Rapport Oxfam : 8 milliardaires se goinfrent quand les autres tirent la langue

Le titre a fait la une de tous les médias depuis la sortie du rapport annuel d’Oxfam sur la pauvreté : 8 hommes détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. La formulation choque à raison, mais le rapport va bien au-delà de ce constat.

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Image : Oxfam

Bill Gates, Amancio Ortega, Warren Buffett, Carlos Slim Helu, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Larry Ellison et Michael Bloomberg. À eux huit, ces hommes détiennent un patrimoine net cumulé de 426 milliards de dollars ; c’est plus que les 3,6 milliards les plus pauvres de la planète. En 2015 le groupe équivalent comptait 62 personnes, et ils étaient 388 en 2010[1]. Aujourd’hui plus que jamais, l’indécence a des noms et des visages, elle se compte sur les doigts de nos deux mains.

Les critiques ont rapidement fusé, indiquant qu’un tel rapport mondial compare nécessairement des situations nationales très différentes. Pourtant, 8% de ces 3,6 milliards de plus pauvres vivent en Europe. En France, 21 milliardaires[2] possèdent autant que les 40% les plus pauvres de la population. Liliane Bettencourt apparaît sans surprise en tête de liste, quand en il y a quelques mois à peine le Canard enchaîné révélait qu’elle n’avait pas contribué à l’ISF en 2015.

« À quoi cela est-il dû ? Les grandes entreprises et les plus fortunés jouent un rôle déterminant. »

Oxfam indique par ailleurs clairement les causes principales de ces inégalités criantes. Si les salaires de nombre de PDG s’envolent, les salaires de base des travailleurs et des producteurs continuent de stagner, voire de diminuer. La réduction du coût de la main-d’œuvre amène dans trop de cas au recours au travail forcé et à l’esclavage[3]. L’optimisation des bénéfices passe aussi par l’évasion fiscale devenue tristement habituelle, bien que les taux d’imposition sur les sociétés soient en baisse partout dans le monde. De fait, selon le rapport, Apple aurait été imposé à seulement 0,005 % sur ses bénéfices réalisés en Europe en 2014.

Le rapport souligne également les causes systémiques de ces inégalités. En premier lieu figure le capitalisme actionnarial outrancier : la part des bénéfices revenant aux actionnaires dans le monde est toujours plus importante, et profite par là majoritairement aux plus riches. Le lobbying accru et la perméabilité des milieux politique et entrepreneurial sont également en cause. Le capitalisme de connivence favorise les entreprises aux dépens des citoyens, notamment en termes d’exonération fiscale. En ce qui concerne les immenses fortunes, elles sont à la fois les symptômes et les piliers de ces inégalités croissantes : parmi eux figurent les plus gros actionnaires, dont l’influence sur le comportement des entreprises est fondamentale.

« Les trois-quarts de la pauvreté extrême pourraient être éradiqués à l’aide des ressources existantes »

Oxfam nous offre finalement un rapport qui ne manque pas de propositions. La réforme démocratique est partout nécessaire, pour des gouvernements qui œuvrent au bien de tous, de ces 99% qui ne sont ni lobbyistes ni de grandes fortunes. À l’échelle supranationale, la coopération est fondamentale sur bien des aspects : mettre fin aux paradis fiscaux, créer un impôt juste pour les sociétés, protéger les travailleurs et l’environnement. Une économie humaine ne pourra par ailleurs pas se passer d’un traitement égal des hommes et des femmes. L’égalité salariale, l’accès à l’éducation et aux soins et l’autonomisation quant aux normes sociales liberticides sont des priorités. La question environnementale ne peut pas non plus être écartée. Une économie viable impose une sortie au plus vite des énergies fossiles et d’en finir avec la dette écologique.

Ce rapport nous interpelle une fois de plus quant à l’urgence d’une économie qui remet l’humain au centre de son fonctionnement et qui se défait d’indicateurs économiques creux. Ce que nous rappellent ces 8 milliardaires, c’est que la misère a des responsables, et que l’éradication de la pauvreté extrême n’aura pas lieu sans l’éradication de l’extrême concentration des richesses.

Sources :

[1] https://www.oxfam.org/fr/salle-de-presse/communiques/2016-01-18/62-personnes-possedent-autant-que-la-moitie-de-la-population

[2] Les 21 milliardaires français les plus riches sont, en ordre décroissant de leur patrimoine net :

Liliane Bettencourt : héritière de la marque de cosmétiques l’Oréal ; Bernard Arnault : propriétaire du groupe de luxe LVMH ; Serge Dassault : président du groupe aéronautique Dassault ; Francois Pinault : fondateur de Kering un des leaders mondiaux de l’habillement et des accessoires ; Alain Wertheimer et Gerard Wertheimer : propriétaires de Chanel et des cosmétiques Bourjois ; Xavier Niel : fondateur du fournisseur d’accès internet et opérateur mobile Free ; Emmanuel Besnier : PDG de Lactalis ; Jean-Claude Decaux : fondateur de la société JCDecaux ; Patrick Drahi : président-fondateur du consortium luxembourgeois Altice, principal actionnaire du groupe SFR, de Virgin Mobile; Vincent Bolloré : PDG du groupe Bolloré et à la tête des conseils de surveillance de Vivendi et du groupe Canal+ ; Pierre Bellon : fondateur et président d’honneur de Sodexo ; Carrie Perrodo, propriétaire et co-fondatrice du groupe pétrolier Perenco, Martin & Olivier Bouygues : respectivement PDG et Directeur général délégué du groupe Bouygues ; Michel Leclercq : fondateur de Decathlon ; Alain Merieux : fondateur de bioMérieux, leader mondial de la microbiologie ; Bernard Fraisse, fondateur de Fareva, important sous-traitant pharmaceutique ; Marie Besnier Beauvalot, une des héritières du groupe Lactalis ; Jean-Michel Besnier : un des héritiers du groupe Lactalis ; Jean Pierre Cayard : directeur de la Martiniquaise, spécialisée dans la fabrication et la distribution de vins et spiritueux ; Louis Le Duff : fondateur du Groupe Le Duff, qui regroupe des enseignes de restauration et d’alimentation telles que Brioche Dorée, Del Arte, Bridor, etc.

Source : https://www.oxfamfrance.org/communique-presse/justice-fiscale/davos-2017-huit-personnes-possedent-autant-que-moitie-plus-pauvre

[3] Selon l’Organisation internationale du travail, 21 millions de personnes sont en situation de travail forcé, générant quelque 150 milliards de dollars de bénéfices chaque année.

Source : http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID,P12100_LANG_CODE:3174672,fr