Politique agricole commune : une absence de vision stratégique agricole de long-terme

La politique agricole française prévue par le gouvernement d’Emmanuel Macron est insuffisante pour faire face aux enjeux du monde agricole. C’est en somme ce que vient d’annoncer, lundi 4 avril, la Commission européenne en réponse au plan stratégique national (PSN) proposé par la France pour 2023-2027. L’absence de stratégie de long-terme pour le monde agricole, notamment en matière de développement de l’agroforesterie, est même dénoncée par la très libérale institution européenne. Il existe pourtant une réelle marge de manœuvre pour mettre en œuvre une politique agricole ambitieuse à même de répondre aux enjeux de notre temps, entre transition agroécologique, alimentation saine et rémunération des agriculteurs.

La Politique Agricole Commune, mastodonte des politiques européennes

Pensée par le traité de Rome en 1957 et entrée en vigueur en 1962, la PAC a été conçue historiquement par une volonté de moderniser et développer l’agriculture tout en subventionnant les producteurs et en contrôlant les prix agricoles. Elle était à l’époque le pendant indispensable du principe de libre circulation des marchés à l’œuvre en Europe, susceptible de fragiliser et de générer une instabilité sur les marchés alimentaires de base, avec de possibles conséquences désastreuses pour les agriculteurs et les consommateurs. La PAC est, à l’origine, résolument productiviste afin d’assurer la souveraineté alimentaire d’une UE alors défaillante en la matière. Malgré quelques réorientations, ces grands objectifs n’ont pas changé : soutien aux revenus des agriculteurs, amélioration de la productivité agricole, garantie de prix stables. À ces objectifs initiaux se sont ajoutés au fur et à mesure de l’évolution des politiques européennes, plusieurs autres buts : contribution à la lutte contre le changement climatique, gestion durable des ressources, développement rural, maintien de l’emploi agricole et soutien à l’industrie agroalimentaire.

Financée sur le budget de l’UE, la PAC représentait en 2019 58,82 Mds€ à l’échelle européenne, répartis entre l’aide aux revenus des agriculteurs (70%), le développement rural (25%) et les mesures de marché visant à garantir la stabilité des prix (5%). La PAC représente environ 36% du budget global de l’UE et constitue donc le principal poste de dépenses. La France en est la principale bénéficiaire et touchait entre 2014 et 2020 une moyenne de 9,1 Mds€/an.

Premier pilier et second pilier, de quoi parle-t-on ? La PAC se divise en deux grands pans, le premier pilier et le second pilier, eux-mêmes compartimentés en différentes mesures et dispositifs d’aides. Le premier pilier représente environ 75% de la PAC et vise principalement à soutenir les revenus des agriculteurs à travers plusieurs outils : un paiement dit « de base » proportionnel au nombre d’hectares, un paiement redistributif ciblant les plus petites exploitations, une dotation à destination des jeunes agriculteurs et des aides dites « couplées » destinées à soutenir certaines productions et en particulier l’élevage ou les légumineuses. Enfin, le premier pilier est complété par un paiement dit vert, supposé encourager des pratiques agroenvironnementales vertueuses. Il n’en est rien comme on le verra plus loin. Le second pilier (les 25% restants), cofinancé par les États membres, est orienté vers le développement rural. Il sert en particulier à la modernisation des exploitations, aux aides à l’installation, au soutien des exploitations en zone désavantagée (dite « indemnité compensatoire de handicap naturel »), au soutien à la conversion à l’agriculture biologique. Pour ce dernier poste, il promeut des pratiques agro-environnementales vertueuses à travers les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).

La PAC donne lieu à des programmations de 7 ans et laisse une certaine flexibilité aux pays dans la manière de mobiliser les crédits européens. La prochaine programmation (2021-2027) actuellement en délibération est déclinée dans chaque pays par un Plan stratégique national (PSN) qui doit être validé par Bruxelles.  Il doit entrer en vigueur entre fin 2022 et début 2023.

