Poursuivre la bataille culturelle

Le second tour de l’élection présidentielle verra s’affronter Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les résultats définitifs du premier tour étant désormais connus, il convient de tirer les premiers enseignements de ce scrutin : un mouvement de fond est en cours à gauche. Il s’agit désormais d’amplifier et de poursuivre la bataille culturelle qui a été engagée.

Les acquis de la campagne

Pour justifier le résultat désastreux, mais tout à fait logique, de leur candidat, un certain nombre de responsables socialistes ont mis en avant une campagne où l’on aurait pas parlé du fond, où les affaires auraient primé sur le reste et sur les questions cruciales pour le peuple français. S’il est certain que les affaires ont occupé une partie du débat, il n’en reste pas moins que d’autres thèmes ont été abordés, et que cette campagne a permis de poser, à gauche, des enjeux nouveaux et structurants pour l’avenir.

D’une part, les affaires sont un thème de campagne aussi important que les autres, dans la mesure où elles ont permis de mettre dans le débat public un sentiment partagé depuis longtemps par un certain nombre de Français : la classe dirigeante est corrompue, milieux d’affaires et élites politiques s’entendant systématiquement sur le dos d’un peuple qui voit ses conditions de vie se dégrader peu à peu. L’affaire Fillon, mais aussi les nombreuses sorties indignes de Macron ainsi que les agissements frauduleux du Front National au Parlement Européen ont permis de montrer ce que chacun savait depuis un moment : de gauche ou de droite, les hommes politiques qui nous gouvernent sont avant tout mus par l’appât du gain.

D’autre part, cela a pleinement justifié le tournant populiste opéré par Jean-Luc Mélenchon et son mouvement, la France Insoumise. Toute sa communication reposait sur le fait d’opposer un « nous », le peuple qui trime, à un « eux », une caste corrompue qui s’accroche désespérément au pouvoir. Loin de renier les marqueurs historiques de la gauche, il s’agissait de les adapter à un contexte de nouveau, où les marqueurs sociaux sont de plus en plus flous et où la classe moyenne disparaît. De ce point de vue, le tournant populiste est une réussite au moins partielle : en manque de repères depuis l’affaiblissement du PCF, une partie des classes populaires a pu s’approprier une grille de lecture nouvelle pour penser les antagonismes qui traversent notre société. Le score élevé de Jean-Luc Mélenchon en témoigne, ainsi que celui de Marine Le Pen, mais pour d’autres raisons.

Mais l’autre enjeu structurant qui a émergé au cours de la campagne est celui de la souveraineté nationale et populaire, à travers la question européenne. Les médias dominants, dans leur bienveillance habituelle à l’égard des candidats qui leur déplaisent, ont vivement critiqué l’émergence d’un pôle « europhobe » constitué par Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan et Asselineau. Outre le fait que rassembler ces candidats sous une même étiquette n’a aucun sens puisqu’ils développent des visions bien différentes de la souveraineté et de la Nation (civique pour la France Insoumise, plus ethnique et essentialiste pour la droite et l’extrême-droite), ce prétendu pôle rassemble, d’après les résultats du premier tour, près d’un électeur sur deux. Si le rejet de l’UE prôné par le Front National n’est pas une nouveauté, l’aspect qui nous intéresse ici est la vision européenne portée par la gauche radicale. En effet, on a vu réémerger au cours de la campagne un euroscepticisme de gauche, porté par la France Insoumise, là où là nécessaire reconquête de la souveraineté nationale pour mener une politique de progrès social était devenue, depuis les années 90, un véritable tabou pour une grande partie des mouvements à gauche du PS. Avec le Plan B pour une sortie de l’UE, la parole s’est libérée à gauche, et les idées de souveraineté recommencent à y émerger : c’est le point de départ essentiel d’une lutte efficace pour enrayer la montée de l’extrême-droite.

Quelles perspectives au second tour ?

Pour les électeurs de la gauche dite radicale, les résultats du premier tour ont fait émerger des sentiments contradictoires. D’abord une certaine joie, dans la mesure où Mélenchon a réalisé un score très élevé et semble en passe de réussir à précipiter le PS dans l’abîme. Mais aussi, dans un second temps, une certaine amertume : portés par les sondages, un certain nombre de militants espéraient voir leur candidat et surtout leurs idées au second tour de l’élection présidentielle. Il n’en fut rien. Dès lors, que faire dans un second tour où deux candidats obsédés par l’argent, l’un ultra-libéral et l’autre ultra-réactionnaire, se disputent la première place ?

