Le 27 novembre 2022, le Président de la République annonçait un ambitieux projet de développement de RER métropolitains dans 10 grandes agglomérations françaises. Inspirés du modèle francilien, ces réseaux visent à répondre aux défis de mobilité, d’écologie et de cohésion territoriale. Cependant, la concrétisation de cette vision requiert des efforts considérables en matière d’investissements, de coordination et de modernisation ferroviaire.
Un Réseau Express Régional, aussi appelé Service express métropolitain (SEM) et plus récemment Service express régional métropolitain (SERM), est défini par le Comité d’Orientation des Infrastructures (COI) comme « une offre ferroviaire destinée aux voyageurs offrant une fréquence à l’heure de pointe inférieure à 20 minutes et en heure creuse inférieure à 60 minutes ». Ce type de réseau englobe donc deux éléments fondamentaux : un réseau ferroviaire orienté vers les voyageurs et une desserte fréquente. À cela s’ajoutent des aspects tels que la diamétralisation, comme observée en région parisienne, où les lignes traversent le cœur de la ville, ainsi que le recouvrement, impliquant l’utilisation de différentes lignes pour desservir les mêmes gares. Le recouvrement et la diamétralisation répondent aux besoins de déplacement entre zones résidentielles périphériques et pôles d’activité, parfois également situés en périphérie. Cette approche permet ainsi d’éviter les interruptions de trajet induites par les réseaux en étoile traditionnels tout en favorisant l’interconnexion.
Le succès du RER repose autant sur ce rôle crucial d’interconnexion que sur la fréquence élevée des lignes, qui en font un mode de transport fiable apte à concurrencer l’usage de l’automobile.
En France, le RER renvoie avant tout au réseau qui dessert Paris depuis les années 1970. Aujourd’hui composé de cinq lignes, il demeure le réseau le plus fréquenté d’Europe, accueillant jusqu’à 1,3 million de voyageurs par jour. Son émergence résulte d’un vaste effort d’ingénierie visant à moderniser et à connecter les lignes suburbaines préexistantes. L’acte de naissance du RER est la jonction des lignes du RER A et B à la station de Châtelet-Les Halles, symbole de la mise en réseau du RER. Le succès du RER repose autant sur ce rôle crucial d’interconnexion que sur la fréquence élevée des lignes, qui en font un mode de transport fiable apte à concurrencer l’usage de l’automobile. Plusieurs réseaux reprennent les principes du RER francilien. On peut mentionner le RER métropolitain de Bordeaux, le Réseau Express Métropolitain Européen de Strasbourg, les tram-train de Nantes et Lyon, ainsi que le réseau franco-suisse du Léman Express. Cependant, ces réseaux se démarquent du RER francilien par un développement et des investissements nettement moins importants.
Un transport de masse écologique
La volonté de développer des SERM répond aux enjeux liés à l’évolution territoriale. En France, la concentration des populations dans des agglomérations attractives et l’attachement au logement périurbain ont engendré un éloignement entre les lieux de résidence et les pôles d’activité. Cette tendance a engendré des déplacements pendulaires de plus en plus longs et fréquents, amplifiant les disparités socio-territoriales. La carence en alternatives de transport adaptées a propulsé l’automobile en tant que seule réponse viable à ces besoins, au prix d’une augmentation du trafic et d’une exacerbation de la pollution. Ce phénomène contraint ainsi une part significative de la population à affronter des itinéraires congestionnés et d’importantes factures de carburant.
La mise en place de RER métropolitains constitue une réponse à ces nouveaux besoins. Le transport ferroviaire est adapté au mass transit et à l’intermodalité, tout en demeurant l’un des modes de transport les plus écologiques. L’infrastructure ferroviaire existante, héritée du XIXe siècle et organisée sous la forme d’étoiles avec les métropoles comme centres névralgiques, est d’ailleurs propice à ce type de projets. Ces étoiles ferroviaires couvrent de vastes portions des zones urbaines et assurent la liaison avec les espaces ruraux environnants. Plusieurs pays étrangers, notamment l’Allemagne, l’ont d’ailleurs bien compris et ont développé des RER autour de leurs grandes métropoles.
Dans son schéma directeur de 2020 « Étoiles ferroviaires et services express métropolitains », SNCF Réseau met en lumière les enjeux liés à la création de SERM s’inspirant du modèle francilien tout en adaptant les approches aux particularités locales. Au total, 24 SERM potentiels ont été identifiés par la SNCF Réseau : 10 métropoles à fort potentiel (Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Nantes, Nice, Rennes, Strasbourg et Toulouse), 10 métropoles à potentiel (Toulon, Rouen, Dijon, Montpellier, Tours, Angers, Le Mans, Besançon, Chambéry, Reims) et 4 zones transfrontalières à développer (Metz-Nancy-Luxembourg, Pays Basque, Annemasse-Genève, Mulhouse-Bâle).