Une PAC jusque-là incapable de répondre aux enjeux auxquels l’agriculture fait face

La réforme de la PAC souhaitée naissait du constat que la programmation actuelle n’était pas à la hauteur des enjeux. Un tableau des défauts de la politique agricole actuelle s’impose donc pour commencer. Tout d’abord, la PAC s’avère incapable de garantir des revenus décents aux agriculteurs. Le salaire moyen des agriculteurs stagne à 1390€ mensuels avec de fortes disparités. Ce sont en particulier les éleveurs (1090€) et les céréaliers (980€ avec toutefois de très fortes disparités), qui sont les moins bien lotis actuellement. Les soutiens sous formes d’aides directes sont très inégalement répartis. La Cour des Comptes (2019) notait ainsi qu’en 2015, les grandes exploitations touchaient en moyenne 37% d’aides supplémentaires par rapport aux petites et moyennes exploitations et que le système bénéficiait donc majoritairement à des exploitations déjà rentables. Par ailleurs, le soutien était particulièrement fort dans certaines filières (grandes cultures) tout en laissant totalement de côté d’autres filières (horticulture et maraîchage notamment). Dans l’ensemble, 20% des exploitations concentrent approximativement 50% des aides de la PAC.

Le métier d’agriculteur n’est plus attractif et ce sont 100 000 exploitations agricoles qui ont disparu en l’espace de 10 ans d’après le dernier recensement agricole, soit une baisse de 21%. Et d’ici 10 ans, la moitié des agriculteurs partiront à la retraite, dans une profession où 55% des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans. Dommageable pour elle-même, la décroissance démographique des agriculteurs pénalise également la transmission des exploitations aux jeunes repreneurs au profit de la reprise par les exploitants déjà en place, augmentant ainsi la taille des exploitations et la concentration du foncier aux mains de quelques-uns. De 42 hectares en moyenne en 2000, la surface agricole par exploitation est passée à 69 hectares en 2020, soit une augmentation de près de 75%.

Cette progression fait courir le risque d’un changement profond du paysage agricole avec une intensification de la monoculture et une disparition du modèle de ferme à taille humaine au profit des formes sociétaires. Autre point aveugle de la PAC, la financiarisation du foncier agricole et la multiplication des formes sociétaires d’exploitation qui, en plus de faire peser sur le foncier des risques de spéculation, échappe à toute forme de régulation du foncier, principe pourtant cher à la France et caractéristique de son modèle agricole. Enfin, l’augmentation de la taille des exploitations décourage à son tour de jeunes agriculteurs à entrer dans la profession en augmentant les capitaux requis pour accéder au foncier. En faisant l’impasse sur une régulation ferme de l’accès au foncier, les gouvernements successifs ne proposent aucune solution à l’installation des jeunes agriculteurs et pérennisent ce cercle infernal de l’absence de reprise des exploitations et de l’augmentation de leur taille, menaçant ainsi et la souveraineté alimentaire française et son modèle d’exploitation à taille humaine.

Troisième élément à avoir en tête, celui des enjeux en matière de pollution. Les pollutions agricoles diffuses, liées à l’utilisation massive de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques ainsi qu’à certaines pratiques d’épandages, sont responsables de plusieurs dangers sanitaires. Outre le cas emblématique des algues vertes, responsables de plusieurs décès, et signalé par les lanceurs d’alerte Inès Léraud et Pierre van Hove, les pollutions agricoles sont responsables de la fermeture de près de 1500 points de captage d’eau indispensables à l’approvisionnement en eau potable de notre société. L’usage des produits phytosanitaires a augmenté de près de 15% au cours de la dernière décennie [graphique SSP] faisant courir de nombreux risques à la santé des êtres humains et en premier lieu des agriculteurs et de leurs familles (risques de cancers, perturbateurs endocriniens). 

