Pour un service public de santé territorial

Photo by Guillaume Piron on Unsplash

Après avoir montré l’étendue et les causes des dégâts du service public de santé français, ce deuxième volet traite des solutions en trompe l’œil prises jusque-là et avance des propositions inédites pour tenter d’y remédier articulées autour de la création d’un service public de santé territorial. Ce texte est une nouvelle version d’une série de trois articles de Frédérick Stambach et Julien Vernaudon initialement parus sur le site de la revue Respublica.

Des propositions en trompe l’œil

Devant l’effondrement des effectifs des médecins généralistes disséminés sur le territoire, les pouvoirs publics ont donc fini par augmenter le numerus clausus mais de façon insuffisante aux besoins, ce qui pérennisera la pénurie à un niveau très inquiétant jusqu’en 2040.

De plus, aucune solution n’est disponible pour les citoyens de ces territoires, en particulier à la campagne.

Cette situation devenant intenable politiquement, certaines propositions ont été formulées depuis une dizaine d’années par les gouvernements, schématiquement elles se situent à deux niveaux :

– améliorer la coordination des PSPR;

– alléger les généralistes de certains actes jugés secondaires pour les transférer à d’autres professionnels de santé, c’est la délégation de tâches.

Nous ne nous étendrons pas sur ces mesures qui, dans l’ensemble, relève de la même logique structurelle, qui consiste à gérer la pénurie de façon technocratique avec une complexification informatique croissante, donc très chronophage. D’une façon générale, elles se heurtent aux mêmes contraintes humaines du manque de personnel soignant à tous les niveaux, et ne prennent pas en considération le facteur “écœurement” qui pousse vers la sortie du système de santé un nombre croissant de professionnels ce qui aggrave la situation sur le terrain.

Concernant la coordination des PSPR (protocoles pluriprofessionnels des soins de premier recours), la mesure phare de ces dernières années est la création des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), promue par le premier syndicat de généralistes MGFrance. Les professionnels d’un territoire s’auto-organisent sous le patronage des caisses départementales d’Assurance Maladie et des Agences Régionales de Santé (ARS), donc in fine de l’État. Il faut ensuite faire une demande de reconnaissance officielle, sous la forme d’une association loi 1901, et des financements (conséquents) sont octroyés chaque année par l’Assurance Maladie et l’ARS. Ces financements permettent le fonctionnement de la CPTS (notamment d’investir dans des logiciels informatiques) et de financer des actions de santé préalablement définies par la CPTS, de salarier un coordinateur de la CPTS devant faire le lien entre tous les professionnels de santé du territoire qui, à la campagne notamment, peut être très vaste. Le coordinateur a également pour tâche de se mettre en relation avec l’hôpital, en particulier pour les sorties d’hospitalisation. Séduisantes sur le papier, ces CPTS présentent de très sérieuses limites. Plus fondamentalement, les mesures bureaucratiques aboutissent toujours aux mêmes résultats : augmenter le temps administratif pour les soignants, ce qui paradoxalement diminue un peu plus le temps de soins disponible (donc la pénurie), majorer le nombre de postes administratifs (donc la bureaucratisation du système de santé) et transférer des actes de professionnels saturés vers d’autres professionnels tout aussi saturés.

Toutes ces propositions semblent émaner de responsables politiques voulant surtout faire de la communication, en montrant qu’ils “agissent” aux yeux d’une population paniquée devant les résultats d’une politique budgétaire dont ils refusent d’assumer les résultats sociaux. Ainsi, la réponse de l’administration est quasi constante : augmenter la bureaucratisation par le biais du Nouveau management public, désorganiser le travail des acteurs de terrain (et donc au final prendre du temps de soins aux soignants déjà en sous-nombre) et finalement perpétuer un état de tension permanent propre à épuiser et diviser les professionnels.

Nous ferons une critique plus profonde de ces dispositifs dans une autre publication, nous pensons ici plus intéressant de se concentrer sur nos propositions.

Propositions pour la fondation d’un service public de santé territorial (SPST)

Arrivés à ce stade de notre analyse, nous affirmons qu’il est impossible de trouver des solutions innovantes dans le cadre institutionnel actuel. Le paramètre principal, la démographie des soignants en général (et des généralistes pivot des PSPR en particulier), est figé pour au moins 13 ans et nous devons “faire avec” sur ce laps de temps. Nous pourrions gagner 2 ou 3 ans maximum sur les projections présentées ici en cas de victoire d’un programme de rupture avec le néolibéralisme en 2022, mais nous considèrerons ici que la pénurie médicale est acquise jusqu’en 2040.

