Remettre en cause la propriété intellectuelle : une arme pour riposter à Trump

Apple Store de Shanghaï. © Declan Sun

Les lois intégrées aux accords commerciaux protègent les mécanismes d’extraction de rente des entreprises américaines et limitent notre capacité à réparer ou à améliorer nos propres appareils, qu’il s’agisse de téléphones, de tracteurs ou de pompes à insuline. L’abrogation de ces mesures pourrait générer des économies substantielles, s’élevant à plusieurs milliards de dollars, et constituerait un revers significatif pour les riches donateurs de l’administration Trump [1].

Les tarifications douanières imposées par Donald Trump exigent une réponse forte. Partout dans le monde, celle-ci a pris la forme de représailles tarifaires, une stratégie qui présente des inconvénients graves et évidents. Au terme de plusieurs années marquées par des chocs pandémiques et une « greedflation » (inflation alimentée par la cupidité, ndlr), les populations du monde entier sont éprouvées par l’inflation et rares sont les gouvernements prêts à prendre le risque de nouvelles hausses de prix. Bien que la communauté internationale ait raisonnablement exprimé son indignation face aux propos annexionnistes et aux actes belliqueux de Trump, cette colère ne devrait pas se traduire par un soutien populaire en faveur d’une hausse des prix des produits de consommation courante. Les responsables politiques du monde entier ont intégré une leçon majeure ces vingt-quatre derniers mois : lorsqu’un gouvernement préside à une hausse inflationniste des prix, il s’expose à un risque de perte du pouvoir lors des prochaines élections.

Il existe une autre réponse politique aux droits de douane, qui permettra de réduire considérablement les prix pour les partenaires commerciaux américains frappés de plein fouet par ces mesures, tout en favorisant l’émergence d’entreprises technologiques nationales rentables et orientées vers l’exportation.

Heureusement, il existe une autre réponse politique aux droits de douane, qui permettra de réduire considérablement les prix pour les partenaires commerciaux américains frappés de plein fouet par ces mesures, tout en favorisant l’émergence d’entreprises technologiques nationales rentables et orientées vers l’exportation. Ces entreprises pourraient vendre des outils et des services aux entreprises locales, profitant ainsi aux industries mondiales de l’information et de la culture, aux éditeurs de logiciels et aux consommateurs.

Quelle réponse ? Abroger les « lois anti-contournement » qui interdisent aux entreprises nationales de procéder à la rétro-ingénierie des « verrous numériques ». Ces lois anti-contournement empêchent les agriculteurs du monde entier de réparer leurs tracteurs John Deere, les mécaniciens de diagnostiquer votre voiture et les développeurs de créer leurs propres boutiques d’applications pour téléphones et consoles de jeux.

Ces lois anti-contournement et leurs dispositions radicales ont été justifiées par la nécessité de garantir un accès exempt de droits de douane aux marchés américains. Résultat : cela fait maintenant plus de dix ans que les entreprises américaines des secteurs de la technologie, de l’automobile, des technologies médicales et des technologies agricoles profitent de cette extraction de rente.

Des cartouches d’imprimantes aux Tesla

L’abrogation des lois anti-contournement permettrait aux petites entreprises technologiques du monde entier de fabriquer et d’exporter des outils permettant de « débrider » les tracteurs, les imprimantes, les pompes à insuline, les voitures, les consoles et les téléphones. Nous pourrions mettre fin à ce système inefficace dans lequel un euro, un dollar ou un peso dépensé pour une application locale fait un aller-retour à Cupertino, en Californie, et revient avec 30 % de valeur en moins.

Les entreprises nationales pourraient par exemple exporter des outils de débridage pour imprimantes afin d’aider les vendeurs de cartouches d’encre tiers, brisant ainsi l’emprise du cartel de l’encre pour imprimantes, lequel a fait grimper les prix à plus de 2.600 dollars le litre, faisant de l’encre le liquide le plus cher qu’un civil puisse acheter sans permis.

Partout dans le monde, les mécaniciens pourraient proposer un service de déverrouillage Tesla à prix fixe, offrant aux propriétaires un accès permanent à toutes les mises à jour logicielles et fonctionnalités incluses dans l’abonnement. Ces mises à jour seraient conservées lors de la revente du véhicule, ce qui augmenterait sa valeur.