Quatrièmement, la balance commerciale agricole française s’est fortement dégradée au cours des dernières années, remettant largement en cause sa vocation exportatrice historique. Ainsi, les importations ont quasi-doublé depuis 2000, en particulier en matière de fruits et légumes. Désormais, la  principale filière exportatrice est celle des vins et spiritueux, un domaine relevant plutôt de la consommation de luxe et donc fragile en cas de retournement de la conjoncture économique.

Cinquièmement et dernièrement, l’agriculture est confrontée plus que tout autre secteur aux conséquences du changement climatique. Le secteur agricole est responsable d’environ 20% des émissions de gaz à effet de serre en raison principalement des émissions de méthane par le bétail  et du changement d’affectation des sols. La diminution de l’impact climatique de l’agriculture passera nécessairement par une diminution des cheptels et par des transformations profondes des méthodes de culture(s) et de labour, avec en particulier un recours accru aux légumineuses et à des méthodes de travail des sols moins destructrices. Pourtant, certains outils de la PAC étaient déjà prévus à cet effet. Le paiement vert, qui représentait près de 2,2 Mds€/an (25% de la PAC), était censé encourager des pratiques favorables à l’environnement via le maintien de prairies, la diversification des assolements (des cultures) ou la préservation des surfaces dites d’intérêt écologique. Toutefois, plusieurs rapports (Autorité environnementale, Cour des Comptes, Cour des Comptes européenne) ont dénoncé l’absence de pouvoir transformatif de ce paiement qui dans les faits était très facilement accessible et ne nécessitait presque aucun changement de pratique culturale pour le toucher. Ce paiement vert n’a donc de vert que le nom. Par ailleurs, le montant des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) situé à hauteur de 250 M€ soit 2,7% du budget total est largement insuffisant face aux défis auxquels est confronté le monde agricole. Notons tout de même que jusqu’ici les mesures de soutien à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique, vertueuse sous de nombreux aspects, ont permis de contribuer à un développement du bio en outre fortement tiré par la demande des consommateurs. Toutefois, de profondes incertitudes existent quant à la capacité de la future PAC à conserver le dynamisme de la filière biologique.

Un plan stratégique national largement insuffisant

Le secteur agricole français se situe donc à un tournant crucial. Pour apporter une réponse forte aux principaux obstacles auxquels il est confronté, la PAC se doit d’être ambitieuse et ne peut se contenter d’un statu quo au sein d’un système de soutien dont la logique est issue des années 60. Pourtant le Plan stratégique national qui détaille le fonctionnement de la PAC pour 2022-2027 est insatisfaisant à tous égards.

Tout d’abord, le paiement vert, très critiqué, est remplacé dans la nouvelle PAC par un « éco-régime » auxquels un certain nombre de pratiques supposées vertueuses donnerait accès. Toutefois les voies d’accès retenues sont sous le feu des critiques. En effet, la principale voie passerait par un label dit de « Haute Valeur Environnementale » (HVE). Or, il n’existe pour l’heure aucune garantie que ce label amène un réel gain environnemental. Le fait que 80% des agriculteurs seraient déjà éligibles avant même d’avoir fait quoi que ce soit, ce qui prouve bien que cette pratique n’introduit aucun pouvoir transformatif vers des pratiques agroécologiques meilleures. L’Autorité environnementale (AE) souligne ainsi que « l’absence de territorialisation et la référence du dispositif HVE dont le cahier des charges n’est pas encore finalisé témoignent d’une absence de prise en compte au juste niveau des enjeux environnementaux ». Le label HVE, placé au même niveau par les autorités que le label d’agriculture biologique pour l’accès à l’éco-régime, est en réalité bien moins exigeant et dénote d’un pouvoir de transformation des pratiques bien moindre. L’AE recommande donc de hausser fortement le niveau d’ambition du PSN en France.

