Le 30 juillet, à l’occasion de la Fête du Trône au Maroc, Emmanuel Macron a pris le monde politique à rebours en reconnaissant explicitement la marocanité du Sahara occidental. Une décision qui s’inscrit en faux avec le statut de « territoire non autonome » que lui confèrent les Nations Unies. Et qui a de quoi surprendre, tant les relations entre Paris et Rabat ont été tendues sous la présidence d’Emmanuel Macron. Pourtant, ce geste s’inscrit indéniablement dans la continuité de relations cordiales entre la France et le Royaume du Maroc.
Cette reconnaissance a été adressée au Roi du Maroc Mohamed VI par le biais d’une lettre que le monarque devait reprendre au cours de son allocution du 30 juillet. Elle entérine de facto le soutien officiel de la diplomatie française au plan d’autonomie marocain, déposé à l’Organisation des Nations Unies le 11 avril 2007. La France rejoignait ainsi l’Espagne, ancienne puissance coloniale au Sahara, mais aussi l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, les États-Unis, Israël et une trentaine de pays du continent africain. Cette reconnaissance et la « réconciliation » qui en a découlé ont été confirmées par une visite d’État en grande pompe à Rabat, suivie d’une importante délégation ministérielle et de milieux d’affaires, le mardi 29 octobre – la première depuis 2018.
Cette décision unilatérale en matière de politique étrangère a rapidement provoqué de nombreuses réactions. En apparence, cette nouvelle a bien de quoi surprendre, tant elle amorce une reconfiguration de la position historique du Quai d’Orsay sur le dossier du Sahara. D’autant que sous Emmanuel Macron, la relation historiquement solide entre la France et le Maroc avait été l’objet de plusieurs refroidissements.
D’Alger à Rabat
Ces soubresauts s’expliquent d’abord par la tentative de réconciliation entre Paris et Alger amorcée par Emmanuel Macron. Une orientation diplomatique que le boycott du gaz russe par les Européens après l’invasion de l’Ukraine n’a fait qu’accroître : l’Union européenne, et la France au premier chef, se sont tournées vers d’autres sources d’approvisionnement, dont l’Algérie. Ce rapprochement a induit une distance avec Rabat, dont on connaît l’état de tension avec son voisin – la frontière algéro-marocaine est fermée depuis 1994, et les relations diplomatiques rompues depuis août 2021.
À l’origine de ce froid : des conflits frontaliers hérités de la colonisation et une opposition géopolitique datant de la Guerre froide, entre un Maroc pro-occidental et une Algérie proche du bloc soviétique. D’autres séquences ont participé à affaiblir les liens entre la France et le Maroc – et notamment le scandale « Pegasus ». Cet outil, utilisé par de nombreux pays, a aidé les services de renseignements marocains à espionner des journalistes et des dirigeants français, y compris le Président de la République lui-même. L’épisode « Pegasus » devait entraîner la restriction de la délivrance des visas aux citoyens marocains en 2021.
Le poste d’Ambassadeur du Royaume à Paris est resté vacant durant un an après le départ de Mohamed Benchaâboun le 19 octobre 2022. Un événement alors sans précédent au sein d’une des chancelleries étrangères les plus stratégiques pour l’État français. Les tensions ont même atteint leur apogée dans le cadre du séisme d’Al-Haouz de septembre 2023, où la proposition d’aide française a été tout bonnement ignorée par les autorités marocaines.
Le chef de l’État avait même été invectivé dans la presse marocaine proche du Palais, qui jugeait que le traitement du séisme par les médias français était « hystérique » et «néo-colonialiste ». Ce discours a été alimenté par plusieurs éléments. D’une part, un en-tête du JT de TF1 : « Le Maroc peut-il s’en sortir sans la France ? » et d’autre part, la Une polémique de Libération parue le 11 septembre 2023, représentant une femme marocaine désespérée avec pour titre : « Aidez-nous, nous mourons en silence », alors même qu’il a été établi à posteriori qu’il ne s’agissait pas de ses mots.
Après cette période de turbulences entre les deux pays, un réchauffement des relations se fait progressivement, lié au gel progressif du rapprochement franco-algérien, et la visite au Maroc en février 2024 du Ministre des Affaires Étrangères Stéphane Séjourné – jusqu’à l’aboutissement de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara cet été. Cet état de fait a également été facilité par la dynamique enclenchée par les pays européens voisins : l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal (2022), l’Autriche (2023), et la Belgique (2024).
