La nomination de Catherine Colonna comme ministre des Affaires étrangères survient dans un contexte de crise. Alors que le besoin d’une diplomatie renforcée ne s’est jamais fait autant ressentir, sept syndicats et le collectif des « jeunes agents » du ministère ont récemment lancé un appel à la grève. Ce mouvement social historique (le deuxième depuis la création du ministère en 1547) intervient à la suite du décret publié le 17 avril au Journal Officiel indiquant la « mise en extinction » de deux corps centraux dans la diplomatie française, ceux des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires. Une telle protestation ne provient cependant pas uniquement de cet évènement, elle est le fait d’une dégradation bien plus large des conditions de travail et d’une remise en cause profonde du rôle des agents de ce ministère.
Un mouvement social historique
Dans son appel commun, l’intersyndicale constituée de la CFTC, de l’Association syndicale des agents du ministère des Affaires Étrangères (ASAM), de l’Union syndicale des agents des corps de chancellerie (USACC), de Solidaires, de la CGT et de la FSU ainsi que l’Association syndicale des agents d’Orient (ASAO) ainsi que du collectif « jeunes agents » met en garde contre la disparition annoncée des métiers de la diplomatie, du consulaire, de la coopération et de l’action culturelle. Les réformes initiées depuis maintenant plusieurs années ne sont pas simplement des restructurations passagères justifiées par une prétendue « inter-ministérialité ». Elles viennent, d’après les agents directement concernés, remettre en cause profondément l’ensemble des moyens d’action du troisième réseau diplomatique du monde.
Une telle protestation n’avait pas eu lieu depuis 2003, sous Jacques Chirac, pour des questions d’indemnités. Olivier Da Silva, responsable du syndicat des cadres CFTC, le rappelle : « le ministère des Affaires Étrangères n’a pas pour habitude d’engager un tel mouvement, c’est une maison particulièrement obéissante ». La singularité de cet appel à la grève provient également de ses initiateurs. Les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires, premiers concernés par la réforme récente, sont bien entendu présents. Mais la contestation mobilise des agents de catégories extrêmement variées, des chefs de chancellerie consulaire aux postes de comptables en passant par ceux de gestionnaires. « C’est précisément cette représentation extrêmement diversifiée des agents du ministère qui atteste de son caractère historique » affirme Olivier Da Silva.
Les raisons de la colère
Souvent accusé de fonctionner « en vase clos », le Quai d’Orsay a pourtant de véritables raisons de manifester son inquiétude. Premièrement, la manière avec laquelle le décret du 17 avril a été publié au Journal Officiel relève d’une forme de mépris. Signé à la hâte durant l’entre-deux tours – timing qui provoqua l’ire du Président de la République comme l’a révélé à l’époque le Canard Enchaîné – la dissolution de deux corps historiques regroupant près de 800 agents, qui devait se faire en catimini, n’a pas été reçue de la meilleure des manières au sein du ministère. Pour cause, la réforme initiée par la ministre de la Transformation publique, Amélie de Montchalin, entérine également l’inscription sur la plateforme interministérielle « Place de l’Emploi » de la quasi-totalité des agents.
Ces deux choix ont d’autant plus de mal à être acceptés que la composition des équipes au Quai d’Orsay ou dans les différents postes, comme le rappelle le communiqué de l’intersyndicale, atteste déjà d’une très grande externalisation des services. La dématérialisation des démarches, le recours à des prestataires privés ou encore le recrutement toujours plus important de stagiaires et de vacataires sont ainsi mis en avant par le communiqué de l’intersyndicale qui dénonce une précarisation renforcée au sein du Ministère.
Si ce récent décret a mis le feu aux poudrières, le malaise est plus ancien. Les différents plans d’économies, depuis la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) initiée par Nicolas Sarkozy, sont particulièrement ciblés par les signataires de l’appel. Alors même que les services du ministère ont dû faire face à des crises de plus en plus importantes ces dernières années en raison des conflits de haute intensité récents et de la pandémie de Covid-19, le réseau diplomatique a été soumis à de nombreuses « restructurations » sans que des bilans ne soient réellement dressés de ces dernières.
Comme le rappelle Olivier Da Silva, depuis une dizaine d’années, les agents du ministère des Affaires Étrangères ont le sentiment d’être tout simplement laissés pour compte. Tel est l’ensemble des raisons qui poussent aujourd’hui l’intersyndicale du ministère des Affaires Étrangères à appeler à la grève le 2 juin prochain, mais aussi à l’organisation d’assises permettant aux agents eux-mêmes de faire entendre leur voix sur l’avenir de l’un des plus importants ministères de notre République.
Alors même qu’un récent rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat sur « La Consolidation de l’Outil diplomatique à confirmer » alertait sur l’effet délétère qu’aurait la suppression des corps de conseillers et ministres plénipotentiaires sans modification du projet initial, la réforme a été maintenue. Derrière ce choix, il y a également une conception particulière de la place de la France dans la situation internationale actuelle. Réduire les moyens d’un corps diplomatique qui n’a cessé de faire ses preuves dans l’histoire, démanteler ses services alors même que le rééquilibrage du contexte géopolitique actuel nécessite une présence forte et un certain niveau de compétence manifeste bien le décalage à l’œuvre entre les discours récents d’Emmanuel Macron sur la souveraineté et le prétendu retour à une autonomie stratégique accrue.