De même, la PAC laissait la possibilité aux pays de flécher une partie du premier pilier vers les MAEC du 2nd pilier encourageant les pratiques agricoles favorisant l’écologie et le lutte contre le réchauffement. La France ne s’est pas saisie de cette possibilité et maintient le statu quo gardant le niveau du soutien au MAEC au niveau préexistant, n’encourageant ainsi aucune dynamique de mise en place de pratiques agroécologiques. Vis-à-vis de l’ensemble des enjeux environnementaux, l’Autorité environnementale conclut : « La trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d’ici 2030 celle de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), ni celle du plan biodiversité, ni celle de la directive cadre sur l’eau (DCE) ». Ainsi, le PSN révèle un manque flagrant d’articulation avec les autres politiques environnementales structurantes en matière de lutte contre le changement climatique, de protection de la biodiversité et des milieux aquatiques.

Par ailleurs, le PSN acte la fin du soutien au maintien de l’agriculture biologique qui représentera un manque à gagner fort pour les agriculteurs convertis. Ainsi, aucune rémunération des externalités positives engendrées par l’Agriculture biologique ? B (un paiement pour services écosystémiques) n’est prévue, alors même que celle-ci fournit des aménités environnementales bien identifiées (protection des nappes phréatiques, de la faune sauvage, santé). Par ailleurs, l’AE dénonce l’absence d’évaluation prévisionnelle des impacts environnementaux du PSN ainsi que le fait qu’aucune évaluation ne soit prévue. Il n’existe pas d’indicateurs de suivi de l’impact environnemental du PSN.

Un PSN autrement plus ambitieux est pourtant possible

Les débats sur le PSN durent depuis maintenant plusieurs mois et de nombreux arbitrages ne sont toujours pas tombés. Pourtant ce ne sont pas les idées et les plans d’action qui manquent pour proposer une politique agricole plus ambitieuse. Déjà en mai 2021, les principaux acteurs de la filière biologique (Confédération paysanne, Fédération nationale de l’agriculture biologique) marchaient dans les rues de Paris pour dénoncer la baisse du soutien à l’agriculture biologique via notamment la fin des aides au maintien. Plus récemment, une tribune signée par de nombreux enseignants-chercheurs et étudiants dans les principales écoles d’agronomie de France critiquaient vertement les orientations choisies par le PSN et formulaient de/ nombreuses propositions pertinentes pour répondre aux défis du monde agricole.  

La tribune propose tout d’abord en premier lieu d’utiliser le paiement dit « redistributif » auquel la France ne consacre que l’enveloppe minimale obligatoire au sein de l’UE de 674 M€, soit 10% du premier pilier. Les auteurs proposent ainsi de mieux utiliser ce paiement et de le rendre dégressif pour les 52 premiers hectares des exploitations afin de soutenir les petites et moyennes exploitations, pour les filières où les surfaces concernées sont plus petites et enfin pour les GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun), très désavantagées par ce système. On pourrait même aller plus loin en portant la part de la PAC dédiée à la redistribution vers les petites exploitations à 15% afin de soutenir une agriculture à taille humaine et en particulier les filières maraîchères dont le développement est primordial pour réassurer notre souveraineté alimentaire dans ce secteur. Enfin, il semble indispensable de plafonner de manière forte les aides perçues pour les plus grandes exploitations, notamment céréalières, qui touchent actuellement une grande part du pactole.