La réaction de Mélenchon et de la France Insoumise semble saine et juste. En effet, ils n’ont pas cédé aux sirènes usées du front républicain, conscients qu’un appel à voter Macron serait un reniement total de tous leurs engagements passés. Mais ils n’ont pas non plus renvoyé dos à dos Macron et Le Pen : il s’agissait seulement d’affirmer que soutenir le premier favorisait la victoire de la seconde en 2022. Dès lors, les électeurs de Mélenchon sont libres, et seront appelés à se prononcer sur le site internet du mouvement. Toutefois, au-delà des consignes de vote éventuelles que le mouvement pourra donner, un sentiment domine chez ces électeurs : la volonté de ne pas voter Macron, ni Le Pen, afin que le candidat d’En Marche dispose de la légitimité populaire la plus faible possible. Il s’agit donc, par l’abstention ou le vote blanc, d’entamer la lutte et de poser des jalons pour l’après-présidentielle, a fortiori dans la perspective d’élections législatives qui s’annoncent très incertaines.

Les élections législatives seront en effet l’enjeu central des prochaines semaines : de ce point de vue, il s’agira pour la gauche radicale de transformer l’essai, ce qui s’annonce difficile entre un PS en décomposition, un FN en pleine ascension, une droite aux abois et des partisans de Macron qui seront présents partout et portés par le bon score de leur candidat. Sans agiter la vieille marotte de l’unité à tout prix, il faudra toutefois que les diverses forces en présence discutent et parviennent à s’entendre : candidats portés par la France Insoumise, militants communistes, socialistes en rupture avec le PS, sans rien renier des particularités de chacun. C’est à cette condition, en conciliant la dynamique de la France Insoumise et l’ancrage territorial encore fort des communistes, que l’Assemblée Nationale pourra se doter d’un pôle radicalement de gauche, qui pourra faire face aux projets funestes de Macron.

A plus long terme, la nécessité de poursuivre la bataille culturelle

On l’a vu, le logiciel d’une partie de la gauche radicale s’est profondément renouvelé à l’occasion de l’élection, et cela a permis une clarification nette : le Parti Socialiste n’est plus l’élément central de la gauche française, et il va désormais falloir amplifier la bataille pour que les idées de souveraineté, d’anticapitalisme et d’écologie s’imposent définitivement dans l’espace laissé vacant. L’existence d’une gauche forte, sûre d’elle tant sur le plan programmatique que militant sera indispensable dans la nouvelle période politique qui s’ouvre. En effet, la géographie électorale du premier tour montre que la percée de Jean-Luc Mélenchon se fait surtout dans les territoires urbanisés et partiellement dans les quartiers populaires. En parallèle, le FN confirme son ancrage dans les zones périurbaines, plus rurales, et progresse dans une partie des quartiers populaires. Pour reprendre la grille d’analyse proposée par le géographe Christophe Guilluy, on peut dire que la France périphérique reste en partie acquise au Front national, même si Mélenchon semble y avoir progressé.

Il s’agira donc de mettre fin à l’hégémonie idéologique et culturelle du FN dans ces territoires. Pour ce faire, la campagne du premier tour a tracé des pistes qu’il faudra continuer à explorer et à approfondir pour renouer avec tous ceux d’en bas face à la classe dirigeante, y compris dans les territoires ruraux. Il s’agira de continuer à développer une vision de gauche de la République, de l’universalisme, de la laïcité, de poursuivre le travail d’argumentation pour une sortie de l’UE par la gauche, mais aussi de poursuivre les analyses et les propositions en faveur de la ruralité et de l’agriculture. Des chantiers vastes, nombreux, complexes, pour une bataille au sein de laquelle lvsl.fr entend modestement contribuer. C’est à ce prix que l’on fera chuter le libéralisme et l’extrême-droite, pas en allant voter Macron dans deux semaines.

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https://fr.news.yahoo.com/carte-election-pr%C3%A9sidentielle-d%C3%A9couvrez-r%C3%A9sultats-premier-tour-commune-200402455.html