Salon de l’agriculture : le bal des hypocrites !

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©jean-michel gobet

Rideaux. La comédie vient de se terminer. Les bonimenteurs en costard vont rentrer dans leurs QG satisfaits d’avoir pu parler “terroir” au salon de l’agriculture. Les paysans, eux, vont retrouver leurs fermes, les journées interminables, les salaires de misère, et les pesticides qui ruinent leur santé. Leurs questions seront laissées sans réponse par ces responsables politiques (pas tous) qui, quelques temps avant de venir parader au salon de l’agriculture, ont levé la main en cadence pour voter le CETA qui finira de ruiner les espérances de l’agriculture française. 

Les grandes surfaces et les industriels font les poches des paysans !

Au terme de ce quinquennat, la situation est catastrophique. Un paysan se suicide tous les deux jours dans ce pays. Selon les décomptes de la confédération paysanne, 92 000 fermes ont disparu entre 2000 et 2015. En 2016, plus de la moitié des agriculteurs ont touché moins de 354 euros par mois. Et on n’en entend jamais parler.

Alors que se passe-t-il ?  L’agriculture est malade de crises à répétitions depuis la transformation de la PAC dans les années 1990 au point que parler de crise est abusif. L’agriculture vit un plan social permanent ! Jusque dans les années 1990, la PAC garantissait un prix aux agriculteurs. Simplement, le modèle coûtait beaucoup et poussait à la surproduction, ce qui ne pouvait tenir plus longtemps au regard de la crise écologique qui frappait déjà. Petit à petit, réformes après réformes, l’UE a décidé de faire des produits agricoles des marchandises comme les autres et de les faire entrer dans le marché mondial que construisait l’OMC, nonobstant le fait que la nature ne vit pas au rythme du capital financier et des évolutions spéculatives de prix mondiaux. Libre-échange et fin de la garantie de prix étaient les mots d’ordre. Il fallait déréguler et libéraliser l’agriculture : supprimer les quotas de production, les quotas d’importation, les droits de douane,  et les garanties de prix. Au lieu de cela, on assurait des subventions compensatrices aux paysans.

Sauf qu’avec l’entrée des pays du Sud et de l’Est dans l’UE, le système commençait à atteindre un coût insupportable pour les dogmes libéraux des curés austéritaires de la Commission Européenne : les subventions ont commencé à baisser. De plus, les subventions étant liées à la taille des exploitations, les agriculteurs sont poussés à des investissements extravagants pour accroître la production et baisser les prix en jouant sur deux variables : les cotisations et le salaire, puisqu’il n’était pas possible de jouer sur le prix des intrants (pesticides, semences) contrôlés par de grandes firmes multinationales qui se gavent sur le dos des paysans. Du coup, les gros céréaliers de l’agriculture productiviste se partagent l’essentiel des aides de la PAC, délaissant les petites exploitations.

La crise qui touche les producteurs laitiers est typique de l’absurdité de cette agriculture productiviste qui ruine les paysans. On a libéralisé le secteur en supprimant les quotas de production. Les paysans qui le pouvaient se sont donc endettés pour produire plus et vendre du lait sur le marché chinois. Folie ! Comme le marché n’était pas si juteux que prévu, on a connu une crise de surproduction et le prix du lait a baissé. Alors que le coût de production se situe entre 325 et 340 euros la tonne, le prix payé au producteur est passé de 358 euros à 277 euros en août 2016

Résultat : les petites exploitations (qui embauchent plus) disparaissent au profit de grandes exploitations qui maltraitent les animaux et l’environnement. S’ajoute à cela la concurrence insoutenable liée au détachement des travailleurs et au fait que certaines agricultures (Allemagne, Espagne) ont des exploitations encore plus grosses, produisant encore plus, respectant encore moins les normes environnementales et sous-payant les travailleurs agricoles.

Le CETA que viennent de faire adopter droite et sociaux-démocrates européens, avec la signature de la France et qu’approuvent F.Hollande, F.Fillon et E.Macron, n’améliore pas les choses. Il mettra les paysans français en concurrence avec des fermes pouvant concentrer jusqu’à 30 000 bêtes nourries  à 90% de maïs OGM et soumis à des antibiotiques activateurs de croissance ! C’est destructeur. En effet, 90% des animaux d’élevage en France sont nourris principalement à l’herbe et les activateurs de croissance sont interdits en France depuis 2005. De plus, pour unifier le marché, on s’attaque aux Appelations d’Origine Controlée (AOC). Sur les 4 500 Indications Géographiques Protégées (IGP), seules 173 IGP sont reconnues dans l’accord.

Une crise écologique qui menace la santé des paysans !

Pour ne rien arranger, ce modèle d’agriculture productiviste pourrit la santé des paysans, détruit la fertilité de la terre et empoisonne le reste de la nature. L’OMS vient de reconnaître le glyphosate (agent d’un des principaux herbicides : le Round Up) comme cancérogène. Des paysans courageux ne cessent de mener des batailles pour faire reconnaître les liens entre les pesticides et d’importantes maladies. Ainsi, en 2012, l’Etat a reconnu un lien entre l’usage des pesticides et la maladie de Parkinson.  

