Outre les magouilles attestées lors du premier tour de la primaire du PS, le principe même de ce processus pose un vrai problème démocratique : l’éviction des catégories populaires du processus de désignation politique.
Ces dernières années, les primaires semblent être devenues une étape incontournable de la vie politique française avant l’échéance présidentielle. Le succès attribué à celles de la gauche en 2011 en feraient une étape indispensable vers l’alternance, expliquant que la droite s’y soumette elle aussi avec un certain succès en 2016.
Importées des États-Unis, les primaires sont indissociables d’un système bipartisan. On comprend donc bien que dans une situation de délitement du Parti Socialiste et de rivalité entre Les Républicains et le Front National, les primaires remplissent une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche/droite. C’est comme cela qu’il faut comprendre la bataille sémantique autour de la dénomination de la primaire de « la Belle Alliance Populaire » abusivement qualifiée de « primaire de la gauche » par les médias. Car bien sûr, ni E. Macron ni J-L Mélenchon, crédités de davantage d’intentions de votes que n’importe quel candidat issu des primaires, ne participent à la compétition.
L’enjeu pour les partis traditionnels est donc d’ériger leurs primaires comme un préalable indispensable à l’élection présidentielle. Thomas Clay, président de la haute autorité de la primaire de la gauche déclarait ainsi en annonçant les résultats que « les primaires s’ancrent dans la vie politique française, c’est une bonne nouvelle ». Une analyse pour le moins contestable au regard de la faible participation des électeurs au scrutin. Tout au plus les primaires s’ancrent-t-elles dans la vie médiatique française. Mais ce rituel est encore loin de rassembler une frange réellement massive de l’électorat.
Bien sûr l’argument censé justifier le tenue de ces primaires est toujours le même : il s’agirait d’une avancée démocratique permettant aux peuples de gauche ou de droite de s’exprimer au-delà des appareils partisans. Or il convient de réfuter rigoureusement ces idées. Non les primaires ne sont pas des avancées démocratiques, bien au contraire.
Tout d’abord les primaires favorisent l’engagement des catégories déjà politisées de la population. Et l’on recoupe ici la critique plus large de la soit disant « démocratie participative ». Ceux qui participent sont ceux qui ont les moyens de participer. Les votants aux primaires ne sont pas à l’image du reste de la population.
Dans Le Monde, Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, et spécialiste des comportements électoraux jugeait “qu’ont voté aux primaires (de la droite) des inscrits plus âgés, plus riches, plus diplômés que la moyenne.” Il est trop tôt pour pouvoir analyser les résultats de la primaires de la BAP, d’autant plus que ces derniers sont loin d’être transparents. Mais une sur-représentation des catégories socio-professionnelles les plus aisées est plus que probable, à l’instar des primaires de la droite en 2016 et de la gauche en 2011. On peut même certainement craindre une participation encore plus faible des classes populaires à la primaire socialiste de 2017. Déjà en 2011, 75% des votants étaient diplômés de l’enseignement supérieur et 70% occupaient un poste de cadre ou de profession intermédiaire.
Les catégories populaires ne s’intéressent que plus tardivement à l’enjeu présidentiel, traditionnellement vers la mi-février. Le résultat des primaires aboutit donc nécessairement à une distorsion de l’offre politique qui est passée au filtre d’un électorat plus politisé et plus aisé que le reste de la population.
Pour les sociologues Thomas Amadieu et Nicolas Framont : les primaires « instituent de fait un corps de grands électeurs »[1]. En effet, les électeurs les plus intéressés à la chose publique pré-sélectionnent les candidats qui seront soumis quelques mois plus tard au reste du corps électoral. Et en toute logique, les électeurs des primaires se choisissent un candidat à leur image.
Par ailleurs les primaires ne permettent en rien de court-circuiter les bureaucraties partisanes. Car ce sont bien elles qui fixent le cadre de la compétition. Ainsi les candidats jugés inappropriés sont évacués faute de la caution d’un minimum de barons (on retiendra l’exemple de Gérard Filoche ou d’Henri Guaino pour ne citer qu’eux). En réalité les primaires sont bien plus un moyen pour les appareils des partis de se revitaliser en captant une pseudo-légitimité populaire (et en captant aussi au passage les millions d’euros payés par les votants pour participer au scrutin !).
L’arrivé en tête de B.Hamon au premier tour de la primaire de la BAP illustre ce “vote des élites”. Le candidat Hamon est à l’image du corpus électoral restreint qui l’a placé en tête des suffrages : urbain et diplômé. On sait qu’il a les faveur du MJS qu’il a longtemps dirigé et opère par ailleurs la synthèse des frondeurs tout en étant relativement compatible avec les intérêts de la bureaucratie et des baronnies du parti. Ce choix d’un segment bien spécifique de l’électorat aurait-il été celui d’un corps électoral plus large ? Les sondages réalisés sur l’hypothèse d’une plus forte participation jugeaient en tout cas que non, car dans cette hypothèse c’est A. Montebourg qui aurait été favorisé. L’avenir dira si le candidat désigné par les votants aux primaires de la BAP rencontrera le même engouement auprès du reste des électeurs français…
Crédit photo : ©Marie-Lan Nguyen