Deuxième point important, aucune réforme ambitieuse ne peut se faire contre les professionnels de terrain, hospitaliers comme PSPR, en grande souffrance donc particulièrement sensibles à une nouvelle dégradation de leurs conditions d’exercice. Enfin, une rupture avec le cadre institutionnel de la Vème République nous semble indispensable tant ce régime favorise l’éloignement des citoyens des centres de décision (ce qui est volontaire), et la technocratisation de notre système de santé, dorénavant entièrement piloté par l’État. C’est l’une des raisons de l’échec de la création par Marisol Touraine, et donc du quinquennat Hollande, du “service public territorial de santé”. La légitimité est complètement rompue entre les institutions et le terrain.

La crise du COVID-19 n’a fait qu’aggraver une situation qui était déjà perceptible, le discrédit et la méfiance sont au cœur des relations entre l’administration et les soignants (et de façon générale entre tout ce qui représente l’État et les citoyens). En effet, quelle crédibilité pourrait avoir une régulation territoriale par l’État actuel qui, dans le même temps, continue à supprimer des lits et fermer des hôpitaux de proximité, poussant des soignants de plus en plus nombreux à la démission ? C’est également le même État qui a organisé la pénurie comme nous l’avons démontré et qui viendrait maintenant nous parler d’organiser l’égal accès aux soins ? Concernant le système de santé à proprement parler nos propositions suivent trois grands axes : la création d’un grand service public de santé territorial (que nous allons voir plus en détails), la création d’un pôle socialisé du médicament (publié sur ce site) et la refonte de la Sécurité sociale. Sur ce dernier point, que nous ne traiterons pas dans cet article1, il nous semble très important de préciser que nos propositions devraient retrouver les quatre principes révolutionnaires initiaux de 1946 : unicité de la Sécurité sociale, remplacement du principe de charité par celui de solidarité, financement par le salaire socialisé grâce à la cotisation, et enfin introduction de la démocratie sociale avec l’élection par les assurés sociaux des dirigeants nationaux et locaux de la Sécurité

sociale (voir l’article de Bernard Teper). Sans l’application de ces principes nos propositions n’auraient aucun sens car nous considérons que la Sécurité sociale est la pointe la plus avancée et la plus aboutie d’un autre modèle de société indépendante du marché, du “déjà-là” selon les mots de Bernard Friot. C’est l’ébauche de la République sociale chère à Jaurès, infiltrée en société capitaliste, devant servir de socle à la propulsion d’une société différente, protégée des aléas et de l’injustice du marché.

C’est pour cela que la démocratie interne de la Sécurité sociale et son financement par les cotisations (contre l’extension de son financement par l’impôt type CSG qui induit une étatisation et donc une bureaucratisation) sont des points clés qu’il convient de (re)conquérir, et des préalables indispensables à nos propositions. Tout en conservant à l’esprit que les propositions qui vont suivre doivent être replacées dans le contexte d’une transformation structurelle profonde et notamment d’une refonte des institutions de notre Vème République comme évoquée ci-dessus.

L’idée principale que nous avançons ici serait d’officialiser le service public de premier recours que les PSPR forment à leur insu et l’englober dans un nouveau service plus vaste et complet : le service public de santé territorial (SPST). Nous pourrions prendre comme modèle administratif l’organisation de l’hôpital public (dans une version rénovée bien entendu), ces deux services publics relèveraient de la même juridiction administrative permettant des transferts de personnels soignants dans les deux sens et une mutualisation du personnel administratif pour en limiter l’inflation.

Dans notre esprit, ces deux services publics se situeraient dans le cadre conceptuel de la théorie des communs d’Elinor Ostrom comme nous l’avions déjà fait pour le pôle socialisé du médicament, car cela permet de refonder la logique de service public en y introduisant, notamment, la démocratie interne2. Nous pourrions nous appuyer sur le territoire géographique des fameuses CPTS (voir chapitre 5) pour chaque département, une CPTS correspondrait à une unité administrative que nous nommerons Pôle de santé territorial (PST). Ces PST seraient composés des professionnels libéraux volontaires du territoire concerné, ils pourraient bénéficier d’un statut de la fonction publique hospitalière, dans le cas des médecins nous pourrions créer des postes de praticiens hospitaliers territoriaux qui seraient rémunérés sur la base de la grille tarifaire des praticiens hospitaliers.

