Osons Comprendre : « L’Avenir de l’énergie »

©Vincent Plagniol.

Quel mix énergétique pour demain ? Peut-on se passer du nucléaire ? Parviendra-t-on au 100 % renouvelable ? Dans L’Avenir de l’énergie (Éd. Flammarion), Ludovic Torbey et Stéphane Lambert s’attaquent à un sujet lourd qui nous concerne tous. Simple et richement documenté, le livre des fondateurs d’Osons Causer et Osons Comprendre répond avec exhaustivité à toutes les questions indispensables d’un débat dont tout le monde doit urgemment s’emparer. Entretien.

LVSL – Le débat sur l’énergie a pris beaucoup d’importance ces dernières années, en lien notamment avec une préoccupation grandissante pour les enjeux climatiques. Sommes-nous sur la bonne trajectoire pour réaliser notre transition énergétique ?

Osons Comprendre – En un mot : non. En une phrase, la France diminue ses émissions, même en comptant celles qui sont faites dans d’autres pays pour notre consommation, mais à un rythme trop faible, et notre dépendance au pétrole et au gaz reste très forte.

Le gouvernement communique sur les premières estimations des émissions de gaz à effet de serre qui indiquent une baisse de 2,8 % pour 2022. L’essentiel de cette baisse est due à la météo clémente et à la hausse des prix de l’énergie qui ont contraint de nombreux ménages et entreprises à réduire leur consommation. Ces baisses seront-elles pérennes ? Pas sûr et, plus fondamentalement, elles ne sont pas suffisantes. Si on suit les recommandations du Haut Conseil pour le Climat, la France devrait réduire ses émissions de 4,7 % par an pour tenir ses objectifs pour 2030. Nous ne sommes pas du tout sur cette trajectoire aujourd’hui. Les causes de ce retard sont multiples. La France accuse un grand retard sur la rénovation énergétique des bâtiments, on est bien loin du rythme de croisière des 500 000 rénovations performantes par an environ que la France doit tenir jusqu’à 2050. Sur la mobilité, le fret ferroviaire est quasiment au point mort, le démarrage de la voiture électrique est encore timide et le gouvernement a abdiqué sur les 110 km/h sur autoroute, alors que le bouclier tarifaire sur l’essence et le diesel lui fournissait une opportunité unique. Les émissions du transport ont augmenté de 2 % en 2022. Même l’électricité, havre bas carbone depuis l’achèvement du programme nucléaire dans les années 1990, a augmenté ses émissions à cause de la sécheresse et de l’indisponibilité des centrales nucléaires due aux programmes de maintenance et aux problèmes de corrosion. Le retard sur les énergies renouvelables n’aide pas non plus. Bref : le compte n’y est pas.

LVSL – Le nucléaire fait un retour en force après avoir été critiqué pendant deux décennies. Comment expliquez-vous le revirement de l’opinion française malgré les difficultés actuelles de la filière ?

Osons Comprendre – Le contexte de crise énergétique, avec tension d’approvisionnement et flambée des prix, a probablement joué dans ce regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire. Remplacer les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – qui fournissent encore aujourd’hui les deux tiers de la consommation énergétique annuelle, demandera d’augmenter notre production d’électricité.

Le nucléaire apparaît aujourd’hui comme une source d’électricité bas carbone, et capable de produire en continu.

Même avec de la sobriété, il faut plus d’électricité pour remplacer les chaudières au fioul et au gaz, les voitures thermiques à essence, etc. Le nucléaire apparaît aujourd’hui comme une source d’électricité bas carbone, et capable de produire en continu. C’est un atout majeur à côté du développement nécessaire du solaire et de l’éolien. Avec la prise de conscience accrue de l’enjeu climatique, la lutte historique de l’écologie politique contre l’énergie nucléaire semble passer aujourd’hui au second plan.Beaucoup de gens se disent, y compris à gauche et chez les écolos : d’abord on s’assure d’avoir assez d’électricité bas carbone, en utilisant toutes les armes dont on dispose, nucléaire et renouvelables – et ensuite seulement on sortira du nucléaire si on est sûrs de pouvoir y parvenir sans problèmes.

LVSL – Peut-on atteindre un mix énergétique 100 % énergies renouvelables et sortir du nucléaire à horizon 2050 ?

Osons Comprendre – Il existe des scénarios qui prévoient une sortie du nucléaire et un mix 100 % énergies renouvelables en 2050, notamment dans le rapport RTE paru fin 2021. Cela dit, il reste de fortes incertitudes techniques et économiques sur ce pari. Il n’est pas certain qu’on parvienne à stocker les grandes quantités d’hydrogène nécessaires pour produire l’électricité quand le vent et le soleil manquent. Au-delà de cette inconnue technique, RTE est formel : un système électrique 100 % renouvelable coûtera plus cher qu’allier renouvelables et nucléaire. Si l’électricité est plus chère, ce sont les précaires qui en pâtiront le plus. Cela pénalise les emplois électro-intensifs – coucou les boulangers – et ça peut ralentir l’électrification des secteurs qui utilisent encore le gaz et le charbon pour produire de l’énergie, notamment dans l’industrie ou le chauffage, ce qui serait mauvais pour le climat. Enfin, les scénarios 100 % renouvelables peuvent avoir du mal à faire face à des besoins plus élevés que prévu en électricité. Si la rénovation énergétique des bâtiments ne décolle pas ou si l’on relocalise certaines activités industrielles, la consommation électrique de la France de 2050 sera difficile à absorber pour un système s’appuyant uniquement sur les renouvelables. Construire de nouveaux réacteurs nucléaires en plus du solaire et de l’éolien permet bien plus facilement d’encaisser une consommation d’électricité supérieure.