Le débridage des Tesla saperait la valeur des actions que Musk utilise comme garantie pour obtenir des prêts afin d’acquérir des actifs comme Twitter ou financer des campagnes électorales.

Ce serait une manière bien plus efficace de riposter contre Elon Musk que de simplement dénoncer son salut nazi (Musk apprécie probablement l’attention que cela lui apporte). Le débridage des Tesla s’attaquerait aux sources de revenus réguliers qui expliquent le ratio cours/bénéfice plus que farfelu de Tesla, sapant ainsi la valeur des actions que Musk utilise comme garantie pour obtenir des prêts afin d’acquérir des actifs comme X/Twitter ou financer des campagnes électorales. Oubliez les manifestations devant les concessions Tesla : frappez Musk là où ça fait mal. En effet, l’abrogation des mesures anti-contournement constituerait une attaque frontale envers les entreprises dont les PDG ont entouré Trump lors de son investiture.

La politique du contrôle numérique

L’historique législatif de ces lois anti-contournement est une succession ininterrompue de scandales. Les lois anti-contournement du Mexique ont été adoptées au milieu des confinements liés à la pandémie, à l’été 2020, dans le cadre de son adhésion au traité États-Unis-Mexique-Canada (USMCA) de Trump (qui succède à l’ALENA). Ces lois étaient tellement abusives qu’elles ont immédiatement fait l’objet d’un examen par la Cour suprême.

On peut aussi citer le cas du Canada, où le projet de loi C-11, adopté en 2012, est l’équivalent canadien de la loi anti-contournement. Avant son adoption, Tony Clement, alors ministre de l’Industrie du Premier ministre conservateur Stephen Harper (aujourd’hui disgracié pour harcèlement sexuel), et James Moore, ministre du Patrimoine, ont participé aux consultations sur la proposition.

6.193 Canadiens ont exprimé leur opposition à cette proposition. Seuls 53 répondants l’ont soutenue. Moore a rejeté les 6.193 commentaires négatifs, expliquant lors d’une réunion de la Chambre de commerce internationale à Toronto qu’il s’agissait d’opinions « puériles » émises par des « extrémistes radicaux ».

Les répercussions du projet de loi C-11 se font encore sentir aujourd’hui. L’automne dernier, le Parlement canadien a adopté un projet de loi sur le droit à la réparation (C-244) et un projet de loi sur l’interopérabilité (C-294). Ces deux lois permettent aux Canadiens de modifier les produits technologiques américains, des tracteurs aux grille-pain intelligents, à condition de ne pas avoir à briser un verrou numérique pour le faire. Positives sur le papiers, ces lois ont peu d’effets en pratique : tous les produits que les États-Unis exportent vers le marché canadien sont protégés par des verrous numériques, réduisant ainsi les règles nationales en matière de réparation et d’interopérabilité à de simples ornements sans utilité.

Le projet de loi C-11 pourrait être aisément adapté pour se conformer aux obligations internationales, telles que définies par des traités commerciaux (par exemple, l’Organisation mondiale du commerce), sans pour autant ouvrir la voie à des pratiques de captation de rente. La loi pourrait être modifiée pour ne s’appliquer que dans les cas où le contournement d’un verrou numérique entraîne une violation du droit d’auteur. Cette modification mineure a pour effet de préserver les protections accordées aux œuvres créatives, tout en mettant fin à la pratique abusive qui limite votre liberté de choix en matière de réparation de vos appareils, d’acquisition de vos applications et d’encre d’imprimante.

Presque tous les pays ont adopté des lois anti-contournement, comme l’accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis ou la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur et la société de l’information. En échange, les États-Unis ont donné accès à leur marché sans droits de douane.

Le démantèlement soudain et imprévu du système commercial mondial par Trump est un véritable chaos, mais lorsque la vie vous présente un défi, il est préférable de s’adapter. La modification de la loi anti-contournement ne mettra pas fin à l’impérialisme économique américain, mais elle constitue une attaque ciblée et dévastatrice contre les activités les plus rémunératrices des entreprises les plus rentables des États-Unis. Aucune autre mesure ne permettrait d’obtenir un tel rendement en termes de dollars, d’euros, de yens, de reals ou de roupies.

[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.