La gestion administrative de ces services impliquerait la mutualisation et/ou l’embauche d’un personnel spécifique (cadres de santé, secrétaires, techniciens). Pour les personnels paramédicaux, là-aussi la grille tarifaire des hospitaliers pourrait s’appliquer à conditions d’une nette revalorisation qui profiterait alors aux deux secteurs, hospitalier public actuel et SPST nouvellement crée. L’intégration à ce SPST serait volontaire pour les professionnels, qu’ils soient déjà installés ou encore en formation. Pendant une longue période (peut-être définitive), ce service public fonctionnerait à côté de l’organisation actuelle, les deux systèmes étant complémentaires.

Chaque PST serait financé par un budget global permettant ainsi de supprimer la tarification à l’acte, qui n’est plus adaptée à la situation actuelle, en particulier pour le suivi des pathologies chroniques, provenant des cotisations récoltées par les caisses de Sécurité sociale. Sa gestion administrative se ferait au niveau départemental et régional. Nous pensons que des ARS refondées seraient le bon outil pour piloter l’ensemble de la politique de santé et notamment ce nouveau service public. En effet, les ARS sont déjà existantes et opérationnelles, avec des délégations départementales dans toute la France. Cependant, il conviendrait d’y effectuer deux réformes majeures : un financement suffisant dont la source principale proviendrait là aussi des cotisations et une « détechnocratisation » massive ce qui correspondrait à y faire entrer à grandes eaux la démocratie (il ne faut plus que les directeurs départementaux et régionaux soient nommés par le pouvoir mais élus par un collège de représentants des professionnels de santé du territoire, des élus locaux, des représentants des caisses de Sécurité sociale et des travailleurs). Totalement délégitimées pendant la crise COVID, il faudrait probablement renommer ces ARS afin de prendre acte du changement de paradigme. Autre point majeur, ce nouveau SPST intègrerait tous les métiers du lien qui ont un rôle décisif méconnu et surtout non reconnu. Ces professionnels auraient un véritable statut de la fonction publique à créer, des horaires décents et une rémunération revalorisée tant leur rôle est primordial. Le financement proviendrait d’une augmentation des cotisations sociales, neutre pour la population puisqu’elles remplaceraient l’investissement privé actuel supporté par les particuliers. Un plan de recrutement massif pour répondre aux besoins de la population devra être enclenché. Cela concerne les auxiliaires de vie sociale, les assistante maternelles, les animatrices périscolaires et les accompagnantes d’enfant en situation de handicap3.

Cette organisation territoriale aurait de multiples avantages : – Elle répond aux attentes des jeunes généralistes, qui ne sont pas attirés par l’exercice libéral, en offrant des postes stables et salariés, présentant tous les avantages de la fonction publique hospitalière. Il s’agit en fait de généraliser et d’institutionnaliser le principe des centres de santé4 pouvant fonctionner sur budget global mais dont la mise en place actuelle relève du parcours du combattant administratif et financier. Toute la gestion administrative et technique serait ainsi transférée aux personnels adéquats du PST, ce qui libèrerait les soignants de tâches extrêmement chronophages: la comptabilité personnelle, la comptabilité des cabinets de groupe, la gestion technique du cabinet (travaux, réparation en tous genres)… Cette organisation libérerait du temps de soins pour tous les professionnels, et pour les médecins généralistes en particulier qui y consacrent actuellement environ 10h par semaine sur une moyenne hebdomadaire de travail de 50 heures5. Mis bout à bout, le travail non médical des médecins généralistes correspond à une journée entière par semaine. Dans un contexte de pénurie, cette organisation permettrait d’augmenter “l’offre de soins”à densité standardisée égale, ce qui sera, rappelons le, la situation concrète sur le terrain pendant au moins 15 ans.

Il y aurait un chef de Pôle élu par les professionnels du PST, qui assurerait une partie de la coordination avec le personnel administratif mutualisé/recruté pour cela.

– Cela permettrait une régulation territoriale des nouveaux généralistes installés, puisque les postes de professionnels seraient ouverts dans les zones géographiques prioritaires afin de “lisser” la pénurie sur l’ensemble du territoire et d’éviter des zones désertiques comme actuellement.