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, les deux tiers des cancers des paysans sont attribuables aux pesticides. Les paysans sont régulièrement victimes de cancers du sang, du cerveau ou de la prostate. Dans le monde, on dénombre un million de graves empoisonnements et 220 000 décès par an liés aux pesticides. Les pesticides sont responsables de nombreuses maladies chroniques : cancers, malformations congénitales, système immunitaire affaibli, problèmes neurologiques, troubles de la reproduction. Leurs enfants sont aussi touchés :  des cancers hématopoïétiques et des troubles de l’immunité, des malformations génitales, des retards de croissance, des handicaps. Ainsi, lorsque le père est exposé avant la naissance, le cancer du cerveau est plus fréquent (+ 49%).

Cela ne touche pas que les paysans et leurs enfants. Nous sommes tous frappés via l’alimentation. Des résidus de pesticides sont détectés dans 50% des fruits et légumes. Les pesticides contaminent aussi l’eau et l’air : l’Observatoire régional de la Santé de Poitou-Charentes a constaté une surmortalité dans les zones de vigne, par rapport à la population régionale, de 29% pour la maladie de Parkinson et de 19% pour les lymphomes. En Guadeloupe et Martinique le chlordécone, insecticide utilisé sur les bananes, a contaminé la population à 90%. Les cancers de la prostate sont deux fois plus nombreux qu’en métropole et les diabètes trois fois plus nombreux.

Les pesticides massacrent aussi la fertilité des terres et menacent donc directement la production agricole. Selon la revue « Nature », les aléas climatiques croissants ont fait baisser les rendements de 10 % en moyenne. Le recul est même de 20 % dans les zones où la monoculture céréalière est la plus intensive. Le taux de matière organique dans le sol des champs de blé français est passé de 4 % en 1900 à 1,8 % aujourd’hui. Pas étonnant lorsque l’on sait que la France est la première consommatrice européenne de pesticides et la troisième mondiale.

Un autre monde est possible !

Pourtant, un autre modèle d’agriculture est possible. Les producteurs de lait bio ne connaissent pas la crise. Pendant que les paysans de l’agriculture productiviste se battent pour faire accepter à Lactalis (qui se gave sur le dos des paysans comme la plupart des grandes centrales d’achat qui ne cessent d’accroître leurs marges en réduisant celles des paysans), des prix qui puissent approcher les coûts de production (entre 325 et 340 euros les 1000 litres), les paysans du secteur bio vendent leur lait entre 450 et 460 euros comme cet agriculteur Rennais.

Quelles sont les clés de ce succès ? Tout d’abord, les producteurs bio se structurent en organisations de producteurs au niveau de chaque laiterie qui leur achète le lait mais aussi au niveau régional et national.  À l’aide de l’observatoire de la filière,  les producteurs bio disposent d’une meilleure information sur les volumes et les prix et peuvent inverser le rapport de forces pour négocier les prix. Comme les producteurs bio s’organisent en circuit courts, ils sont aussi moins dépendants des grandes centrales d’achat qui poussent les prix à la baisse. De fait, les producteurs bio ne dépendent pas des spéculations sur les marchés mondiaux. Ils ne se surendettent pas pour vendre leur lait en Chine ou en Russie.

Par ailleurs, les charges des producteurs bio sont plus faibles (et non jeune citadin s’apprêtant à voter Macron, quand un agriculteur parle de charges, il ne parle pas des cotisations sociales qui financent sa retraite, les paysans sont moins fous que ton banquier chéri). Les animaux sont nourris à l’herbe et non au soja coûtant 1000 euros la tonne. Par ailleurs, quand on est en bio, nul besoin de dépenser des fortunes pour asperger les productions de pesticides. Alors certes, en bio, une vache produit seulement 5500 litres de lait à l’année (contre 7500 pour l’agriculture conventionnelle) mais les paysans y gagnent au change. Ils sont plus nombreux sur l’exploitation, travaillent moins et gagnent plus. Et cerise sur le gâteau : ils ne se pourrissent pas la santé avec des pesticides. Incroyable ! Oui-mais-c’est-pas-avec-le-bio-qu’on-va-nourrir-l’humanité. Si justement ! Un colloque de la FAO l’a démontré en 2007. Et depuis, cela a été confirmé par le Programme de l’ONU pour l’Environnement et l’Alimentation.

Pour l’agriculture comme pour le reste, les quinquennats de F.Hollande et de N.Sarkozy auront été au mieux une perte de temps, au pire un chemin de croix. Il est temps que l’agriculture productiviste desserre l’étau dans lequel elle tient les paysans. Il est temps qu’elle cesse de pourrir leur vie en poussant les prix à la baisse et de détruire leur santé en inondant leurs fermes de pesticides. Il est temps d’engager l’agriculture dans sa transition vers une agriculture écologiquement soutenable, respectueuse des paysans, protectrice de l’environnement et permettant d’offrir une alimentation de qualité à tous.

©jean-michel gobet