Face à la crise du renouvellement générationnel, de nombreuses réformes auraient pu être menées. D’abord, la seule aide à destination des nouveaux installés, la Dotation Jeunes Agriculteurs (DJA) mériterait d’être repensée afin notamment de soutenir des projets d’installation ne répondant pas uniquement à des critères économiques mais aussi écologiques et environnementaux. Du côté de l’accès au foncier – crucial pour permettre aux jeunes de s’installer – la seule mesure proposée durant le quinquennat est la loi Sempastous qui permet l’extension du contrôle du foncier agricole aux cessions partielles de parts sociales. Cette loi entend résoudre l’inadéquation qui existait jusqu’alors entre le mode de gouvernance des autorités régulant le foncier agricole (les SAFER, qui ne pouvaient exercer de droit de préemption qu’en cas de cession de 100% des parts sociales) et la multiplication des structures sociétaires d’exploitation ces 10 dernières années. En 2015, un cas emblématique illustre les problèmes posés par cette défaillance : des investisseurs chinois parviennent à contourner les mécanismes de régulation du foncier et rachètent 1700 hectares de terres agricoles dans l’Indre. Cette affaire fait craindre le rachat massif de terres agricoles par des multinationales et ouvre alors le débat sur les conséquences des investissement agricoles étrangers en matière de pollution, d’expropriation des populations locales et de baisse de la souveraineté alimentaire nationale. Pour faire face à ces enjeux, le premier volet de la loi propose donc un mécanisme de contrôle pour les rachats de parts sociales, lorsque ceux-ci représentent plus de 40% des actifs de la société.

Le deuxième volet de la loi Sempastous a pour ambition de réguler la concentration excessive du foncier agricole et propose le contrôle par le préfet de département des rachats de terres provoquant un « agrandissement significatif » de l’exploitation par le préfet de département. Il s’agirait d’empêcher que  l’opération ne permette à la nouvelle surface de l’exploitation d’excéder 1,5 fois la surface agricole moyenne de la région. La loi, remarquons-le à des limites puisqu’une telle disposition reviendrait à n’encadrer que 15% des opérations foncières.

Cette loi est dans l’ensemble loin de satisfaire ceux qui espéraient une « grande loi foncière » pourtant promise par Emmanuel Macron. Plusieurs propositions autrement plus ambitieuses auraient pu voir le jour : d’abord, le seuil de contrôle de cession de parts a été fixé à 40% de la société. Or, ce seuil aurait pu être abaissé à 25% dans la mesure où l’accès à un quart d’une société a déjà de larges conséquences sur l’exploitation qui en est faite. Le contrôle de l’accès au foncier pourrait également être accru pour les acteurs possédant déjà des terres agricoles afin de limiter la concentration aux mains de quelques-uns Par ailleurs, rien n’a été pensé pour lutter contre la financiarisation du foncier agricole et l’arrivée d’investisseurs fonciers aux capitaux importants. Ces derniers ont pour effet de faire gonfler la taille moyenne des exploitations et donc les apports initiaux pour acquérir du foncier agricole, fragilisant ainsi la transmission et pénalisant les agriculteurs les moins dotés. Sur ce point encore, la loi pour le foncier agricole aurait pu prévoir une clause de contrôle et de régulation de la spéculation foncière. Enfin, la loi Sempastous ne propose aucune mesure visant à réguler davantage le droit à exploiter, alors même que l’explosion des formes sociétaires – qui détiennent, en 2018, 58% du foncier agricole – a favorisé la délégation de l’exploitation à des entreprises de travaux agricoles, connues pour embaucher des travailleurs détachés à bas coût. Cette pratique pénalise l’emploi agricole ou la location en fermage des terres, utile aux nouveaux installés. Il aurait été souhaitable d’étendre les cas soumis à autorisation d’exploiter aux opérations donnant lieu à un contrôle effectif d’une terre agricole, en conditionnant ces autorisations à des objectifs sociaux et écologiques.

Les efforts déployés restent donc largement insuffisants pour répondre au problème de l’agrandissement croissant des exploitations, de la financiarisation du secteur agricole et du renouvellement générationnel.

En ce qui concerne le volet environnemental, son insuffisance est criante, et les outils mis à la disposition des pays-membres par l’Europe pour le réguler sont largement sous-exploités par la France. En premier lieu, il aurait fallu renforcer de manière forte les conditions d’accès à l’écorégime afin de subventionner et d’encourager des pratiques réellement favorables à l’environnement et à la biodiversité. Les trois voies d’accès aux aides sont loin d’être équivalentes entre elles, notamment entre un label « Agriculture biologique »  très performant, sérieusement évalué et une labellisation « Haute Valeur Environnementale » très critiquable et qui semble être un copié-collé de la notion d’agriculture raisonnée mise en place par certains lobbies pour, finalement, continuer d’utiliser bien des intrants chimiques. On constate déjà  un réel manque de cohérence et d’harmonie entre les différents labels existants souvent auto-décernés par des groupements d’intérêts privés, avec la FNSEA, premier syndicat agricole au premier rang. Le label HVE ne fera qu’embrouiller le message.