– Ces PST seraient en liens étroits avec les centres hospitaliers généraux ou universitaire du département, faisant partie de la même entité administrative, ce qui permettrait de faciliter les échanges entre professionnels, en particulier les spécialistes pourraient venir faire des journées de vacation localement au plus près des populations âgées, moyennant un investissement minimal par les PST en matériel.

– A l’instar des services hospitaliers, une permanence de soins obligatoire serait organisée entre tous les médecins du PST.

– Cela rendrait palpable l’interdépendance très forte entre l’hôpital public et les PSPR. Les différents professionnels pourraient ainsi plus facilement obtenir des revendications communes, et lutter contre la tendance à la bureaucratisation qui, comme toute institution, ne manquera pas de persister dans son être.

– Concernant les autres professions médicales, les PST pourraient s’appuyer sur les deux professions dont la densité va s’accroître, les chirurgien-dentistes et les sage-femmes afin de pouvoir réellement déléguer certains soins (notamment les suivis gynécologiques pour les sage-femmes). Eux-aussi bénéficieraient du statut de praticien hospitalier territorial.

– Un point très important et novateur, serait le recrutement massif d’aides-soignant(e)s, dont la formation est beaucoup plus courte (une année). Cela permettrait un vaste réseau rapidement opérationnel, entièrement pris en charge par la protection sociale, qui pourrait effectuer de nombreuses tâches à domiciles actuellement effectuées par des infirmier(e)s (notamment le nursing) et donc de libérer du temps de soins.

– Des assistantes-sociales salariées pourront être recrutées dans chaque PST à l’instar de ce qui se produit dans un service hospitalier. En symbiose au sein du PST avec tous les métiers du lien, cela faciliterait le travail pluri-professionnel et permettrait d’augmenter là encore le temps de soin. Sans parler d’une amélioration phénoménale de la prise en charge multi-dimensionnelle de tous les citoyens.

– Des psychologues et diététicien(ne)s pourront également être salariés par le PST ce qui rendrait accessible sans frais ces deux professions au plus grand nombre, et serait extrêmement bénéfique en terme de prévention. Cela aurait ensuite un impact positif sur les PSPR à moyen terme en diminuant leur charge de travail.

– Le cas des pharmaciens doit être traité à part, car ils sont souvent les grands oubliés. Ce sont des professionnels dotés d’une solide formation très largement inexploitée car le travail d’un pharmacien en officine est en grande partie un travail de commercial et de manager.

La grande majorité du chiffre d’affaire d’une officine provient de la vente des spécialités pharmaceutiques remboursables, le secteur parapharmacie pourtant omniprésent dès que l’on pénètre dans une officine reste minoritaire. Les pharmaciens perdent leur temps à négocier avec des mastodontes pharmaceutiques, en les mettant en concurrence pour tenter d’obtenir les meilleurs tarifs. Ainsi, leurs compétences pharmacologiques sont sous-utilisées.

Ici nous proposons de ne plus les laisser dans cette situation. Les pharmaciens d’officine souhaitant rejoindre un PST deviendraient des pharmaciens hospitaliers territoriaux dont la rémunération serait basée sur la grille tarifaire en vigueur à l’hôpital, tout comme les préparateurs en pharmacie et les autres professionnels travaillant en officine. Cette disposition doit impérativement être couplée à la création d’une entité publique capable de réaliser à l’échelle nationale l’achat et la distribution des spécialités pharmaceutiques remboursables. A terme, il faudrait également que cette entité puisse les produire, nous avons développé cette idée en proposant la création d’un pôle socialisé du médicament. Ainsi libérés de cette tâche ingrate, la compétence des pharmaciens pourrait se rediriger vers le suivi des patients chroniques (éducation thérapeutique, conciliation médicamenteuse, suivi de l’observance…), en particulier les patients poly-médicamentés avec les multiples interactions médicamenteuses qu’elles engendrent. Retrouvant du temps de soins, et malgré leur densité déclinante, ils pourraient participer à la délégation de certaines tâches.

– Pour les cabinets médicaux ou les officines existantes qui seraient volontaires, l’intégration à un PST ne signifie pas expropriation. Les locaux professionnels et commerciaux seraient rachetés au prix du marché à leurs propriétaires par la collectivité locale et deviendraient une propriété sociale. Reste le cas des activité de parapharmacie, donc non prises en charge par la Sécurité sociale, qui devraient faire l’objet d’un statut différent. Nous pourrions imaginer que ces activités persistent au sein des officines des PST, mais à des prix préférentiels puisque négociés au niveau national par le pôle socialisé du médicament.