Ce schéma directeur expose un certain nombre de caractéristiques inhérentes à la mise en place d’un SERM. Avant tout, il est nécessaire d’instaurer un service intégré dans les déplacements métropolitains, en mettant particulièrement l’accent sur l’intermodalité (correspondances avec les réseaux urbains, parkings), l’intégration tarifaire au sein du réseau de transport interurbain (pass unique) et la mise en place de nouvelles haltes ferroviaires pour rapprocher les arrêts des espaces d’activités.
Une seconde caractéristique majeure des RER métropolitains réside dans la fréquence élevée du service, un élément crucial pour garantir sa prévisibilité et son adoption par les usagers. Cette exigence implique une amplitude horaire étendue, allant de 6h à 21h du lundi au samedi, avec des horaires de service prolongés jusqu’à minuit les vendredis et samedis. Le schéma directeur préconise également une fréquence soutenue, avec un train toutes les 15 à 30 minutes minimum en heure de pointe, toutes les 30 minutes minimum en heure creuse, et au moins un train par heure le dimanche. Cette cadence est en effet une nécessité pour que le train réponde aux besoins de la population et éviter la congestion aux heures d’affluence.
La mise en place de ce type de service soulève de nouveaux enjeux pour le réseau ferroviaire. Il nécessite l’acquisition de matériel roulant approprié, doté d’une capacité importante et de performances d’accélération et de freinage adaptées aux arrêts fréquents. SNCF Réseau suggère également la possibilité d’organiser le réseau à travers des méthodes de recouvrement et de diamétralisation. Elle rappelle toutefois que ces approches ne sont pas « pas une fin en soi » mais uniquement un « levier » à disposition de la réseau.
Grands travaux et gros sous
L’enjeu majeur de la mise en place des SERM réside néanmoins dans leur intégration au sein du réseau ferroviaire existant. L’instauration d’un SERM entraîne une utilisation conséquente des sillons ferroviaires, susceptible de générer des conflits avec d’autres types de trafic, tels que les transports régionaux, interrégionaux ou de marchandises. Or, de nombreuses étoiles ferroviaires de grandes métropoles sont déjà saturées. Plusieurs solutions sont envisageables pour y faire face, notamment une optimisation des circulations (centralisation de la gestion des circulations, amélioration de la signalisation, nouveaux systèmes de signalisation ERTMS optimisés). Cependant, seule la mise en place de nouvelles infrastructures peut efficacement répondre à l’augmentation prévue du trafic. Celle-ci peut impliquer la réorganisation des voies et des croisements pour isoler les différents flux de circulation – SNCF Réseau parle de fonctionnement en « tubes » – et, dans certains cas, la création de nouvelles voies pour faire face à l’accroissement du trafic. Ainsi, la coexistence de services métropolitains, régionaux, nationaux et de fret, tous en demande de développement, ne pourra se concrétiser que par la construction de nouvelles infrastructures permettant d’anticiper un trafic ferroviaire sans précédent.
L’instauration d’un SERM entraîne une utilisation conséquente des sillons ferroviaires, susceptible de générer des conflits avec d’autres types de trafic, tels que les transports régionaux, interrégionaux ou de marchandises.
Cet effort de développement des transports ferroviaires exige d’importants investissements pour adapter le réseau existant. En juillet 2022, le Président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, demandait 100 milliards d’euros sur 15 ans pour le réseau, dans le but d’augmenter la part modale du transport ferroviaire de 10 à 20%. En octobre de la même année, l’ensemble des présidents de régions ont appelé à un « New Deal ferroviaire » de 100 milliards sur 10 ans. En décembre 2022, le Comité d’Orientation des Infrastructures a recommandé un investissement de 40 milliards supplémentaires sur 20 ans pour la régénération et la modernisation du réseau. Les besoins d’investissement liés à la mise en place des SERM et à la désaturation des étoiles ferroviaires étaient alors estimés à 15 à 20 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros pour la période 2023-2042 pour les seuls projets prioritaires. Ces chiffres ne prennent pas en compte la Côte d’Azur, qui est concernée par un projet global de ligne nouvelle.
Au cours d’une vidéo postée le 27 novembre 2022, le président de la République a annoncé son projet en matière de SERM : « Pour tenir notre ambition écologique, je veux qu’on se dote d’une grande ambition nationale : dans dix grandes agglomérations, dans dix métropoles françaises, de développer un réseau de RER, un réseau de trains urbains ». S’il n’a précisé les contours exacts de sa vision, ni les villes retenues, le projet a depuis gagné en clarté. En février 2023, la Première ministre a affirmé la création d’un Plan d’avenir pour les transports doté de 100 milliards d’euros en faveur du développement ferroviaire d’ici 2040, avec un budget annuel de 4,5 milliards d’euros alloué à la régénération du réseau ferroviaire.