L’adaptation au changement climatique est une nécessité pour le monde agricole et les mesures agro-environnementales encouragent des pratiques renforçant la résilience des cultures comme le maintien de haies, la préservation d’écosystèmes, la protection de races et variétés menacées. Il aurait été de ce fait pertinent d’augmenter le budget alloué à cette mesure, en la passant par exemple de 2,7% à 5% du budget de la PAC. De même, une rémunération des contributions environnementales de l’agriculture biologique  via des aides au maintien et un volume d’aides à la conversion suffisant pourraient permettre d’accélérer le développement de cette agriculture en France, qui ne vient actuellement que du consentement du consommateur à payer bien plus cher ses produits. La commande publique joue aussi un rôle dans le développement des pratiques vertueuses et des engagements plus fort mériteraient d’être pris en matière d’accès à une nourriture de qualité au sein des cantines scolaires et universitaires, en augmentant fortement la part du « bio » et du  « local ». Le financement de ces mesures aurait été possible en augmentant la part du premier pilier transféré vers le second, consacré au développement rural et à l’environnement, comme le règlement de l’UE le rend possible. Ainsi, alors que ce transfert s’élève actuellement à 7,53% du premier pilier pour la France, il est possible de monter jusqu’à 32% dans le nouveau règlement européen.

Monde agricole futur : une vision de long terme inexistante

En réalité, le fiasco du Plan Stratégique National n’est que la suite d’un grand nombre de rendez-vous manqués pour le monde agricole. Depuis plusieurs décennies, ce monde est sujet à de nombreuses alertes significatives : crises laitières, crise du renouvellement agricole, crise des rémunérations, pollutions. Pour faire face à ces enjeux, l’État et les acteurs du monde agricole, FNSEA (premier syndicat agricole de France) en tête, n’ont pas été capables de construire une nouvelle vision pour sortir l’agriculture française de ses impasses. Depuis 20 ans, les habitants fuient le monde rural, tandis qu’une agriculture productiviste, de plus en plus intensive et gourmande en intrants chimiques continue à dégrader les sols et l’environnement. S’arc-bouter sur un système de soutien incapable de répondre aux crises n’est plus tenable. Pour la première fois depuis deux siècles, l’apport toujours croissant d’intrants ne permet plus d’augmenter des rendements agricoles qui stagnent depuis les années 90 tant les terres ont été stérilisées. Ce phénomène de pulvérisation de la terre est encore plus marqué dans les régions viticoles. Va-ton aller jusqu’à abîmer l’image d’un pays réputé dans le monde entier pour ses bons vins ?

Il est temps que les pouvoirs publics et les acteurs agricoles construisent une nouvelle vision de l’agriculture, à taille humaine. Le secteur agricole est au cœur des enjeux d’aujourd’hui et de demain : adaptation face au changement climatique, accès à une alimentation saine et rémunération décente des agriculteurs, relocalisation de la production ou encore diminution des pollutions et des risques sanitaires. Il serait dans cette perspective d’autant plus appréciable que l’agriculture et l’accès à une alimentation de qualité soient discutées lors des débats présidentiels afin de faire émerger des propositions véritablement ambitieuses. À ce titre, soulignons par exemple le plan stratégique publié par la France Insoumise qui propose des mesures structurelles profondes. Il serait dommage que par refus idéologique un tel plan ou d’autres, issus de formations politiques différentes, ne fassent pas l’objet d’échanges sérieux dans l’ensemble du spectre politique.