– Ce SPST restera juxtaposé au système actuel “libéral” conventionné moyennant un certains nombres de modifications. Il n’y aura pas d’absorption obligatoire à ce service public, bien que des passerelles devront exister, basées sur le volontariat des praticiens (astreintes, journées de consultation dans des zones désertiques, demandes de soins non programmés, vacations de spécialistes).

Concernant le secteur conventionné, il est évident qu’une refonte complète s’avère nécessaire. Il s’agit de geler le secteur 2 (avec dépassements d’honoraires) : plus aucune nouvelle installation en secteur 2 ne doit être possible. Ce qui aboutira à terme à sa disparition lorsque le derniers praticiens secteur 2 prendront leur retraite, il s’agit donc de la suppression complète des dépassements à termes.

Couplée à cette mesure, il faudra revoir complètement la tarification du secteur 1 (sans dépassement), car les inégalités y sont très importantes : par exemple un pédiatre gagne 4 fois moins qu’un radiologue, cela est injustifiable sur le plan de l’utilité sociale et de la qualification. Nous proposons ici d’améliorer la cotation de certains actes et d’en diminuer d’autres afin que la rémunération moyenne à temps de travail équivalent soit relativement homogène selon les spécialités. De plus, un conventionnement sélectif devra être mis en place (au sein des ARS refondées) pour toute nouvelle installation en secteur 1 afin de flécher davantage les nouvelles installations.

Enfin nous imaginons ici la création d’un “secteur 3”, qui permettrait aux spécialistes volontaires d’abandonner la tarification à l’acte et de pouvoir intégrer un PST pour devenir praticien hospitalier territorial. – Il faudra également mettre en place, enfin, une “grande Sécurité sociale” avec un régime unique en absorbant les mutuelles et assurances complémentaires (ainsi que le personnel y travaillant). Le HCAAM a étudié ce scénario qui serait bénéfique pour la collectivité aussi bien en termes d’égalité qu’en termes d’efficacité économique puisque les coûts de gestion de la Sécurité sociale sont très inférieurs à ceux des organismes privés6.

Dans notre esprit, il faudra bien entendu coupler cette mesure à un retour aux idéaux révolutionnaires de 1946 comme nous l’avons évoqué, en particulier en réinstaurant le pouvoir des citoyens au sein des caisses.

Nous sommes conscients du risque de bureaucratisation d’un tel système, même s’il répond à beaucoup des problématiques actuelles, notamment en augmentant le temps de soins de tous les PSPR. C’est pour cette raison que de telles propositions sont indissociables d’une refonte profonde de nos institutions, comme nous l’avons déjà souligné, mais aussi et surtout de l’hôpital public lui-même. Sans cela, nos propositions consisteraient à transférer les problèmes et dysfonctionnements de l’hôpital public aux PSPR. Il faudra un investissement public massif pour le matériel et les locaux de nos hôpitaux publics. La réouverture d’hôpitaux de proximité, le recrutement de soignants en améliorant drastiquement les conditions de travail et la rémunération de certaines professions.

En particulier, il faudra impérativement sortir de la tarification à l’activité, revenir sur l’ONDAM et instaurer une gouvernance démocratique de l’hôpital où soignants, administratifs, élus locaux et représentants de l’État partageraient le pouvoir.

Il est primordial d’avoir à l’esprit que les dysfonctionnements de l’hôpital public sont sources d’une immense perte de temps pour les PSPR : retours à domicile trop précoces des patients, refus d’hospitalisation de la part des patients qui se sentent maltraités à l’hôpital, impossibilité d’une hospitalisation directe dans un service, difficultés pour obtenir des rendez-vous spécialisés demandant de multiples coups de téléphone, des courriers qui se perdent qu’il faut refaire puis retéléphoner, etc…Bref les PSPR ont un intérêt direct bien compris à travailler avec un hôpital public qui respire et qui fonctionne correctement. Tout serait plus simple et plus fluide, donc synonyme de gain de temps et d’efficacité pour tout le monde permettant là encore d’optimiser le “stock” de médecins dont nous disposons pour les 15 prochaines années.