Une récente proposition de loi, adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 16 juin 2023, est venue définir les SERM dans le code des transports : ceux-ci sont décrits comme « une offre multimodale de services de transports collectifs publics qui s’appuie sur un renforcement de la desserte ferroviaire et intègre, le cas échéant, la mise en place de services de transport routier à haut niveau de service ainsi que la création ou l’adaptation de gares ou de pôles d’échanges multimodaux ». Elle a pour objectif une « amélioration de la qualité des transports du quotidien, notamment à travers des dessertes plus fréquentes et plus fiables des zones périurbaines, le désenclavement des territoires insuffisamment reliés aux centres urbains et la décarbonation des mobilités. »
Beaucoup d’acteurs à faire travailler ensemble
Les projets de SERM devront découler d’une collaboration entre les Régions (autorités organisatrices des mobilités) et l’État. La Société du Grand Paris, forte de son expérience dans la réalisation du Grand Paris Express, deviendra la Société des Grands Projets et sera chargée de contribuer à la conception, à la gestion de projet et au financement des futurs SERM, en collaboration avec SNCF Réseau. Un amendement adopté par les députés prévoit la mise en place d’au moins 10 SERM dans les dix prochaines années.
Bien que les contours du développement des futurs SERM se précisent, de nombreuses zones d’incertitude persistent quant à leur mise en œuvre. Le financement des SERM n’a pas encore été totalement défini. Le rapporteur du projet de loi évoque une somme de 20 à 25 milliards d’euros sur une période de 10 ans, au sein des 100 milliards d’euros d’investissements promis par Elisabeth Borne pour le secteur des transports. Les Contrats de Plan État-Région (CPER) pour la période 2023-2027 prévoient quant à eux une enveloppe de 800 millions d’euros pour financer les premières études, une somme qui peut tout juste couvrir les études préliminaires, mais qui demeure insuffisante pour des réalisations à court terme. A ce titre, Régions de France souligne la nécessité d’un investissement plus important de la part de l’État afin de concrétiser l’ambition d’un développement ferroviaire. Cette nécessité se renforce d’autant plus que les Régions sont déjà engagées financièrement dans d’autres projets ferroviaires et font face à des ressources limitées.
La querelle budgétaire entre l’Etat, la SNCF et les Régions ne fait que retarder la mise en œuvre des futurs RER métropolitains.
Le manque de financement de la part de l’État s’ajoute à des projets largement inaboutis. Les premiers réseaux en cours de lancement, à Bordeaux, à Strasbourg et le Léman Express, essuient quelques difficultés dûes à un manque d’anticipation. Ainsi, le réseau strasbourgeois ne remplit pour l’instant pas toutes ses promesses en raison d’un manque de personnel. Un point pourtant prévisible, mais que la SNCF a trop tardé à reconnaître selon la CGT. Au-delà de ces trois SERM, « la grande majorité des projets n’en est encore qu’à des stades d’études d’opportunité ou préliminaires » signale le rapport du Comité d’Orientation des Infrastructures en décembre 2022. De plus, plusieurs projets de SERM dépendent d’opérations majeures qui ont été repoussées, telles que le Grand Projet Ferroviaire du Sud-Ouest (Toulouse, Bordeaux et le Pays Basque), la Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur (Marseille, Toulon, Nice), le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise et la Ligne Nouvelle Paris Normandie (Reims).
Le souhait partagé de mettre en place des réseaux ferroviaires métropolitains en s’inspirant du modèle du RER francilien souligne l’impératif de concevoir des projets clairs et efficaces pour répondre aux besoins des métropoles et proposer des alternatives à la voiture, tout en répondant aux enjeux environnementaux et sociaux des territoires. Cependant, ces projets ne pourront être concrétisés sans un effort substantiel visant à moderniser le réseau ferroviaire hérité du XIXe siècle.
Outre l’adaptation des infrastructures, la mise en place de ces projets nécessitera aussi l’acquisition de rames supplémentaires et l’embauche de personnels en nombre suffisant pour les faire fonctionner. Etant donné le temps nécessaire pour tous ces aspects, la querelle budgétaire entre l’Etat, la SNCF et les Régions ne fait que retarder la mise en œuvre des futurs RER métropolitains. Face à cette situation, de nombreux élus locaux et acteurs économiques critiquent vivement la lenteur des arbitrages et font part de leurs inquiétudes concernant les investissements nécessaires.
Enfin, si ces futurs réseaux métropolitains constituent une bonne réponse aux besoins de transports décarbonés dans les grandes agglomérations, leur mise en place ne doit pas occulter des questions plus larges sur les mobilités et l’urbanisme. D’une part, les RER métropolitains doivent s’articuler avec une politique d’urbanisme intelligente, visant la densification autour des nœuds de transports plutôt que l’encouragement à une nouvelle vague d’étalement urbain. D’autre part, l’impératif d’amélioration des transports ferroviaires urbains ne doit pas faire oublier les campagnes, où la voiture reste souvent le seul moyen de déplacement. Autant de chantiers sur lesquels le gouvernement semble encore avoir un train de retard.