cap-Vert en juin 2020, alors qu’il faisait escale sur la route d’une mission diplomatique. À la nouvelle de son extradition, les autorités vénézuéliennes ont répondu par la rupture unilatérale des négociations qui devaient se tenir mi-octobre.
Perspectives de ces négociations
À cette heure-ci, les yeux se tournent vers les États-Unis. Les futurs échanges avec le Venezuela seront déterminants dans le sort des négociations. Finalement, dès l’origine, Washington en était un acteur incontournable. Se réunissant avec l’opposition, le pouvoir chaviste avait déclaré : « Quand nous nous sommes assis à cette table, nous avons compris que nous nous asseyions avec les États-Unis ». Les États-Unis et leurs alliés restent en effet les ultimes décideurs quant à la question des sanctions économiques.
Si ces négociations marquent un tournant positif pour la région, la possibilité finale d’une entente entre les chavistes et la droite vénézuélienne et surtout avec la puissance étasunienne reste en suspens. La position stratégique du pays, première réserve de pétrole mondiale, mais aussi sa place symbolique en tant que non aligné font du Venezuela un pays clé dans la géopolitique de la région.
Notes :
[1] Chiffres qui fluctuent selon les sources : CEPAL ; CIA
[2] LAMBERT, R. « Venezuela, les raisons du chaos » , Le Monde diplomatique, décembre 2016
[3] OPEP
[4] WEISBROT, M., SACHS, J., « Sanciones económicas como castigo colectivo: El caso de Venezuela » , Center For Economic and Policy Research, mai 2019
[5] Documentaire « La révolution ne sera pas télévisée » réalisé par Kim BARTLEY et Donnacha O’BRIEN, 2003
[6] Conflictividad social en Venezuela en marzo de 2014, Observatorio Venezolano de Conflictividad Social
[7] LAURIN, A. « Le sort de l’or vénézuélien est entre les mains de la Cour suprême britannique » , Les Echos, 23 juillet 2021
[8] BÈLE, P. « Venezuela : l’opposant Juan Guaido de plus en plus isolé », Le Figaro, 5 janvier 2021
[9] BÈLE, P. « L’UE ne reconnaît plus Juan Guaido comme président légitime du Venezuela », Le Figaro, 25 janvier 2021