Au terme de cette analyse, nous espérons avoir démontré le caractère éminemment politique de la santé et des mesures, en apparence techniques, qui sont prises par des gouvernements irresponsables. Nous allons devoir faire face à une pénurie qui, loin d’être une donnée naturelle, a été organisée pour des raisons complexes mais relevant principalement de l’obsession bureaucratique pour l’équilibre budgétaire et la réduction des “coûts” de santé. L’évaluation économique de nos propositions resteraient à préciser mais nous ne pensons pas qu’elles seraient très inflationnistes car la sortie de la tarification à l’acte en ville et à l’activité à l’hôpital (T2A) serait une source d’économie très importante tant la gabegie qu’entraîne ce système est grande. Ce qui actuellement est payé en actes se transformerait en salaires.

Il nous paraît important de conclure en rappelant à nouveau l’extrême dépendance des politiques de santé avec les institutions de la Vème République et les traités européens. La désindustrialisation du pays engendrée par les politiques monétaires et libre-échangistes de l’Union Européenne ont entraîné une diminution des cotisations sociales très préjudiciable à notre système de protection sociale. Ils poussent également à l’austérité budgétaire permanente.

Une transformation radicale de notre système de santé dans un sens de progrès humain, devrait porter sur l’ensemble des paramètres afin de ne pas être phagocyté par une bureaucratie omnipotente en voie d’autonomisation. Il faut lier les problématiques car la protection sociale, loin des débats techniques habituels, relève en fait de notre modèle de société et devrait relever d’un choix démocratique public et non de décisions obscures prises en catimini. Il convient d’ajouter que l’état de santé d’une population est étroitement dépendante de son environnement, en particulier socio-économique. Il est démontré que l’augmentation des inégalités, notamment des inégalités de revenus, au sein d’un pays dégrade l’état de santé de toute la population, des plus riches aux plus pauvres7 Il est donc faux de penser que dans une population vieillissante la demande de soins serait condamnée à augmenter. Elle continuera d’augmenter tant que les politiques économiques et sociales condamnent les citoyens au désespoir et à l’impuissance. Une politique de rupture avec le capitalisme néolibéral serait de nature à changer complètement l’état d’esprit de la population qui redeviendrait maîtresse de ses destinées. L’implication dans un projet collectif enthousiasmant qui réduirait l’impact écologique et les inégalités serait une grande source d’espoir et d’affects joyeux, ce qui est plus que jamais indispensable pour diminuer le recours au système de santé8.

Ainsi, le passage à une 6e république sociale et démocratique, la refonte de notre Sécurité sociale et la sortie des traités européens actuels permettraient la politique protectionniste nécessaire à une relocalisation et une réindustrialisation de notre pays. Cela permettrait de pouvoir rentrer dans un cercle vertueux d’investissements à partir des cotisations sociales, dont le montant et l’attribution seraient librement débattus. La réalisation d’un pôle socialisé du médicament et d’un vaste service public de santé territorial deviendrait alors possible.

Notes :

1 Nous renvoyons ici à l’excellent livre de Bernard Teper et Pierre Nicolas, Penser la République Sociale pour le XXIe siècle, 2 Tomes, Eric Jammet éditeur 2014

2 Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, art.cité ; et Fabienne Orsi, Biens publics, communs et État : quand la démocratie fait lien, in Vers une république des biens communs Nicole Alix, Jean-Louis Bancel, Benjamin Coriat, et Frédéric Sultan (sous la direction de), Les Liens qui Libèrent 2018

3 Voir le remarquable rapport parlementaire des députés Bruno Bonnell et François Ruffin, Rapport d’information sur les métiers du lien N° 3126, Commission des affaires économiques, Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2020

4 Richard Lopez, Les centres de santé:un modèle ancien ayant de l’avenir, in Santé :urgence André Grimaldi et Frédéric Pierru (sous la direction de), Odile Jacob avril 2020

5 Camille Roux, Les généralistes consacrent en moyenne 7 heures par semaine à l’administratif selon une étude, site en ligne de l’hebdomadaire Le Généraliste 22 novembre 2018

6 Il s’agit du scénario 3 in Quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et Assurance maladie complémentaire, Rapport du HCAAM janvier 2022

7 Frédérick Stambach, Anthropobiologie de la santé – Les déterminants sociaux de la santé, Médecine octobre 2014

8 Richard Horton, COVID-19 is not a pandemic, site The Lancet 26 septembre 2020, (Traduction française disponible ici)