LVSL – Quelles sont les énergies renouvelables les plus utiles pour réaliser la transition énergétique ?

Osons Comprendre – Il y a d’abord la « biomasse ». Ce mot inutilement technique désigne les énergies issues des végétaux : les biocarburants liquides, le biogaz et la « biomasse solide » alias, le bon vieux bois de chauffage. Ces énergies sont renouvelables et supposées bas carbone puisque le CO2 émis lors de leur combustion est « compensé » par celui capté par photosynthèse lors de la croissance de la plante ou de l’arbre. Selon la Stratégie nationale bas carbone toujours en vigueur – elle sera révisée dans l’année – la biomasse devra fournir 45 % de l’énergie du pays en 2050. Ce chiffre nous semble grandement optimiste. Suivant un rapport de France Stratégie de 2021, nous doutons qu’une telle quantité d’énergie puisse être extraite de nos forêts et de nos champs sans entrer en conflit avec d’autres objectifs – notamment d’agriculture durable. C’est un point important et peu connu, qu’on développe dans notre livre. Voilà pourquoi nous estimons important de déployer principalement les énergies renouvelables électriques.

Les barrages hydroélectriques à réservoir ont l’immense avantage d’être pilotables : on les fait produire quand on veut. Les barrages au fil de l’eau produisent en continu, ce qui est très pratique aussi. Mais d’une part, le réchauffement climatique va impacter cette production avec la hausse des sécheresses, et de l’autre, le potentiel de nouveaux barrages en France est limité.

Le solaire et l’éolien sont complémentaires de nos deux sources d’électricité historiques.

Les stars des renouvelables sont sans conteste le solaire et l’éolien, dont les prix se sont effondrés. Leur principal défaut, quand on vise le 100 % renouvelable, reste la gestion de leur production variable ou intermittente. Quand vent et soleil manquent, la production d’électricité est basse. Les barrages et les centrales nucléaires peuvent prendre le relais. Voilà pourquoi, selon nous, le solaire et l’éolien sont complémentaires de nos deux sources d’électricité historiques.

LVSL – Des observateurs comme Jean-Marc Jancovici considèrent que le nucléaire est quasi sans risques. Est-ce le cas ? À quels problèmes se heurte-t-on ?

Osons Comprendre – Comme toute activité industrielle, le nucléaire comporte des risques. On a tous l’image des pires accidents : Tchernobyl et Fukushima. Après de longues recherches sur le sujet que nous avons déclinées en vidéos sur notre chaîne et sur notre site Osons Comprendre, nous estimons que les risques liés aux déchets et aux accidents nucléaires en France sont correctement gérés et très faibles. L’indépendance de notre instance de contrôle, l’ASN, armée de l’expertise de l’IRSN, n’y est pas pour rien. Cela dit, le risque zéro n’existe pas.

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Le pari du 100 % renouvelable comporte un risque, celui de ne pas parvenir à produire suffisamment d’électricité décarbonée et à un prix modeste.

Si le pari du 100 % renouvelable ne comportait aucun risque, le risque nucléaire, même infime, condamnerait tout de suite le pari de l’atome. Mais ce n’est pas le cas. Le pari du 100 % renouvelable comporte un risque, selon nous majeur, celui de ne pas parvenir à produire suffisamment d’électricité décarbonée et à un prix modeste.

Si on reste dépendants au gaz fossile plusieurs dizaines d’années, si on produit une électricité plus chère, si on manque d’électricité, alors on risque de détruire davantage le climat et d’avoir une énergie chère et limitée qui pénalisera les emplois et le niveau de vie de tous, à commencer par les plus pauvres.

On développe ça bien plus en détails dans notre livre, mais on est donc face à un choix entre deux risques : les risques faibles d’un grave accident nucléaire vs les risques plus élevés de rater notre transition énergétique si on se prive de l’outil de décarbonation qu’est l’électricité nucléaire. À chacun de choisir.

LVSL – La solution, en définitive, ne passe-t-elle pas par un grand effort de sobriété comme démontré cet hiver ?

Osons Comprendre – Dans tous les scénarios, la sobriété énergétique facilite la transition énergétique. Cela dit, elle ne résout pas tout. Pour le comprendre, il suffit d’explorer le scénario proposé par Négawatt, l’association en pointe sur la sobriété énergétique. Malgré des efforts de sobriété conséquents au niveau national – la fin des vols intérieurs, la division par 2 du transport de marchandises, la hausse du nombre de personnes par logement malgré le vieillissement de la population et la hausse des divorces – Négawatt estime que la France sobre de 2050 consommera environ 10 % d’électricité en plus qu’aujourd’hui. Ça se comprend très bien : même si on consomme moins d’énergie, l’électrification du chauffage, de la mobilité, de l’industrie demandera de l’électricité.

Osons Comprendre. L’Avenir de l’énergie
Éditions Flammarion, 13,90 €

Conclusion : la sobriété, c’est utile, et au moins dans certains secteurs comme l’aviation, c’est même nécessaire, mais ça ne nous fait faire qu’un (petit) bout du chemin vers une énergie 100 % bas carbone.

La sobriété ne doit pas non plus être un mot cache-sexe pour la pauvreté face à une énergie rare et chère. La sobriété c’est choisi. Quand c’est subi, c’est de la pauvreté. La sobriété demande une volonté individuelle et collective, et certainement aussi de la justice : difficile de demander des efforts de sobriété si les plus riches explosent les bilans carbone. Si l’enjeu de la sobriété vous intéresse, on le développe bien plus en détail dans notre livre L’Avenir de l’énergie, et en vidéos sur notre site de vulgarisation Osons Comprendre.