« Territoire non autonome »
Dans les faits, le Royaume du Maroc contrôle 80 % du territoire sahraoui, à l’ouest du Mur des Sables, érigé en 1980. Le Front Polisario occupe quant à lui les 20 % restants, une zone-tampon frontalière de la Mauritanie et l’Algérie. Cette dernière n’a pas de revendication territoriale sur la zone mais est une partie prenante du conflit, de par son soutien militaire et financier au Front Polisario.
Le contentieux territorial à l’œuvre au Sahara Occidental a fait l’objet de nombreuses résolutions et avis rendus par les instances internationales. Le Sahara occidental figure sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU depuis 1965 – après demande du Maroc – et le vote de la résolution 2072, aux côtés de petites îles telles que Anguilla ou les territoires d’Outre-mer de la Nouvelle-Calédonie/Kanaky et Polynésie française. Ces zones sont décrites comme des « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes », au sens du chapitre XI et de son article 73, de la Charte des Nations Unies.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est inscrit dans l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, dans lequel il est disposé que : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. ».
Le statut juridique du Sahara occidental est ambigu : la Cour International de Justice a acté en 1975 que ce territoire n’était pas terra nullius – territoire habité mais pas sous la domination d’un État – au moment de sa colonisation en 1884 et a reconnu des liens juridiques d’allégeance religieuses avec le Maroc. Néanmoins, elle a estimé que ces liens n’impliquent pas une souveraineté sur le territoire et a reconnu le droit à l’autodétermination. Le 31 octobre 2024, le Conseil de Sécurité de l’ONU a de nouveau adopté à l’unanimité une résolution – résolution 2756 – prolongeant la mission de la MINURSO – Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara Occidental – pour une année supplémentaire, tout en appelant à une « solution politique réaliste, réalisable, durable et mutuellement acceptable ».
Ces dernières années, pourtant, le Maroc a gagné du terrain diplomatique. Il est notamment parvenu à convaincre l’Espagne de revoir sa position historique. La « pression » exercée sur l’ancienne puissance coloniale fut telle que le 9 juin 2021, le Parlement européen devait adopter une résolution pour la condamner. Elle prend place suite à un épisode de crise migratoire, avec le passage de milliers de mineurs non-accompagnés vers la ville espagnole de Ceuta, vestige colonial espagnol.
Cette initiative a été prise en réaction à l’accueil par l’Espagne de celui qui était alors le leader du Front Polisario, Brahim Ghali. Cette résolution fut adoptée assez largement, avec 397 voix pour, 196 abstentions et 85 contre. Un vote tranché, où 64 députés français (sur 79) ont apporté leur soutien au Royaume (en votant contre) ou se sont abstenus. Cela concerne sans surprise des députés de la droite et du Rassemblement National, traditionnellement favorables au Maroc, mais également, de manière plus surprenante, des eurodéputés macronistes et de gauche radicale.
Traditionnelle bonne entente avec le Maroc
Pourtant, au-delà des affichages diplomatiques, une telle reconnaissance n’est pas si surprenante. Dès l’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara déposée le 11 avril 2007, la France y apporte son soutien implicite. Emmanuel Macron le rappelle d’ailleurs au moment de la reconnaissance officielle : « Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant. ». Dès lors, la thèse du séisme diplomatique doit être nuancée.
Tout comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a régulièrement apporté son soutien tacite au Maroc au Conseil de Sécurité de l’ONU et lors des discussions critiques du Maroc au sein de l’instance. De Jacques Chirac, très proche de Hassan II et qui qualifiait même le Sahara de « Provinces du Sud », à Nicolas Sarkozy très élogieux à l’égard du Royaume, les relations étaient relativement bonnes entre la France et le Maroc depuis la première visite à Rabat d’un Président français, Valéry Giscard d’Estaing, en 1975. Et ce, malgré des périodes de fortes turbulences sous la présidence de François Hollande, et notamment la plainte pour actes de tortures puis la convocation d’Abdellatif Hammouchi, responsable du renseignement intérieur marocain, en 2014.
À l’heure de la fin du rapprochement algéro-français, Emmanuel Macron avait tout intérêt à clore cette période de tensions avec Rabat, et à renouer avec la traditionnelle bonne entente marocaine. Le contexte y était propice. Le recul de la France en Afrique de l’Ouest n’a pu que le pousser à réaffirmer une allégeance traditionnelle. Et le piétinement continu du droit international par Israël depuis un an n’incite nullement aux scrupules juridiques.